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Revue SIDIC VIII - 1975/2
Peuple-terre-religion: Approches de la question (Pag. 04 - 16)

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Le lien entre peuple, terre et religion dans l'Ancien et le Nouveau Testament
Clemens Thoma

 

On a beaucoup écrit sur le peuple, la terre et la religion pendant la période de l'Ancien et du Nouveau Testament (1). Malheureusement la recherche chrétienne n'a abouti à aucun consensus sur la question de savoir comment on peut considérer ces trois dons bibliques comme une unité. L'exposé qui suit tente de clarifier, du point de vue de l'histoire des religions et de la théologie, l'unité et les divergences, la continuité et la discontinuité des affirmations de l'Ancien et du Nouveau Testament sur le peuple, la terre et la religion. Cette approche indispensable est extrêmement difficile, à la fois d'un point de vue méthodologique et du point de vue de l'histoire des religions et de la science. Pourtant, il semble que l'on puisse, jusqu'à un certain point, atteindre cet objectif, après avoir maîtrisé deux points principaux: 1 - une présentation des vicissitudes et des aspirations du judaïsme primitif extra néotestamentaire au temps de Jésus (2); 2 - et, sur ces bases, l'interprétation des affirmations du Nouveau Testament sur la terre, le peuple et la religion.


I - Vicissitudes et aspirations du judaïsme ancien au temps de Jésus

Les experts reconnaissent généralement aujourd'hui qu'au temps de Jésus — c'est-à-dire pendant la période qui recouvre le temps des Maccabées, des gens de Qumrân, des Pharisiens, des Sadducéens, des partisans de l'apocalyptique, des révolutionnaires etc. —: « Ce n'était pas la lettre de la Torah ... qui était considérée comme la loi officielle, mais l'interprétation prédominante et son application, c'est-à-dire la forme historique actuelle de la Torah » (3). Pour comprendre les affirmations du Nouveau Testament on doit donc prendre en considération « la forme actuelle de la Torah » de ce temps, c'est-à-dire l'état de l'interprétation biblique dans les groupes du judaïsme ancien. Et nous disposons aujourd'hui du moyen de connaître quelles étaient les interprétations prédominantes de la Bible au temps de Jésus dans les targumim, les midrashim et lesécrits spécifiques de ces différents groupes (Qumrân - Pseudépigraphes).

Il n'y a pas de voie directe et sûre — du point de vue de l'histoire des religions — de l'Ancien au Nouveau et du Nouveau à l'Ancien Testament, il y a seulement une voie médiate, indirecte: à travers le temps de Jésus. Quelqu'un qui voudrait pourtant essayer de sauter l'abîme du temps qui sépare le temps de la vie de Jésus et des évangélistes du temps de la composition des livres de l'Ancien Testament, pourrait être soupçonné d'idéologisme. En aucun cas il ne pourrait soutenir une théologie de l'unité de l'Ancien et du Nouveau testament ni une histoire des religions dont la méthode soit acceptable. Il faut tenir compte de cela pour exposer la problématique de la terre, du peuple et de la religion.

1) Vicissitudes et aspirations générales

Deux événements particuliers ont été décisifs pour la pensée du judaïsme primitif et pour sa destinée en général:

— La prise et le pillage du temple de Jérusalem et la transformation syncrétiste de son culte sous l'influence du roi séleucide, Antiochus IV (175-163 av. J.C.) qui trouva des complices dévoués chez les grands prêtres juifs (spécialement Ménélaos: 172-162 av. J.C.). Ces intrusions, manipulations et transformations de structure aboutirent à une persécution sévère des juifs restés fidèles à la tradition. La révolte des Maccabées — spécialement dans sa première phase (167-164) — fut une réaction dans le cadre du judaïsme ancien contre les efforts d'hellénisation de la religion et plus spécialement contre « l'abomination de la désolation dans le lieu sacré » (cf. Dn 9, 27; 11, 31; 12, 11; Mt 24, 15). Plus tard, quand la persécution et la révolution finirent par se calmer et que les premiers chefs de la révolte se furent établis comme princes juifs héllénisés dans l'état juif devenu indépendant, l'unité interne et externe du judaïsme ancien fut brisée. Des groupes, plus ou moins hostiles les uns aux autres, virent le jour (4).

— La première guerre juive contre Rome, 66-73 de l'ère chrétienne, dont le plus tragique événement fut la destruction du temple de Jérusalem en 70. Elle fut suivie de la déportation et du massacre de dizaines de milliers de juifs. Le culte du temple s'arrêta brusquement. Des groupes qui faisaient autorité auparavant (en particulier les Sadducéens) avaient perdu leurs possessions et leur champ d'activité. C'est alors que, dans cette période sans temple qui continue jusqu'à nos jours, les pharisiens prirent le rôle de chefs. La période des interventions d'Antiochus IV et des juifs héllénisants qui collaboraient avec lui fut ressentie par de nombreux contemporains comme la période de la plus grande affliction depuis la création du monde (cf Dn 12, 1; 1 Mac 9, 27). La même chose a été dite de la guerre juive (cf Mt 24, 21; Bellum judaicum II, 441; V, 566; Tacite, Histoire 1, 3; 4, 9). En différents passages, cette constatation est accompagnée d'une condamnation radicale des groupes de juifs de l'opposition. Que ceci ait quelque chose à voir avec notre sujet peut être illustré par deux citations: B.J. V, 442 et 566, où Flavius Josèphe ravale les rebelles juifs au rang de rebut le plus impie de tous les temps. B.J. V, 442 dit ceci: « je ne crois pas que depuis la création du monde on ait vu... d'autres hommes dont la malice fût si féconde en toutes sortes de méchancetés ». B.J. V, 566 a des accents prophétiques encore plus menaçants: « ... Si les Romains eussent différé de punir par les armes de si grands coupables, je crois que la terre se serait ouverte pour abîmer cette misérable ville, ou qu'elle aurait péri par un déluge, ou qu'elle aurait été consumée par le feu du ciel comme Gomorrhe, puisque les abominations qui s'y commettaient et qui ont enfin causé la perte de tout son peuple (nds
adg ) surpassaient celles qui contraignirent la justice de Dieu à lancer ses foudres vengeurs sur cette autre détestable ville! » (traduction Arnaud d'Andilly).

Ainsi au temps de Jésus, l'unité de la trilogie: peuple-terre-religion était bien loin d'une quelconque réalisation. Les lamentations sur cetétat de fait (en référence au verset tardif du psaume 74, 9) se trouvent, parmi d'autres textes, dans Daniel 3, 38 (G); 1 Mac 4, 46; 14, 41 et également, d'une manière plus générale et plus indirecte, en différents passages des écrits rabbiniques (par exemple, B Sanh 11a; b Sota 49b; b Gittin 56b; Abot de R. Nathan IV) et du Nouveau Testament (par exemple Mt 22, 1-14 et passages parallèles: parabole du repas des noces royales; Mt 23, 1-39: malédictions contre les pharisiens; Mc 12, 1-12 et passages parallèles: parabole des vignerons homicides; Mc 13 et passages parallèles: petite apocalypse; Luc 13, 34 ss: malédictions prophétiques sur Jérusalem) (5). Citons Daniel 3, 38 (G) comme exemple de lamentation — il s'agit de l'affliction de la période hellénistique des Séleucides —: « Aujourd'hui, il n'y a ni princes, ni prophètes, ni chefs. Il n'y a ni holocaustes, ni offrande de nourriture, ni d'encens; pas même un lieu où l'on puisse vous (Dieu) présenter les prémices et trouver miséricorde ».

En période critique, quand il s'agit de vie et de mort, de préservation ou d'extinction de l'existence religieuse et nationale, les opprimés ne sont pas satisfaits par une apologétique superficielle, ni par une spéculation religieuse mineure. On le constate très clairement au temps de Jésus. Ce qui domine c'est une radicale prise de conscience de la crise religieuse individuelle et nationale. Les esprits étaient agités et surchauffés dans l'espoir d'un jugement eschatologique et d'une intervention salvatrice de Dieu. A cela s'ajoutaient des rêves d'absolue liberté eschatalogique, de possession sans danger du pays et de pureté rituelle. Les blasphémateurs, juifs et païens, étaient maudits à mort. On ne faisant pas confiance à l'establishment de Jérusalem. On entretenait des vues radicalement pessimistes sur les aptitudes et les possibilités humaines. La polarisation historique entre le véritable Israël souffrant et les païens agressifs avec leurs sympathisants juifs était encore exagérée. Beaucoup s'enfuirent de ces lieux d'abomination pour se réfugier au désert. D'autres s'orientèrent vers une forme de vie monastique conventuelle et se consacrèrent, loin du monde, à leur idéal et à leurs pratiques religieuses (6).

Un épisode de l'année 162 av. J.-C. montre à quel point, au temps de Jésus, le problème de la terre était écarté au profit d'un Idéal absolu. Les pieux (hassidim) avaient d'abord soutenu la révolte des Maccabées sous Judas (cf 1 Mac 2, 42; 2 Mac 14, 6), mais seulement jusqu'au moment où le temple de Jérusalem fut reconquis et qu'ainsi le culte selon la volonté de Dieu fut redevenu possible. Mais Judas Maccabée prit par la suite des mesures pour engager le mouvement des rebelles qui le suivaient dans la voie de l'établissement d'un Etat juif indépendant. Les pieux, cependant, qui attendaient le royaume de Dieu, se méfièrent de cette tentative de politisation de ce mouvement de révolte. Ils quittèrent donc Judas pour soutenir le grand-prêtre Alcimos (cf 1 Mac 7, 14), qui, du point de vue politique, était un homme extrêmement douteux. Pour eux, le culte à Jérusalem, selon la volonté de Dieu, comme il était redevenu possible, était plus important que l'indépendance politique. Au contraire — probablement dans le contexte de leur croyance en l'imminence de la fin des temps — ils voyaient en la possession d'un pouvoir politique s'appuyant sur la religion, un très grand danger d'apostasie qui les éloignerait du service et de l'attente du royaume de Dieu. C'est ainsi qu'ils se décidèrent contre l'assurance et la sécurité d'un Etat juif et pour une destinée de souffrance, d'insécurité et de « gouvernement étranger » (cf Gen 7; 17, 8; 28, 4) dans leur propre pays qui fut gouverné par leurs ennemis.

2) Différents groupes et types de piété

On peut classer les groupes du judaïsme ancien (associations, partis religieux, « sectes ») selon trois aspects:

a) selon leurs relations avec l'hellénisme;

b) selon leur prise de position en face de la question du bien-être politico-religieux de la nation juive considérée comme un tout;

c) selon leur attitude en face de la venue du royaume de Dieu.

Ces différents groupes demeurent essentiellement les mêmes jusqu'à 70 de l'ère chrétienne. Certaines attitudes religieuses existentielles correspondent à ces groupes. Cela ne veut pas dire que chaque groupe ait eu une spiritualité uniforme et exclusive; mais, cependant, certaines attitudes religieuses étaient plus spécialement représentées dans le comportement pratique de certains groupes.

A - L'attitude religieuse de ceux que séduit la royauté eschatologique (basileia)

Les juifs du temps de Jésus qui étaient imprégnés de cette attitude se tournaient, d'une façon passionnée vers ce qui était, selon leur conviction, l'imminence du terme ultime, le temps où Dieu devrait prononcer sa parole souveraine, à la fin des temps, comme juge, sauveur des justes, justicier des sacrilèges, dans le renouveau du cosmos. Ils étaient particulièrement indignés des sacrilèges de Jérusalem et du syncrétisme qui se répandait de plus en plus dans le judaïsme. En vue de la royauté ( Pactasiot ) qui devait bientôt intervenir dans le temps, ils considéraient la politique religieuse juive et l'organisation de la vie de communauté juive comme peu importante. Au lieu de cela, ils prêchaient le repentir, une espérance passionnée et la persévérance dans la souffrance.

Cette attitude pouvait revêtir deux formes, l'une quiétiste et l'autre activiste. Daniel, dans son apocalypse — cf aussi Hénoch — et jusqu'à un certain point les sectaires de Qumrân, appartenaient au groupe des quiétistes, c'est-à-dire de ceux qui attendaient passivement le royaume, dans une confiance paisible. Opposés à eux, les activistes militaient pour le royaume et furent les rebelles de la guerre juive. Leur activité anarchique et terroriste était basée sur la conviction qu'en prenant les armes ils pouvaient hâter ou même faire advenir l'avènement du royaume. Ils concevaient le royaume comme un état de liberté définitive, de sécurité dans la possession de la terre, de théocratie parfaite dans une nation libérée des étrangers et du sacrilège.

B - L'attitude religieuse de ceux que séduit la transcendance du royaume

Ce type de piété caractérise les juifs contemporains de Jésus, qui, avec ceux qui attendaient la venue imminente du royaume eschatologique, étaient convaincus que le présent est plein de crimes et de criminels. Pourtant, en face de cette réalité, ils ne cherchent pas à la fuir « en avant »à la recherche de l'avenir absolu, mais ils lui cherchent un sens « en haut », dans l'au-delà. Ils aspirent surtout à l'union mystique avec l'esprit transcendant, premier, le trône de Dieu, le plérôme. Mentionnons ici, mais avec les différences requises, les allégoristes d'Alexandrie, du cercle de Philon (cf Philon, quis div heres 249 ss), les mystiques du trône du judaïsme ancien (ma easeh merkabah) et les gnostiques. Dans l'apocalyptique et le pré-rabbinisme on rencontre aussi le phénomène du ravissement (cf 1 Hen 14; Apoc 4-5; b Chag 12-15).

C - L'attitude religieuse de ceux que séduit le passé national et religieux

C'étaient surtout les principaux représentants de l'establishment de Jérusalem qui étaient engagés dans cette attitude: grand-prêtres Sadducéens, Hasmonéens, et probablement jusqu'à un certain point les Pharisiens également. Leurs tendances à la restauration sont évidentes, par exemple dans leur solidarité royaliste à l'égard de David, sa dynastie et son royaume, et aussi leur fidélité à l'égard du temple et du culte traditionnel. Le quinzième chapitre du second livre des Maccabées fournit un exemple de cette tendance nationale et religieuse d'une façon significative.

D - L'attitude religieuse de que ceux séduit le temps présent

Pour ceux-là, l'important n'était pas d'abord le désir de l'avenir, le regret du passé ou l'expérience du transcendant. Au contraire, la nécessité indispensable, c'était pour eux, l'accomplissement religieux de la vie dans la configuration de la vie quotidienne sur la terre à l'esprit de la Torah. Ils connaissaient le danger d'espérances messianiques trop absolues, d'un mysticisme désengagé, ou d'un enthousiasme nationaliste excessif ou d'une référence obstinée au passé. Ils étaient convaincus qu'à travers le fidèle accomplissement de la vie quotidienne selon les préceptes de la Bible, une sorte de province de Dieu pourrait s'établir sur la terre, que la divinité (shekhinah) reposerait sur cette province et que, de cette manière, le royaume de Dieu arriverait à une certaine transparence sur la terre. Cette attitude exigeait en premier lieu la prière (de louange), l'étude de la Torah, l'organisation d'une communauté de vie, et l'accomplissement, dans le concret de l'existence, des lois religieuses fondées sur la Bible. Leur souci se portait sur la préservation de ces dons particuliers dont le Dieu d'Israël avait gratifié Israël, son peuple Israël. La terre d'Israël était aussi l'un de ces dons, et, selon cette attitude, c'était un commandement divin important de l'habiter, de la cultiver et de veiller à sa pureté rituelle (cf m San IV, 3; b Ket 110b). Les efforts du pharisaïsme et du rabbinisme en particulier se portaient vers la réalisation de cette attitude.


II - Peuple - terre - religion dans le Nouveau Testament

Il nous faut maintenant confronter les affirmations du Nouveau Testament sur la terre, le peuple, et la religion avec ce que nous venons de décrire des attitudes religieuses existentielles de ce temps. Puis il nous faudra préciser comment et dans quelle mesure les centres d'intérêt de l'Ancien Testament sont repris dans le Nouveau. Pour éviter toute méprise, dès le début de cet examen, il faut faire deux remarques. Il faut tout d'abord souligner le fait que l'expression terrepeuple-religion, entendue comme une unité n'est, nulle part dans le Nouveau Testament explicitement déclarée caduque. Certes, elle n'est nulle part soulignée dans son sens terrestre originel, et, pour ainsi dire, elle est mise dans l'ombre au profit de la proclamation du Christ et de la royauté eschatologique. Ce qui signifie cependant ceci: le concept de terre-peuple-religion de l'Ancien Testament reste latent et accessible au chrétien à travers le Nouveau Testament. Et celui-ci

1) Affirmations apocalyptiques

En 1960, E. Kâsemann a créé cette formule: « L'apocalyptique a été... la mère de toute la théologie chrétienne ». Cette position s'appuie peut et doit l'actualiser en référence au Christ et au royaume eschatologique de Dieu. La seconde remarque touche le mode d'expression du Nouveau Testament lui-même. Le Nouveau Testament n'offre pas une théologie abstraite. Au contraire, il contient de multiples reflets des convictions et des expressions de la foi des différentes communautés de disciples. La foi de ces communautés était d'abord et principalement tournée vers le Christ, mais également fondée sur une base juive traditionnelle. Cette base était légèrement différente dans chaque communauté, selon la tendance spirituelle juive dont ses membres étaient issus. Ainsi, dans une communauté l'eschatologie exerçait une séduction prédominante, dans une autre c'était la transcendance; une troisième communauté se référait sutout au passé, tandis qu'une quatrième mettait un accent spécial sur le règne de Dieu hic et nunc (eschatologie du présent).

surtout sur le fait que dans la couche littéraire la plus ancienne du Nouveau Testament, dans la source (Q) (collection de logia), un fort accent apocalyptique dominait. Pour notre recherche, il est cependant plus utile d'étudier les textes les plus récents du Nouveau Testament, à savoir l'apocalypse de Jean, plutôt que les plus anciens textes apocalyptiques. Son auteur était un chrétien du mouvement apocalyptique qui voulait gagner au Christ les juifs imprégnés d'idées apocalyptiques de son temps. Il voit donc dans le Christ le premier apocalypticien et interprète son oeuvre de salut comme l'accomplissement de toutes les autres aspirations apocalyptiques.
Une première citation utile ici se trouve dans Apoc 5 10: « Tu ( = le Christ) as fait d'eux ( = ceux qui ont été rachetés par le sang du Christ) une royauté de prêtres régnant sur la terre » (Bible de Jérusalem). Selon l'histoire des sources, nous avons ici une synthèse d'Exode 19, 6 et des aspirations apocalyptiques des pieux au commencement des temps eschatologiques (cf Dn 7, 13 ss, 27; 1 Hen 38, 5; 48, 9; 50, 1 ss; 92, 4; 95, 3; 96, 1)(11). Elisabeth Schüssler-Fiorenza donne une interprétation correcte de cette citation quand elle écrit: « Le concept de royauté ne doit pas être compris d'abord au sens d'exercice actif du pouvoir et de la dignité royale, mais il faut plutôt l'interpréter dans le sens de peuple royal ou de royaume de Dieu. Puisque l'agneau a créé par sa mort la communauté comme le lieu du rassemblement du peuple sur la terre, là où le règne de Dieu est déjà reconnu maintenant, et là où il est une réalité, cet agneau est donc capable d'établir le règne sur toute la terre. L'agneau s'est montré digne de recevoir le règne de Dieu et de l'exercer avec lui et pour lui, parce qu'il était capable de créer pour Dieu un peuple qui confesse le règne de Dieu et essaie de satisfaire à ses exigences et à ses lois, en dépit de toutes les apparences selon lesquelles le monde est gouverné non par Dieu, mais par des puissances qui sont hostiles à Dieu et au Christ» (12).

Nous avons ici une expression de peuple-terre-religion. Certes, elle n'exhale guère un parfum terrestre, mais elle est exprimée en termes d'une pure et intérieure spiritualité eschatologique et porte une empreinte christologique évidente.

Nous trouvons une autre expression presque équivalente de terre-peuple-religion dans Apoc 14, 11: « Puis voici qu'un agneau apparut à mes yeux, il se tenait sur le mont Sion, accompagné de cent quarante-quatre milliers de gens portant inscrits sur le front son nom et le nom de son Père » (Bible de Jérusalem). Le caractère transcendant et métahistorique de la vision est même plus clair ici que dans 5, 10. Dans ce verset, Sion n'est pas la montagne du temple de Jérusalem, mais la Sion des temps nouveaux, c'est-à-dire le point de cristallisation de la royauté ((3a« LIE Ca) métahistorique.

Dans Apocalypse 11,2, fragment qui date d'un peu avant 70 après J.-C., la Jérusalem terrestre est appelée cité sainte (de même dans Mt 4,5; 27,53). Un peu plus loin, une affirmation contraire suit. Selon 11,8 la Jérusalem terrestre a été perçue en esprit comme Sodome et l'Egypte. Dans les chapitres suivants de l'Apocalypse, l'attribut cité sainte est donné à la Jérusalem céleste dans les nouveaux temps à venir (cf 21,2.10; 22,19). A partir de cette description de la Jérusalem terrestre comme celle qui plaît et qui déplaît à Dieu, il devient possible de prendre le terme Jérusalem comme le mot clef biblique pour caricaturer la royauté. Dans Apocalypse 18,24, Babel par exemple est appelée la cité à laquelle colle le sang des prophètes et des saints et de tous ceux dont le sang a été versé sur la terre. La même chose est dite de Jérusalem dans Mt 23,35. Pourtant, ces déclarations agressives contre Jérusalem ne dépassent pas les polémiques équivalentes du prophète Ezéchiel (20-24).

Dans Apocalypse 20,11, le « poids » des temps à venir et le peu de poids de ce monde et de ses structures est exprimé d'une façon vraiment tangible: « Je vis un trône blanc, très grand, et celui qui siège dessus. Le ciel et la terre s'enfuirent de devant sa face sans laisser de traces. » Ainsi, au moment du tournant du temps, il n'y aura pas de transition continue vers le temps nouveau; tout ce qui est terrestre doit disparaître, spécialement ce qui est inique (cf 20,13-15); seul le nouvel ordre céleste existera. Selon les chapitres 21 et 22, seul le nom de Jérusalem — mais non plus sa réalité terrestre —apparaîtra dans les temps nouveaux. Un second rapport avec le temps présent sera le fait que les temps nouveaux descendront pour prendre la place de la terre actuelle (21,2). Mais tout le reste sera différent, sera accompli.

A partir de ces passages et d'autres de l'Apocalypse de Jean, une attitude existentielle est évidente, celle que séduit la royauté eschatologique métahistorique. Elle se situe sous un angle emphatique, résolument christologique. Le trait principal et la visée du royaume sont de l'ordre de la métahistoire. Cette attitude existentielle (sauf sous l'aspect de la confession du Christ) est largement représentée dans les sphères juives contemporaines, extra-néotestamentaires. Le transfert de la royauté en métahistoire n'apparaît absolument pas pour la première et unique fois dans l'apocalypse de Jean. « On ne peut préciser quand l'eschatologie a été définitivement transposée en métahistoire. Mais on peut certainement présumer que cela s'est produit pendant la période de transition, à l'apparition de la littérature apocryphe » (13). Ces transpositions aussi apparaissent dans la littérature rabbinique qui, par ailleurs, souligne très fortement la représentation terrestre et la responsabilité en face du royaume. Un exemple frappant de cela se trouve dans m Sanh X,1, où un passage qui contient une promesse de la terre est interprété d'une façon métahistorique: « Tout Israëla une part dans le monde à venir. Car il est écrit: 'Ton peuple ne sera composé que de justes qui posséderont pour toujours le pays. Rejeton des plantations du Seigneur, tu seras l'oeuvre de mes mains faite pour être belle.' (Isaïe 60, 21) (Bible de Jérusalem) ».

Ces constatations faites, il se pose maintenant la question de savoir comment ces thèmes de prédication sont fondés dans l'Ancien Testament. Et, dans ce domaine, il faut constater une certaine distance entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Les affirmations sur terrepeuple-religion de l'Apocalypse de Jean sont en continuité avec les aspirations de l'Ancien Testament vers l'avenir et une tentative pour les transcender; ceci est le seul rapport lâche, mais il est maintenant transposé à un nouveau niveau et placé sous un nouveau signe. Ces affirmations sont probablement plus proches des aspirations au transcendant de l'Ancien Testament que de ses espoirs pour l'avenir. Ceci par exemple pourrait être montré par une exégèse de Deutéronome 11,10-12. Cependant, un expert de l'Ancien Testament — spécialement s'il établit un parallèle avec les affirmations du Deutéronome — sera particulièrement frappé du fait que nulle part dans l'Apocalypse il n'y a de référence à la terre comme don fait par Dieu à son peuple dans le passé (cf Deut 4,21; 15,4; 19,10; 20,11; 21,23; 24,4; 25,19; 26,1). L'Apocalypse ne se tourne guère vers le passé en deça du phénomène du Christ. Elle est toute orientée vers un avenir absolu. Elle est beaucoup moins liée à la terre et au peuple que ne l'était l'Ancien Testament. Pourtant elle ne nie pas le passé qui lui fait face dans l'Ancien Testament, pas plus cependant qu'elle n'en parle explicitement.

2) Affirmations anti-zélotes

Mt 5,5 peut probablement être compris comme une parole anti-zélote du Nouveau Testament: « Bienheureux les doux, car ils hériteront du pays (ou de la terre) ». A propos de ce verset, les exégètes ne sont pas d'accord sur les questions suivantes: doit-on comprendre les « doux » dans un sens éthico-moral ou dans un sens sociologique? Dans ce dernier cas l'expression désignerait un groupe. Il pourrait désigner un groupe proche de Qumrân, qu'ils est difficile d'identifier exactement, et qui était marqué par un idéal de piété des pauvres. D'autre part, « la terre » signifie-t-elle la terre de Canaan, le monde entier, la vie à venir, ou le royaume eschatologique? La seule chose certaine est seulement que Mt 5,5 est une parole qui se réfère pour sa forme au psaume 37,11 (et peut-être à Isaïe 61,1). Probablement, dans cette béatitude, le Christ de Mt a-t-il loué ceux qui étaient marqués d'une espérance confiante et paisible (sans revendications révolutionnaires) de l'imminence des temps messianiques. A la venue du royaume eschatologique, ils devaient hériter de la terre — sans qu'il soit précisé comment, dans quelle mesure, ni de quelle terre il s'agit.

L'attitude anti-zélote du Nouveau Testament (voir également Mt 5,43-48 et passages parallèles et souvent dans d'autres passages) peut très bien se référer à l'Ancien Testament (comme bien sûr on peut y référer aussi le zélotisme). Il faut mentionner spécialement ici Isaïe 30,15: « ...le calme était le salut, dans une parfaite confiance était votre force... ». Cette parole de la fin du huitième siècle avant J.-C. a été prononcée à un moment où tous les petits états opprimés dans l'ouest du monde sémitique étaient soupçonnés de conspirer et de se révolter contre l'Assyrie (14).

A travers cette attitude non équivoque et dirigée contre le terrorisme messianique religieux, le Nouveau Testament apportait un appui considérable à l'Ancien Testament et au judaïsme du temps de Jésus. Ce qui a amené la confusion, pour beaucoup, a été l'ambiguité de l'Ancien Testament pour les questions de guerre et de paix. La Nouveau Testament a pris position contre la haine, contre la poursuite du méchant et contre la mort. Le judaïsme rabbinique est d'accord avec le Nouveau Testament sur cette question.

3) Affirmations dans la ligne d'une sublimation et d'une métaphorisation

En Heb 11, les représentations de l'Ancien Testament sur terre-peuple-religion sont reprises par une attitude de foi qui tend à une sublimation. Formellement ce chapitre est une interprétation midrashique de thèmes d'espérance qui sont au centre de l'Ancien Testament. Abel, Hénoch, Noé et sa tribu, Abraham, sa femme Sara, Isaac, Jacob et ses fils (spécialement Joseph), Moïse, Josué, Rahab la prostituée, Gédéon, Barak, Samson, Jephté, Samuel, David et les prophètes sont invoqués comme témoins du fait que les promesses de l'Ancien Testament n'ont pas leur sens final dans le terrestre, et que, par conséquent, ni la vie dans le pays terrestre d'Israël, ni l'accomplissement de la promesse d'une postérité nombreuse, ni la pratique de la religion des ancêtres ne signifie le but ou l'accomplissement final de la promesse. Au verset 6, il y a probablement une expression minimale ou une « Torah in nuce » (15). Ce verset dit:

« Sans la foi, il est impossible de plaire (à Dieu). Car celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe et qu'il se fait le rémunérateur de ceux qui le cherchent ». La religiosité qui est prônée ici l'est sans l'addition d'éléments ethniques ou géo-théologiques, sans pour cela que ces éléments soient niés. A côté de cela, il y a une forte orientation vers le surnaturel. L'accomplissement final de toutes les promesses bibliques est à chercher dans la cité céleste, dans la patrie céleste. Selon l'exemple des pères, des maîtres, des héros et des prophètes de l'Ancien Testament, chacun doit tendre dans la foi vers la demeure céleste que garantit l'accomplissement plénier et l'apaisement complet: « C'est dans la foi qu'ils (les pères de l'Ancien Testament) moururent tous sans avoir reçu l'objet des promesses... ils (ces pères disparus de l'Ancien Testament) aspirent à une patrie meilleure, c'est-à-dire céleste (Heb 11, 13 et 16). Il faut noter la motivation qui cause la foi. Les promesses, certes, étaient données aux pères de l'Ancien Testament, mais non pas leur accomplissement. Ceui-ci est encore à venir. L'attitude qui y prépare est la foi.

F.W. Marquardt écrit quelque chose de très pertinent sur l'attitude de la lettre aux Hébreux à propos de terre-peuple-religion: « Le fait qu'Israël soit étranger sur la terre a toujours signifié ceci: c'est seulement à travers une obéissance fidèle, seulement dans l'accomplissement de la Torah que l'on peut être chez soi, et pas seulement par la possession de la terre. C'est la terre de Dieu, non pas celle d'Israël, c'est un sol sacré, seul celui qui fait la volonté de Dieu est à sa place sur cette terre (Deut 30,16-18). L'auteur de la lettre aux Hébreux envisage ce critère quand il ne peut considérer l'entrée de Josué dans la terre (Héb 4) comme étant déjà l'entrée d'Israël dans son repos: la foi manque encore. Et Jean l'évangéliste (4,19 ss) a appliqué le même critère quand il a opposé le culte en esprit et en vérité au culte sur le Garizim ou à Jérusalem » (16).

4) Discussions du sens traditionnel

On ne peut déduire du Nouveau Testament ni un oui inconditionné — en dépit de Mt 5, 17 ss — ni un simple non à la piété juive contemporaine basée sur la loi. On oublie souvent que le Nouveau Testament ne se situe pas toujours, ni exclusivement, du point de vue du royaume à venir et de la christologie. A côté de cela, il contient des discussions sur le plan de la loi religieuse, qui semblent tout à fait traditionnelles. Il y a de nombreux exemples de cela, particulièrement dans les évangiles synoptiques, Actes 15,13-17 est également typique: « Jacques prit la parole et dit: ...Simon a exposé comment, dès le début, Dieu a pris soin de tirer d'entre les païens un peuple réservé à son nom. Ce qui concorde avec les paroles des prophètes, puisqu'il est écrit: 'Après cela je reviendrai et je relèverai la tente de David qui est tombée; et je relèverai ses ruines et je la redresserai, afin que le reste des hommes cherchent le Seigneur, ainsi que toutes les nations (ncivut rec gevi) qui ont été consacrées à mon nom' (Amos 9, 1 1 ss; Zacharie 2,15; Septante) ». Ces mots qui sont mis dans la bouche de Jacques ou du parti judéo-chrétien de l'assemblée des apôtres, culminent en ceci que le signe de la reconstruction d'Israël, comme elle est prédite par les prophètes, est devenu une réalité dans le Christ et en ceux qui croient en lui. Une affirmation selon la loi religieuse en découle: les nations elles aussi sont maintenant en union avec le peuple de Dieu (cf aussi Rom 9-11). Mais il n'est pas dit expressément que les nations ont pris la place d'Israël. Cependant, il ressort clairement du contexte que l'intégration des nations en Israël est seulement liée à l'observance des lois noachiques, et non pas à l'ensemble de la loi juive (cf 15,19-21; avec des réserves pour les judéo-chrétiens).

Le rapport de ces affirmations sur l'intégration des nations en Israël avec l'Ancien Testament est établi, en premier lieu à travers la version des Septante de Zacharie 2,15: « Des nations nombreuses s'attacheront au Seigneur, en ce jour: elles seront pour lui un peuple ». De plus, il faut mentionner ici les visions prophétiques de l'avenir qui voient l'harmonieuse unité d'Israël et des nations comme l'idéal de l'avenir (cf Isaïe 2; 60; Ez. 34; Sophonie 3) (17).

5) Personnalisations

Dans le Nouveau Testament, il y a de nombreuses réinterprétations des concepts et des valeurs traditionnelles qui visent la communauté du Christ. Du point de vue de l'histoire religieuse, la comparaison avec l'attitude du judaïsme primitif, qui était polarisé par le temps présent, s'impose d'elle-même (cf I, 2d).

Dans Eph 2,19-22, il y a un réinterprétation du temple et de son culte pour signifier la communauté chrétienne: « Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers ni des hôtes; vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu. Car la construction que vous êtes a pour fondations les apôtres et prophètes, et pour pierre d'angle le Christ Jésus lui-même. En lui toute construction s'ajuste et grandit en un temple saint, dans le Seigneur; en lui, vous aussi vous êtes intégrés à la construction pour devenir une demeure de Dieu dans l'esprit. » L'idée principale est ici à la fois de nature christologique et ecclésiologique. Le Christ qui donne aux croyants son appui décisif, et les croyants, qui sont bâtis sur la demeure de Dieu dans l'esprit, sont maintenant les signes de la réalité du salut, semblables au temple et à son culte. On ne peut négliger la tendance symbolique, personnalisante et actualisante. On retrouve le même esprit par exemple dans 1 Pierre 2,5ss, selon lequel la communauté idéale des croyants est une « demeure spirituelle » qui se bâtit elle-même et dans laquelle on offre des « sacrifices spirituels » (cf aussi 1Cor 3,16 ss; 2Cor 6,16-18). On doit cependant remarquer que le Nouveau Testament ne personnalise et n'actualise pas sans discrimination. Il prend le matériel utile seulement dans le domaine du culte. Ainsi on ne trouve nulle part rien qui ressemble à l'idée qui semblerait obvie, à savoir que les chrétiens sont la véritable terre d'Israël, la terre spirituelle de Dieu!


III - Quelques remarques pour conclure

1) Le Nouveau Testament est partout lié à ce judaïsme du temps de Jésus qui n'a pas cru au Christ. Il renvoie à toutes les formes religieuses des styles de vie de ce temps. Il partage ou corrige les principales modes du temps. Il arrive même que le Nouveau Testament, en conformité avec les tendances contemporaines et avec elles, se situe en opposition avec les idées et les centres d'intérêt de l'Ancien Testament.

2) Si l'on considère la trilogie: terre-peuplereligion dans un sens général comme les principaux mots-clefs de la conception de la vie selon l'Ancien Testament, on doit alors remarquer que le Nouveau Testament lui apporte des corrections considérables. Il regroupe, comme si c'était un fait, toute réalité autour du Christ et du royaume; il sublime et symbolise, il apporte des faits qui étaient considérés, dans une vision d'histoire interne, en rapport avec l'avenir absolu, il ignore les accents nationaux révisionnistes, il ne fait pas vraiment confiance à une piété basée sur la loi, il écarte ce qui est secondaire pour garder seulement l'essentiel.

3) Les efforts pour avancer dans la théologie de la question peuple-terre-religion en tenant compte de ce que le judaïsme réfère à l'Ancien Testament, ne peuvent donc pas être réalisés par des exégètes bibliques seuls. Au contraire, des considérations de théologie dogmatique complémentaires sont nécessaires. La notion de cohérence des promesses qui a été introduite par F.W. Marquardt (18) aurait ici son importance.

L'Ancien et le Nouveau Testament n'ont pas seulement, de l'un à l'autre, une relation de présent à passé, mais les deux sont essentiellement dépendants de l'avenir (cf 1 Cor 15,28).
Si l'on considère ces points de référence, on estimera préférable de ne pas parler inconditionnellement d'une déterritorialisation de la théologie du Nouveau Testament, en comparaison avec la théologie juive. On ne peut pas dire simplement, comme le fait W.D. Davies en partie, que dans le Nouveau Testament il n'y a pas de théologie de la terre et qu'il y a seulement une spiritualisation et une personnalisation de la terre, du peuple et de la religion en vue du Christ (19).

4) Une question centrale pour toute considération biblique et dogmatique est celle de la signification de Jésus dans la mesure où il était un juif et vivait dans la terre d'Israël, au milieu du peuple d'Israël. En aucun cas, cela n'a pu être quelque chose d'extérieur, voire une coïncidence. D'une certaine façon, difficile à dire, il naît ici un devoir chrétien de solidarité avec l'homme Jésus dans la terre d'Israël. Certes, il faut être sur ses gardes dans une pareille question, et également lutter contre le superficiel. Jésus n'a institutionnalisé aucun lieu spécifique de pélerinage pour le Nouveau Testament, dans la terre d'Israël. Il n'a pas imposé à ses disciples la dévotion aux lieux où il a séjourné ni le devoir d'y ériger des lieux de culte. Le Nouveau Testament est en général persuadé que Jésus est le lieu de culte décisif du Nouveau Testament (cf Jean 1,51; 4,19-24; 10,30). La personnalisation des lieux de culte en référence au Christ est spécifiquement néo-testamentaire. Cependant, le mouvement général qui porte la pensée de l'objet à la personne existe déjà dans l'Ancien Testament (voir en particulier les chants du serviteur souffrant) (20). Cependant, la personnalisation spécifiquement néo-testamentaire des lieux va à l'encontre de toute réclamation des lieux saints par les chrétiens sous prétexte d'un quelconque droit religieux. Si l'on veut avancer des réclamations légales dans ce domaine, il faudra trouver des motivations extra-bibliques.

Pour une réflexion théologique, il y a aussi un fait important: s'il est vrai que Jésus a clairement pris position contre les zélotes, c'est-à-dire contre les efforts militants des religieux pour réaliser le règne de Dieu, il ne s'est pourtant pas prononcé contre les attitudes religieuses nationalistes. Il a certes critiqué le culte et les dirigeants, mais il a accepté le principe de leur légitimité.
(20) cf M. Schmidt, Prophet und Tempel, Eine Studie zum Problem der Gottesniihe, Zollikon 1948, surtout 183-192.

5) Vue sous l'angle du Nouveau Testament, on peut comprendre que l'Eglise soit réservée en face des courants de pensée messianique en référence avec l'Etat d'Israël. Selon la vision du Nouveau Testament, le point culminant de l'histoire de la révélation est advenu en Jésus Christ. Dans la mesure où une eschatologie avec un nouvel ordre des dimensions cosmiques est toujours attendue après la venue du Christ, celle-ci, c'est ce qu'il semble que l'on puisse imaginer, n'aura plus son centre terrestre dans le judaïsme seul, mais dans le peuple de Dieu constitué par les juifs et les gentils. Mais, précisément, le problème décisif pour l'Eglise est de trouver l'équilibre exact des liens qui existent entre l'Ancien et le Nouveau Testament et entre judaïsme et christianisme.



Clemens Thoma est professeur de Bible et de judaïsme à la Faculté de théologie de Lucerne. Il a poursuivi des études à l'Institut für Judaistik de Vienne.

(1) cf L. Baeck, Dieses Volk, Jüdische Existenz, 2 vol., Francfort 1955-57; article « eretz Israël », Encyclopedia Talmudit, vol 2, Jérusalem 1956, 199-235; F.W. Marquardt, Die biblischen Landverheissungen für die Christen, Munich 1964; C. Thoma (éditeur), Auf den Trümmern des Tempels, Land und Bund Israels im Dialog zwischen Christen und Juden, Vienne 1968; W. Eckert - N.P. Levinson - M. Stbhr (éditeur) Jüdisches Volk -gelobtes Land, Munich 1970; J. Pfammatter - F. Furger (éditeur), Judentum und Kirche: Volk Gottes, Theologische Berichte III, Zurich 1974.
(2) Le temps de Jésus: il s'agit ici de la période qui s'étend à peu près de 170 av. J.-C. à 140 ap. J.-C. L'expression est utilisée faute de mieux. Toutefois elle est préférable à l'expression: période inter-testamentaire. On peut considérer d'une certaine façon cette période de 170 av. J.C. à 140 ap. J.C. comme formant une unité du fait d'une large continuité des problèmes.
(3) J. Maier, Geschichte des jüdischen Religions, Berlin 1972, 20.
(4) cf ici C. Thoma, Religionsgeschichtliche und theologische Bedeutsamkeit der jiidischen Hohenpriester von 175 bis 37 y. Chr., Bibel und Liturgie 45 (1972) 4-22.
(5) Pour l'étude de cette question dans le Nouveau Testament, voir en particulier W.P. Eckert - N.P. Levinson - M. Star (éditeur), Antijudaismus im Neuen Testament? Munich 1972.
(6) cf W. Harnisch, V erhângnis und V erheissung, Untersuchungen zum Zeit — und Geschichtsverstândnis im 4. Buch Esra und in der syr. Baruchapokalypse, Gi:ittingen 1969; M. Limbeck, Von der Ohnmacht des Rechts, Untersuchungen zur Gesetzkritik des NT, Dusseldorf 1972.
(7) cf J.C. Dancy, A commentary on 1 Maccabees, Oxford 1954, 122.
(8) cf C. Thoma, Spiitjudentum, Sacramentum Mundi IV, Fribourg 1969, Surtout 647-651.
(9) Jusqu'ici il n'existe que très peu d'exposés satisfaisants sur les attitudes existentielles au temps de Jésus. Il est intéressant de mentionner par exemple: E. Janssen, Das Gottesvolk und seine Geschichte. Geschichtsbild und Selbstverstândnis im palâstinensischen Schrifttum von Jesus Sirach bis Jehuda ha-Nasi, Neukirchen 1971. Cependant les vues de Janssen divergent sur plusieurs points avec celles qui sont présentées dans cet article.
(10) Die Anfânge der christlichen Theologie, ZThk 57 (1960) 162-185, cit. 180.
(11) cf U.B. Müller, Messias und Menschensohn in jüdischen Apokalypsen und in der Offenbarung des Johannes, Gütersloh 1972, 24s; M. Noth, Die Heiligen des Hdchsten, Gesammelte Studien zum AT, Munich 1960, 274-290, 286s; O. Plager, Das Buch Daniel, KAT 18, Gütersloh 1965, 115 et autres passages fréquents.
(12) Priester für Gott, Studien zum Herrschafts —und Priestermotiv in der Apoklypse, Münster 1972, 285.
(13) S. Talmon, Typen der Messiaserwartung um die Zeitenwende, in: H.W. Wolff, Probleme biblischer Theologie, Gerh. von Rad zum 70 -Geburtsag, Munich 1971, 571-588, cit. 581.
(14) cf S. Hermann, Geschichte Israels in alttestamentlicher Zeit, Munich 1973, 314ss.
(15) Pour cette expression cf G.F. Moore, Judaism, vol. 2, Cambridge 1944, 84ss.
(16) Dans Eckert-Levinson-Sttihr, op. cit. (note 1), 265.
(17) Sur Actes 15,13-17 cf Th. C. De Kruijf, Das Volk Gottes im Neuen Testament, Theol. Berichte III (cf note 1) 119-133, voir surtout 126 ss.
(18) Op. cit. (note 1), passim; voir aussi J.J. Stamm, Der Staat Israel und die Landverheissungen der Bibel. Zurich 1961.
(19) W.D. Davies, The Gospel and the Land, University of California Press 1973.

 

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