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Le livre de Ruth, ou bonté vaut mieux que charité
Moshé Kohn
La gemilut hassadim
Qu'est-ce qu'un juif? Un juif se reconnaît à sa compassion-, sa modestie et sa gemilut hassadim (Yevamot 79a). El qu'est-ce que la gemilut hassadim (appelée aussi gemilat hessed ou simplement hessed)? Comme bien d'autres concepts juifs et, parmi eux celui, fondamental, de Torah, il peut être mieux compris sans doute en termes d'action que par une définition abstraite.
Qu'est-ce que la Torah, dont nous célébrons, à Shavuot, la remise au peuple juif sur le mont Sinaï il y a environ 34 siècles? Du début à la fin, la Torah est gemilut hassadim, dit R. Siml'i (Sota 14a). Comment cela? Au début, Dieu procure un vêtement à Adam et Eve (Gn 2,21); et à la fin, il enterre Moïse (Dl 33,6). Nous avons là deux actes caractéristiques de hessed (bonté).
Les Sages nous disent même (Succa 49b) que la gemilut hassadim est plus grande que la tzedaka (charité), et cela pour trois raisons: on fait la tzedaka (mot traduit habituellement par "charité") en donnant de I,argent à un pauvre qui est vivant; mais on fait un acte de gemilut hassadimen donnant soit de l'argent, soit sa propre personne (en visitant un malade, par exemple), à un pauvre ou à un riche, qu'il soit vivant ou mort; et la forme la plus élevée de cet acte de gemilut hassadim, appelée la "vraie" gemilat hessed est de s'acquitter des derniers devoirs envers quelqu'un qui vient de mourir et de qui vous ne pouvez rien attendre en retour, ou du moins de lui rendre les derniers honneurs,
Ruth et Shavuot
Au temps de Shavuot, le livre biblique de Ruth se lit au cours de la liturgie à la synagogue. Quelle relation y a-t-il entre Shavuot et cette idylle bucolique? Nos sages suggèrent diverses relations: l'une d'elles serait que Ruth est une des ancêtres de David, dont on célèbre traditionnellement la naissance et la mort au moment de Shavuot; une autre, serait que les événements les plus importants de l'histoire de Ruth se passent au cours des sept semaines de la moisson de l'orge et des blés, entre la Pâque et la fête de Shavuot qui est "la fête des prémices". On remarque aussi que Shavuot, "le moment où fut donné notre Torah" est aussi le moment approprié pour lire l'histoire de Ruth, modèle des prosélytes. Sa profession de fidélité envers une belle-mère pauvre et veuve (Noémi) et envers la religion de son peuple d'adoption est, en effet, peut-être unique en son genre par sa beauté sobre et exquise:
«Ne me presse pas de te quitter et de m'éloigner de toi, car où tu iras, j'irai, où tu demeureras je demeurerai, ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu. Là où tu mourras je mourrai, et là je serai ensevelie! Que YHWH me fasse ce mal et qu'il ajoute encore cet autre, si ce n'est pas la mort qui nous sépare• (Rt 1,16-17)
La Torah tout entière est hessed
Je voudrais proposer ici une autre relation entre Ruth et Shavuot; celle-ci m'est suggérée par le Dr Gavriel Haim Cohn, de Jérusalem, qui découvre dans ce livre le thème essentiel de la bonté (hessed). Ainsi, me semble-t-il, si nous lisons Ruth au moment de Shavuot, c'est pour souligner le fait que l'essentiel de la Torah est hessed.
Dans une monographie publiée il y a 19 ans par le département de l'éducation religieuse du Ministère israélien de l'Education, Cohn cite les paroles de Rabbi Ze'ira: "[Le livre de] Ruth a été écrit pour (nous) enseigner (quelle est) la récompense de la gemilut hassadim" (Midrash Ruth Rabba 2:15). R. Ze'ira n'explique pas cette assertion. Cohn suppose qu'il vise en premier lieu les préceptes concernant la glanure que le cultivateur doit laisser pour le pauvre, l'étranger, la veuve et l'orphelin (Lv 19,9-10; 23,22; Dt 24,19-21). Il remarque aussi que si Ruth a un dénouement heureux (pour les personnages et pour le peuple juif), c'est parce que Boaz observe les préceptes, permettant à l'héroïne du récit, étrangère pauvre et sans mari, de pénétrer dans son champ pour glaner. Mais cet acte de bonté a été précédé par la bonté (hessed) même de Ruth envers Noémi qu'elle va accompagner en Judée, et il est suivi par toute une série d'actes de hessed qu'accomplissent chacun des personnages du récit (excepté le "levir" anonyme de Ruth (cf. 4,6); mais le refus de ce dernier d'épouser celle-ci va laisser le champ libre à Boaz et permettre un heureux dénouement).
Ainsi la liturgie de Shavuot comporte la lecture du livre de Ruth – qui montre comment la bonté, hessed, conduit à une union appelée à faire naître le Messie – pour mettre en relief un thème souvent repris par la Torah même et par les commentaires des Sages: le but de l'étude de la Torah et de l'accomplissement de ses préceptes dans la vie, et aussi le moyen de coopérer à la Rédemption finale, c'est la bonté, hessed.
* Cet article a paru dans le Jerusalem Post International du 10 juin 1989. Il est traduit de l'anglais et reproduit ici avec l'aimable autorisation des éditeurs.