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Revue SIDIC XVI - 1983/2
Le Témoignage: aspects juifs et chrétiens (Pag. 17)

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Une double reconnaissance
Jean Marie Lustiger

 

Le «Débat » de mai 1982 (Gallimard) a reproduit sous le titre: «Puisqu'il le faut» une longue interview récemment publiée par le quotidien israélien Yediot Aharonot, de Mgr J.M. Lustiger, archevêque de Paris, accordée à MM. Y. Ben Porat, journaliste, et D. Judkowski, rédacteur en chef du journal. Nous en extrayons ce beau passage qui traite la question de la reconnaissance mutuelle, condition essentielle et primordiale d'un témoignage ou d'une émulation réciproque qui pourrait être une bénédiction pour le monde.

Ben Porat — Lorsque vous manifestez ce respect du judaïsme et des juifs, est-ce que tout de même ce n'est pas parce que vous êtes « Aaron », parce que vous êtes juif? Beaucoup d'autres chrétiens, même des prêtres, même des gens de l'Eglise, ne parlent pas avec ce respect du judaïsme.
Lustiger —
C'est possible. Mais c'est triste pour eux. C'est triste pour eux, parce que les chrétiens qui, de par leur origine, sont, en quasi-totalité, des « païens », ne devraient pas avoir gardé cette mentalité de « païens ». Jésus ne s'est jamais appelé « Roi des Juifs », c'est un païen, Pilate, un Romain, qui a dit cela, parce que dans les milieux juifs d'Israël à cette époque les juifs ne se désignaient pas communément eux-mêmes comme « juifs ». Ils disaient « le peuple d'Israël ». Ce sont les gens de l'extérieur qui disaient « les juifs ». L'Evangi/e de Matthieu, élaboré dans des milieux juifs, a là-dessus un vocabulaire extrêmente précis.
Si les chrétiens étaient fidèles au don que Dieu leur a fait, en devenant à leur tour « enfants de Dieu », « fils de Dieu », comme le sont les enfants d'Israël, mais d'une autre façon, en la personne du Messie qui les accueille, ils comprendraient qu'ils sont entrés d'une manière sur-éminente dans le don qui est fait à Israël, un don dont Israël lui-même ne mesure peut-être pas toujours la grandeur. Ce que je souhaite au fond de moi-même, c'est ceci: une double reconnaissance. Je souhaite que les chrétiens n'oublient pas — je suis en train de commenter saint Paul en ce moment — qu'ils ont été greffés sur une racine unique. Et la racine, c'est Israël. Et la racine demeure.

Ben Porat — C'est une image.
Lustiger —
Oui, et l'image est étrange, parce qu'elle dit: « Le greffon sauvage a été greffé sur l'olivier franc. » Alors que le jardinier fait toujours l'inverse. On prend un plant sauvage et le greffon est pris d'une plante cultivée. Pour expliquer le rapport des pagano-chrétiens avec les juifs, saint Paul dit: « Vous — les païens —êtes un greffon sauvage et vous avez été greffés sur l'olivier franc — les juifs — », et « vous êtes devenus des branches de l'arbre conformément à votre nature », ajoute Paul.
Il est un autre point que je considère comme une grande espérance. Grâce à la liberté spirituelle et culturelle suscitée par la nationalité israélienne qui déplace les problèmes, et grâce à la modification de l'attitude des chrétiens, le judaïsme pourra peut-être reconnaître dans le christianisme une filiation donnée par Dieu. Après tout te judaïsme, en restant lui-même fidèle à l'appel de Dieu, pourra-t-il un jour admettre que les nations devenues chrétiennes sont aussi des enfants inattendus qui ont été donnés au peuple juif. Ce don serait celui d'une descendance inattendue et non encore reconnue. Si les chrétiens n'ont pas reconnu les juifs comme leurs frères aînés et la racine sur laquelle ils ont été greffés, il faudrait peut-être que les juifs eux-mêmes reconnaissent les nations païennes devenues chrétiennes comme leur frère cadet. Mais, pour cela, il faudrait que le pardon intervienne, car il y a eu persécution, guerre fratricide. A cause même de l'identité, il y a eu une guerre de légitimité. On veut toujours tuer le frère pour avoir l'héritage en entier. La raison de la persécution, ce fut la jalousie, au sens spirituel du mot. Elle peut être changée en émulation et source de bénédiction...

 

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