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Revue SIDIC XXVIII - 1995/1
Les Psaumes: expérience humaine de l'union à Dieu (Pag. 16)

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Liminaires aux Psaumes
André Chouraqui

 

Nous naissons avec ce livre aux entrailles. Un petit livre: cent cinquante poèmes, cent cinquante marches érigées entre la mort et la vie; cent cinquante miroirs de nos révoltes et de nos fidélités, de nos agonies et de nos résurrections. Davantage qu'un livre, un être vivant qui parle - qui vous parle - qui souffre, qui gémit et qui meurt, qui ressuscite et chante, au seuil de l'éternité - et vous prend, et vous emporte, vous et les siècles des siècles, du commencement à la fin...

Il recèle un mystère, pour que les âges ne cessent de revenir à ce chant, de se purifier dans cette source, d'interroger chaque verset, chaque mot de l'antique prière, comme si ses rythmes battaient la pulsation des mondes. Car le monde s'y est reconnu. Comme il narre l'histoire de tous, il est devenu le livre de tous, infatigable et pénétrant ambassadeur de la parole de Dieu auprès des peuples de la terre. Là aussi il s'est insinué partout... Il est de toutes les fêtes et de tous les deuils de presque toutes les nations... Les Psaumes ont su parler, dans toutes les langues, à tous les hommes, chaque jour, pour inspirer leurs plus altiers refus, leurs plus fécondes audaces. Et depuis bientôt deux millénaires les couvents et les ghettos se rencontrent mystérieusement en cette garde d'amour, pour psalmodier, ici en latin, là en hébreu, les hymnes de pâtres d'Israël... Ils avaient emporté ce livre dans leurs exils: ils vécurent dans leur chair, dans leur sang chacun de ses versets. C'était écrit: ils le vivaient comme ils le lisaient, et c'était aussi NÉCESSAIRE de le vivre que de le lire. Il était leur drame et leur espérance, il les assumait en même temps qu'il les crucifiait, car il détenait la clé de leur mystère: ils lui étaient attachés comme l'ombre à la lumière, comme la voix au chant; il chantait la promesse qu'ils allaient accomplir...

Le Psautier est le mémorial de l'histoire d'Israël, le livre des libérations universelles. Chaque psaume y est conçu comme un acte et une illustration d'un drame qui commence aux premiers jours de la Création, se déroule aux exils et aux calvaires de l'histoire, pour s'achever dans la gloire de la parousie. La scène en est l'univers tout entier; les cieux, la terre, les abîmes et l'enfer; le temps y rejoint l'éternité et l'action se déroule du commencment à la fin du monde... Deux millénaires et plusieurs siècles nous séparent des auteurs des Psaumes; ils ne reconnaîtraient sans doute pas le monde où nous vivons: nous ne cessons encore de nous retrouver dans leurs chants, le temps n'a pas usé leurs images, et leur message ne cesse pas d'être actuel. Leur exigence de justice et d'universalité, leur vision de l'ordre créateur et de l'homme pacifié exprimeront éternellement les plus criantes nécessités d'une humanité qui n'a pas fini de goûter l'ivresse aveugle et meurtrière de la coupe de violence.

Le livre est là et témoigne contre nous sur le roc d'éternité, où son verbe nous convoque. Il faut l'avoir chanté, peut-être, dans la nuit de l'exil, sur les rythmes antiques de l'Orient, pour en comprendre toutes les puissances libératrices, pour savoir combien il peut assumer l'homme et l'exaucer. Nuit d'Occident, aux déchirements des hautes gardes, nuit attentive et silencieuse de l'Orient, nuit des déserts de Judée, brûlante d'une pure flamme qui danse au crépuscule des soirs...

Lentement, notre âme se pénètre et se nourrit de l'âme éternelle du chantre d'Israël, l'éclat qui le bouleverse nous transperce, la lumière qu'il requiert nous éblouit, elle transfigure nos ténèbres en ineffable joie. Une voix nous habite et nous ravit: elle nous arrache à nos limites, nous fait traverser les murs de nos prisons, nous marie aux splendeurs soudain plus proches de nous que nous-mêmes: un visage nous éclaire, une présence nous féconde, et sur la voie de la vraie connaissance un chant nous porte tout au bout de la nuit, dans ta lumière, Jérusalem...



Le Cantique des Cantiques suivi des Psaumes, traduits et présentés par André Chouraqui, Presses Universitaires de France, 1970. Cet extrait des liminaires est publié avec la permission de l'auteur.

 

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