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LE GRAND JUBILÉ ET LE DIALOGUE AVEC LES JUIFS
Catéchèse de Jean Paul II, à Rome, au cours de l'Audience générale du 28 avril 1999
Lecture : Rm 11, 1-5
1. Le dialogue interreligieux, que la Lettre apostolique Tertio Millennio adveniente encourage comme un aspect nécessaire de cette année consacrée en particulier à Dieu le Père1, concerne avant tout les juifs, < nos frères aînés >, comme je les ai appelés à l'occasion de la mémorable rencontre avec la communauté juive de Rome le 13 avril 19862.
Réfléchissant sur le patrimoine spirituel qui nous est commun, le Concile Vatican II, surtout par la Déclaration Nostra Aetate, a donné une nouvelle orientation à nos rapports avec la religion juive. Il faut approfondir toujours davantage cet enseignement, et le Jubilé de l'An 2000 pourra représenter une magnifique occasion de rencontre, si possible dans des lieux significatifs pour les grandes religions monothéistes3.
On sait que, malheureusement, les rapports avec nos frères juifs ont été difficiles, depuis les premiers temps de l'Eglise jusqu'à notre siècle. Mais tout au long de cette histoire tourmentée, il y a eu des moments de dialogue serein et constructif. Il faut rappeler à cet égard que la première œuvre théologique, intitulée Dialogue, et cela est significatif, a été consacrée par le philosophe et martyr Justin, au IIe siècle, à sa controverse avec le juif Triphon. Il faut de même signaler que la dimension dialogale est fortement présente dans la littérature juive contemporaine : elle a exercé une grande influence sur la pensée philosophico-théologique du XXe siècle.
2. Cette attitude dialogale entre chrétiens et juifs n'exprime pas seulement la valeur générale du dialogue entre les religions, mais aussi le partage du long chemin qui mène de l'Ancien au Nouveau Testament. Chrétiens et juifs regardent ensemble une grande partie de l'histoire du salut. < A la différence des autres religions non chrétiennes, la foi juive est déjà réponse à la révélation de Dieu dans l'Ancienne Alliance.4 > Cette histoire est éclairée par une foule immense de personnes saintes, dont la vie exprime dans la possession, dans la foi, de ce qu'on espère. La Lettre aux Hébreux met précisément en relief cette réponse de foi tout au long de l'histoire du salut5.
Le témoignage courageux de la foi devrait aussi marquer aujourd'hui la collaboration des chrétiens et des juifs pour proclamer et réaliser le dessein salvifique de Dieu en faveur de l'humanité tout entière. Si ce dessein est ensuite interprété de manières diverses en ce qui concerne l'accueil du Christ, cela comporte évidemment un écart décisif, qui est à l'origine du christianisme lui-même, mais qui n'enlève rien au fait que nombreux sont les éléments qui restent communs.
Surtout, le devoir demeure de collaborer pour promouvoir une condition humaine qui soit plus conforme au dessein de Dieu. Le grand Jubilé, qui se réfère précisément à la tradition juive des années jubilaires, montre l'urgence de cet effort commun pour rétablir la paix et la justice sociale. En reconnaissant la seigneurie de Dieu sur toute la création et en particulier sur toute la terre6, tous les croyants sont appelés à traduire leur foi dans un engagement concret, pour protéger le caractère sacré de la vie humaine sous toutes ses formes et défendre la dignité de tous nos frères et sœurs.
3. En méditant sur le mystère d'Israël et sur sa < vocation irrévocable >7, les chrétiens explorent aussi le mystère de leurs racines. Dans les sources bibliques qu'ils partagent avec leurs frères juifs, ils trouvent des éléments indispensables pour vivre et approfondir leur foi.
On le voit, par exemple, dans la liturgie. Comme Jésus, B Luc nous le présente alors qu'il ouvre le Livre du prophète Isaïe dans la synagogue de Nazareth8, B l'Eglise puise elle aussi dans la richesse liturgique du peuple juif. Elle ordonne la Liturgie des Heures, la Liturgie de la Parole et même la structure des Prières eucharistiques selon les modèles de la tradition juive. Certaines grandes fêtes, comme Pâques et la Pentecôte, évoquent l'année liturgique hébraïque et fournissent d'excellentes occasions de rappeler dans la prière le peuple que Dieu a choisi et aime9. Aujourd'hui, le dialogue implique que les chrétiens soient davantage conscients de ces éléments qui nous rapprochent. Tout comme on prend acte de < l'Alliance qui jamais ne fut révoquée >10, ainsi doit-on tenir compte de la valeur intrinsèque de l'Ancien Testament11, même s'il acquiert son sens plénier à la lumière du Nouveau Testament et contient des promesses qui s'accomplissent en Jésus. Ne fut-ce pas la lecture actualisée que fit Jésus de la sainte Ecriture juive, au point de rendre le cœur des disciples d'Emmaüs < tout brûlant > dans leur poitrine12, qui leur permit de reconnaître le Ressuscité quand il rompit le pain ?
4. Non seulement l'histoire commune aux chrétiens et des juifs, mais particulièrement leur dialogue, doivent regarder vers l'avenir13 en devenant, pour ainsi dire, la < mémoire du futur >14. Le souvenir des faits, tristes et tragiques, du passé, peut ouvrir la voie à un sens renouvelé de la fraternité, fruit de la grâce de Dieu, et à l'effort pour que les semences de corruption de l'antijudaïsme et de l'antisémitisme ne s'enracinent plus jamais dans le cœur de l'homme.
Israël, peuple qui bâtit sa foi sur la promesse faite par Dieu à Abraham : < Tu seras le père d'une multitude de peuples >15, indique au monde Jérusalem comme lieu symbolique du pèlerinage eschatologique des peuples, unis dans la louange du Très-Haut. Je souhaite que, à l'aube du troisième millénaire, le dialogue sincère entre chrétiens et juifs contribuera à créer une civilisation nouvelle fondée sur l'unique Dieu saint et miséricordieux, et qui se fasse la promotrice d'une humanité réconciliée dans l'amour.
PRIER AUX LIEUX SACRÉS DE L'HISTOIRE DU SALUT
Lettre de Jean Paul II sur le pèlerinage aux lieux qui sont liés à l'histoire du salut,
datée du 29 juin 1999. (Nous publions des extraits du n. 10).16
..Il s'agit d'un pèlerinage exclusivement religieux, tant par sa nature que par ses finalités, et je serais peiné que l'on attribue à mon projet des significations différentes. Dès maintenant d'ailleurs j'accomplis ce pèlerinage dans un sens spirituel, puisque aller dans ces lieux en pensée seulement signifie d'une certaine manière relire l'Evangile lui B même, signifie parcourir à nouveau les chemins que la Révélation a parcourus. Nous rendre en esprit de prière d'un lieu à un autre, d'une ville à une autre, dans cet espace particulièrement marqué par l'intervention de Dieu, non seulement nous aide à vivre notre vie comme une marche, mais nous donne bien aussi l'idée d'un Dieu qui nous a devancés et qui nous précède, qui s'est mis lui-même en chemin sur les routes de l'homme, un Dieu qui ne nous regarde pas d'en haut, mais qui s'est fait notre compagnon de voyage. Le pèlerinage dans les Lieux saints devient ainsi une expérience extraordinairement significative, évoquée en quelque sorte par tout autre pèlerinage jubilaire. L'Eglise, en effet, ne peut oublier ses racines ; bien plus, elle doit continuellement revenir à elles pour demeurer totalement fidèle au dessein de Dieu. C'est pourquoi, dans la Bulle Incarnationis mysterium, j'ai écrit que le Jubilé, célébré simultanément en Terre Sainte, à Rome et dans les Eglises locales du monde entier, < aura pour ainsi dire deux centres : d'une part, la Ville où la Providence a voulu placer le siège du Successeur de Pierre, et d'autre part la Terre Sainte, où le Fils de Dieu s'est fait homme, prenant chair d'une Vierge nommée Marie > (n. 2).
Cet attachement à la Terre Sainte, tout en exprimant la mémoire que les chrétiens doivent cultiver, veut aussi honorer le lien profond qu'ils continuent d'avoir avec le peuple juif, dont le Christ est issu selon la chair (cf. Rm 9, 5). Beaucoup de chemin a été accompli ces dernières décennies, spécialement après le Concile Vatican II, pour établir un dialogue fécond avec le peuple que Dieu a choisi comme premier destinataire de ses promesses et de l'Alliance. Le Jubilé devra constituer une occasion de plus pour que grandisse la conscience des liens qui nous unissent et supprimer définitivement les incompréhensions qui ont malheureusement, si souvent au cours des siècles, amèrement marqué les rapports entre chrétiens et juifs.
En outre, nous ne pouvons oublier que la Terre Sainte est chère aussi aux croyants de l'Islam, qui ont pour elle une vénération spéciale. J'espère vivement que ma visite aux Lieux saints sera également une occasion de rencontre avec eux, afin que, dans la clarté du témoignage, augmentent les motifs de connaissance et d'estime réciproques, et aussi la collaboration dans l'effort pour attester la valeur de l'engagement religieux et le désir ardent d'une société plus conforme au dessein de Dieu.
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1 Cf. nn. 52-53.
2 Cf. Insegnamenti IX/1, p. 1027.
3 Cf. TMA, n. 53.
4 CEC, n. 839.
5 Cf. He 11.
6 Cf. Lv 25.
7 Cf. Insegnamenti, IX/1.1986, p. 1028.
8 Cf. Lc 4, 16 sv
9 Cf. Rm 11, 2.
10 Cf. Insegnamenti, 1980, III/2, pp. 1272-1276
11 Cf. Dei Verbum, 3. 11
12 Cf. Lc 24, 32. 12
13 CEC, n. 840
14 «Nous nous souvenons: une reflexion sur la Shoah»
15 Gn 17,4; Rm 4,17
16 Texte français de la Libreria Editrice Vaticana, publié dans l=Osservatore Romano des 30 juin B 1er juillet 1999