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Enseignement et Education - Nous connaissons si peu les pensées qui se cachent derrière leur regard brillant d'enfants...
Mary Travers
« Donnez-nous vos biscottes! »
Cela est vrai dans tous les domaines, mais peut-être surtout dans celui de l'éducation religieuse. Nous en savons si peu sur ce qui se passe dans l'esprit d'un enfant! Ainsi la petite fille qui, il y a des années, disait à la Messe: a Donnez-nous vos biscottes» le faisait sûrement avec sincérité; elle n'avait probablement jamais su ce que signifie «Dominus yobascum», et peut-être sa mère lui disait-elle que les biscottes étaient meilleures pour sa santé que le pain!
Les jeunes enfants ne peuvent penser que concrètement: la manne que l'on décrit comme le «pain venu du ciel» sera imaginée comme de petits pains croustillants (ou coupés en tranches et empaquetés) tombant du ciel où Dieu aurait ouvert une fenêtre en disant: «Tiens, attrape! ». Chez beaucoup d'enfants chrétiens, on se heurte à toutes sortes d'incompréhensions, si les paroles de la Consécration sur le pain eucharistique ne sont pas très soigneusement expliquées (un étudiant de 21 ans me disait avoir renoncé à recevoir la communion vers dix ou douze ans parce que, disait-il, «je ne suis pas un cannibale». Les enfants sont accommodants: ils acceptent les mots sans objection et les répètent comme des perroquets, mais l'image mentale évoquée par ces mots peut se graver dans leur inconscient et leur revenir plus tard dans la vie sous forme de doute. Nous sommes tous à la fois matière et esprit, et c'est pourquoi nous avons besoin d'analogies empruntées au monde visible pour mieux comprendre l'invisible, le spirituel; mais l'aptitude à comprendre l'usage de l'analogie — et ses limites — dépend dans une certaine mesure de l'intelligence générale; nous ne devons pas oublier cela dans notre enseignement religieux.
Les enfants sont portés naturellement à l'animisme et à une mentalité magique. Dans le premier cas, il s'agit d'une forme d'esprit qui voit les objets matériels comme doués d'intelligence et comme capables de récompenser et de punir. Dans le second cas, il s'agit d'une mentalité qui cherche à contraindre Dieu en usant des rites appropriés et qui croit, disons-le clairement, qu'en prononçant les mots justes autant de fois qu'il le faudra, ceux-ci produiront leur effet. Ces deux tendances sont très fortes au moment de l'enfance: si la seconde peut vicier complètement l'approche de la prière, la première est déplorable dans le contexte sacramentel chrétien. Il sera donc très important d'apprendre la prière de louange et de reconnaissance envers Dieu.
Le moralisme naturel sévit chez les enfants un peu plus grands. Ils identifient à tort religion et conduite morale, et ils n'ont pas assez d'expérience pour réaliser que la croyance religieuse ne se traduit pas toujours en conduite morale, et que des personnes très soucieuses de morale ne croient pas nécessairement en Dieu. C'est dans la révélation judéo-chrétienne seulement que la conduite morale est considérée comme la réponse d'un être libre au libre don de l'amour de Dieu. Le problème est que parfois les parents, pasteurs et enseignants, par leurs paroles aussi bien que par leurs exemples, viennent renforcer le moralisme naturel aux adolescents au lieu de les aider à grandir et à le dépasser.
Mais revenons à cet étudiant qui, au moment de l'adolescence, a rejeté le pain eucharistique parce que dans son enfance il a pris les paroles de Jésus dans un sens littéral trop cru. Le processus de maturation qui fait que l'on abandonne ses conceptions enfantines et qu'on atteint plus de maturité intellectuelle implique nécessairement une certaine forme de doute, même s'il est inconscient. L'adolescence est une étape de croissance, un temps de transition entre l'enfance et l'âge adulte. Le jeune doit grandir physiquement, affectivement et intellectuellement; il s'agit là souvent d'un processus très inconfortable, à la fois pour l'enfant lui-même et pour ceux qui l'entourent! Malheureusement bien des personnes mûrissent en tous ces domaines et restent cependant infantiles (ce qu'il ne faut pas confondre avec une attitude d'enfant!) ou du moins adolescentes dans leur relation avec Dieu. Et pourtant il est nécessaire de quitter ses conceptions religieuses d'enfant et d'acquérir plus de maturité, si l'on veut vraiment âtre adulte dans la foi; c'est ce que nous ne devrions jamais oublier. Combien de jeunes disent: a Je ne crois pas en Dieu », alors qu'ils devraient en réalité dire: « Je ne crois plus aux fausses conceptions de Dieu que j'avais quand j'étais petit; je chemine enfin vers la foi véritable! ». Peut-être le seul facteur (et le plus important) qui puisse aider nos jeunes à traverser cette étape tourmentée est-il l'exemple des parents ainsi que de pasteurs, de professeurs, qui continuent à grandir, eux aussi, dans leur foi, et dont la vie témoigne qu'ils sont prêts à mettre leur main dans celle de Dieu et à avancer dans la nuit.
Concluons en disant que nous tous, adultes, gardons dans notre propre vie les traces des différentes étapes de notre croissance religieuse. Dans un véritable dialogue interconfessionnel, nous devrions pouvoir partager avec les autres Je pain véritable de notre foi et du témoignage de notre vie; et peut-être qu'un bon examen de conscience serait un bon point de départ!
* Sr Mary Travers, NDD., est responsable de la catéchèse au Centre Diène.