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Revue SIDIC XIV - 1981/3
Le pèlerinage en Terre sainte (Pag. 16 - 17)

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Perspectives - Decouverte d'Israel: le témoignage d\une jeune Juive
Marianne Becache

 

Mon premier voyage en Israël fut la bouleversante découverte d'une intégrité retrouvée, intégrité que je n'étais même pas capable d'imaginer, tant je suis habituée aux difficultés qui résultent du fait d'appartenir à une minorité — difficultés d'ailleurs plus intérieures qu'extérieures — ce dont je remercie grandement la France.

J'avais alors dix-neuf ans. Vacances d'été. Voyage organisé. J'étais certes très émue à la veille du voyage mais cela venait surtout de l'attrait de la nouveauté et je m'apprêtais à visiter Israël en touriste et en étrangère. Curieusement, le pays d'Israël était resté pour moi à l'état d'une bienheureuse abstraction, et je vivais ma vie parallèlement à la sienne. Je ne connaissais le Judaïsme que sous sa forme dispersée, plus ou moins assimilée. Je ne retenais de ma religion que sa vision morale, humanitaire et spirituelle, dont je ne me lassais pas d'admirer la pureté et l'envergure. Et si je parlais de Jérusalem, c'était un peu comme de ces lointaines amours qui sont surtout prétexte â poésie, mais qui ne sont pas très gênantes dans la vie réelle. Je n'avais pas vraiment réfléchi à ce que représentait pour nous et pour le monde le fait qu'il existe de nouveau, comme dans les temps bibliques, un Etat hébreu.

Et c'est là que se place le choc d'Israël: je peux dire que je n'ai pas visité ce pays, mais que je l'ai retrouvé et que je me suis retrouvée en lui. Cela a commencé dès l'aterrissage. Soudain, à travers le hublot, rai vu, blanches contre la mer bleue, une côte rectiligne et une ville aux toits plats: Tel-Aviv - La Terre se rapproche, les maisons de poupée grossissent, j'aperçois les rues et les arbres, et puis je n'aperçois plus rien de distinct parce que je pleure. Pourquoi ces pleurs? J'ai ressenti le choc des roues de l'avion sur le macadam de la piste de Lod jusque dans le plus profond de mon coeur, là où la joie est poignante comme une souffrance.

Terre, Terre! O promesse enfin réalisée! Et j'ai su à ce moment-là que l'existence du pays d'Israël était plus qu'un problème international, plus que ce qu'en fait le jeu politique mondial, que c'était un mystère irréductible à la vision simplement humaine. C'était, après deux mille ans de douleur et de fidélité, le signe que l'alliance entre D. et nous n'était pas rompue, qu'elle faisait résurgence sur le mode de la réalisation après s'être poursuivie souterrainement sur le mode du silence, de la nuit, de l'abandon et du mépris général. J'ai su aussi, à ce moment-là, que je n'étais pas seule.

Avec moi, en moi, étaient tous mes ancêtres qui, depuis la destruction du second temple jusqu'à la seconde guerre mondiale ont payé de leurs larmes et de leur sang leur appartenance au peuple juif, et par conséquent la mienne. La joie que l'ai ressentie en faisant mes premiers pas sur la Terre Promise, c'est à eux que je l'ai dédiée.

Il m'est impossible d'énumérer en détail toutes mes autres joies: le visa israélien sur le passeport, le fait d'entendre parler l'hébreu, de le voit écrit partout; le respect du samedi, du shabbat, qui est jour complètement chômé, toute circulation routière suspendue; la bonhomie avec laquelle les gens sortent de la synagogue et se dispersent dans la rue par petits groupes, le châle de prière encore sur le dos, sans éprouver de gêne.

C'est par ces faits, qui pourraient sembler de simples détails relevant du domaine folklorique, que rai d'abord été touchée. En vérité, il ne s'agit pas de folklore, mais d'un mode de vie embrassant tous les aspects de l'existence, depuis ses aspects matérielsjusqu'à son aspect spirituel. Que ce mode de vie puisse désormais s'épanouir librement, simplement, naturellement, c'est ce que je n'avais jamais conçu. Et c'est de cette simplicité et de ce naturel qu'il y a là-bas à être juif que j'ai été émerveillée.

Dès lors, j'ai senti que j'avais un choix à faire. Il m'était impossible d'y échapper et je dois dire que je ne l'ai pas envisagé de gaîté de coeur, car je n'y étais absolument pas préparée, et la décision était tout de même très grave.

Ce ne sont pas des considérations sentimentales qui m'ont poussée, car un pays dans lequel on est né, qui vous a donné sa langue, ses paysages, l'amitié de ses habitants, et dix-neuf ans de vie heureuse, a plus de poids dans la balance des sentiments qu'un pays que l'on ne connaît que depuis trois semaines. Le motif de ma décision d'aller vivre en Israël est quasiment d'ordre logique et raisonnable. Ou bien vivre en « diaspora » (terme grec qui signifie la dispersion) et me débattre sans cesse dans la contradiction inhérente au Judaïsme et se séparer ainsi de la majorité sur le plan de la pensée et du mode de vie, ce qui ne facilite pas les relations humaines, ou s'assimiler et non pas perdre mais décolorer son judaïsme, ce qui aboutit à un sentiment de malaise. Ou alors vivre en Israël, c'est-à-dire, malgré les grandes difficultés d'adaptation, retrouver ses propres racines dans l'unité d'un peuple et se lancer dans une aventure qui reprend et continue l'aventure biblique.

Tout ceci, bien sûr, est mon opinion personnelle et n'engage que moi. Quantité de gens, même parmi les Juifs, ne pensent pas ainsi. Et cependant, certaines pro-phéties, entre autres celles qui sont lues à cette époque de l'année, le jour du Nouvel An, dans la liturgie juive, semblent se rapporter au temps que nous vivons comme cette parole transmise par Jérémie (Ch. XXXI - 8/13) et devant laquelle je m'efface:

« Oui, je veux les ramener de la région du nord, les rassembler des extrémités de la terre; en grande foule ils reviendront ici. Avec de douces larmes ils reviendront, et de touchantes supplications...

Celui qui disperse Israël saura le rallier et il veille sur lui comme le pasteur sur son troupeau... Ils viendront et entonneront des chants sur les hauteurs de Sion, ils accourront jouir des biens de l'Eternel, du blé, du vin et de l'huile, du gros et du menu bétail, leur âme sera semblable à un jardin bien arrosé, et ils seront désormais exempts de soucis; je changerai leur deuil en allégresse et en consolation, et je ferai succéder la joie à leur tristesse... ».

Note:
Cet article a paru dans la revue: « L'Unité des Chrétiens» No 30 avril 1978, qui a pour titre: «Nouveau regard vers le peuple fuit ». Nous le reproduisons avec l'aimable autorisation de l'Editeur.

 

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