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Vers le troisième millénaire
Bathish, Kamal-Hanna
L’exposé suivant a été donné à Jérusalem, le 9 décembre 1998 dans le cadre de l’initiative culturelle “Vers le troisième millénaire - Trialogue à Jérusalem - juifs, chrétiens et musulmans», par Mgr Kamal-Hanna Bathish, évêque auxiliaire du Patriarcat latin de Jérusalem. [Traduit de l’anglais]
Assalamu ‘alaikum ! Shalom ‘aleikhem ! La paix soit avec vous ! C’est avec ces paroles que Jésus-Christ a salué ses apôtres et ses disciples après sa Résurrection ! C’est avec ces mots qu’aujourd’hui le prêtre de l’Eglise catholique, et plus spécialement l’évêque, salue les fidèles rassemblés. Juifs et arabes utilisent toujours encore la même expression lorsqu’ils se rencontrent ou se saluent. Qu’est-ce qui peut alors exprimer plus éloquemment le désir profond de la paix enraciné dans les coeurs et les âmes : cette paix qui doit être communiquée à tous les êtres humains. Combien de fois, n’entendons-nous pas ces mots et n’exprimons-pas ces souhaits !
Une ville sainte : trois religions monothéistes ! Ici, à Jérusalem, vivent côte à côte les trois religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l’islam. Toutes, elles se proclament enfants d’Abraham, le premier croyant du Dieu Très-Haut, et leur modèle. Elles reconnaissent et acceptent beaucoup de prophètes du Seigneur. Elles ont en commun beaucoup d’enseignements sur Dieu, la création, la vie éternelle. Toutes, elles vénèrent au plus haut point la cité de Jérusalem, car elle appartient à Dieu et symbolise sa présence sur la terre : “Car le Seigneur a fait choix de Sion ; elle est le séjour qu’il désire : ‘voilà mon repos à tout jamais, c’est le séjour que j’avais désiré’” (Ps 132, 13-14).
Est-ce le hasard d’un destin dur et aveugle, ou est-ce plutôt le plan de Dieu qui désire que tous ses enfants se rencontrent et se réconcilient ? Ne serait-ce pas le projet de Dieu de délivrer un message pour le monde entier depuis Jérusalem ? Il est si affligeant de voir les croyants de ces trois religions présentes à Jérusalem lutter pour Jérusalem. Il n’y a pas de doute, les circonstances sociales et politiques actuelles, pleines d’inimitiés, de convoitises, de jalousie, de peur, de colère et de haine, éloignent de nos esprits de si beaux sentiments et de si belles pensées et rendent presque impossible de “prier pour la paix à Jérusalem” (Ps 121, 6). A Jérusalem, où nous avons tous une mentalité orientale, nous ne pouvons pas séparer dans notre pensée, et moins encore dans notre comportement, les aspects religieux, sociaux et politiques de la vie.
D’un autre côté, nous refusons de vivre sous cette menace de Dieu - qui appelle aussi au dialogue - quand il apostrophe par la voix de ses prophètes ceux qui disent : “Paix ! Paix ! quand il n’y a pas de paix...” (Jr. 6, 14 ; 8, 11 ; Ez 13, 10). De cette mise en garde découle la responsabilité pour toutes les Autorités en charge de préparer avec urgence les voies d’une coexistence pacifique et d’un trialogue. Elles peuvent, certes, agir à partir de motifs politiques ou religieux ou même par amour de Jérusalem, mais en réalité elles font du tort à Jérusalem, et détruisent son image sacrée simplement pour affirmer et consolider leur propre compréhension de la Ville sainte et l’orgueil de leur souveraineté sur elle.
Les chrétiens et le dialogue.
Nous chrétiens, nous attendons l’an 2000 et le nouveau millénaire comme une occasion en or en vue de nouveaux commencements, d’un monde meilleur et d’une vie meilleure. Nous nous souvenons toujours que Notre Seigneur Jésus-Christ a consolé et réconforté ses apôtres avant sa Passion et sa mort avec ces mots : “Je vous laisse ma paix ; c’est ma paix que je vous donne ; je ne vous la donne pas comme le monde la donne” (Jn 14, 27). C’est pourquoi, le Saint Père Jean Paul II nous a demandé de regarder les autres religions avec “un esprit d’ouverture reconnaissante”. Cette ouverture commence, évidemment d’abord par toutes les Eglises soeurs, mais s’étend également aux grandes religions présentes dans le monde, et particulièrement au judaïsme et à l’islam à cause de la relation privilégiée entre nos croyances religieuses.
Initiatives pratiques.
On sait combien souvent les Patriarches et les Autorités des Eglises chrétiennes à Jérusalem se rencontrent pour promouvoir coopération et initiatives communes. Dans leurs messages, ils ont déjà lancé un appel à tous les Chefs Religieux de ce Pays en vue de rencontres communes. Le Patriarche latin de Jérusalem, S.B. Michel Sabbah, dans le document : “Cherche la Paix et poursuis-la” ( Ps 33, 15) du 15 septembre 1998 écrivait : “Les Chefs religieux, étant donné le grand impact de leurs paroles et de leur exemple sur la majorité des gens, devraient jouer un rôle décisif dans la formation de l’opinion publique. Cela aurait des effets positifs sur l’élection et le choix d’une plate-forme de leaders politiques en tant que tels. C’est pourquoi un dialogue entre les Représentants religieux des trois religions monothéistes conduirait à une vision commune pour la justice et la paix ; et un message commun à leurs fidèles en ce sens influencerait grandement le processus de paix (n̊ 27)”
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Mais il peut être à propos de mentionner les rencontres du Patriarcat latin de Jérusalem, cette année, avec d’autres chefs religieux : la dernière rencontre avec S.E. ‘Akrama Sabri,le Grand Mufti de Jérusalem, le 23 juin, et les deux toutes premières rencontres, et jusqu'à ce jour encore les dernières avec les deux Grands Rabbins d’Israël, Meir Lau et Mordechai Bakshi Doron, le 23 mars et le 24 août. Le premier fruit en fut la conviction unanime de l’utilité et de la nécessité de rencontres fréquentes pour une meilleure compréhension et coopération dans beaucoup de domaines et d’intérêts communs. Nous espérons voir bientôt ces Autorités religieuses des trois grandes religions monothéistes se rencontrer ensemble avec le même but.
De quelques conditions pour un dialogue.
Ce serait une catastrophe si un tel dialogue/trialogue n’aboutissait à aucun résultat. C’est pourquoi, je voudrais au moins relever quelques dispositions fondamentales et élémentaires que requiert un tel dialogue constructif. 1) La première condition est de se débarrasser de tous les préjugés antérieurs des uns contre les autres et de regarder en avant pour construire, plutôt qu’en arrière pour détruire. En d’autres mots, toutes les parties doivent auparavant “guérir leur mémoire” du passé et se ‘charger’ “d’un esprit de bonne volonté” en vue de l’avenir. 2) De voir et de reconnaître l’existence des uns et des autres en tant que partenaire. Un dialogue ne peut exister sans la présence de ces différentes parties. L’ignorance délibérée engendre une attitude qui rend impossible tout progrès et toute réconciliation. 3) De nous regarder et de nous accepter tels que nous sommes, essentiellement en êtres égaux. Les trois religions monothéistes nous enseignent que Dieu a créé tous les êtres humains égaux, avec la même origine, la même attention et le même amour. 4) Etre prêts à reconnaître et à respecter les uns les autres avec les mêmes droits, les même obligations et la même liberté. “Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent” (Ps 85, 11). 5) Et donc d’être compréhensifs et courageux au point de faire des sacrifices si cela est nécessaire, de ne jamais entretenir envers l’autre de jalousie ou des pensées de convoitise. “Le fruit de la justice est semée en paix par ceux qui font la paix” (Jc 3, 18).
Si tout cela est bien accepté sur la base de notre égale et commune nature humaine créée par Dieu, sans tenir compte de la nationalité, de la couleur, de la race, de la religion, de la classe sociale, etc., en accueillant les différences de caractères, d’intelligence, d’histoire, de tendances etc., qui distinguent les personnes les unes des autres, alors seulement nous aurons le bonheur de nous aimer les autres comme nous nous aimons nous-mêmes, d’un amour qui ne fait pas de plans et ne laisse pas de place à des pensées troublantes ou agressives!
Coopération pour des valeurs communes, positives.
Il est évident que la religion, et spécialement le monothéisme, ne doit jamais être cause de division entre les personnes : elle doit plutôt les unir ensemble en et pour Dieu ! Un dialogue sincère entre les religions suppose une ouverture aux croyants d’autres religions, en même temps que l’entière fidélité à sa propre foi religieuse. Cela n’ouvrira jamais la voie à des violences, au fanatisme ou à l’extrémisme religieux. Ce seraient des déviations de la religion, car la religion est toujours du côté des personnes, des pauvres et des faibles, de la tolérance et de la solidarité, de l’amour et de la paix. Disons-le brièvement : la religion est amour de Dieu, amour du prochain à cause de Dieu.
Puisse un authentique dialogue interreligieux pour la compréhension et la coopération avoir lieu à Jérusalem, et partout, dans un véritable esprit de religion ! Nous, croyants des trois religions monothéistes, nous avons, de par notre foi, tant de choses à partager. Nous avons un si large terrain de croyances communes d’où nous pouvons partir et cheminer. Cela offre aux personnes de bonne volonté une force fantastique pour influencer l’approche mondiale de beaucoup de questions et de problèmes communs. Souvenons-nous aussi que notre dialogue ne devrait jamais avoir lieu uniquement à un niveau académique. Il devrait être également un dialogue populaire, à partir des circonstances et des désirs des personnes, dans l’espoir qu’il aboutisse à découvrir des solutions justes à leurs situations mauvaises et des réponses à leurs justes attentes.
Sachant combien est forte l’influence de la religion et son impact sur la vie quotidienne et les attitudes de notre peuple ici au Moyen Orient, pourquoi ne pas commencer à Jérusalem une association de chefs religieux et de personnes de bonne volonté prêts à se rencontrer pour initier une campagne commune favorisant toutes les valeurs humaines et religieuses communes ? Un telle association s’engagerait d’abord à défendre et à promouvoir les valeurs positives communes afin d’aider à lutter contre les abus et les injustices, etc. Un bon point de départ serait de promouvoir ensemble l’égale dignité de chaque personne, la valeur de la vie humaine, les droits inviolables de l’être humain, inhérentes à la nature humaine elle-même, car créée par le Dieu Unique et Tout Puissant qui, comme nous le professons tous, est aussi le seul et juste Juge de la fin des temps.
Devrons-nous donc attendre l’an 2000 et le nouveau millénaire pour commencer le trialogue ? Je suis sûr que ce serait trop tard, car il est déjà tard ! Un trialogue doit être préparé à la fois sur les deux niveaux pratique et spirituel. Nous ne pouvons pas penser qu’il suffit d’appeler à un trialogue pour qu’il ait lieu. Nous devons le commencer sans délai comme une expression de notre bonne volonté et favoriser la formation de nos fidèles à l’ouverture et au dialogue. Par conséquent, nous sommes heureux et satisfaits de toutes les rencontres ou cercles discrets, petits, privés et sporadiques commençant ici à Jérusalem qui réunissent ensemble des interprètes ou des représentants de nos religions. Le temps n’attend pas ! Et je suis sûr que personne ne veut attendre plus longtemps, car il est si difficile pour les personnes de contenir leurs sentiments de haine et de désespoir face aux circonstances décourageantes de la vie dans notre région et spécialement ici à Jérusalem. Il est bon d’être un responsable religieux. Mais combien de temps pouvons nous compter sur nos sentiments religieux pour surmonter nos sentiments humains naturels ?
Un appel.
C’est pourquoi, depuis Jérusalem, - la ville que Dieu a choisie pour être pour les chrétiens, la Cité de Dieu et de la Rédemption pour toute l’humanité par la Croix du Christ ; pour les juifs, la Cité Sainte de la prière ; pour les musulmans, la première direction et le symbole de la prière - de Jérusalem, la Cité de l’amour et du “culte en esprit et en vérité”, la Cité de la paix qui a attendu pendant si longtemps et si anxieusement la paix, - nous crions au monde entier : Ô vous, peuples de cette Terre Sainte et du monde entier, déposez les armes terribles et dévastatrices : renoncez à toute haine et colère ! Faites place à la reconnaissance mutuelle, à l’acceptation, à la réconciliation, à l’amour ! Laissez-nous commencer par Jérusalem à unir nos efforts, à bâtir en bonne harmonie et compréhension, en paix et en solidarité, la nouvelle société qui nous préparera à une entrée paisible dans un troisième millénaire prospère et chaleureux pour notre région !
Puissions-nous nous réjouir du jour où, d’un seul esprit et d’une seule voix, nous nous rencontrerons à Jérusalem pour chanter ensemble le chant prophétique : “Réjouissez-vous avec Jérusalem, et exultez en elle, vous tous qui l’aimez ! Soyez avec elle transportés d’allégresse vous tous qui étiez en deuil à son sujet ! Afin que vous soyez allaités et soyez rassasiés par son sein qui réconforte, afin que vous suciez et que vous vous délectiez à la mamelle de sa gloire. Car ainsi a dit le Seigneur : Voici que je dirige vers elle la paix comme un fleuve et la gloire des nations comme un torrent qui inonde. Vous serez allaités, vous serez portés sur le flanc et vous serez choyés sur les genoux. Comme un homme lorsque sa mère le réconforte : c’est ainsi que je vous réconforterai et que vous serez réconfortés dans Jérusalem. Vous le verrez, votre cœur sera dans l’allégresse et vos os seront florissants comme du gazon” (Is 66, 10-14a).
Comme chrétiens, nous exprimons notre souhait avec les paroles de Paul aux Philippiens : “Que la paix de Dieu qui surpasse tout entendement, garde vos coeurs et vos esprits dans le Christ Jésus !” (Phil 4,7). Et à vous tous va notre souhait : Que Dieu vous bénisse de Jérusalem ! Wa assalamu ‘alaikum.