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Documents sur les Rélations juifs-chrétiens

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Lire l’Ancien Testament

Comité Episcopal Français pour les relations avec le Judaïsme
France (1997/05/14)

 

Sous le titre: Lire L’Ancien Testement, contributions à une lecture catholique de l’Ancien Testament pour permettre le dialogue entre juifs et chrétiens, le Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme a publié le 14 mai 1997 un important document qui aborde, sans perdre de vue la visée pastorale qui l’a inspiré, «des questions plus théologiques comme l’accomplissement des Ecritures ou la question du rapport entre L’Ancienne et la Nouvelle Alliance». Le texte aborde également des points difficiles comme la violence dans la Bible, le rapport de Jésus avec la Loi. Les auteurs mesurent la complexité des problèmes soulevés et sont conscients des limites de la réflexion comme du débat que la lecture peut susciter.
Le texte complet a été publié dans Document Episcopat, bulletin du Secrétariat de la conférence des évêques de France, n. 9, juin 1997. Il a paru dans la Documentation catholique, n. 2163, 6 juillet, 1997. Puis publié en fascicule par les les Editions du Cerf, Paris 1997. Nous en donnons ici la cinquième partie. (Revue SIDIC (1998/1)


5. L’Alliance nouvelle et éternelle
Affirmer la valeur permanente de l’Ancien Testament nous oblige encore à examiner le rapport qui existe pour nous entre l’ancienne et la nouvelle Alliance. L’alliance est la notion centrale de toute l’Écriture. Cela est si vrai que, dès les origines de l’Église, la lecture chrétienne des Écritures est liée à la reconnaissance de Jésus comme Messie, ce qui signifie que le Nouveau Testament s’inscrit dans la compréhension juive de l’Alliance telle qu’elle nous est livrée par l’Ancien Testament. Cela ne peut pas être sans conséquence sur le regard que nous portons sur le peuple juif aujourd’hui encore et par conséquent sur la manière dont il vit de la parole de Dieu. A la vérité, tout en demeurant pleinement fidèles à la lecture ouverte par l’événement du Christ, accorderions-nous une telle importance à l’Ancien Testament si le peuple juif avait cessé d’exister ?

1. L’Alliance: expression de l’initiative et de la fidélité divines
En appelant l’homme à la vie et à la domination sur le monde, en faisant de lui son partenaire, «Faisons l’homme à notre image et comme notre ressemblance» (Gn 1, 26), Dieu indique le sens de la création et dévoile la finalité de l’histoire humaine.

Par la théologie de l’Alliance, la Bible exprime l’initiative et la fidélité divines: «Si le Seigneur s’est attaché à vous et vous a choisis, ce n’est pas que vous soyez le plus nombreux de tous les peuples [...]. Mais c’est par amour pour vous, et pour garder le serment juré à vos pères, que le Seigneur vous a fait sortir à main forte et vous a délivrés de la maison de servitude [...]. Tu sauras donc que le Seigneur ton Dieu est le vrai Dieu, le Dieu fidèle qui garde son Alliance et son amour pour mille générations» (Dt 7, 7-9). Dieu ne se détournera pas de son dessein initial, quand bien même la méchanceté humaine le ferait vaciller (Gn 6, 5; 8, 21; 9, 12-17; Is 54, 10; Jr 31, 3). Mais l’Alliance suppose également l’engagement libre du partenaire humain qui se trouve invité à garder les commandements, les lois et les coutumes (voir Dt 7, 11 s.; Jos 24).

2. L’Alliance avec Israël
Au milieu des nations, Israël est le peuple de l’Alliance parce qu’il a entendu et accueilli la parole divine: «Tout ce que dit le Seigneur, nous le ferons et nous l’entendrons» (Ex 24, 7). Cette acceptation le constitue désormais comme un peuple différent. Il a été choisi pour cette écoute et cette obéissance. Israël a pour mission de manifester le dessein de Dieu qui s’étend à toutes les nations: «Par ta postérité, se béniront toutes les nations de la terre» (Gn 12, 3) (17). C’est par l’élection et par l’Alliance qu’Israël existe comme peuple (Dt 4, 20; 4, 37-38).

Israël est constitué comme le témoin de l’amour de Dieu au milieu des nations: «Si vous écoutez ma voix et gardez mon Alliance, je vous tiendrai pour mon bien propre parmi tous les peuples car toute la terre est à moi. Je vous tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte» (Ex 19, 5-6). Ce passage souligne le caractère permanent et éternel de l’Alliance comme en Gn 17, 7 mais aussi son caractère conditionnel. Ces paroles fondatrices et définitives maintiennent le peuple juif dans un statut privilégié et redoutable.

3. Une ou plusieurs alliances ?
Mais y a t-il une ou plusieurs alliances ? La liturgie de l’Église catholique emploie le mot au singulier et au pluriel: «Regarde, Seigneur, le sacrifice de ton Église et daigne y reconnaître celui de ton Fils qui nous a rétablis dans ton Alliance» (Prière eucharistique n. 3); «Tu as multiplié les alliances avec eux» (Prière eucharistique n. 4). Comment ces acceptions du terme alliance peuvent-elles s’articuler ? Il n’y a dans la Bible qu’un seul dessein d’alliance éternelle (Gn 9, 16; Ez 16, 60). Mais par ailleurs, la Bible parle aussi d’alliances (Rm 9, 4; Ep 2,12). Elle énumère: l’Alliance avec Noé (Gn 9, 12), l’Alliance avec Abraham (Gn 17, 2), l’Alliance du Sinaï (Ex 24, 8). Dans la célébration eucharistique, nous faisons mémoire de «l’Alliance nouvelle et éternelle». Lors de sa rencontre avec la communauté juive de Cologne, le 16 novembre 1980, le pape Jean-Paul II a déclaré: «La rencontre entre le peuple de Dieu de l’ancienne Alliance que Dieu n’a jamais dénoncée (voir Rm 11, 29) et celui de la nouvelle Alliance, est en même temps un dialogue à l’intérieur de notre Église, pour ainsi dire entre la première partie et la seconde partie de notre Bible». Il ajouta encore: «Une deuxième dimension de notre dialogue - la dimension propre et centrale - est la rencontre entre l’Église chrétienne d’aujourd’hui et le peuple de l’Alliance conclue avec Moïse (18)».

Comment comprendre cette diversité d’approches ?

4. L’avertissement prophétique
Quand l’Écriture parle de plusieurs alliances, elle met en évidence la nécessité d’approfondissements et de reprises à travers le temps. Elle n’accrédite pas l’idée de la substitution d’une alliance à une autre, elle souligne au contraire la fidélité de Dieu et la continuité du projet divin initial.

En effet, l’Alliance conclue avec le peuple a pu être rompue par la faute des hommes. C’est l’objet de l’avertissement des prophètes (Os 2, 4; Jr 11, 10; Ez 16, 59; 17, 19). Mais, après ces temps de rupture, l’Alliance nouvelle annoncée par les prophètes ne sera pas d’une nature différente de la précédente; il s’agit toujours de la même Alliance. La nouveauté réside en ce qu’elle sera «inscrite au fond de leur être» ou encore «écrite sur leur coeur» (Jr 31, 33). La nouveauté ne réside pas dans une correction ou un reniement impensable de l’initiative première mais dans la reprise et la poursuite du même dessein divin, comme l’indiquait d’ailleurs le début du chapitre 31 de Jérémie: «D’un amour éternel, je t’ai aimée, aussi t’ai je maintenu ma faveur» (Jr 31, 3), comme le Seigneur dans sa miséricorde en a fait si souvent la promesse à son peuple (Jr 3, 22; Os 14, 5) (19).

Mais à la vérité ces ruptures et ces restaurations, cette continuité et ces renouvellements montrent que, dans le rapport entre Dieu et l’homme, rien n’est jamais acquis. Les infidélités demeurent toujours possibles. Ainsi l’Écriture nous rapporte des reprises successives et des célébrations renouvelées de l’Alliance (Jos 24, 1-28; Né 9, 32; 10, 1 s.). Qu’il y ait de perpétuels recommencements, aujourd’hui comme hier met en évidence la fidélité de Dieu.

5. La nouvelle Alliance en Jésus Christ
À ce rappel de la permanence de l’Alliance, se rattache l’importance donnée par le récit évangélique à la naissance de Jésus au sein du peuple juif. Il a été circoncis, racheté comme premier-né; il a fréquenté le Temple avec ses disciples ainsi que les synagogues; il prenait part avec eux aux fêtes du judaïsme. Sa parole est imprégnée de versets des prophètes et de références à la Torah. Enfin il a été juif jusque dans sa mort (20). Saint Paul confirme cette insertion de Jésus dans l’Alliance. Jésus s’est fait «sujet de la Loi» (Ga 4, 4). Il a inscrit sa vie, ses actes, ses paroles, sa mission à l’intérieur de la Loi donnée au peuple d’Israël. C’est en vivant selon la Loi qu’il a livré ses enseignements sur la permanence de la Loi et son application. Dans son enseignement public en effet, il s’est référé à la Loi qu’il garde et accomplit mais, en même temps, il en conteste certaines interprétations au nom même de la Loi et des prophètes (21). Au moment de son procès et de sa mort, enfin, cette relation à la Loi et à l’Alliance a pris une signification décisive et critique qu’il nous faut particulièrement examiner.

Dans ses derniers instants il fut jugé au nom de la Loi (voir Jn 19, 7). Cette contradiction est mise en relief surtout dans l’évangile de Jean, mais elle apparaît aussi dans les évangiles synoptiques (voir Mt 26, 65; Mc 14, 63; Lc 22, 71). Ces mêmes évangiles synoptiques attestent en outre clairement qu’à la veille de mourir Jésus a voulu célébrer la Pâque de son peuple avec ses disciples (Lc 22, 15). Jésus se conforme ainsi à la prescription donnée à de nombreuses reprises dans l’Écriture (22). La célébration de cette fête n’est pas seulement un rappel, une évocation ou un cadre rituel pour l’institution de l’Eucharistie. Par ce mémorial de la tradition juive, Jésus atteste l’actualité de l’Alliance du Sinaï, conformément à l’Écriture: «Ce n’est pas avec nos Pères que le Seigneur a conclu cette Alliance mais avec nous-mêmes qui sommes ici aujourd’hui tous vivants» (Dt 5, 3). Ce verset est au coeur de la liturgie pascale juive. En déclarant «j’ai ardemment désiré partager cette Pâque avec vous avant de souffrir» (Lc 22, 15), Jésus situe sa vie et sa mort dans le dessein de Dieu, tel qu’il s’exprime dans la prière liturgique de la Pâque. Ainsi, jusque dans ce moment ultime, Jésus se montre fidèle à la Loi (23).

Il avait déjà choisi cette voie au moment de la tentation après son baptême. À Gethsémani, il réaffirmera explicitement son adhésion à la volonté du Père. Il ne s’agit donc pas de substitution comme on l’a parfois affirmé, à partir d’une interprétation de l’épître aux Hébreux (24) mais d’unévénement nouveau- l’action de grâce du Fils qui donne sa vie - inscrit au coeur de l’Alliance. En ce sens, les Douze signifient la présence de l’Israël des Pères, à l’heure où s’opère la rémission des péchés et où s’annonce le banquet éternel. Cette relation à l’Alliance au moment où Jésus va instituer l’Eucharistie a une importance extrême pour la compréhension du rapport entre ancienne et nouvelle Alliance.

L’Eucharistie réitère la promesse de vie exprimée dans la Torah (25), et l’annonce prophétique d’un temps nouveau pour Israël et pour les nations (26). Les quatre récits qui relatent la Cène du Christ (27) insistent soit sur la nouveauté de l’Alliance, comme Paul et Luc, soit sur la continuité, comme Matthieu et Marc, mais ils affirment tous le caractère définitif d’un acte qui inaugure une ère nouvelle en vue du Royaume de Dieu encore à venir (Lc 22,16). Il semble que l’on puisse présenter cette dualité comme suit: aux communautés d’origine juive, il est rappelé que Jésus a répandu son sang «pour la multitude»; aux communautés d’origine païenne, il est nettement indiqué qu’elles sont maintenant admises dans l’Alliance: «pour vous» (1 Co 11, 24). Dans les deux traditions, il y a insistance sur la nouveauté.

Mais pourquoi cet événement de nouveauté devait-il inclure la souffrance et la mort de Jésus ? Cette contradiction entre la promesse de vie et la mort sur la croix, que Paul éprouve comme «scandale» pour les Juifs (1 Co 1, 23), a contraint les disciples, à la suite sans doute de Jésus lui-même, à une relecture des textes scripturaires et en particulier de la figure du Serviteur souffrant d’Isaïe, dans les «blessures» duquel nous trouvons la «guérison» (Is 53, 5). «Obéissant jusqu’à la mort» (Ph 2, 8), Jésus assume jusqu’au bout le rôle du Serviteur, et c’est ainsi qu’il «justifie les multitudes» (Is 53, 11).

6. Le rapport de l’ancienne et de la nouvelle Alliance
Ainsi est née une relation nouvelle entre Israël et les nations. Paul écrit aux Éphésiens (2, 13-14): «Mais maintenant, en Jésus Christ, vous qui jadis étiez loin, vous avez été rendus proches par le sang du Christ. C’est lui, en effet, qui est notre paix: de ce qui était divisé, il a fait une unité.» Une telle conception du rapport entre l’ancienne et la nouvelle Alliance n’oblige nullement à fonder ce qui est nouveau sur l’abolition de l’ancien.

L’Alliance est ancienne puisqu’ elle est fondée sur la promesse de Dieu. Le peuple juif en demeure toujours le témoin (28). La Cène de Jésus ne se situe donc pas seulement dans le cadre de la Pâque juive, elle est en relation vivante avec elle.

L’Alliance ancienne est cependant nouvelle en un sens original et spécifique pour les nations: déjà incluses dans la bénédiction d’Abraham (Gn 12, 3), elles ont maintenant directement accès à l’Alliance (Ep 2, 18; voir Ep 4, 5-6). Du point de vue de la foi chrétienne, l’Alliance est nouvelle aussi pour le peuple d’Israël appelé depuis l’origine à un renouvellement eschatologique.

Ce serait une erreur de comprendre le caractère éternel de la nouvelle Alliance, manifestée par l’acte de Jésus, comme si tout ce qui le précède perdait son sens. L’Ancien Testament demeure «Parole de Dieu» aussi bien pour le peuple juif que pour l’Église chrétienne.


Notes
17. Le Catéchisme de l’Église catholique (1992) écrit au
§ 528 à propos de la fête de l’Épiphanie: «La venue des mages [...] signifie que les païens ne peuvent découvrir Jésus et l’adorer comme Fils de Dieu et Sauveur du monde qu’en se tournant vers les juifs (voir Jn 4, 22) et en recevant d’eux leur promesse messianique telle qu’elle est contenue dans l’Ancien Testament (voir Mt 2, 4-6). L’Épiphanie manifeste que «la plénitude des païens entre dans la famille des patriarches» (LEON LE GRAND, Sermon 23) et acquiert 1’israelitica dignitas» (oraison après la troisième lecture de la vigile pascale).
18. Voir DC n. 1798, 21 décembre 1980, p. 1148. Cette for-
mulation fut reprise dans le discours à la communauté juive de Mayence (voir Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Église catholique, 1985, chap. 1, § 3). «Le Saint-Père a présenté cette réalité permanente du peuple juif avec une remarquable formule théologique dans son Allocution aux représentants de la communauté juive de l’Allemagne fédérale à Mayence, le 17 novembre 1980: le peuple de Dieu de l’ancienne Alliance qui n’a jamais été révoquée.» En 1973, le Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme écrivait: «Selon la révélation biblique, c’est Dieu lui-même qui a constitué un peuple qu’il a éduqué et instruit de ses desseins, scellant avec lui-même une alliance éternelle (Gn 17, 7) et faisant reposer sur lui un appel que Paul qualifie d’irrévocable (Rm 11,29)»; voir op. cit., § 3.
19. On notera l’insistance sur le caractère éternel de l’Alliance. Le Père Fr. DE GASPERIS (Conférence inédite donnée à Rome, le 14 décembre 1987), commentant Jr 31, 31-34, écrit: «Le Seigneur ne donnera pas une nouvelle Torah. La nouvelle Alliance prévoit encore moins un changement de destinataire. En effet, il s’agit toujours de la maison d’Israël et de celle de Juda. La nouveauté consistera dans le transfert de l’unique Torah de l’Éternel, des Tables de pierre sur lesquelles elle était inscrite auparavant, directement dans l’âme et dans le coeur d’lsraël.» Dans le même sens, Hans Urs VON BALTHASAR écrit à son tour: «Dieu a conclu avec l’humanité non pas plusieurs alliances, mais une alliance [...] alliance qui contient le germe du salut pour tous les peuples [...] et, après maintes nouvelles conclusions, [...] devra aboutir à un achèvement» (Communio, t. XII, 1, janv.-févr. 1987, p. 40).
20. «Jésus était juif et l’est toujours resté» (voir Notes pour
une correcte présentation..., chap. 3, § 12).
21. Jésus a donc été un juif observant. Il est vrai que les
évangiles ne le montrent jamais offrant un sacrifice ou y participant. On le voit pourtant purifier le parvis du Temple et on l’entend prôner le culte spirituel à la manière pharisienne. Jamais Jésus ne s’oppose à la pratique de la Loi de Moïse: il ne semble pas avoir enfreint les lois alimentaires (ce que Pierre peut confirmer en témoignant qu’il n’a jamais rien mangé d’impur: voir Ac 10, 14); il envoie le lépreux se montrer au prêtre (Mc 1, 44); il observe le shabbat malgré les controverses sur les exigences qui s’y rattachent selon les synoptiques. En laissant grappiller les épis (Mc 2, 23), il s’oppose à une interprétation maximaliste de certains pharisiens. Jésus refuse d’autres coutumes pharisiennes qui concernent la pureté rituelle (Mc 7, 1-13): les pharisiens, convaincus que chaque juif possède la dignité de prêtre et peut consacrer à Dieu chaque geste de sa vie profane, exigeaient alors de chacun d’entre eux la pureté d’un prêtre en service au Temple. Jésus ne s’y soumet pas, il estime que le fardeau devient trop lourd (Mt 11, 28-30; 23, 4-5). Il reconnaît pourtant la tradition pharisienne dans son ensemble comme interprète légitime de la Loi (Mt 23, 2-3) même s’il critique certains points de cette tradition au nom d’un retour à l’exigence des origines: pour le divorce (Mt 19, 3-9, à partir de Gn 1, 27), pour les parents (Mc 7, 8-13, à partir du Décalogue). Jésus est donc fidèle à la Loi telle qu’il la résume dans le commandement unique et double de l’amour de Dieu et du prochain. Pourtant, il est à l’origine d’un regard nouveau sur la Loi: en Mc 7, 14-23, il déclare solennellement que la pureté morale l’emporte de beaucoup sur la pureté rituelle, que ce qui souille l’homme, c’est ce qui sort de son coeur. Ce ne sont plus seulement les observances pharisiennes qui sont visées, c’est une autre manière d’obéir à la Loi qui est envisagée. C’est sans doute à partir de cet enseignement que la première communauté chrétienne, non sans débats douloureux (Ac 7; 10; 11; 15) et en raison de l’entrée massive des païens dans l’Église, prendra progressivement une distance décisive par rapport aux préceptes. Paul, du fait de son expérience missionnaire personnelle, justifiera cette manière nouvelle d’être fidèle à la Loi (Rm 3, 31). La mort et la résurrection du Christ lui donnant une autorité dont les disciples ont reconnu la valeur avec l’aide de l’Esprit Saint.
22. Voir Ex 12, 14; 23, 14; 34, 18; Lv 23, 5-8; Nb 28, 16-25; Dt 16, 1; Ez 45, 21-24, etc. Certes, l’évangile selon saint Jean ne nous dit rien d’une telle célébration, il ne raconte pas l’institution eucharistique elle-même. En revanche, il situe l’ensemble des événements de la Passion dans le contexte de la Pâque juive. Cette interprétation n’est-elle pas identique à celle des synoptiques?
23. Voir la conférence du cardinal J. RATZINGER, «Israël, l’Église et le monde. Leurs missions et leurs relations selon le Catéchisme de l’Église catholique», DC n. 2091, 3 avril 1994, p.326.
24. Le chapitre 8 de 1’épître aux Hébreux (notamment les
versets 7 et 13) a conduit souvent à soutenir la thèse de la caducité de la première Alliance. Sans parler ici des problèmes de traduction de ces versets, il importe de comprendre la portée exacte de cette épître. L’épître aux Hébreux - elle n’a reçu ce titre qu’au milieu du deuxième siècle - est un exposé sur le sacerdoce du Christ. Les destinataires, comme son auteur inconnu, étaient des judéo-chrétiens, quoi qu’il en soit des hypothèses sur leur lieu de résidence. L’auteur écrit après 70, à une époque où la suppression du Temple entraîne une restructuration de l’institution juive du point de vue cultuel. Le chapitre 11 contient un éloge remarquable de la foi juive à travers les siècles. Aux judéo-chrétiens qui s’interrogeaient sur les observances rituelles, l’épître explique que la nouvelle économie issue du Christ est en continuité avec l’ancienne. Pour l’auteur, Jésus est entré par son Ascension dans le sanctuaire céleste, qui était l’archétype du Temple de Jérusalem, et qui demeure toujours. Pour lui, il n’y a pas à s’étonner que les sacrifices multiples et successifs d’animaux et la fonction du grand prêtre aient disparu puisque le sacrifice du Christ a été offert sur la Croix et puisque le Christ en est désormais le prêtre unique. Il voit la perfection du sacrifice du Christ dans son obéissance: «Voici, je suis venu pour faire ta volonté» (He 10, 9 citant Ps 40, 7-9). Il fonde le sacerdoce du Christ sur la figure de Melchisédeq reconnu comme prêtre par Abraham. L’épître aux Hébreux cherche le sens plénier des Écritures pour expliquer la nouvelle économie inaugurée par la résurrection de Jésus. Mais elle ne porte aucun jugement sur l’économie cultuelle du judaïsme issue de la liturgie synagogale. Le rituel juif qui fut institué après la destruction du Temple n’est pas visé dans la critique des sacrifices (voir J. VAN DER PLOEG, «L’exégèse de l’Ancien Testament dans l’épître aux Hébreux», Revue biblique 54 (1947) p. 187-228. On retiendra que l’aspect liturgique est central: voir Aelred CODY, Heavenly Sanctuary and Liturgy in the Epistle to the Hebrews. The Achievement of Salvation in the Epistle’s Perpectives, Indiana, 1960. L’interprétation «hellénistique», appuyée sur Philon, a été écartée par Ronald WILLIAMSON, Philo and Epistle to the Hebrews, éd. Brill, 1970. L’interprétation «gnostique», défendue par E. Käsemann, a été réfutée par Otfried HOFIUS, Katapausis - Die Vorstellung vom endzeitlichen Ruheort im Hebräerbrief, Tübingen, 1970 et, du même, Der Vorhang vor dem Thron Gottes, ibid., 1972. Pour la critique de la lecture «substitutive» habituelle depuis Justin, on doit suivre les comptes rendus réguliers publiés dans la revue New Testament Abstracts. La recherche contemporaine met en valeur le tréfonds hébraïque; voir, à titre d’exemple, Michel REMAUD, «L’initiateur de la foi, Abraham et Jésus. Hébreux 12, 2 à la lumière de quelques midrashim sur Abraham», Revue de l’Institut catholique de Paris 54 (1995), p. 79-91. Pour une lecture philosophique, on peut consulter aussi: James W. THOMPSON, The Beginnings of Christian Philosophy. The Epistle to the Hebrews, Catholic Biblical Quarterly Monograph Series n. 13, Washington, 1982.
25. Voir Dt 30, 15-20 et Ex 12, 12-13.
26. Voir Is 42, 6: «J’ai fait de toi l’Alliance du peuple et la Lumière des nations»; Is 49, 6: «C’est trop peu que tu sois pour moi un serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramener les survivants d’lsraël [...] je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre».
27. 1 Co 11, 23-25; Mt 26, 26-29; Mc 14, 22-25; Lc 22, 19-20.
28. Certains pères de l’Église ont reconnu que par rapport à l’économie du salut le peuple juif garde encore un rôle spécifique. Saint Augustin l’a qualifié de «peuple témoin de son iniquité et de notre vérité» (voir saint Augustin, La Cité de Dieu, 1. XVIII, § 46 et § 47), mais le temps est peut-être venu de redécouvrir à ce rôle de témoin, sa signification positive. Jean-Paul II a déclaré à la communauté juive de Strasbourg, le 9 octobre 1988: «Oui, par ma voix, I’Église catholique fidèle à ce que le second Concile du Vatican a déclaré, reconnaît la valeur du témoignage religieux de votre peuple élu de Dieu, comme l’écrit saint Paul: «du point de vue de l’élection, ils sont aimés et c’est à cause des pères, car les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables» (Rm 11, 28-29 cité par Lumen gentium n. 16)», (DC n. 1988, p. 1027).
En 1973 le Comité épiscopal français écrivait: «L’existence actuelle du peuple juif, sa condition souvent précaire au long de son histoire, son espérance, les épreuves tragiques qu’il a connues dans le passé et surtout dans les temps modernes, et son rassemblement partiel sur la terre de la Bible constituent de plus en plus pour les chrétiens une donnée qui peut les faire accéder à une meilleure compréhension de leur foi et éclairer leur vie» (Document du Comité épiscopal français, op. cit., §1).

 

 

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