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Connaissance de Dieu et amour de l'homme: un aspect du mysticime chrétien
Francis Martin
En rendant hommage à la mémoire d'Isaac Luria, nous payons tribut à un homme qui était particulièrement béni de Dieu. Il convient d'appeler mystique un homme tel que Luria et d'écrire sur le mysticisme pour rappeler son souvenir. Cependant, nous devons faire attention de ne pas laisser un mémorial aussi facile nous aveugler sur la réalité humaine de l'homme et sur la grandeur humaine de sa fidélité à la vision reçue de Dieu. Luria passa sept années dans le désert d'Egypte à peu près complètement seul, cependant le reste de sa vie, spécialement les trois dernières années à Safed, se passa à enseigner aux autres ce qu'il avait appris. C'était un homme austère, pourtant les écrits dont nous sommes sûrs qu'ils viennent de sa plume sont trais hymnes au Sabbat exquisement joyeux. L'accent mis par Luria sur les aspects pratiques et moraux de la Cabbale est si fort que certaines personnes ont cherché à faire un contraste entre lui et son contemporain à Safed, Moïse Cordovero. Une telle opposition entre les deux hommes est superficielle comme l'ont montré G. Scholem et d'autres': les deux hommes étaient trop fermement enracinés dans la tradition biblique pour avoir autorisé une séparation étanche entre la (théorie et la pratique. Cependant, il est exact que ces extrêmes dans le caractère d'Isaac Luria visent un manque dans notre spiritualité: nous avons accepté une dichotomie, pas seulement entre la théorie et la pratique, mais pis encore, entre Dieu et l'homme ce qui rend le terme même de « mysticisme » synonyme de non valable ».C'est cette dichotomie que désire envisager le présent article. C'est un essai sur un aspect du mysticisme chrétien, c'est à dire, la relation entre la connaissance de Dieu et l'amour de l'homme. Il est dédié à la mémoire d'un saint homme qui a achevé une vie de fidélité le 5 Août 1572.
Peut-être que la blessure la plus profonde de notre âme moderne — une blessure qui se présente dramatiquement dans la division que nous voyons entre « les religieux » et « ceux qui font quelque chose » — est la certitude que d'une certaine façon Dieu et l'homme sont des rivaux. Rien ne nous montre avec plus de force à quel point nous, les Juifs comme les Chrétiens, nous sommes égarés loin des vues bibliques, chéries par des hommes tels que Luria, que le fait que tant de « croyants » aient accepté des options imposées par une culture étrangère à Dieu. Ils se voient obligés de choisir ou bien une religiosité qui tolère ou ignore les dimensions accablantes de la férocité de l'homme pour l'homme, ou bien un ressentiment de la situation humaine qui cherche, par la violence, à en détruire les causes telles qu'ils les éprouvent. Bien sûr, il y a une troisième option: celle d'un compromis. Beaucoup d'entre nous se reconnaissent bien caricaturés par l'image de l'homme qui croit encore timidement en Dieu mais qui craint d'approcher trop près de lui de peur qu'une sorte de fanatisme de Dieu le dérobe à lui-même. Nous avons peur de perdre notre humanité en nous nous approchant de Celui qui l'a faite.
Le serpent apprit à Eve que Dieu était jaloux et que c'était la raison pour laquelle un fruit lui était interdit. Elle le crut et confirma ce fait: la honte que les hommes ressentent les uns devant les autres et la crainte qu'ils ressentent pour Dieu dérivent fondamentalement de leur conviction que le bonheur et la sécurité sont des biens qui doivent être arrachés à un Dieu qui ressent l'homme comme un rival. Nous préférons habiller notre poursuite frénétique de sauvegarde personnelle sous le déguisement d'une sécurité organisée (« Allons! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux! ») (Gen II, 4); ou bien nous faisons un Dieu à notre propre image: nous pouvons le craindre et le menacer mais il ne peut pas dépasser les limites que nous lui avons assignées. Dans une telle mentalité, « le mysticisme » est à peine plus qu'un humanisme sublimé qui subordonne Dieu au besoin de sécurité de l'homme. Un tel effort est vraiment incompatible avec la tâche humaine de construire un monde adapté à l'homme, mais ce n'est pas du vrai mysticisme. Un homme peut vivre une vie d'ascétisme et de prière, il peut avoir des idées profondes ou fantastiques sur la façon dont le monde a été fait (et Luria avait les deux), il peut avoir des intuitions poétiques et une profonde vision des réalités de l'existence que nous partageons, mais pour ceux qui acceptent la Bible comme leur tradition normative, aucun homme n'est mystique s'il ne connaît pas Dieu: et personne ne connaît Dieu s'il n'aime pas Dieu, s'il ne marche pas dans toutes ses voies, s'il n'adhère pas à lui.
« Voici les voies du Seul Saint, béni soit-il: « Le Seigneur, le Seigneur, Dieu de tendresse et de pitiè, lent à la colère, riche en grâce et fidélité, qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché ». (Ex. 34, 6-7). Un autre texte nous dit: « Quiconque pourra être appelé par le nom de Dieu sera sauvé ». (cfJ1 3,5). Mais comment est-il possible pour un homme d'être appelé par le nom de Dieu? Seulement ainsi: comme le Seigneur est appelé miséricordieux, soyez aussi miséricordieux, comme le Saint, béni soit-il, est appelé généreux soyez, vous aussi, généreux donnant à tous sans compter, comme le Seigneur est appelé juste (« juste dans toutes ses voies », Ps 145,17), soyez justes vous aussi; et comme le Seigneur est appelé 'amour en tout ce qu'il fait', soyez vous-mêmes aussi amour ». 2) Ce texte ancien fait retentir le thème de l'imitation de Dieu, et présente à notre imitation la tendresse et la miséricorde du Seigneur. Ceci est un enseignement constant de la tradition biblique: « Soyez saints, car moi le Seigneur, votre Dieu, je suis saint » (Lev 19,2); et le targum Jonathan sur Lev 22,28 contient la phrase, « Mon peuple, enfants d'Israël; comme votre Père est plein de miséricorde dans les cieux, ainsi serez-vous miséricordieux sur la terre ». 3) La pratique du pardon manifeste la connaissance de Dieu et y conduit. Jérémie dénonce l'extravagante campagne de construction de Joiaqim et, allant de pair, sa mauvaise con duite à l'égard du peuple, en montrant le père du roi, Josias, comme quelqu'un qui connaissait le Seigneur: « Parce qu'il rendait justice aux faibles et aux pauvres, les choses tournaient bien pour lui. N'est ce pas cela la connaissance de moi? — Parole du Seigneur » (Jer 22,16). Dans un autre passage Isaïe relie justice et illumination: « Si tu exclus de chez toi le joug, le geste menaçant et les propos impies, si tu donnes ton pain à l'affamé, si tu rassasies l'opprimé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et les ombres deviendront plein midi » (Is. 58,9-10).
Agir comme Dieu agit est connaissance de Dieu, faire le contraire peut être appelé ignorance de Dieu. « Fils d'Israël, écoutez la parole du Seigneur, car le Seigneur est en procès avec les habitants du pays: il n'y a ni sincérité, ni amour ni connaissance de Dieu dans le pays, mais parjure et mensonge, assassinat et vol, adultère et violence, meurtre sur meurtre » (OS. 4,1-2). « Quiconque déteste un homme est comme celui qui déteste Celui qui parla et le monde fut » (Pesiqta Zutarta sur Nb 8); « Si quelq'un verse le sang, cela lui est compté comme s'il avait diminué la ressemblance » (Genesis Rabbah, 24; cf Gen. 9,6). Quand quelqu'un obscurcit l'image de Dieu, la connaissance disparaît de la terre, car nous connaissons Dieu de deux manières: en agissant comme Dieu agit, en voyant l'image de Dieu dans notre frère. Ces deux thèmes constitueront la base des réflexions suivantes, spécialement dans l'enseignement de la première lettre de Jean. Cependant avant d'en venir à étudier de plus près ce que la Bible signifie par « connaissance de Dieu », écoutons quelques brèves paroles d'Isaac Luria et de Moïse Cordovero sur ce sujet du partage de l'amour et de la miséricorde de Dieu.
Ges deux affirmations de Cordovero viennent des premières pages de son beau traité sur la vie spirituelle, Le palmier de Déborah: « L'homme peut se rendre semblable à celui qui l'a fait et qui est son maitre... En chacun il y a quelque chose de son compagnon humain. Donc quiconque pèche fait tort non seulement à lui-même, mais aussi à cette part de lui-même qui appartient à un autre » 4). Voici les remarques de Llivia sur la prière du matin et du soir: « Avant de prier le matin, un homme devrait s'engager à observer le commandement `Tu aimeras ton prochain comme toi-même', et son intention devrait être d'aimer chaque frère comme lui-même, car alors sa prière pourra monter comme l'expression de tout Israël et être effective ». Et le soir, « Voici, je pardonne à tous ceux qui m'ont offensé ou provoqué ou qui ont péché contre moi, et je prie pour que personne ne puisse être châtié en rien à cause de moi »5).
Du rapide examen que nous venons d'achever, il ressort que celui qui désire connaître Dieu doit partager l'intérêt de Dieu pour l'homme. Avant d'aborder la partie centrale de notre étude au sujet du fonctionnement de cette vérité dans le mysticisme chrétien, nous pourrions considérer un peu plus en détail ce que veut dire « connaître Dieu » dans la Tradition biblique.
On dit souvent qu'en choisissant Israël Dieu « connaissait son peuple »: « Je n'ai connu que vous de toutes les familles de la terre, aussi vous punirai-je pour toutes vos iniquités » (Am. 3,2); « Je suis k Seigneur ton Dieu depuis le pays d'Egypte. Tu ne connaîtras pas d'autre Dieu que moi et en dehors de moi il n'est point de sauveur. Je t'ai connu au désert au pays de la sécheresse » (Os. 13,4-5). Ce second texte introduit le thème de la connaissance réciproque: Dieu a connu Israël et Israël doit également le choisir et le connaître. En fait pour Osée on pourrait résumer la pleine profession de foi d'Israël dans le cri: « Mon Dieu, nous te connaissons » (Os. 8,2). Mais maintenant il est trop tard, et l'on peut résumer le péché d'Israël en disant: « Un esprit de prostitution les anime; ils ne connaissent point le Seigneur » (Os. 5,4). Mais alors, la conversion aussi est exprimée en termes de connaissance de Dieu. Sans doute faut-il rechercher dans les livres de Jérémie et d'Ezéchiel les deux très célèbres passages qui traitent de la guérison des coeurs du peuple. Jérémie décrit expressément l'action de Dieu au plus profond de son peuple dans les termes de connaissance de Dieu tandis qu'Ezéchiel décrit la même réalité comme un accomplissement de la volonté de Dieu. Les textes sont connus, cependant dl ne semble pas déplacé de les citer ici avant de poursuivre notre réflexion sur ce qu'ils nous apprennent de ce que veut dire « connaître Dieu ».
« Voici venir des jours — oracle du Seigneur — où je concluerai avec la maison d'Israël (et la maison de Juda) une alliance nouvelle...
Je mettrai ma loi au fond de leur être et je l'écrirai sur leur coeur.
Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple.
Ils n'auront plus à s'instruire mutuellement, se disant l'un à l'autre, `Connais le Seigneur'.
Mais ils me connaîtront tous, des plus petits jusqu'aux plus grands, Parole du Seigneur,
Parce que je vais pardonner leur crime et ne plus me souvenir de leur péché » (Jer. 31, 31-34).
Dans le texte suivant d'Ezéchiel, nous voyons la reprise des mêmes thèmes, l'intériorité, le pardon l'alliance et la volonté de Dieu au coeur de chacun.
« Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés,
De toutes vos souillures et de toutes vos idoles je vous purifierai.
Et je vous donnerai un coeur nouveau, Je mettrai en vous un esprit nouveau;
J'ôterai de votre chair le coeur de pierre. Et je vous donnerai un coeur de chair.
Je mettrai mon esprit en vous,
Et je ferai que vous marchiez selon mes lois. Et que vous observiez et suiviez mes coutumes.
Vous habiterez le pays que j'ai donné à vos pères; Vous serez mon peuple,
Et je serai votre Dieu ». (Ez. 36, 25-28).
Origène traitant de cette même question de connaissance de Dieu, s'exprime ainsi: « L'Ecriture dit de ceux qui sont liés et unis avec quelque chose, qu'ils connaissent ce avec quoi ils sont liés et en communion »8.
Théophylacte, faisant le commentaire de la première lettre de Jean dit bien la même chose: « Connaître veut dire ou bien avoir un savoir intellectuel ou encore être parfaitement lié à quelqu'un comme quand il est dit: 'Le Seigneur connaît les siens'... »9. De telles définitions atteignent ce qu'il y a de plus intime et de plus fondamental dans le terme « connaître » comme il est utilisé dans la Bible et l'on peut voir comment, quand tous les hommes laissent la loi de Dieu être une réalité dynamique dans leurs coeurs, « ils sont unis à lui » et ils n'ont plus besoin qu'on leur dise « Connaissez le Seigneur ». D'ailleurs, nous avons vu que la phrase porte aussi sur cette activité par laquelle on exprime cette connaissance, par le culte du seul Dieu vivant, et par le traitement du frère comme Dieu le traite.
Le seul mot qui contienne toutes, ou au moins la plupart des résonnances contenues dans le mot connaître en hébreu est le terme « reconnaître ». Reconnaissance s'applique à la fois à la perception et à l'intelligence. La perception de Dieu, profond savoir amoureux de sa présence, porte avec lui, parce que Dieu et l'homme deviennent « liés et en communion », le pouvoir d'agir d'une façon qui rend tangible la présence de Dieu. D'autre part l'expérience de Dieu dans le culte et l'obéissance, dans le pardon et la générosité, rendent l'homme toujours plus apte à percevoir Dieu et à être uni à lui. On ne peut donc dire de personne qu'il connaît Dieu s'il n'agit pas à la manière de Dieu à l'égard de son frère; ou bien il n'a jamais rencontré Dieu ou bien il a étouffé la vérité de Dieu en agissant mensongèrement. Dans la tradition prophétique, ce ne sont pas tellement les hommes de Dieu qui font appel à Dieu pour apporter la justice à l'humanité, mais c'est Dieu qui permet à son prophète d'expérimenter quelque chose de sa propre souffrance et de faire appel aux hommes pour qu'ils se traitent les uns les autres comme des êtres humains.
Notre manque de perception est douloureusement évident quand, en cherchant à alléger les souffrances de l'homme nous prenons inconsciemment le rôle de protéger l'homme de Dieu. Comme les amis de Job nous voyons notre frère dans la souffrance et nous jetons de la poussière sur nos têtes « vers le ciel » pour nous protéger nous-mêmes, pour ainsi dire, de ce Dieu dont nous voulons alors chercher les voies pour nous justifier aux yeux de notre frère moins fortuné. Nous daignons par notre pitié suppléer à la négligence d'un Dieu insouciant. Notre frère lui au moins ressent sa souffrance, et peut comme Job crier des profondeurs de son être qu'il est sûr que Dieu est meilleur que cela. Nous ne ressentons rien, effrayés d'accepter la pleine vision d'une souffrance que nous ne pouvons pas justifier, nous avons peur également de crier avec notre frère et die demander à Dieu de se montrer et d'être ce qu'il est, « l'amoureux de l'homme ». Dieu dit que Job dans toute son angoisse et son rejet farouche de toute explication à sa souffrance « a bien parlé de moi » (Jb. 42,7). Si nous osions nous laisser saisir par la préoccupation que Dieu a pour Job, le mystère de sa souffrance et des nôtres ne serait absolument pas plus clair, mais nous pourrions enfin dire à Dieu: « Je ne te connaissais que par ouï--dire, mais maintenant mes yeux t'ont vu » (Jb. 42, 5).
III
L'aspect du mysticisme chrétien que nous considérons ici pourrait être traité de plusieurs manières. Le plus évident, peut-être, pourrait être une exploration de la réponse de Jésus à la question: « Quel est le plus grand commandement de la loi? ». Là, mon amour pour mon prochain comme moi-même est une image, « comme », mon amour pour Dieu (cf Mt 22,34-40). Nous pourrions aussi analyser l'hymne de St Paul à la charité et voir la relation entre connaître maintenant « partiellement », et connaître alors, « comme je suis connu » (cf I. Cor. 13, 12). Cependant nous concentrerons plus spécialement notre attention sur la première lettre de Jean. Car là, comme nous le verrons, les thèmes de la connaissance de Dieu et de l'amour du frère sont explicitement connectés l'un avec l'autre d'une manière qui est devenue le critère et la source du mysticisme chrétien: « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres car l'amour est de Dieu, et celui qui aime Dieu est né de Dieu et connaît Dieu (I Jn. 4,7).
Dans la conclusion de la lettre, Jean explique à ses lecteurs en termes clairs pourquoi il leur a écrit: « Je vous ai écrit ces choses, pour que vous sachiez que vous avez la vie éternelle, vous qui croyez au nom du Fils de Dieu » (Jn. 5, 13)10. Cette lettre est une proclamation: son projet est de dire aux croyants qui ils sont en réalité, leur donner des critères pour discerner cette réalité, les encourager à vivre dans la fidélité à ce qu'ils ont reçu, et protéger la jeune communauté de ceux qui prétendent posséder le don de Dieu mais qui sont dans les ténèbres et conduisent les autres dans la même voie. Les toutes dernières lignes de la lettre sont une triple affirmation, présentée comme la signification ultime de ce que nous expérimentons; elle en découle et elle évoque une certitude que l'on ne peut exprimer qu'en disant, « nous savons ». « Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche pas, mais l'Engendré de Dieu le garde et le mauvais n'a pas de prise sur lui. Nous savons que nous sommes de Dieu et que le monde entier gît au pouvoir du mauvais. Nous savons aussi que le Fils de Dieu est venu et qu'il nous a donné l'intelligence afin que nous connaissions le Véritable. Nous sommes dans le Véritable, dans son Fils Jésus Christ. Celui-ci est le Dieu Véritable et la vie éternelle ».
Une bonne part de la lettre qui finalement aboutit à ces affirmations, est consacrée à établir les critères qui permettent de discerner si oui ou non notre certitude est de Dieu. Voici quelques-uns de ces critères: « Si nous disons que nous sommes en communion avec lui et que nous marchons dans la nuit, nous mentons et nous ne faisons pas la vérité. Mais Ti nous marchons dans la lumière comme Il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres, et le sang de Jésus, son Fils nous purifie de tout péché » (1,6-7); « A ceci nous savons que nous le connaissons: si nous gardons ses commandements... A cela nous savons que nous sommes en Lui. Celui qui prétend demeurer en Lui doit se conduire lui aussi comme celui-là s'est conduit » (2,3-6); « Celui qui prétend être dans la lumière tout en détestant son frère est encore dans les ténèbres. Celui qui aime son frère demeure dans la lumière, et il n'y a en lui aucune occasion de chute » (2,9-10); « Vous avez reçu l'onction venant du Saint et tous vous savez... L'onction que vous avez reçue de Lui demeure en vous et vous n'avez pas besoin qu'on vous enseigne » (2,20-27); « Si vous savez qu'Il est juste, reconnaissez que tout homme qui pratique la justice est né de lui » (2,29; cf 3,7); « A ceci sont reconnaissables les enfants de Dieu et les enfants du diable: quiconque ne pratique pas la justice n'est pas de Dieu, ni celui qui n'aime pas son frère » (3,10; « A ceci nous avons connu l'amour: celui-là a donné sa vie pour nous. Et nous devons nous aussi, donner notre vie pour nos frères... Petits enfants, n'aimons ni de mots ni de langue, mais en actes véritablement. A cela nous saurons que nous sommes de la vérité et devant lui nous apaiserons notre coeur... » (3,16-19); « A ceci nous savons qu'Il demeure en nous: à l'Esprit qu'Il nous a donné » (3,24); « Nous, nous sommes de Dieu. Qui connaît Dieu nous écoute. Qui n'est pas de Dieu ne nous écoute pas. C'est à quoi nous reconnaissons l'esprit de la vérité et l'esprit de l'erreur » (4,6); « Quiconque croit que Jésus est le Christ est né de Dieu; et quiconque aime Celui qui a engendré aime Celui qui est né de Lui. A ceci nous reconnaissons que nous aimons les enfants de Dieu: lorsque nous aimons Dieu et que nous faisons ce qu'il commande ». (5,1-2).
Ces critères opèrent à différents niveaux. Dans la profondeur de notre être nous avons la vie de Dieu, nous avons la communion avec le Père et le Fils (1,3) nous demeurons en Lui et Lui en nous. Au niveau de notre activité externe nous accomplissons des actes qui révèlent cette vie: nous agissons justement, nous marchons dans la lumière, nous partageons nos biens avec notre frère. Ces deux niveaux correspondent au secret de la vie de Dieu, — il est amour (4,8-12) — et la manifestation de l'amour: « Il nous a aimés et il a envoyé son Fils en expiation pour nos péchés » (4,10): cette geste de Dieu est un témoignage de ce qu'il nous accorde (5,7): c'est le don de la vie, « et voici le témoignage: Dieu nous a donné une vie éternelle, et cette vie est dans son Fils » (5,11). Jean appelle l'acceptation et la réponse au témoignage de Dieu la foi. Dieu est et possède une vie qu'il nous a donnée dans son Fils. Accepter le témoignage de Dieu, de son don, est croire: c'est vouloir donner son accord à la motion de Dieu qui répond en nous à ce témoignage. Dans la belle citation de St Bernard, « consentir, c'est être sauvé » ".
Il y a, cependant, des degrés différents à ce consentement. Comme Fr. Boismard l'a remarqué 12 les activités associées au terme « foi » dans la lettre de Jean touchent les réalités les plus extérieures et les plus évidentes. Le chrétien croit que Jésus est le Christ (5,1), le Fils de Dieu (5,5-10); il croit au nom du Fils de Dieu (3,23; 5,13) et confesse cette foi (2,23; 4,15). En réalité, Jean soucieux de protéger la Communauté chrétienne des ex-chrétiens et de ceux dont l'allégeance et la propagande erronée les rendent dangereux, donne ce principe de discernement: « .. tout esprit qui confesse que Jésus Christ est venu dans la chair est de Dieu et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n'est pas de Dieu... (4,2-3). Cette confession n'est pas seulement dans un enseignement verbal, mais dans une vie de justice et d'amour fraternel (2,29; 3, 11-15). Voici en réalité le commandement: « que nous puissions croire dans le nom de son Fils Jésus Christ et nous aimer l'un l'autre comme il nous l'a commandé » (3,23). Le pont entre le niveau extérieur d'activité et la profonde présence intérieure d'une réalité qui nous est donnée est celui de la conscience: c'est la connaissance comme perception. C'est à propos de ce niveau que Jean utilise des 'termes tels que « l'onction du Saint », ayant reçu « de son Esprit » et « connaître ». C'est de ce niveau que nous devons maintenant parler.
Il y a une affirmation de St Jean dans laquelle les deux termes « connaître » et « croire » sont utilisés à propos du même objet: « Et nous connaissons et nous croyons en l'amour que Dieu a pour nous » (4,16).
Nous croyons au témoignage de l'amour de Dieu pour nous, nous en venons à connaître l'amour parce qu'il a livré sa vie pour nous (3,16) et finalement nous croyons et connaissons l'amour de Dieu en nous. Ceci est le processus de croissance. La foi commence à se changer en perception, bien qu'elle ait toujours contenu quelque élément de perception, quand cet acte d'amour dans lequel Dieu s'est révélé lui-même commence à être consciemment immanent dans le croyant: « Celui qui croît au Fils de Dieu a ce témoignage en lui » (5,10). Le seul critère absolument certain par lequel ce témoignage intérieur est confirmé se trouve dans l'amour, un amour qui reproduit l'amour du Christ et abandonne un soutien dans cette vie pour que nous nous conférions la vie les uns aux autres. « C'est en ceci que nous connaissons l'amour: il a livré osa vie pour nous et nous devons donner notre vie pour nos frères. Mais si quelqu'un a des moyens de subsistance en ce monde et qu'il voie son frère dans le besoin et lui ferme son coeur, comment l'amour de Dieu peut-il habiter en lui? Petits enfants, aimons non de paroles et de discours, mais en actes, véritablement » (3,16-18) St Augustin remarque justement sur ce texte: « Regardez donc où commence l'amour. Si vous n'êtes pas prêts à mourir pour votre frère, soyez prêts au moins à donner de vos biens. Au moins laissez l'amour peser dans votre coeur, de façon que ce que vous faites vienne non de l'orgueil mais des profondes moëlles de la miséricorde; de façon a être vraiment concernés par l'homme qui est dans le besoin. Car si vous ne pouvez pas donner ce dont vous n'avez pas besoin, donnerez-vous jamais votre vie pour vos frères? .. Mais si vous commencez à aimer ainsi, et si vous êtes nourris par la parole de Dieu et l'espoir de la vie future, vous arriverez à ce point de perfection où vous serez prêts à donner votre vie pour votre frère » ".
Le commencement de l'imitation du Christ qui conduit à la connaissance est le partage des moyens matériels d'existence: sa perfection est de donner sa vie, en frères, les uns pour les autres. Isaac de Ninive donne ce critère: « Voici le signe de ceux qui sont arrivés à la perfection: s'ils étaient livrés dix fois par jour aux flammes pour l'amour de l'humanité, il trouveraient que ce n'est pas assez » ". Clément d'Alexandrie décrit le martyre en ces termes: « Nous appelons le martyre "perfection" (teliosis), non pas parce que l'homme atteint le but (telos) de sa vie, ce qui est l'acception commune du terme, mais parce que dans le martyre l'homme produit un parfait ouvrage de l'amour (teleion ergon agapes)15.
Quand la véritable maturité chrétienne est couronnée par un acte d'amour dans lequel l'ultime accomplissement de l'« être humain » est embrassé, alors l'acte de mourir devient une force vitale et source d'énergie qui délivre le pouvoir régénérateur de la résurrection: « c'est mon bonheur de souffrir pour vous. Dans ma propre chair je complète ce qui manque aux souffrances du Christ pour l'amour de son corps l'Eglise » (Col. 1,24). Les accents eucharistiques des termes utilisés pour décrire la mort de Polycarpe, et par lesquels Ignace d'Antioche décrit son propre martyre tout proche montrent que c'est seulement dans le don total — corps et âme — de soi-même que les symboles de l'eucharistie et la connaissance de foi sont transformés en réalité complète. Le feu et le parfum de son sacrifice sont encore sensibles dans ces mots d'Ignace: « Les charmes de ce monde ne me font pas de bien, ni les royaumes de ce temps. Il est meilleur pour moi de passer dans le Christ Jésus que de régner sur le monde entier. Je regarde vers celui qui est mort pour nous, je désire celui qui est ressuscité pour nous... Je vais recevoir la pure lumière; quand je serai arrivé là je serai un homme. Permettez moi d'être un timitateur de la passion de mon Dieu. Si quelqu'un a Dieu en lui-même, il comprendra ce que je désire, il sympathisera avec moi, il connaît ce qui me presse... Mon désir est crucifié et il n'y a pas en mdi d'ardeur terrestre mais une eau vive qui me parle et qui murmure en moi 'Viens au Père'. Je n'ai pas de joie dans la nourriture corruptible ni dans les plaisirs de cette vie. Le pain de Dieu est ce que je désire, c'est la chair de Jésus Christ qui est de la semence de David; et pour boisson, je désire son sang qui est l'amour incorruptible ».
Ignace a un désir de Dieu qui consume tout, et il regarde en avant vers l'accomplissement de ce désir au moment où il « deviendra un homme ». Le chemin vers cette humanité parfaite est l'imitation de la passion de son Dieu, car on ne peut avoir de plus grand amour pour ses amis que de livrer sa mie pour eux (cf Jn. 15,13). Ceci n'est pas un culte morbide de la mort, mais une compréhension profonde de ce que signifie connaître Dieu: c'est l'amour de l'homme qui conduit un homme à Dieu.
Ignace, en termes qui rappellent les accents de « sacrifice » de Jean 3,3 (cf Jn 17,19) montre aux Tralliens que cette offrande de lui-même pour eux se poursuivra même après l'acceptation de son sacrifice: « Mon âme se sanctifie pour vous, et pas seulement maintenant, mais aussi quand j'aurai rejoint le Seigneur »1'. Ainsi nous voyons qu'un homme donne sa vie à Dieu parce qu'il aime ses amis, et plus profondément encore, parce qu'il aime Dieu et qu'il veut être mesuré à partir de l'amour de Dieu pour l'homme. Dans la passion du Christ, « Dieu a montré son amour pour nous » (Rom 5,8). C'est Dieu qui a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils Unique (Jn 3,16). On arrive à connaître Dieu, dans la phrase classique des mystiques, « non en étudiant les choses divines, mais en les éprouvant » ". L'amour de Dieu pour l'homme est répandu dans l'histoire de ceux qui veulent le connaître dans la souffrance: « Le monde doit savoir que j'aime le Père et que je fais ce que le Père m'a commandé » (Jn 14,31).
Dans sa lettre, Jean établit un principe métaphysique: « Nous aimons, parce que nous avons été aimés les premiers ». Et nous avons un critère pour savoir si oui ou non cette initiative de Dieu a pris racine en nous: « Si quelqu'un dit 'j'aime Dieu' et qu'il déteste son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, ne peut aimer Dieu qu'il ne voit pas ». (I Jn 4, 19-20). Cette affirmation en suit une autre qui la précède de quelque lignes, « Personne n'a jamais contemplé Dieu; si nous nous aimons les uns les autres, Dieu habite en nous et son amour est parfait en nous ». (Jn 4,12). Personne n'a jamais contemplé Dieu. Encore que l'objet de toute démarche mystique ait toujours été la vision de Dieu: quand verrons nous Dieu? Quand Il se manifestera: « Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'il est » (Jn 3,2). Le Fils de Dieu est venu et nous « l'a fait connaître » (Jn 1,18); un jour cette manifestation sera complète, maintenant nous sommes dans le processus du « devenir comme lui » en « imitant la passion de notre Dieu ». La connaissance que nous avons se transforme en vision quand nous laissons le dynamisme de notre naissance « de Dieu » cheminer en nous: « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l'amour est de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et connaît Dieu » (Jn 4,7). Ceci est le commencement et l'épanouissement du mysticisme chrétien. « Aimez votre voisin, et regardez en vous la source de cet amour: là vous verrez, selon vos forces, Dieu » ". « Aimez votre frère. Si vous aimez votre frère que vous voyez, vous verrez Dieu à ce moment; car vous verrez l'amour lui-même, et c'est là précisément qu'habite Dieu » « Que personne ne dise, `je ne connais pas ce que j'aime'. Qu'il aime son frère, et qu'il aime l'amour lui-même. Il connaît plus profondément l'amour dont il aime que le frère qu'il aime. Car Dieu peut être mieux connu de lui que son frère: il est évidemment mieux connu parce qu'il est davantage présent, il est mieux connu parce qu'il est plus profondément intérieur, il est mieux connu parce qu'il est plus sûr » 21. Ces textes de St Augustin portent certainement témoignage de ce qu'il n'y a pas rivalité de la part de Dieu dans la façon dont il prend soin de l'homme. « N'essayons pas de déterminer combien d'amour nous devons donner à notre frère et combien à Dieu. Nous devrions aimer notre frère autant que nous nous aimons nous-mêmes; et nous nous aimons nous mêmes davantage, de même que nous aimons Dieu davantage » ".
La connaissance de Dieu qui est mise en acte par l'amour mutuel des frères est une expérience de « sympathie », c'est-à-dire de connaissance et d'épreuve de l'amour que Dieu a pour l'homme. Mais, comme nous l'avons déjà vu dans les textes rabbiniques, il y a une autre dimension de cette connaissance: c'est la découverte de Dieu dans son image, mon frère. Je ne reconnais pas seulement Dieu en ce qu'il respire à travers moi, je le perçois présent dans cette projection vivante de lui-même qu'est un être humain. St Augustin, fasciné par cet amour du Christ qui anime chaque personne et reçoit une réponse d'un autre, envisage la transformation finale de l'histoire humaine ainsi: « Il y aura un seul Christ s'aimant lui-même » ".
Il y a une parole transmise par la tradition qui a été considérée comme faisant partie de la Tradation de l'Ecriture révélée, bien que nous ne la trouvions nulle part dans la Bible. Elle dit ceci: « Quand tu vois ton frère tu vois ton Dieu ». L'atmosphère qui accompagne habituellement cette citation nous amène à supposer que son usage le plus fréquent était dans le contexte de l'hospitalité et de l'amour concret. Elle rend bien le même son que cette parole de Jésus citée par Paul dans son allocution à Milet (Act 20,35): « Il y a plus de joie à donner qu'à recevoir ». Tertullien est l'un des premiers auteurs que nous voyons utiliser la phrase que nous évoquons; c'est dans son traité sur la prière. « Ne laisse pas le frère qui est venu te visiter te quitter sans que vous n'ayez prié ensemble; car, comme il est dit: 'Tu vois ton frère tu vois ton Dieu'. Ceci est spécialement à observer si ton frère est en voyage: peut-être est-ce un ange » 24. Il semble y avoir ici une allusion à Hébreux 13,2: « Continuez à vous aimer fraternellement; et rappelez-vous toujours de bien accueillir les étrangers, car en faisant cela, certains ont reçu des anges sans le savoir ». La lettre aux Hébreux elle-même semble faire allusion aux mystérieux visiteurs reçus par Abraham et par Lot (Gen 1-19). Abbas Apollos, l'un des mystiques de la spiritualité du désert, fait la même allusion. « Abbas Apollos disait à propos de l'hospitalité envers les frères: nous devrions nous prosterner nous-mêmes devant les frères qui viennent à nous; ce n'est pas eux que nous adorons, mais Dieu. Car il est dit, 'Quand tu vois ton frère, tu vois ton Dieu ». Ceci, disait-il, nous a été transmis par Abraham. Et quand vous recevez quelqu'un, contraignez-le à s'arrêter et à se reposer; nous apprenons ceci de Lot qui contraignit les anges »25. Un autre père du désert, Abbas Dorothée de Gaza, utilise cette phrase également dans le contexte de l'hospitalité et de l'amour 26. Cette phrase hardie se rencontre de nouveau bien des fois dans la Tradition comme un élément inspiré de l'enseignement, découlant peut-être de cette rencontre entre Abraham et le Seigneur, dans laquelle, après son service d'amour et d'hospitalité, Abraham entreprend de marchander avec Dieu et de forcer sa miséricorde à apaiser sa justice à l'égard des hommes.
Mais il y a une autre utilisation de cette phrase dans le mysticisme chrétien, utilisation plus philosophique et qui fait appel pour sa doctrine à l'autorité scripturaire. Dans son premier livre des Stromata". Clément d'Alexandrie entreprend de défendre la validité et l'origine divine des vérités découvertes par les philosophes grecs: « Certaines personnes voudraient que les philosophes aient dit certaines choses dans la mesure où elles étaient des reflets de la vérité. Mais le saint apôtre dit même de nous, 'maintenant nous voyons comme si c'était dans un miroir' (I Cor 13,12). Nous nous connaissons nous-mêmes comme si c'était un reflet de lui et nous regardons, autant que possible, la cause créatrice d'après l'élément divin en nous. Car il est dit: 'Tu vois ton frère, tu vois ton Dieu'. Je pense que c'est le Sauveur qui est maintenant désigné pour nous par cette parole de Dieu ». L'influence de Platon est évidente dans l'usage que fait Clément de termes comme « refléter », « élément divin », « cause créatrice », encore que pour établir la vérité de ce qu'il dit, Clément ait recours à l'autorité. D'abord il cite St Paul pour prouver que même la connaissance que les chrétiens ont die Dieu est, à cette étape de leur existence, partielle et « réfléchie ». Clément alors cite notre parole pour enseigner. trois choses: nous connaissons Dieu parce qu'il y a quelque chose de Dieu à la racine de notre conscience; nous voyons ce reflet de Dieu les uns dans les autres; la parole qui dit qu'en voyant notre frère nous voyons Dieu dans son image, est littéralement et seulement vraie lorsque nous voyons notre frère Jésus. Dans le second livre des Stromata 28 nous trouvons de nouveau rattaché à cette parole ce même rapprochement de la connaissance de soi et de la connaissance mutuelle des frères. Clément compare alors les paroles des sages grecs et les Ecritures sacrées et il montre combien les premières sont dépendantes des dernières: Pythagore précise son « Suis Dieu » à partir du récit d'Abraham dans Genèse 12,4; le pardon offert au peuple après leur péché au mont Sinaï inspire l'un des sages dans « le pardon est meilleur que le châtiment ». « Plus mystérieux encore est le Connais toi toi-même' qui vient de, eTu vois ton frère, tu vois ton Dieu' ». Outre l'autorité scripturaire implicitement attribuée à cette parole, une fois de plus ici les thèmes de la connaissance de soi-même et de la vision du prochain sont intimement liés. Mon frère est l'image de Dieu, ainsi, « Celui qui déteste son frère est dans les ténèbres et marche dans les ténèbres et ne sait pas où il va, car les ténèbres ont aveuglé ses yeux » (Jn 2,11).
Celui qui ne peut pas voir son frère, ne peut pas voir le Christ, car ce que nous faisons au moindre de ses frères nous le faisons pour lui. Et celui qui voit le Christ voit Dieu car « Celui qui me voit voit le Père » (Jn 14,8). Les Chrétiens « voient le Christ » dans tous ceux qu'ils rencontrent: trop souvent ceci est compris comme la sèche application de quelque principe, alors que cela exprime le fruit joyeux de la fidélité à l'amour. Les purs de coeur, les simples, verront Dieu (Mt 5,8) non seulement dans le culte et dans la prière privée, mais aussi dans l'exercice de la miséricorde. « Celui qui prend sur lui le fardeau de son prochain, celui qui, compte tenu de quelque avantage qu'il peut avoir vient en aide à ceux qui sont moins gâtés par le sort, celui qui donne librement à ceux qui ont besoin des biens qu'il a reçus de Dieu, devient « Dieu » pour ceux qui reçoivent de lui: un tel homme est un imitateur de Dieu. Alors vous pourrez contempler Dieu qui habite dans le ciel, même pendant que vous vivez sur la terre, et vous commencerez à parler des mystères de Dieu » ". « Si tu vois ton frère, tu vois ton Dieu »: « Voir le Christ » dans un être humain n'est pas une obligation morale, c'est une découverte. L'amour de mon frère donne la vue à mes yeux.
Dieu est le Philanthrope, l'amoureux de l'homme; c'est seulement à Dieu que la tradition ancienne attribue ce terme. Celui qui recherche Dieu doit être capable de voir comme Dieu voit, et pour cela il doit aimer son frère ». Si quelqu'un dit, 'j'aime Dieu' et qu'il déteste son frère, c'est un menteur; car celui qui n'aime pas son frère qu'il voit ne saurait aimer Dieu qu'il ne voit pas » (Jn 4,20-21). Didyme, le visionnaire aveugle d'Alexandrie nous a expliqué à quel point l'amour rétablit la manifestation de Dieu pour l'homme et dans l'homme: « Combien plus est-il (cet amour mutuel) capable d'exister maintenant que le Sauveur a pris le péché du monde pour que l'homme puisse se montrer tel qu'il est réellement en tant que créé par Dieu; révélé pour être selon la ressemblance et l'image de Celui qui l'a fait. Ainsi l'homme apparaît immédiatement comme aimable et digne d'être aimé. Le Sauveur a été envoyé dans le monde pour y être l'amour que lui et que son Père ont pour les créatures, de façon à pouvoir manifester la beauté de ceux qui sont faits d'après l'image de Dieu. Ceux qui parviennent à ce don deviennent aimables, d'où ils s'aiment les uns les autres »
IV
La connaissance de Dieu est une présence en nous de l'Image de Dieu; c'est une connaissance de la « gloire de Dieu brillant sur la face du Christ » (2 Cor 4,6).
Mais la face du Christ est partout: « Ce que vous avez fait au moindre de mes frères, vous me l'avez fait à moi » (Mt 25,40). Comme St Augustin le résume: « Quiconque n'a pas d'amour dénie la venue du Christ dans la chair » ".
Et encore: « Je suis monté au ciel, mais je suis encore sur la terre: ici, je suis assis à la droite de mon Père, là, je connais encore la faim et la soif et je suis encore un étranger » ".
Les grands mystiques intellectuels de la Tradition chrétienne ont souvent réfléchi sur cette mission du Fils à l'égard de chaque âme par qui il est connu. La formule d'Augustin, « le Fils est envoyé chaque fois qu'il est perçu » constitue souvent la base de cette réflexion. St Thomas d'Aquin résume cette ligne de pensée dans un paragraphe dense de la Somme théologique: « Quand une Personne divine est envoyée à quelqu'un par grâce, il y a une assimilation de cet homme à la Personne divine... Le Fils est la Parole, mais pas n'importe quelle parole; Il est la Parole respirant l'amour. Comme le dit Augustin, 'la Parole que nous voulons discuter est une connaissance avec amour ». Par conséquent ce n'est pas seulement selon n'importe quelle perfection de l'esprit que le Fils peut être dit envoyé, mais selon cette illumination de l'esprit qui s'enflamme en une affection de l'amour comme il est dit en Jean 6,45, 'Quiconque écoute le Père et apprend de Lui vient à moi', et dans le psaume 38,4, 'Dans ma méditation un feu s'est allumé'. Aussi Augustin dit-il si justement que le Fils est envoyé qand il est connu et perçu par quelqu'un. « Perception » dans ce contexte signifie la perception de l'expérience » ". Ce beau texte élucide la nature de cet amour par lequel un homme est né de Dieu et connaît Dieu: sa naissance est une assimilation au Fils et sa connaissance est une perception de la Parole qui respire l'amour. Quand une telle personne voit son frère elle reconnaît Dieu. Dans le frère qui se tient devant lui il connaît que « le Fils est envoyé chaque fois qu'il est perçu ».
Pour conclure cette étude de la relation entre la connaissance de Dieu et l'amour de l'homme dans la tradition chrétienne, il semble particulièrement opportun d'inclure quelques paroles de ces hommes qui ont vécu dans les déserts de l'Egypte, de Gaza, du nord d'Israël, de la Syrie, et d'ailleurs. Ces hommes sont appelés les Pères du désert. La plupart d'entre eux sont anonymes; quelques uns ont laissé des paroles et des écrits qui, en passant de génération en génération ont acquis la sainteté et la pénétration d'autres hommes qui étaient contents d'être appelé leurs disciples. Combien souvent ces hommes ont été tournés en dérision et présentés comme la preuve singulière que le mysticisme rend un homme inapte « à la vie réelle ». Leurs yeux, cependant, voient à travers nos illusions et notre humanisme mesquin. Ces hommes qui désirent seulement être appelés « les frères de Jésus » étaient sans doute indiscrets: ils aimaient trop, leur recherche était trop innocente, ils étaient trop lents à se séparer eux-mêmes de ceux de leurs frères qui parlaient mal d'eux, ils pratiquaient trop complètement leur expérience de vie d'humilité et de service de Jésus. Cependant, leur amicale et déconcertante limpidité cache souvent un gouffre de feu. Ils ont pu réussir à vivre hors du tissu d'illusions dont nous pensons que la société a besoin, mais ils ne se sont jamais séparés eux-mêmes de leurs frères: « Le moine est celui qui, bien qu'il soit séparé de tout, est uni à tous ses frères humains » 34.
L'un des frères qui n'était pas dans le désert, écrivit à Abbas Jean et lui demanda ce que 'signifie achever la pure prière « en mourant pour tous les hommes ». Le Père spirituel répondit: « Ne juger ou ne mépriser personne, et ne jamais être attaché à sa volonté propre: voilà comment mourir pour tous les hommes en vivant au milieu d'eux »'. Abbas Pacôme enseignait à ses frères que parmi les bonnes oeuvres de patience, jeûne, prière etc... « ils devaient être un seul coeur avec leurs frères ». Il en vint à dire « les païens marchent dans les ténèbres sans connaître la lumière (Eph 4, 7) et il en est de même de quelqu'un qui déteste son frère: il marche dans les ténèbres et ne connaît pas Dieu parce que la haine et l'inimitié ont obscurci ses yeux et il ne voit pas l'image de Dieu » ". C'est le même Pacôme qui dit, « Celui qui a la paix avec son frère a la paix avec Dieu »; lui qui a eu des disciples en foule autour de lui et qui lui faisaient confiance « parce qu'il était bon pour eux » ". Lui-même apprit sa vocation dans la prière. Comme il priait en grande désolation désirant savoir la volonté de Dieu, « un ange lui apparut et lui demanda 'Pourquoi es-tu si désolé, pourquoi ton coeur est-il si triste? Il répondit, `Je cherche la volonté de Dieu'. L'autre lui dit 'Désires-tu vraiment la volonté de Dieu?' Pacôme répondit 'Qui'. Cette personne alors lui dit, `La volonté de Dieu est que tu serves le gente humain pout le réconcilier avec lui.' Pacôme répondit un peu ennuyé, 'Je recherche la volonté de Dieu, et tu me dis de servir les hommes!' L'autre répéta trois fois, 'C'est la volonté de Dieu que tu serves les hommes pour les appeler à lui' ». 37.
L'histoire nous raconte à quel point Pacôme honora « l'alliance faite avec Dieu »38. Cet homme qui était connu comme le « Père de la communauté » — la grâce de son âme touche encore tous ceux qui l'imitent — formait ainsi ses disciples:
« Il préparait la table pour eux quand il était temps de manger, et de même c'était lui qui plantait les légumes et qui les arrosait. Si quelqu'un frappait à la porte, il répondait, et quand ils étaient malades il passait la nuit près d'eux en prenant soin d'eux avec empressement. Car les frères plus jeunes n'étaient pas encore arrivés à l'état de l'âme où ils pouvaient se servir les uns les autres. Cependant, il leur ôtait tout souci de l'esprit en disant, 'Efforcez-vous d'atteindre ce pourquoi vous avez été appelés frères Méditez les psaumes et les autres lectures de la Bible, mais spécialemente les Evangiles. Pendant que moi, en servant Dieu et vous selon le commandement de Dieu, je trouverai mon repos ». 39
V
Le mysticisme et-il valable? Oui, si c'est une vivante connaissance de Dieu. Qui d'autre que Dieu est l'amoureux de l'homme, et de quoi l'homme a-t-il le plus besoin dans ce monde de crainte et de haine, sinon d'un amour qui n'attend ni le mérite ni l'invitation: « exactement comme Dieu n'a pas attendu que nous l'aimions, ainsi nous ne devrions pas attendre que les autres nous aiment, mais plutôt nous devrions aimer les premiers. L'amour du Père est prouvé puisqu'il a envoyé son Fils; l'amour du Fils est prouvé puisqu'il est mort »4°. Le plus grand obstacle à la paix dans le monde est qu'il n'y a plus de mystiques; il n'y a plus assez de monde pour entrer dans le feu de Dieu et apprendre à prier. Il y a une tradition qui, comme nous l'avons vu, est au moins aussi vieille que Genèse 18 qui dit que, « le monde se maintient à cause de la prière des justes » 41 Les justes sont ceux qui savent combien Dieu désire remplir le monde de sa miséricorde.
Ste Catherine de Sienne nous dit que le Seigneur lui a dit: « Je t'ai donné ton prochain comme un moyen de faire pour lui ce que tu ne peux pas faire pour moi: c'est-à-dire, aime-le sans chercher de récompense ou sans en tirer de profit » 42 De nos jours, le frère Charles de Jésus, un autre père du désert, disait, « Nous apprenons à aimer Dieu en aimant les hommes. » Ste Thérèse de Lisieux a offert sa vie entière « comme une victime d'holocauste à votre amour miséricordieux; vous suppliant de me consumer sans cesse en laissant ces vagues d'infinie tendresse qui sont enfermées en vous se déverser sur mon âme, de façon à ce que je devienne aussi une martyre de votre amour, mon Dieu. »" Frère Silvan, le staretz, qui mourut au mont Athos en 1938 donna ceci comme le critère de la pure prière: « Quelquefois le St Esprit attire un homme à lui tellement entièrement qu'il oublie toutes les choses créesse et se consacre entièrement à la contemplation de Dieu. Mais quand l'âme se souvient de nouveau du monde, remplie de l'amour de Dieu, elle est prise de compassion pour tous et prie pour le monde entier. Dans cette prière l'âme peut de nouveau oublier le monde et se reposer sur Dieu seul, seulement pour retourner encore à sa prière pour toute l'humanité. »
La rivalité que nous sentons entre Dieu et l'homme, entre le mysticisme et l'humanisme, entre la prière et la faim et la soif de justice, découle de cette blessure dans notre coeur qui nous conduit à craindre Dieu. Nous avons peur parce que la vérité semble si rude et nous condamne, nous ressentons la présence de la douffrance parce qu'elle nous rappelle notre propre fragilité, et notre désir d'échapper est si fort que nous l'attribuons aux autres s'ils essaient de chercher Dieu. Mais Dieu le Dieu Vivant, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, nous parle et nous dit: « Je veillerai sur eux pour leur bien, je les ramènerai dans leur pays, pour construire et non pour détruire, pour planter et non pour arracher. Je leur donnerai un coeur pour me connaître, car je suis le Seigneur; et ils seront pour moi un peuple et je serai pour eux un Dieu, car ils reviendront à moi de tout leur coeur. » (Jer. 24,6-7)
Nous savons que notre monde est blessé; nous ne désirons pas savoir à quel point cette blessure est profonde parce que nous ne connaissons pas de remède. « Jésus s'assit sur la montagne et de grandes foules vinrent à lui amenant avec eux des boiteux, des estropiés, des aveugles, des muets et bien d'autres encore, qu'ils déposèrent à ses pieds et il les guérit. Et les foules de s'émerveiller en voyant ces muets qui parplaient, ces estropiés qui redevenaient valides, ces boiteux qui marchaient et ces aveugles qui recouvraient la vue; et ils rendirent gloire au Dieu d'Israël. » Mt 15,30-31) Peut-être pourrions-nous mettre de côté même notre intérêt pour le mysticisme et écouter une fois encore ces mots amicaux d'Abbas Pacôme qui vécut dans un monde dont la peine et la confusion étaient semblables aux nôtres: « Mes frères, aimons tous les hommes, alors nous serons les amis de Jésus, qui est l'ami des hommes. »
1 G. SCHOLEM, Major Trends in Jewish Mysticism (New York: Schocken, 1961), p. 244 ff.
2. Je dois de nombreuses références à la littérature rabbinique et autres dans la première partie de cette étude, aux articles de I. Abrahams rassemblés dans Studies in Pharisaism and the Gospels, First and Second Series (Repr. New York: Ktav, 1967); en particulier aux articles sur « Le pardon de Dieu », « Le pardon de l'homme », « L'imitation de Dieu ». Le texte qui vient d'être cité en référence est Sifre sur Dt 11, 22: cf Horowitz/Finkelstein (Repr. Jewish Theological Seminary, 1969), p. 114.
3 Pour une étude de ce texte et de ses variantes voir M. Mc NAMARA, The New Testament and the Palestinian Targum to the Pentatenah [Anal. Bib., 27], (Roma: Pont. Bib. Inst., 1966), p. 133 sv.
4 See SC.HOLEM, op. cit., p. 279.
5 Pour la première référence voir B. MARTIN, Prayer in Judaism (New York: Basic Books, 1968), p. 21.
6 Pour un développement plus complet du thème de la « connaissance » dans Osée, voir H.W. WOLFF, « "Wissen um Gott" bei Hosea als Urform von Theologie », Evang.Theol. XII (Summer, 1952), p. 533-554.
7 On peut trouver une claire présentation de ces textes et de leur relation à la première lettre de Jean dans M.-E. BOISMARD, « La Connaissance dans l'Alliance Nouvelle, d'après la Première Lettre de Saint Jean », Rev. Bib. LVI (1949), p. 365-391.
8 In Jn 19 (Patrologia Graeca, cité désormais PG), 14, 529.
9 In 1 Jn )(1)(G 126, 20).
10 Les références données, dans cet article, en indiquant le chapitre et le verset sans préciser le livre de la Bible, renvoient toutes à 1 Jn.
11 De Gratia et Libero Arbitrio, 1 (Patrologia Latina, [cité désormais PL] 182, 1002).
12 Art. cit., p. 385 sv.
13 In 1 Jn; 5, 12 and 6, 1 (Sources Chrétiennes; Paris: Cerf, 1948- [cité désormais SC] 75, 268 et 278).
14 De Perfectione Rel., 74. Cité par I. HAUSHERR, Direction Spirituelle en Orient Autrefois (Roma: Pont. Or. Inst., 1955), pp. 64 f.
15 Stromata IV, 4 (PG 8, 1228).
16 Letter to the Romans 6, 1-7, 3 (SC 10, 132-136).
17 To the Trallians 12 (SC 10, 122); cf. To the Ephesians 8, 1 (ibid., 76).
13 Voir ex. gr. Ps.-DioNYsios, On the Divine Names 9 (PG 3, 648B).
19 St. Augustin, In Jn; 17, 8 (Corpus Christianorum, Series Latina [Brepols, 1954-; cité désormais CC] 36, 174).
20 Id. In 1 Jn; 5, 7 (SC 75, 262).
21 Id. De Trin; 8, 12 (CC 50, 286).
22 Ibid. (CC 50, 288-289).
23 In 1 1.n; 10, 3 (SC 75, 414).
24 De Oratione 26 (CC 1, 273).
25 Apothegmata Patrum (PG 65, 136).
26 Letter 1 (SC 92, 490).
27 1, 19, 94 (SC 30, 120).
28 II, 15, 71 (SC 38, 90).
29 Letter to Diognetus 10, 7 (SC 33, 76 ff). 3° In 1 Jn 4, 7 (PG 39, 1797).
31 In 1 In; 6, 13 (SC 75, 308).
32 Id. In 1 In; 10, 9 (SC 75, 432).
33 Summa Theol. 143, 5 ad 2. Références à Saint Augustine: De Trin. 9, 10; 4, 5.
34 EVAGRIUS, On Prayer 124 (PG 79, 1193).
35 Voir L. REGNAULT (ed.), Maîtres Spirituels au Désert de Gaza (Ed. de Solesmes, 1967), p. 80.
36 First Catechesis; voir L. TH. LEFORT, Les Oeuvres de S. Pacôme [CSCO, 160] (Louvain, 1956), p. 21, 11; 15, 18-22.
37 Third Sahidic Life; voir Lefort, Les Vies Coptes de S. Pacôme [Bibi. de Muséon, 16] (Louvain, 1943), pp. 60-61.
38 First Sahidic Life; LEFORT, op. cit., p. 4, 6-7.
39 First Greek Life 24; F. HALKIN, Sancti Pachomii Vaitae Graecae [St. Subsid., 19] (Bruxelles, 1932), p. 15.
40. Glossa Ordinaria on 1 Jn 4, 10; Nicholas de Lyre, éd. (Venetiis, 1603), 1404.
41 ST. THOMAS AQ. On Mt 24, 5-8 (Ed. Marietti, 1951), p. 297, 1914.
42 II Dialogo; G. Vavallini, ed., (Roma: Edizione Cateriniane, 1968), LXIV, p. 140.
43 Manuscrits autobiographiques (Carmel de Lisieux, 1957), p. 320.
44 The Undistorted Image; Archimandrite Sofrony, ed. (London: Faith Press, 1958), p. 81.