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Revue SIDIC V - 1972/1
La théologie chrétienne et le judaïsme (Pag. 03 - 18)

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Quelques remarques à propos d'une théologie chrétienne du Judaïsme
C. A. Rijk

 

Le titre de cet article me confronte à une tâche à peu près impossible à accomplir. Selon le Professeur Kurt Hruby de Paris, nous sommes, en ce domaine, « en face d'une totale absence dans l'Eglise d'une réelle théologie d'Israël qui soit fidèle à la vision biblique des choses ».1 Nous connaissons tous l'histoire des rapports entre Chrétiens et Juifs: beaucoup de pages sombres avec quelques rares exceptions de vie commune harmonieuse entre Juifs et Chrétiens. Bien qu'il y ait eu « dialogue », discussions théologiques et éventuelles conversations amicales, il y a rarement eu place pour une réflexion théologique sérieuse et directe sur ces relations.

Les manuels de théologie parlent de l'Ancien Testament mais jamais du Judaïsme après la venue de Jésus. Il semble que l'opinion globale largement répandue soit que les Juifs font partie de 1'Eglise mais refusent d'admettre cette appartenance. On trouvera des fondements pour un programme difficile et à long terme dans les mots suivants du cardinal Willebrands à une récente réunion du Secrétariat pour l'Unité: « En général, les Chrétiens considèrent les Juifs soit comme des fossiles du passé, soit comme de futurs Chrétiens, mais nous devons les considérer tels qu'ils sont ». On nous propose par là non seulement un nouveau type de relations nourries de respect, non seulement l'évacuation de nombreux préjugés conscients ou inconscients qui existent encore, mais encore on met en lumière la mission de découvrir, à la lumière de la révélation divine, la signification et l'importance actuelles du peuplejuif et de sa religion, de manifester son rôle spécifique dans l'histoire du salut, d'étudier les liens entre 1'Eglise et le Judaïsme.

Sans aucun doute, ce dévoilement a commencé à s'opérer au cours des années récentes. Bien des yeux ont été décillés par les événements choquants des trente dernières années. Des mouvements et organisations développent peu à peu un nouveau climat de relations mutuelles; l'existence du peuple juif s'est imposée au monde des non-Juifs, c'est là un fait qui ne peut plus être refusé: le Judaïsme existe en tant que réalité solide, vivace et religieuse. Certains s'en sont réjouis, d'autres en ont été embarassés et troublés. Qu'est-ce que cela signifie? Qu'est-ce que cela signifie pour les Chrétiens? (Voir par exemple Edward H. Flannery, « Theological Aspects of the state of Israël », The Bridge, A Y earboock of Judaeo-Christian Studies III, New York, 1968 p. 301-325).

Depuis quelques années, tant de choses sont arrivées. Un autre climat social s'est créé; en dépit de bien des problèmes qui subsistent encore et des difficultés croissantes des dernières années, le peuple juif en tant que tel commence à être réellement accepté par la société des hommes. Etudes et discussions ne peuvent refuser l'existence du fait juif, ni se contenter d'insister sur sa consistance, il faut en outre trouver des voies conduisant à la co-existence et à la collaboration des Juifs et des non-Juifs dans une société humaine harmonieuse, et il en est de même pour ce qui est d'Israël et des autres nations. Les théologiens, quant à eux, restent silencieux. Bien entendu, un petit nombre de théologiens sont vraiment en train de lutter pour apporter un peu de lumière en cette affaire; mais en théologie chrétienne, particulièrement en théologie catholique considérée globalement, le Judaïsme n'existe pas encore.

En conséquence de cet état de fait il est impossible de donner un compte-rendu clair de la théologie catholique du Judaïsme. Voici ce que je voudrais faire:

I. Préciser quelques circonstances de l'actuel développement de la pensée théologique qui pourraient créer un climat favorable à une réflexion chrétienne sur les rapports entre l'Eglise et le Judaïsme.

II. Dans ces perspectives proposer quelques remarques pouvant aider à éclairer quelque peu les mystérieux cheminements de Dieu à l'égard de son peuple.

III. Présenter un essai personnel de réflexion théologique sur les relations entre le Judaïsme et l'Eglise dans le plan de Dieu.

I - Composantes de la pensée chrétienne contemporaine pouvant favoriser un développement d'une théologie chrétienne du Judaïsme.

Quand on considère l'histoire du Christianisme jusqu'au XX° siècle et son attitude à l'égard du Judaïsme, on en dégage le sentiment qu'il était impossible que se développât une véritable théologie du Judaïsme. Je veux dire par là une véritable réflexion religieuse sur l'action de Dieu par et dans le peuple juif. Bien des facteurs historiques semblent expliquer cela, ainsi le profond clivage qui sépara l'Eglise et le Judaïsme vers la fin du premier siècle et qui conduisit le Christianisme à se distancer de ses origines, peut-être trop radicalement, au moment même où il devait faire face au monde païen. L'attitude de Marcion au second siècle est très caractéristique à ce point de vue, et il n'y avait pas là seulement une position personnelle mais l'expression d'une forte tendance dans l'Eglise, tendance qui, d'une façon ou d'une autre, se continua pour de nombreux siècles. Plus tard le lien étroit entre l'Eglise et l'Etat dans une Chrétienté médiévale européenne réduisit presque nécessairement les Juifs à l'état d'étrangers sous tous les rapports — étrangers dont la seule attitude possible pouvait être, semble-t-il, l'intégration ou la conversion. Après le seizième siècle la théologie chrétienne fut dominée par un courant défensif et apologétique et parut tellement soucieuse de ses problèmes internes de sauvegarde, de défensive et de structuration juridique, qu'il n'y avait plus pour elle place pour une réflexion ou une considération positive portant sur les autres.

De nos jours, la situation et les tendances théologiques de l'Eglise changent rapidement. Une attitude d'ouverture nouvelle donne lieu à des possibilités nouvelles. Dans l'Eglise se développe une nouvelle conscience de sa situation dans le monde. Le Concile du Vatican a dégagé plusieurs composantes d'un vrai renouveau des attitudes et de la réflexion. Conformément au désir du pape Jean XXIII, ce concile a été biblique, pastoral et oecuménique, ce qui veut dire une réflexion à nouveaux frais sur l'origine de l'Eglise afin qu'elle puisse mieux accomplir sa mission dans le monde d'aujourd'hui et de demain. Le concile met en valeur non seulement l'importance de la théologie mais celle de la réalité quotidienne de la vie chrétienne et de la présence chrétienne dans le monde. C'est pourquoi furent étudiés avec soin les rapports entre les Catholiques et les autres Chrétiens, entre les catholiques et les populations ayant d'autres religions ou convictions, et ceci de façon ouverte, respectueuse et religieuse.

Il me semble qu'il y a dans cet ensemble deux éléments d'importance particulière pour ce qui est de l'établissement de nouvelles relations avec le Judaïsme et d'une théologie chrétienne du Judaïsme.

A. Le renouveau biblique. Ce mouvement est naturellement plus ancien que le Concile du Vatican; cependant le Concile a explicitement pris en considération et accepté une conception authentiquement biblique de l'Eglise et de sa situation dans le monde. La pensée chrétienne et la théologie deviennent manifestement de plus en plus bibliques, en ce sens que la totalité du message biblique et de la révélation sont considérées plus sérieusement comme la source vitale de la vie et de l'inspiration. Maintenant, les relations entre l'Eglise et le Judaïsme ne peuvent plus être comprises sans référence à la Bible. Le Tanach, la Bible hébraïque, révèle le fondement et l'origine du peuple juif et de sa tradition. Le Tanach, conjointement avec le Nouveau Testament, fournit à l'Eglise son fondement. Dans le Judaïsme comme dans le Christianisme, ce message biblique a été transmis de génération en génération au sein d'une tradition vivante qui s'est exprimée sous des formes diverses, telles que Talmud, Midrash, Shulchan Aruch, d'une part, et, d'autre part, les écrits des Pères de l'Eglise, les textes des conciles, les catéchismes. On comprend alors tout d'abord qu'on puisse enregistrer entre Ecriture et Tradition une certaine tension incontrôlée, et ensuite que la distanciation et la séparation croissantes entre Judaïsme et Christianisme soient réfléchies et parfois renforcées par les expressions de la tradition.

Cependant la nouvelle prise de conscience de l'importance permanente de la Bible ne peut qu'aider à mieux concevoir les relations entre l'Eglise et le Judaïsme. Le Concile a affirmé: « De même que la religion chrétienne elle-même, toute la prédication ecclésiale doit être nourrie par la Sainte Ecriture et mesurée par elle ».2 A ce point, je voudrais faire les remarques suivantes:

1. La plupart des théologiens qui se sont de fait intéressés aux relations judéo-chrétiennes n'ont en général étudié que les textes du Nouveau Testament, et tout particulièrement Romains 9-11. On doit reconnaître que de telles études ont contribué à élargir l'interprétation de l'épître aux Romains, alors que pendant des siècles elle était limitée aux discussions entre Catholiques et Protestants sur la justification. Cependant les études en restent à peu près exclusivement au cadre du Nouveau Testament.

2. L'Ancien Testament, ainsi est-il appelé, pose aux Chrétiens un problème très général que j'exprimerai ainsi. Les Chrétiens sont encore en train de s'interroger sur l'« Ancien Testament » et sa signification pour les Chrétiens. Des études scientifiques, techniques ont été consacrées à l'Ancien Testament, mais sa signification actuelle pour les Chrétiens est encore pour une large part une problème. Depuis le Concile on fait plus de lectures de l'Ancien Testament au cours de la liturgie, et les Chrétiens sont de plus en plus mis en présence des livres de toute la Bible. Cependant les spécialistes n'ont pas encore été capables de préciser clairement la signification de leur message pour les Chrétiens. En général, l'Ancien Testament est exclusivement considéré comme une préparation et une introduction au Nouveau Testament. Mais, comme le dit clairement la constitution dogmatique sur la Révélation divine du Concile du Vatican, « le but principal (sic, et non le but exclusif) auquel visait l'ancienne alliance consistait à préparer l'avènement tout à la fois du Christ, Rédempteur universel, et du Royaume messianique... ».3 La dernière partie de la phrase parle de l'établissement du royaume messianique qui, conformément à notre foi chrétienne, était déja réalisé en Jésus mais reste à être réalisé dans toute l'étendue du monde. Ceci signifie que l'Eglise ne coïncide pas avec le Royaume de Dieu et que l'Ancien Testament demeure un message permanent pour les Chrétiens également. Mais les articles parus dans Concilium, n. 10, 1967, nous donnent un exemple qui manifeste combien il est difficile de préciser la signification de l'Ancien Testament pour les Chrétiens. Et, généralement parlant, l'Ancien Testament est le plus souvent considéré uniquement dans son rapport au Nouveau Testament. On doit ici remarquer que la période pendant laquelle l'Ancien Testament n'a joué aucun rôle dans la pensée chrétienne coïncide exactement avec une impossibilité de comprendre le Judaïsme. La redécouverte du Tanach est contemporaine d'une nouvelle attitude à l'égard du Judaïsme.

3. Dans cette perspective, on nous permettra d'ajouter quelques mots sur la valeur permanente du Tanach. C'est toute la Bible qui peut être appelée « évangile » — Bonne Nouvelle — car c'est toute la Bible qui projette la lumière de l'Esprit divin sur l'histoire humaine; c'est toute la Bible qui est révélation de Dieu et de l'homme, les intentions divines et la réponse humaine. Selon l'exégèse moderne, plus anthropocentrique dans son approche, nous pouvons dire que Dieu s'est révélé lui-même à Abraham et à ses descendants, ou qu'Abraham et sa tribu, grâce à la présence inspiratrice du Seigneur, ont acquis une conscience claire d'être conduits à travers leur histoire par le seul vrai Dieu. Dans leur relation d'alliance avec Dieu, ils ont découvert de plus en plus ce qu'est Dieu, comment il agit, et ce qu'est l'homme. C'est à travers et dans une expérience historique quotidienne que se sont développés leur intelligence et leur compréhension. Ainsi, ils apprirent que l'homme est créé par. Dieu à son image et qu'il a été constitué le maître de la création. Ils apprirent que cette création et cette histoirede l'homme étaient inachevées, mais que l'homme avait reçu mission de mener à terme, de compléter création et histoire, toujours en tant que collaborateur du Seigneur, qui doit être respecté comme Dieu et qui toujours dévoile de nouvelles perspectives pour l'avenir. Cette tâche de l'homme est alors celle de re-créer, de racheter. L'exode d'Egypte et de Babylone devint un symbole pour toute l'histoire humaine: selon la foi d'Israël, l'humanité est en marche vers le paradis, vers des nouveaux cieux et une nouvelle terre; l'homme est toujours sous le jugement de Dieu à qui il s'agit d'être fidèle en accomplissant les mitzvoth, les commandements. L'infidélité est punie: l'exil est une punition. Mais la parole ultime est toujours une parole de consolation et de dévoilement d'un avenir nouveau. En ce sens, le peuple a toujours un rôle messianique à jouer pour le salut du monde entier.

a. Selon notre foi chrétienne, Jésus est venu pour accomplir la Loi et les prophètes, et ses disciples ont reçu pour mission d'achever son oeuvre dans le monde et dans l'histoire, en suivant toujours son exemple d'amour absolu et de loyauté envers Dieu, en agissant toujours selon l'Esprit divin. Dans une telle vue des choses, il est clair que c'est bien toute la Bible qui garde une valeur essentielle et permanente pour tous les chrétiens. Mais alors une telle vue aura nécessairement des conséquences favorables sur les relations judéo-chrétiennes, également sur la pensée chrétienne concernant le Judaïsme.

b. Il y a aussi un second élément que je veux mentionner comme suggérant de nouvelles possibilités de formulation d'une théologie du Judaïsme; il s'agit de la nouvelle prise de conscience par l'Eglise de ses relations avec les religions non-chrétiennes. Il vaut la peine de noter combien souvent dans les discussions concernant le Judaïsme et les relations judéo-chrétiennes revient souvent la question des relations avec les religions non-chrétiennes. On peut y voir comme une conscience vague du lien entre Israël et toutes les autres religions, une conscience que tout ce qui concerne Israël, concerne le monde entier; ceci implique une certaine reconnaissance ou conviction de l'universalisme, du lien entre Israël et les nations.

Après bien des discussions, le Concile du Vatican a situé la question des relations avec le Judaïsme dans le cadre plus large des religions mondiales, tout en mentionnant clairement le lien spécial entre l'Eglise et le Judaïsme. L'importance et les implications de cette présentation n'ont pas encore été pleinement étudiées, mais il convient de rappeler ici le début du document du Concile du Vatican, on y trouve clairement affirmée la nouvelle attitude de l'Eglise à l'égard des autres religions. Bien que, dès les Pères de l'Eglise et les auteurs chrétiens des premiers siècles du Christianisme tels que Justin le Martyr, toutes les vérités des religions non-chrétiennes aient été attribuées à la Parole de Dieu qui éclaire tout homme, « pendant des siècles les missionnaires se sont souvent comportés comme si les religions non-chrétiennes étaient simplement l'oeuvre du démon et si la tâche des missionnaires était de convertir de l'erreur à la connaissance de la vérité ».4

Le Concile s'est positivement engagé en déclarant: « La Providence de Dieu, les manifestations de sa bonté et son dessein de salut s'étendent à tous les hommes,' jusqu'au jour où les élus seront réunis dans la Cité Sainte resplendissante de la gloire de Dieu, où toutes les nations marcheront dans sa lumière ».6 « Depuis les temps anciens jusqu'à maintenant, il y a toujours eu parmi les divers peuples une certaine aperception de cette puissance cachée qui domine le cours des choses et les événements de la vie humaine; parfois, même, on peu déceler une reconnaissance de la divinité suprême et même du Père suprême. Une telle aperception et une telle reconnaissance pénètrent la vie de ces peuples d'un profond sens religieux ». Et le Concile continue:

l'Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces façons de se conduireet de vivre, ces règles et enseignements qui, bien que différents en bien des points particuliers de ce qu'elle tient et propose, n'en réfléchissent pas moins un rayon de cette vérité qui éclaire tout homme ». « C'est pourquoi l'Eglise lance cette invitation à ses fils: avec prudence et amour, par un dialogue et une coopération avec les fidèles d'autres religions, et en témoignant de la foi et de la vie chrétiennes, reconnaissez, préservez et développez les biens spirituels et moraux ainsi que les valeurs socio-culturelles qui se trouvent parmi ces hommes ».7

Il me semble que ces textes sont importants pour mieux comprendre les relations entre l'Eglise et le Judaïsme. En fait, cette attitude de l'Eglise consiste à reconnaître les valeurs des autres religions qu'elle désire également promouvoir, car elles reflètent souvent des rayons de la lumière divine. Cette attitude donc doit s'exprimer en dialogue concret et en coopération. Ici les points suivants doivent être notés:

1. Au Concile du Vatican, l'Eglise, sans la dénommer explicitement, a exprimé cette idée que l'on désigne par le nom de « révélation générale » ou « révélation cosmique » et qui est une idée biblique. Le Tanach tout autant que le Nouveau Testament proclame le Dieu, Père et Créateur de tous les hommes. Mais la création est une activité continue; la « conservation » de la création implique en fait une présence permanente, active et dynamique du Seigneur à tous les hommes qui sont appelés, en tant qu'images de Dieu, à transformer et à recréer le monde et l'histoire. Cette activité divine et créative inclut nécessairement la révélation et même elle est révélation.' Cette révélation, perçue vaguement par les nations et les peuples, comprend l'action divine, aimante, adjuvante et salutaire, à travers les événements, le cours des saisons naturelles et une illumination intérieure des esprits et des coeurs. Les religions du monde sont cette réponse humaine, partielle et souvent confuse, à la présence active du Seigneur.' Les fidèles de ces religions sont sauvés, non en dépit de, mais à travers et à cause des valeurs de leur religion.

2. Dans cette perspective, la « religion révélée » dans le Judaïsme et le Christianisme est, parmi les autres religions du monde et en liaison avec elles, la réponse la plus explicite de ceux que Dieu a choisis pour entendre sa révélation la plus explicite et la plus élaborée. On remarquera que cette façon de voir les choses ne minimise en aucune façon le caractère unique de la révélation divine dans le Judaïsme et le Christianisme. Il en résulte que la révélation dans le Judaïsme et le Christianisme doit être considérée comme l'expression explicite, c'est-à-dire la révélation, du Dieu unique qui, comme créateur tout-puissant, est vaguement perçu par toute l'humanité. Ceci a naturellement des conséquences immédiates sur la prise en considération de la valeur authentique et légitime du Judaïsme. Je ne dis pas que nous avons ici l'accès le meilleur ou le plus direct au rapport entre le Judaïsme et l'Eglise, mais je veux dire que cette composante de la pensée chrétienne pourrait, après plusieurs siècles de bloquage, favoriser le développement d'une théologie chrétienne du Judaïsme. Il est intéressant de noter que l'Eglise rappelle son lien positif avec le Judaïsme au moment où elle est confrontée de façon nouvelle avec les religions du monde et où elle essaie de définir encore de façon plus claire sa propre attitude à leur égard. Il pourrait y avoir là le signe d'un kairos, d'un temps de grâce donné par Dieu pour qu'elle comprenne mieux sa propre nature et se prépare mieux au royaume définitif de Dieu. Par ailleurs, on est étonné du peu qui est dit sur le Judaïsme dans les ouvrages traitant des religions du monde. Le Judaïsme n'y est souvent encore même pas mentionné, ou au mieux présenté comme « relevant du Christianisme ».

Beaucoup de réflexion et de travail sont encore nécessaire pour développer ces idées sur la révélation et les religions, ainsi que sur la place et la mission de l'Eglise en ce domaine. Dans un très bon article, Gregory Baum a montré la complexité de cette question et la diversité des points de vue qui se sont aussi manifestés au cours du second Concile du Vatican."

3. Il est bien connu que la déclaration du Concile du Vatican sur l'attitude de l'Eglise à l'égard des autres religions a été critiquée par de nombreuses personnes et pour des raisons diverses. Pendant le Concile de nombreuses discussions ont eu lieu sur le texte de la déclaration et aussi sur la place à donner au document. La première ébauche du texte, préparée par une commission du Secrétariat pour la promotion de l'Unité chrétienne sous la direction du cardinal Bea, parlait des relations entre l'Eglise et le Judaïsme. De longues discussions ont considérablement modifié le texte et abouti à une rédaction finale parlant de l'attitude de l'Eglise à l'égard des autres religions. Néanmoins le paragraphe traitant des relations avec le Judaïsme demeura la partie la plus considérable et la plus importante de cette déclaration. Mais il y avait eu un changement fondamental dans l'organisation et le contexte de ce paragraphe. Nombreux sont ceux qui ont regretté cette mutation et y voient suggéré que le Judaïsme est considéré comme une des nombreuses religions du monde et que l'Eglise catholique a renoncé à penser que le Judaïsme est la religion révélée dont l'Eglise croit que Jésus est l'accomplissement. Cette interprétation semble renforcée par le changement de place parmi les autres documents du Concile qui a affecté ce texte. La première ébauche était liée au document sur l'oecuménisme, comme un paragraphe séparé en même temps que le texte sur la liberté religieuse. Les discussions ont proposé de le rattacher au document sur l'Eglise et finalement il est devenu une déclaration séparée. (Il est d'ailleurs arrivé la même chose au texte sur la liberté religieuse). Il découle de cette aventure qu'il y avait certainement beaucoup d'incertitude parmi les dirigeants de l'Eglise sur la place et la signification du Judaïsme. En lui-même ce fait n'est pas étonnant après des siècles d'oppositions et d'oubli. Le point important de cette longue histoire est sans doute que pour une large part la théologie chrétienne et la pensée de l'Eglise sont devenues peu à peu centrées sur le Christ et sur l'Eglise, une perspective christologique plus théocentrique se trouvant par là supplantée.

Ce qui arriva pendant le Concile fut cependant beaucoup plus qu'une manoeuvre politicoecclésiastique ou qu'un compromis dicté par l'embarras. Devant la question véritablement nouvelle — pourtant aussi vieille que l'Eglise, mais oubliée — d'une réflexion sérieuse sur la relation entre l'Eglise et le Judaïsme, les Pères du Concile ont pris peu à peu une conscience nouvelle de la relation entre Israël et le salut des nations, dimension fondamentale de l'histoire du salut. Ils ont exprimé cette conviction par cette déclaration conciliaire qui montre tous les signes d'une première réflexion et d'une approche nouvelle."

II - Quelques réflexions sur les relations judéo-chrétiennes dans le cadre du renouveau biblique et des nouveaux contacts avec les religions du monde.

Une des caractéristiques du renouveau de la pensée chrétienne est son réalisme. On peut remarquer l'aversion croissante pour une théologie qui ne serait que l'élaboration d'un système abstrait de vérité, une réflexion exdusivement spéculative sur les aspects révélés de la vérité la plus profonde. La théologie devient de plus en plus attachée aux faits; on parle de théologie sociale, de théologie politique. Ce tournant en théologie est sans aucun doute une réaction contre la façon abstraite dont la réalité religieuse a été considérée pendant des siècles. Mais il y a là plus encore. Nous avons là une indication que les théologiens et les Chrétiens en général sont devenus plus attentifs au fait que Dieu agit dans les événements historiques, que la théologie est certainement une réflexion sur la présence dynamique du Seigneur qui continue à se révéler dans l'histoire, et qui par suite veut que nous lisions et interprétions les signes des temps. Comme l'a remarqué récemment un théologien au cours du congrès de Bruxelles: la théologie a abandonnél'Université et est devenue partie de la réalité quotidienne.

Si cela est vrai et si cette attitude trouve son expression dans une nouvelle approche de la Bible, transmise dans une tradition vivante, conçue comme une source permanente et une règle de vie, ainsi que dans une nouvelle ouverture aux autres religions et, en général, au réel, alors les remarques qui suivent pourraient aider à titre d'indication d'un développement de la pensée chrétienne envers le Judaïsme.

1. On peut avoir l'impression qu'au plan des relations judéo-chrétiennes les difficultés ont augmenté au cours des années récentes, particulièrement après la guerre des six jours de 1967. Bien des idées et tendances politiques ou politicoreligieuses ont influencé et compliqué ces relations. Il y a eu un certain ralentissement des contacts et dialogues, beaucoup de critiques, des accusations de manque de compréhension, puis un accroissement des points de controverse et même une extension permanente du champ des tendances opposées.

Mais ce fait même dans sa réalité montre que la question du Judaïsme, et particulièrement son lien essentiel avec Israël, doit être considéré avec plus de sérieux que jamais.

Ceci peut se constater dans les études et les rencontres les plus sérieuses. Ceci signifie que des conversations amicales au plan des relations sociales entre Chrétiens et Juifs mais qui ne sont pas réellement insérées dans l'histoire seront bientôt des faits du passé. Et on peut considérer cela comme un développement neuf et positif.

2. Le document du Concile du Vatican sur les relations entre Juifs et Chrétiens n'est certainement pas la déclaration la meilleure qui pouvait être, mais elle a constitué un point de départ bon et même tout à fait révolutionnaire. Pendant les six années qui ont suivi sa promulgation, on peut remarquer un développement assez intéressant de la conscience chrétienne de la réalité juive. Un certain nombre de documents et directoires produits par des Conférences épiscopales ou d'autres structures d'Eglise de divers pays montrent, en fait, une évolution de la pensée qui, encore une fois, pourrait avoir de l'importance pour l'avenir des relations. Permettez-moi de mentionner quelques points:

a. Un des reproches fait au document du Concile était qu'il parlait des Juifs en catégories chrétiennes et qu'il ne témoignait d'aucune compréhension de la manière dont les Juifs pensent ou dont ils se voient eux-mêmes. C'est une loi générale de tout contact entre peuples que d'abord et avant tout l'autre doit être accepté tel qu'il est, et non comme nous voudrions qu'il soit, ou selon une vue des choses qui aurait notre préférence. A ce point de vue, les documents postérieurs manifestent un progrès de la pensée. Le Concile a encouragé les études et le dialogue; plusieurs directoires donnent plus de détails sur ce point et insistent sur la réciprocité. Ils excluent explicitement toutes formes de prosélytisme, ce qui signifie que la foi et les convictions religieuses de l'autre doivent être sincèrement respectées.

b. On pourrait parfois croire que les relations judéo-chrétiennes ne sont importantes que dans les régions où Juifs et Chrétiens vivent ensemble. Une réflexion sur Nostra Aetate et la situation actuelle de l'Eglise dans le monde ont manifesté que cette situation « concerne l'Eglise en tant que telle, puisque c'est en scrutant son propre mystère qu'elle en arrive au mystère d'Israël. C'est pourquoi ces relations atteignent la conscience chrétienne et la vie chrétienne en tous ses aspects (liturgie, catéchèse, prédication, etc.) dans tous les pays où l'Eglise est établie et pas seulement dans les lieux où elle est en contact direct avec les Juifs ».12 Ceci signifie que le champ d'intérêt est aussi large que l'Eglise elle-même.

c. Parmi les documents les plus récents, nombreux sont ceux qui insistent sur la permanence et la vitalité des valeurs religieuses du Judaïsme. Juifs et Chrétiens peuvent beaucoup apprendre l'un de l'autre et ainsi approfondir leurs fois ettraditions respectives. La collaboration au plan social est considérée comme une tâche de première importance parce que les deux religions, fondées sur une révélation divine, ont une conception de la dignité de la personne humaine et du monde qui peut apporter une contribution considérable à la création d'une société de liberté, de paix et de justice. Une remarque récente d'Yves Congar (légèrement modifiée parce qu'il parlait de la collaboration entre Chrétiens) met en valeur l'importance d'une telle collaboration: « Il est devenu évident pour moi que l'engagement commun au service du monde au nom de la justice, de l'Alliance et de la charité, est une façon très efficace de se comprendre mutuellement, y compris au niveau théologique »."

d. Finalement, l'expérience et la réflexion ont mis en lumière la signification des relations judéo-chrétiennes pour l'unité chrétienne. Cette unité ne peut être atteinte sans un retour aux sources du Christianisme et précisément leur confrontation avec le Judaïsme conduit les Chrétiens à réfléchir sur leurs origines et sur les sources de leur foi.

Je pense, en concluant, qu'il est légitime de dire que l'influence d'une approche renouvelée de la Bible, une nouvelle ouverture au réel et particulièrement aux autres religions commence à créer un climat favorable pour l'élaboration d'une théologie chrétienne du Judaïsme.

Après ces remarques qui indiquent l'arrière plan d'une vue de théologie chrétienne sur le judaïsme," je voudrais faire quelques remarques plus précises sur la validité permanente du Judaïsme.

1. Si, comme je l'ai déja noté, conformément à la théologie chrétienne, les religions du monde constituent une voie de salut pour les peuples, la religion juive est plus encore. On ne peut douter que les livres du Tanach et toute la tradition judaïque ouvrent la perspective de la venue d'un âge messianique, le royaume de Dieu. Et, si la foi chrétienne et la théologie proclament la venue de Jésus comme Messie et du Royaume de Dieu, elles affirment avec force que cet âge messianique n'est seulement accompli dans la personne de Jésus que comme en son principe et que son commencement se trouve réalisé dans l'Eglise. Ceci implique qu'il y a encore place pour une attente et une préparation du royaume définitif. Il est bien connu que l'attitude chrétienne fondamentale en tant qu'exprimée dans les livres du Nouveau Testament est affectée par une tension eschatologique concernant non seulement le retour de Jésus en gloire mais aussi par un réel engagement des disciples de Jésus dans l'histoire afin de préparer le royaume final. Les paroles de Pierre par exemple sont très claires à cet égard, quand il exhorte les Chrétiens à vivre « en sainteté et..., attendant et hâtant la venue du jour de Dieu ».15 La tradition juive et sa religion fondée su le Tanach regarde explicitement vers cette réalisation finale du Royaume de Dieu. A travers la Bible et la liturgie, Dieu continue à s'adresser au peuple juif, à lui dire sa parole, parole qui est toujours active et salutaire.

Ainsi le Judaïsme est, considéré en lui-même, une réponse à la présence permanente du Seigneur; c'est sans aucun doute une religione du monde qui est légitime et qui a une grande valeur pour la totalité du monde. Il y a naturellement la question de la signification exacte de la relation de l'Eglise et du Judaïsme par rapport à la réalité messianique, mais nous verrons cela plus tard.

A ce point, il semble nécessaire de reconnaître, également d'un point de vue de théologie chrétienne, la valeur permanente et la validité du Judaïsme en lui-même. Ce n'est pas mon intention d'énumérer ici ces valeurs multiples, on peut les trouver dans des descriptions du Tanach et de la tradition juive ultérieure. Les paroles du Pape Paul du 19 avril 1968 ont peut-être une signification particulière: il s'adressait alors aux membres du Congrès de l'Organisation internationale pour l'étude de l'Ancien Testament qui avait réuni ensemble des chercheurs juifs, protestantset catholiques: « Les trois familles, la juive, la protestante et la catholique, tiennent également en honneur l'Ancien Testament. Elles sont par là capables d'étudier et de vénérer ensemble ces livres sacrés... Il est heureux que cette initiative d'un travail en commun ait été engagée... c'est là, en effet, une forme authentique du travail oecuménique »." Il se mit alors à énumérer la valeur immense des livres du Tanach.

2. La continuité et la validité permanente du Judaïsme sant finalement édifiées sur la fidélité de Dieu à sa parole et à son peuple. Emile Brunner a très justement remarqué: « Il y a un Dieu, un message, une révélation, une Parole, une alliance »." Quoi que nous puissions penser de l'infidélité du peuple de Dieu, le Seigneur reste fidèle. La distinction entre deux dieux, l'un de l'Ancien Testament, et l'autre qui se révèle lui-même dans le Nouveau Testament, ne peut être acceptée. Il y a un Dieu et une création et, par suite, une révélation et une histoire du salut. Dans ce cadre il peut être utile de s'arrêter un instant sur le sens de la Nouvelle Alliance telle qu'elle est annoncée par Jérémie 31, 31-33. Ce texte est, naturellement, très utilisé dans des milieux chrétiens, comme texte prouvant l'établissement d'une nouvelle alliance en Jésus. En soi, ceci est correct. Mais il ne faut pas oublier la signification originelle du texte. Jérémie annonce clairement qu'une nouvelle situation va se réaliser, non parce que Dieu est en train de changer mais parce qu'un changement va s'accomplir dans le peuple. Dieu reste fidèle à son unique alliance, mais c'est dans l'homme que se produira la nouveauté. Nous croyons qu'en Jésus cette nouveauté s'est réellement réalisée, que celui-ci accomplissait réellement et totalement l'alliance au sens le plus profond de ce mot. Il a ainsi inauguré une nouvelle époque, mais ceci ne signifie pas que les disciples du Christ accomplissent tous l'alliance, ni que Dieu se soit retiré de ceux qui n'ont pas suivi Jésus dans ce qu'il apportait de nouveau. Dieu ne met pas un terme à son unique alliance.

3. Il n'est pas nécessaire de rappeler la signification du neuf et du vieux dans la totalité de la—BIble." Mais on peut remarquer: a) que les catégories du neuf et du vieux appartiennent à la pensée de l'Ancien Testament comme à celle du Nouveau Testament, et que les auteurs du Nouveau Testament, tout en croyant à la nouveauté réalisée en Jésus, parlent d'une nouveauté qui est encore à venir: " ils se réfèrent par là à la réelle tension eschatologique de l'Eglise; b) que, quand les livres du Nouveau Testament parlent de la nouvelle alliance, leurs auteurs se servent du mot kdinos qui signifie « renouveau de la réalité qui existait auparavant », et non du mot neos qui signifierait une « autre » alliance qui n'aurait pas existé antérieurement; c) que le vieux et le neuf appartiennent à la réalité de l'histoire du peuple de Dieu en tout temps. Et bien qu'une nouveauté finale et fondamentale dans l'histoire se soit trouvée réalisée en Jésus, selon la foi chrétienne, il reste à titre de fondement, la présence fidèle et permanente de Dieu dans l'histoire qui est encore en marche vers un achèvement final dont les dimensions ne sont pas encore connues."

4. Dernière remarque touchant Jésus et Tanach. Je pense que le texte de Mathieu 5, 17 « Je ne suis pas venu pour abolir la Loi et les prophètes, mais pour les accomplir », doit être pris au sérieux. Pas seulement en ce sens que Jésus selon notre foi chrétienne a, de fait, accompli l'alliance avec Dieu d'une façon exceptionnelle et surprenante, mais aussi en ce sens qu'en réalité il ne l'a pas abolie. Je veux dire par là, que là où son peuple, où la majorité de son peuple ne l'a pas accepté comme accomplissement, la Parole de Dieu, les promesses et les dons de Dieu, la relation d'alliance avec Dieu ne lui furent pas arrachés, ne furent pas abolis, mais continuent à construire une relation d'alliance entre Dieu et le peuple juif, en vue d'un accomplissement final de toutes les prophéties dans l'établissement final du royaume de Dieu sur la totalité du monde, le monde des hommes.

III - Essai personnel de réflexion théologique sur la relation entre le judaïsme et l'Eglise dans le plan de Dieu.

Dans cette troisième partie, j'essaierai d'exprimer certaines idées qui pourraient avoir quel-qu'intérêt pour une réflexion de théologie chrétienne sur le mystère d'Israël.

Tout d'abord, nous devrions garder à l'esprit que cette relation entre l'Eglise et le Judaïsme est située par S. Paul dans le cadre large du salut des Gentils, elle est alors appelée mysterion ce qui signifie: dimension encore cachée de l'histoire du salut. Mais c'est un mystère avec lequel il faudrait vivre, qui devrait pénétrer la pensée et l'action chrétiennes. En fait ce mystère a été simplement négligé et mis de côté. Il n'a pas joué un rôle dans la pensée et l'attitude chrétienne. Nous pouvons peut-être dire qu'on l'a traduit par « conversion ». Mais c'est là une traduction plutôt mauvaise de mysterion.

Remarques d' introduction

1. Bien que l'Eglise trouve son origine historique directe dans le peuple juif du premier siècle et son expression fondamentale dans les livres du Nouveau Testament, elle sait qu'elle est essentiellement liée à l'expérience de la totalité du peuple de l'alliance. C'est pourquoi les livres de la Bible hébraïque furent officiellement honorés comme Parole de Dieu inspirée. Ceci signifie que l'Eglise veut être fidèle à la totalité de la révélation divine telle qu'elle est exprimée dans la totalité de la Bible. Jésus est reconnu comme le Messie et le fils de Dieu, mais non pas de façon séparée par rapport à la tradition et la Bible de son peuple. Ceci met l'accent sur l'éventualité qu'au cours de l'histoire, à cause d'oppositions, de controverses et d'attitudes apologétiques, les valeurs de la Bible hébraïque aient été négligées dans la pensée et dans la vie chrétienne.

2. Nous avons déjà considéré la tension eschatologique essentielle et cette tâche qui sont fondamentales tout à la fois dans l'existence chrétienne et dans la juive. Jésus, selon la foi chrétienne, est le vrai Messie, mais mises à part les formules nécessairement unilatérales dans l'histoire de cette fonction messianique, Jésus lui-même a insisté sur le fait qu'il y a encore beaucoup à faire, et que beaucoup doit encore être révélé: « Le Conseiller, le Saint Esprit, que le Père vous enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses ».21 « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas actuellement les accueillir, quand l'Esprit de vérité viendra, il vous introduira à toute vérité ».22

Ceci signifie, me semble-t-il, que Jésus, qui prononça ces paroles, et Jean qui les a transmises, étaient convaincus que toutes les dimensions du messianisme de Jésus n'avaient pas encore été révélées; que cette révélation en cours continue, même, comme Gabriel Moran l'a justement observé, dans le monde à venir, puisqu'il y a une relation permanente entre le Dieu transcendant et la personne humaine — la communauté humaine. La relation entre l'Eglise et le Judaïsme doit être considérée à la lumière de la révélation définitive et de la réalisation achevée du royaume messianique.

3. Les relations entre l'Eglise et le Judaïsme doivent être étudiées et vécues dans un esprit réellement oecuménique et profondément respectueux. Cela est exprimé très clairement dans la déclaration du Concile sur cette relation, et dans les structures dans lesquelles se développent actuellement les relations judéo-chrétiennes. Il est clair également que l'Eglise veut que nous développions cette relation dans une perspective eschatologique. Le document du Concile, regardant vers le futur, déclare: « Dans la compagnie des prophètes et du même apôtre (S. Paul), l'Eglise attend ce jour, connu de Dieu seul, où tous les peuples s'adresseront à Dieu d'une seule voix et le serviront d'un commun accord ».23

Après ces remarques, et dans le cadre de ce qui a déjà été dit, j'essaierai maintenant de développer quelques idées sur la relation entre l'Eglise et le Judaïsme.

1. Le Nouveau Testament ne donne pas une réponse claire. Nous trouvons là, en fait, trois vues différentes sur cette relation: a) D'une manière spéciale, l'Eglise est une continuation du Judaïsme; b) l'Eglise est en rupture avec le Judaïsme et s'oppose à lui; 24 c) l'Eglise est l'accomplissement du Judaïsme, particulièrement en Mathieu, Hébreux et, dans une large mesure, S. Paul."

De là découle que nous ne pouvons pas parler simplement en termes de continuité ou de discontinuité. Les deux sont vraies. Il y a continuité, il y a rupture, et il y a accomplissement. Mais tout cela exprime des aspects de l'histoire continue du salut. Aussi longtemps que le royaume final de Dieu n'a pas été établi sur la terre, Dieu agit d'une façon explicite en Israël et dans l'Eglise. La parole de Dieu est encore adressée à Israël; Israël reçoit encore les dons de Dieu, puisque « les dons de Dieu et l'appel de Dieu sont irrévocables »." Et bien que la majorité des Juifs n'aient pas reconnu Jésus comme le Messie, ce peuple reste non seulement chéri de Dieu, à cause de son élection aimé par Dieu, mais son attitude négative sa non-reconnaissance de Jésus comme Messie « signifie des richesses pour le monde et pour les Gentils »." Si la Bible est réellement une source permanente de foi et de vie, si le message de la Bible garde une actualité quotidienne, alors les relations entre l'Eglise et le Judaïsme devront être considérées dans ce cadre plus large, dans cette perspective profonde de salut total de la totalité de l'humanité. L'Eglise des Juifs et des Gentils, en reconnaissant Jésus comme le Messie, est très consciente d'être encore sur le chemin de la réalisation finale du royaume. Elle sait qu'en Jésus le royaume est réellement arrivé, s'est en effet réalisé, mais cette réalisation, cette nouveauté, en un sens cette nouveauté absolue, n'est pas le terme final, mais une dimension nouvelle, incompréhensible de l'action divine permanente dans l'histoire humaine.

Ainsi, dans les relations entre l'Eglise et le Judaïsme, nous rencontrons toujours trois éléments: continuité, accomplissement et discontinuité, mais chacun joue un rôle dans la préparation du royaume de Dieu définitif dans de nouveaux cieux et une nouvelle terre. Il me semble alors que Dieu agit à travers la valeur permanente de la Bible hébraïque et de la tradition juive, aussi bien que dans l'Ancien Testament, le Nouveau Testament et la tradition chrétienne, en vue d'établir pleinement son royaume.

La raison fondamentale de cette conception est la fidélité de Dieu à son alliance, à l'histoire humaine, à son peuple et à sa révélation. Dans ce cadre, je peux mentionner les paroles du regretté cardinal Bea. Alors qu'on lui demandait sa pensée sur la survie du peuple juif, il répondit: « Un des aspects consiste en ceci que dans le peuple juif, l'Ancien Testament « demeure un message permanent, sinon il aurait pu devenir une lettre morte ». Ces paroles proposent aussi un programme d'écoute et de travail pour l'Eglise, qui veut être fidèle à la totalité de la Révélation, en vue de travailler fidèlement au Royaume de Dieu tel que Dieu veut qu'il soit.

2. Réfléchir dans la ligne de la continuité et de l'accomplissement dans une perspective eschatologique n'est pas refuser la différence, même la discontinuité, entre le Judaïsme et l'Eglise.
Mais cela implique que, pour un Chrétien qui réfléchit sur le Judaïsme, il n'est pas permis, sur la base de l'Ecriture et de la Révélation divine, de faire comme si la signification du Judaïsme et de la religion juive s'était achevée avec la venue de Jésus et comme si le Judaïsme était un vestige du passé.

Dans la littérature récente, les différences entre l'Eglise et le Judaïsme ont été appelées un schisme dans l'unique peuple de Dieu. La venue de Jésus a provoqué une scission à l'intérieur du peuple de l'Alliance, et désormais il y a deux sections de l'unique peuple de Dieu, avançant côte à côte vers l'avènement final et glorieux du Messie."

Il est nécessaire de donner plus de précision sur cette question. W.D. Davies a relié ce problème à l'esprit dogmatique de la Chrétienté entant qu'il est opposé à l'esprit de la Halakah du Judaïsme, et il l'a présenté ainsi: « Il y a un facteur christologique, exprimé de différentes manières, dans la Chrétienté qui est sans compromis possible même avec sa foi mère, comme il y a une importance centrale de la Torah dans le Judaïsme qui est sans compromis possible. Le développement dogmatique de la Chrétienté, en bref, reste comme la barrière qui nous empêche de réduire la relation entre les deux croyances à un véritable schisme. C'est de la sagesse de reconnaître cela. Mais cela, en soi n'est pas la tragédie de l'histoire des relations entre ces deux croyances. C'est plutôt que l'esprit de la Halakah, réclamé par les deux n'ait pas été plus véritablement poursuivi par l'un et l'autre de façon à rendre possible, à l'intérieur de leurs différences dogmatiques, une tolérance mutuelle, un respect, une étude et même de l'affection ».29

Ici on peut faire plusieurs remarques. Le Judaïsme et la Chrétienté ont connu tous les deux un développement, souvent en opposition et dans une attitude apologétique l'un par rapport à l'autre. Après la séparation à la fin du premier siècle, ils sont devenus deux religions séparées, mais tous les les deux restent basés sur la révélation divine et continuent à se développer chacun selon son style, sa pensée et sa vie propres. A une époque où nous commençons à réaliser de nouveau les liens essentiels par lesquels le Seigneur de l'histoire nous lie ensemble, nous devenons plus conscients de la base biblique de notre existence et de notre commune attente et de l'orientation eschatologique de l'activité divine dans l'histoire.

De plus, il vaut la peine d'insister un instant sur la façon dont le Concile du Vatican a affronté la réalité du peuple de Dieu. Comme chacun sait, le Concile a utilisé une fois de plus le concept biblique « peuple de Dieu » pour exprimer la réalité de l'Eglise. Ceci nécessairement fait ressortir la question des relations entre Israël comme peuple de Dieu, et l'Eglise comme peuple de Dieu. L'Eglise est appelée « le nouveau peuple de Dieu ».a0 Mais alors, qu'en est-il de l'ancien peuple de Dieu? Le nouveau prend-il la place de l'ancien? Y a-t-il deux peuples de Dieu? Les textes ne donnent pas d'éclaircissement là-dessus. Mais la constitution dogmatique sur l'Eglise, en parlant des Juifs d'aujourd'hui, déclare: « ceux qui n'ont pas encore reçu l'Evangile, sont rattachés de différentes manières au peuple de Dieu (c'est à dire à l'Eglise). A la première place se trouve le peuple à qui l'Alliance et les promesse ont été données et de qui le Christ est né selon la chair »." En raison de ses pères, quant à l'élection, ce peuple reste très cher à Dieu, car Dieu ne se repent pas de ses dons ni de ses appels." La déclaration sur les relations de l'Eglise avec les religions non-chrétiennes parle, (après la venue du Christ) des « Juifs » et non « du peuple juif » ou du « peuple de Dieu ». Mais dans l'expensio modorum il est clairement établi que le Secrétariat pour l'unité des Chrétiens en agissant ainsi « ne vise en aucune manière à trancher dans quel sens le peuple juif, selon les mots de la constitution dogmatique De Ecclesia No. 16, reste le peuple bien-aimé par élection, en raison de ses pères ». Cela veut dire, selon le Concile du Vatican, qu'il reste le peuple choisi, mais la signification exacte de ceci doit être étudié profondément.

Si nous ne pouvons pas parler proprement d'un schisme, les Juifs aussi bien que les Chrétiens sont peuple de Dieu, mais la différence se trouve dans l'eschatologie réalisée dans le Christ, ce qui a instauré une situation unique. Les Chrétiens sont liés, sont baptisés dans cet événement eschatologique, mais, au même moment, ils doivent étendre sa signification et ses dimensions historiques à l'histoire humaine tout entière, dans le temps et l'espace. Les Juifs, d'autre part, en restant fidèles à leur héritage révélé et en étant ainsi une bénédiction pour l'humanité, témoignent du « pas encore » de l'âge messianique achevé, et forcent les Chrétiens à devenir plus conscients des dimensions de l'avènement eschatologique final. Si, dans ce sens, le Judaïsme et l'Eglise jouent un rôle dans l'histoire des rapports de Dieu et de l'humanité, une nécessaire tensionexiste entre eux: la tension qui existe entre le « pas encore » et le « déjà », mais l'un et l'autre sont en route dans la perspective de l'accomplissement final. Dans ce sens, il y a, d'autre part, un urgent besoin de relations positives entre le Judaïsme et l'Eglise, sur la base de la révélation divine elle-même, relations dans lesquelles, à travers un réel respect, une connaissance et une étude mutuelles, un dynamisme eschatologique, mais véritablement historique, fait avancer l'histoire vers son accomplisement.

3. Un point essentiel dans la dialectique de ces relations est le fait que le Judaïsme est, en premier lieu, un peuple: un peuple avec une religion révélée, avec un lien à un pays, et que la Chrétienté est une religion qui n'est reliée ni à un pays ni à un groupe ethnique. Ici intervient, naturellement, une tension entre le particularisme et l'universalisme. Mais, depuis le tout début, le Judaïsme a toujours eu une tendance universelle; le particularisme ne doit pas nécessairement exclure l'universalisme, les deux appartiennent essentiellement à l'histoire du salut. Dieu ne sauve pas l'humanité en général; il sauve cet homme, ce peuple, et à travers cet homme, ce peuple, il atteint les autres. Cela signifie qu'il y a une histoire du salut. L'histoire est toujours concrète. Cette histoire du salut et cette révélation divine prennent place dans le monde concret, à travers et dans les événements.

Dans la foi chrétienne, la religion et la foi sont parfois considérées d'abord comme une doctrine, mais alors il y a un risque de trop séparer la foi de la vie; la foi risque de devenir un ensemble de vérités abstraites. Or elle est avant tout l'expression d'une réelle, existentielle alliance entre Dieu et l'homme: elle englobe la vie entière, individuelle et communautaire. A une époque où les Chrétiens deviennent plus réalistes, plus sérieusement impliqués dans l'histoire, nous sommes confrontés à une expression nouvelle du peuple juif du fait qu'il a un état à lui. Il y a eu des discussions au sujet des dimensions religieuses du lien entre le peuple juif et le pays des patriarches, mais il reste encore beaucoup à étudier à ce sujet. Ce n'est pas mon intention de discuter longuement cette question, mais une chose est sûre: le lien entre le peuple et le pays appartient à la conscience propre du peuple juif; et si nous voulons entreprendre de sérieuses relations, ce lien doit être étudié à fond." Nous devons nous demander ce que ce lien, basé sur la révélation donnée dans le Tanach, signifie dans le dessein de Dieu, et ce que, par conséquent, il signifie pour nous Chrétiens. Cette question touche de nombreux et difficiles problèmes sociaux, politiques, historiques, parmi d'autres, mais ils ne doivent pas nous empêcher de considérer sérieusement cette dimension de l'existence. Je me risque à suggérer que l'étude ouverte et religieuse de ce phénomène peut nous aider à mieux réaliser le caractère réaliste et historique de la révélation divine, et ainsi nous faire dépasser une séparation artificielle de la vie et de la foi; la tendance de la théologie moderne à insister sur l'engagement des croyants dans la vie sociale et politique " peut être un point de rencontre avec la pensée juive, et faire naître ainsi une meilleure compréhension entre Juifs et Chrétiens. Ceci peut promouvoir un plus profond engagement commun dans la préparation du royaume de Dieu sur la terre. Bien plus, cette réflexion sur le salut dans l'histoire peut avoir un impact sur plusieurs aspects de la théologie chrétienne; par exemple, sur le concept de rédemption et de messianisme: du fait d'une spiritualisation excessive, certaines dimensions de ce concept, qui sont révélées dans l'Ecriture, ont peut-être été négligées ou examinées d'une façon superficielle.

4. Cette approche plus « terrestre » de la révélation et du salut souligne les aspects humains et horizontaux de la religion révélée. Ceci, sans aucun doute, est en rapport avec les tendances actuelles à la sécularisation, et avec les efforts pour rendre la foi plus proche du peuple aujourd'hui. Cependant cette tendance ne devrait pas négliger ou minimiser le caractère divin de la révélation et ses redoutables et incompréhensibles richesses, ce que le Seigneur a montré à sonpeuple et qui atteint son point culminant dans le Christ. Il y a là peut-être une différence d'accent, ou, mieux, il y a une recherche d'une plus complète, d'une plus totale compréhension et expression de la révélation divine dans l'histoire humaine. Pour collaborer vraiment avec le Seigneur de la meilleure façon pour l'établissement du royaume, il ne suffit pas de mesurer l'importance des valeurs humaines et terrestres, mais de voir que, quel que soit leur caractère fondamental, elles sont atteintes par le dynamisme de la présence divine. Le Seigneur désire, dans son Esprit, que nous transformions l'histoire et le monde en un paradis selon ses vues." Se révélant lui-même comme le Dieu unique, transcendant, qui apporte le salut à son peuple et qui, dans le Christ, dévoile la gloire de son fils unique, le Seigneur prépare son peuple et l'humanité pour la révélation finale quand « tous les peuples le serviront d'un commun accord » 36 et que « Dieu sera tout en tous »." En ce sens, Dieu est véritablement l'avenir de l'homme." Ici encore nous trouvons un lieu de recontre du Judaïsme et de la pensée théologique moderne. Un dialogue avec la longue expérience juive, qui a vécu en réalité l'histoire dans la foi en Dieu, pourrait nous aider à mieux réaliser à la fois la dimension horizontale, terrestre, et la dimension verticale, divine de l'histoire du salut.

5. Un point encore des relations entre l'Eglise et le Judaïsme doit être rapidement traité. On suggère parfois que l'Eglise présente un caractère sacerdotal et le Judaïsme un caractère prophétique. Selon ce point de vue, l'Eglise est essentiellement centrée sur le sacrifice de Jésus; la liturgie et la spiritualité expriment et célèbrent cette foi; le clergé, classe spéciale, mise à part, prend soin du ministère du sacrifice. Il s'ensuit facilement que ce groupe dirigeant dans l'Eglise a tendance à être traditionnel, à maintenir les structures et les institutions, puisqu'il doit garder le dépôt qui lui a été transmis. Donc, la conclusion pourrait être que les chefs de l'Eglise et le clergé ont tendance à perdre la tension et l'éveil prophétiques et eschatologiques. Quand, comme il arrive parfois, l'Eglise est identifiée au Royaume de Dieu, cette tendance est encore fortifiée. Le Judaïsme, d'autre part, est alors vu comme le peuple qui regarde vers l'avenir, qui est toujours insatisfait du présent et attentif aux promesses divines pour le monde à venir. C'est le peuple du futur,, « le pélerin de l'absolu », le peuple qui porte témoignage du message prophétique, de la contestation et des promesses.

En étudiant l'histoire de l'Eglise et du Judaïsme, on peut ressentir véritablement cette impression. La question se pose de savoir si c'est tout ce qui peut et doit être dit de la nature de l'Eglise et du Judaïsme. Le renouveau actuel de l'Eglise commence à rendre les Chrétiens conscients de certains aspects négligés du message chrétien et du message biblique. Déjà le fait que le Concile du Vatican insiste de nouveau sur le titre de peuple de Dieu, implique la conscience d'un mouvement vers une perspective eschatologique. De plus de nombreux Chrétiens aujourd'hui en opposition avec une excessive exagération de l'institution et de la structure, désirent renforcer la tâche prophétique de l'Eglise. Ceci, disent-ils, serait une réponse plus fidèle à la révélation biblique qui devrait toujours être ou redevenir la source actuelle de la vie chrétienne. Le professeur Haarsma dans un récent article " démontre que le ministère lui-même a un aspect prophétique essentiel, parce que le ministère du sacrifice, qui ne peut être séparé du ministère de la Parole est essentiellement orienté vers la réalisation eschatologique du royaume. La célébration du mystérieux sacrifice d'amour de Jésus, vise à sanctifier le fidèle et à inspirer ses efforts pour transformer le monde. D'autre part, le ministère du sacrifice joue un rôle important dans le Judaïsme biblique. Dans le Judaïsme rabbinique, il a presque disparu, au moins sous cette forme. Peut-on poser la question: de quelle manière le Judaïsme biblique et son ministère sacrificiel ont-ils une signification pour le développement du Judaïsme? En tout cas, la réalité de la vie de l'Eglise et le Judaïsme étant ce qu'ils sont, un contact et une influence réciproques ne contribueraient-ils pas à approfondir et à fortifier la compréhension et l'accomplissement du message révélé?

J'ai donné quelques pensées sur la façon dont une vue théologique chrétienne du Judaïsme pourrait être développée. Beaucoup de travail, d'étude et de dialogue sont encore nécessaires, mais il me semble que notre temps de recherche, de renouveau et d'ouverture offre un très important point de départ pour une réelle et profonde compréhension entre l'Eglise et le Judaïsme.

Je suis conscient du fait que, dans cet article, je n'ai pas traité à fond de nombreuses questions. Je n'ai pas examiné en détails tous les documents de l'Eglise qui, d'une façon ou d'une autre, touchent à ces relations. J'ai développé mes idées sur la base de certaines déclarations claires et officielles de l'Eglise, dans l'esprit du Concile Vatican II, avec l'aide de telle ou telle pensée contemporaine.'

Une autre question, qui devrait être développée, est l'exacte signification de quelques textes du Nouveau Testament. Une certaine interprétation de ces textes a fait beaucoup de tort, nous le savons, à une compréhension religieuse du mystérieux plan de salut de Dieu. L'antisémitisme a utilisé des textes bibliques pour provoquer incompréhension, éloignement et haine. La science moderne est en train de clarifier de nombreux points, non pas en évacuant les difficultés, mais à travers une meilleure compréhension de l'attitude de l'auteur, du climat spirituel de son temps et de sa situation, ainsi que de la valeur limitée de certaines de ses opinions personnelles. Nous pouvons peut-être dire que les textes du Nouveau Testament en particulier, ont été trop souvent interprétés comme une sorte de déclaration dogmatique, sans tenir compte des sentiments et de l'expérience personnelle de l'auteur, ni du genre littéraire de ses écrits." D'autre part, plusieurs textes, et, bien plus, les tendances de fond et les attitudes religieuses, qui étaient évidentes pour les auteurs du Nouveau Testament, et qui ont un impact sur l'intelligence des relations de Jésus et de ses disciples avec les Juifs qui ne l'ont pas accepté comme le Messie, doivent encore être étudiés sérieusement.

Un grand travail reste à faire par les théologiens, les exégètes, les historiens et les sociologues. De nombreuses difficultés doivent, sans aucun doute être affrontées: difficultés venant de vues « traditionnelles », d'une certaine résistance et d'un manque de souplesse des théologiens et aussi de la réalité profonde des relations judéochrétiennes elles-mêmes. Cependant, on a l'impression qu'une nouvelle ouverture dans les documents officiels et chez un nombre croissant de penseurs chrétiens profondément engagés dans l'étude de la signification d'un monde en mutation rapide, offre de nouvelles possibilités pour développer lentement, une théologie chrétienne du Judaïsme. Ce sera la première dans l'histoire du Christianisme.



Le Prof. Cornelius Rijk est, depuis 1966, le directeur de la section du Vatican pour les relations judéo-chrétiennes (Secrétariat pour l'Unitée des Chrétiens). Le Prof. Rijk est docteur en théologie de l'Université Grégorienne et licencié d'Ecriture Sainte de l'Institut Biblique. Il a enseigné l'Ecriture Sainte à Warmond, Hollande, avant de venir à Rome. Il a publié des livres et des articles en français, en hollandais et en anglais.

L'article que nous proposons ici sous le titre « Quelques remarques sur une théologie chrétienne du Judaïsme» a d'abord été donné comme conférence au congrès «Vers une théologie d'Israël » tenu à l'Institut d'études judéo-chrétiennes de Seton Hall University, Etats Unis, les 25-28 octobre 1970.
__________________
1 L'Ami d'Israël, 1968, p. 81.
2 Dei Verbum, 21.
3 Ibid., 6.
4 W. ABBOTT, The Documents of Vatican II, New
York, 1966, p. 662, n. 11.
5 Sg 8:1; Ac 14:17; Rm 2, 6-7; I Tm 2, 9.
6 Ap 21, 23.
7 Nostra Aetate, 2.
8 G. MORAN, Theology of Revelation, London, 1967.
9 J. DANIÉLOU, Les saints païens de l'Ancien Testa
ment, Paris, 1955.
10 G. BAUM, « The Doctrinal Basis for Jewish-Christian Dialogue, » The Ecumenist, VI, 4, pp. 141-151.
11 Concernant l'attitude de la théologie protestante, en général plus réservée ou même négative, à l'égard des religions du monde, voir par exemple L. NEWBIGIN,
L'universalisme de la foi chrétienne, Genève, 1963. Nous ne pouvons traiter de cette question ici.
12 Concilium, No. 54, 1970, p. 13.
13 Information Service of the Secretariat for Promoting Christian Unity, No. 9, 1970-71, p. 19.
14 La citation de Bonhoeffer, relevée par G. VON RAD, Old Testament, Theology (Londres, 1965), est à propos: « Nous sommes de nouveau renvoyés aux premières étapes de l'intelligence. » (p. 338).
15 II P 3, 12.
16 Osservatore Romano, 20 avril 1968.
17 B. ANDERSON, The Old Testament and Christian
Faith, New York, 1969, p. 263.
18 « KAINOS », Theologisches Worterbuch zam Neuen
Testament; L. DEQUEKER, « Pourquoi les chrétiens lisent-ils encore l'Ancien Testament », Collectanea Mechliensia, No. 3, 1969, pp. 329-341.
le Ap 21, 1.20 G. MORAN, op. cit.
21 Jn 14, 26.
22 16, 12.
23 So 3, 9; Is 66, 23; Ps 65, 4; Rm 11, 11-32.
24 Voir plusieurs textes dans l'évangile de St Jean, et d'autres textes du premier siècle.
25 W. D. DAVIES, « Torah and Dogma; a Comment, » Harvard Theological Review, LXI, 1968, pp. 87-105.
26 Rm 11, 29.
27 Rm 11, 12.
28 P. DÉMANN, Les Juifs, Paris, 1960; on peut se référer à Rosenzweig pour un autre point de vue.
29 Harvard Theological Review, LXI, 1968, p. 105. 3° Nostra Aetate, 4.
31 Rm 9, 4.
32 Rm 11, 28; voir De Ecclesia, 9.
33 Voir la Declaration de l'Eglise réformée de Hollande en 1970.
34 J.B. Metz, D. Bonhoeffer, etc.
35 « Voici que je fais l'univers nouveau. » (Ap 21, 5); Is 43, 19.
36 So 3, 9.
37 1 Cor 15, 28.
38 E. SCHILLEBEECKX, God the Future of Man, Lon
don, 1969.
39 « Kerkelijk ambt ais prophetisme, » Tijdschrift voor Theologie, X, 1970, pp. 179-202.
40 M. HELLWIG, Proposais Towards a Theology of Israel as a Religious Community with the Christian,
Washington, 1968.
41 W.F. ECKERT, W.P. LEVINSON, M. ST6HR, Anti
judaismus in Neuen Testament? München, 1967; J.M.
Oesterreicher, « Deicide as a Theological Problem », The Bridge, V, New York, pp. 190-207.

 

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