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Revue SIDIC XXXII - 1999/2
Chrétiens et juifs dans des pays d'Europe Centrale et Orientale (Pag. 21-22)

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Documentation

 


L’OECUMÉNISME ET LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
V : RAPPORTS AVEC LE JUDAÏSME
(Extrait du Document du Synode des Eglises vaudoise et méthodiste) *



51. Le poids du passé.
Au cours des décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale on a mis en route et développé dans toute l’oikumenè chrétienne un processus de révision des rapports des Eglises avec le judaïsme.
Dans un premier temps la réflexion sur la Shoa (1)a amené à reconnaître et à confesser la co-responsabilité des chrétiens dans la persécution et l’extermination des juifs effectués par les nazis, que ce soit sous forme de participation directe ou d’acceptation - cela même s’il y a eu des chrétiens pour chercher le dialogue et agir en faveur des juifs persécutés. Ensuite, on a pris conscience du poids que le préjugé anti-juif a fait peser, à travers les siècles et jusqu'à la Shoa, sur la théologie, sur la prédication, sur la catéchèse et sur la praxis des Eglises chrétiennes.
Les fautes des Eglises durant la Shoa sont apparues comme liées à cet « enseignement du mépris » séculaire, dans lequel on peut identifier une des causes principales de l’antisémitisme moderne. La réflexion sur la Shoa a ainsi suscité un processus de dénonciation et de dépassement des traits antijuifs non seulement dans la praxis mais aussi dans la théologie et l’enseignement chrétiens.


52. On a aussi redécouvert ce qui pendant des siècles a été une dimension « perdue » sinon niée : le lien profond qui unit christianisme et judaïsme, pas seulement au plan historique. En réfléchissant davantage au rapport qui existe entre les deux parties du canon chrétien, à la judéité de Jésus et à la vision paulinienne de Romains 9-11, on est venu à repenser de manière nouvelle le rapport entre les Eglises et le judaïsme, en allant jusqu'à se rallier à une valorisation de l’Ancien Testament qui a caractérisé le protestantisme de la Réforme.
Pendant des siècles le christianisme a défini et étiqueté le judaïsme en le regardant d’un point de vue polémique. Le judaïsme était ainsi une réalité souvent méconnue, généralement inconnue. Aujourd’hui les Eglises voient ce qui est exigé d’elles : apprendre à connaître et à reconnaître Israël à partir de la connaissance que les juifs ont d’eux-mêmes, sous tous les aspects et par les termes avec lesquels les juifs eux-mêmes se définissent (par exemple Dieu, peuple, terre) cela dans toute la complexité des formules, laquelle se manifeste déjà dans les sens multiples que peut avoir le mot Israël (le peuple élu au sens théologique ; l’Etat juif au sens politique ; le peuple qui, au plan religieux, s’exprime par les différents courants et les communautés qui le caractérisent aujourd’hui en Israël et dans la diaspora etc.). Aux définitions stéréotypées et caricaturales (à commencer par l’interprétation schématique et idéologique des pages critiques ou polémiques du Nouveau Testament), on en est venu à substituer l’intérêt pour la connaissance du judaïsme et pour le dialogue avec les juifs et leur tradition.
On a pris conscience du fait qu’à la lumière du témoignage biblique, les relations entre l’Eglise et Israël se placent sur un plan différent de celles qui existent avec les autres religions.


53. Vers une nouvelle compréhension d’Israël.
Le chemin entrepris avec la réflexion qui a suivi la Shoa est seulement à ses débuts. On a pris un vrai tournant qui est destiné à influencer profondément la praxis et la théologie. Si les positions à l’égard desquelles il faut prendre résolument ses distances sont suffisamment claires, les formules par lesquelles exprimer d’une façon nouvelle le rapport entre l’Eglise et Israël sont encore des tentatives.
Dans leur réflexion, les Eglises ne procèdent pas isolément, mais chacune d’elles peut se prévaloir de la contribution des autres. Nous pensons en particulier aux nombreux documents des Eglise soeurs(2) et à la réflexion qui se fait à l’intérieur du Conseil oecuménique des Eglises. (3)


54. Dans le chemin parcouru jusqu’ici par l’oikumenè, en particulier protestante, sont à signaler surtout les différentes affirmations suivantes, par lesquelles s’exprime la vision protestante d’aujourd’hui sur les rapports entre l’Eglise et Israël, comme elle apparaît dans les documents cités.
a) Le Dieu de Jésus est le Dieu d’Israël, d’Abraham à aujourd’hui juifs et chrétiens parlent du même et unique Dieu. Opposer « le Dieu d’Israël » (celui de l’Ancien Testament ou « juge ») au « Dieu de Jésus » (celui du Nouveau Testament ou « miséricordieux ») est sans fondement biblique.
b) Les juifs à travers la tradition rabbinique (en particulier le Talmud), les chrétiens à travers le Nouveau Testament, enracinent leur foi et leur action propres dans les Ecritures d’Israël, l’Ancien Testament du canon chrétien. La confrontation des différentes lectures au cours des siècles, quand elle n’est pas faite dans un esprit polémique, est spirituellement féconde, car elle peut approfondir la compréhension que nous avons de nos Ecritures communes.
c) Il faut rejeter l’idée que l’élection de l’Eglise a annulé l’élection d’Israël. L’Eglise, élue en Jésus Christ, a été insérée dans l’alliance de Dieu avec son peuple. On ne peut donc pas dire que l’Eglise a supplanté Israël comme peuple de Dieu.
d) A la vision selon laquelle Israël aurait été rejeté par Dieu, on oppose la reconnaissance du fait qu’Israël continue à vivre de l’alliance (promesse et vocation) établie par Dieu avec les pères et jamais révoquée. La durable existence du peuple d’Israël apparaît dans cette perspective comme un signe de la fidélité de Dieu à ses promesses.
e) L’Eglise, en confessant Jésus Christ comme Messie d’Israël et Sauveur du monde, reconnaît en lui celui qui unit les peuples du monde avec le peuple de Dieu. La foi en Jésus comme sauveur des nations, comprise au sens biblique, ne nous sépare pas d’Israël et ne nous oppose pas à lui ; c’est pourquoi aucune hostilité contre le peuple juif ne peut être motivée par le nom de Jésus.
f) L’Eglise et le peuple d’Israël sont appelés, chacun selon sa vocation propre, à croire dans le Dieu unique, à le servir et à en rendre témoignage dans le monde. En accueillant leurs vocations respectives, une fois dépassée de la part des chrétiens la tendance à polémiquer quand ce n’est pas à dénigrer, l’Eglise et Israël peuvent découvrir le dialogue, la prière solidaire, la confrontation fraternelle. Dans l’oikumenè évangélique, est un objet de discussion la manière dont on peut se représenter le témoignage dans le face à face avec Israël, entre le dialogue et la solidarité et l’annonce. En tout état de cause, tous sont d’accord sur le fait que la relation entre l’Eglise et le judaïsme est une réalité tout à fait particulière, différente du rapport qui existe avec les religions et les cultures.
g) L’Eglise reconnaît avoir en commun avec Israël l’attente du Règne de Dieu et l’espérance qui fonde et qualifie l’engagement pour la justice et la paix des chrétiens et des juifs.


55. Questions ouvertes.
Il faut développer dans deux directions le processus de reprise de la réflexion et le dialogue.
D’un côté, les Eglises ont pour tâche de diffuser au niveau interne et d’enraciner à tous les niveaux (théologique, catéchèse, prédication) les acquisitions qui sont le fruit d’un dialogue désormais de plusieurs décennies. La critique faite contre l’antijudaïsme du passé et la recherche d’une nouvelle relation avec Israël ne peuvent rester circonscrites au sein d’une petite élite mais doivent pénétrer la conscience chrétienne commune.
D’un autre côté, il faut approfondir beaucoup de questions théologiques. Il ne suffit pas de s’arrêter à la dénonciation de positions désormais indéfendables, il faut arriver à des formulations positives convaincantes.
A titre d’exemple, on peut mentionner les points suivants, qui sont affrontés à des positions diverses à l’intérieur même du monde évangélique :
a) Comment se représenter le rapport entre « l’alliance non révoquée » avec Israël et l’alliance dans le Christ ?
b) Quels sont la valeur, la signification et le rôle de la « Loi » pour les juifs et pour les chrétiens ?
c) Quelle est aujourd’hui la lecture « chrétienne » des Ecritures que l’Eglise et Israël ont en commun ? Comment s’articulent en elle l’attention à la spécificité de l’Ancien Testament et la confession que l’œuvre du Christ est « selon les Ecritures » ?
d) Quel est le sens des promesses bibliques faites à Israël, en particulier celle de la terre, et quel est le rapport avec le retour des juifs dans leur terre et l’établissement de l’Etat d’Israël ?
e) Quel est le rapport entre la confession de la foi trinitaire, foi dans le Dieu unique, Père, Fils et Esprit Saint, et le monothéisme juif ?
f) Quel est le rapport entre la conception juive et la conception chrétienne de la condition humaine du salut ? La foi et les oeuvres, la liberté humaine et l’initiative de Dieu, la grâce et le mérite, le péché et le libre arbitre sont quelques-uns des points autour desquels s’est effectuée traditionnellement la confrontation entre les positions respectives.
g) Comment envisager la christologie dans une perspective de dialogue avec Israël et sans atténuer notre confession de foi en Jésus comme Sauveur de tous ?


56. Dans la situation particulière italienne qui est la nôtre, il y a lieu de revisiter les histoires parallèles des minorités juive et évangélique, caractérisées par des sensibilités assez voisines, des épisodes de dialogue, la solidarité et l’engagement commun en faveur de la liberté, in primis religieuse. Dans ce passé se trouvent des racines importantes pour le dialogue aujourd’hui.


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* Publié dans L’ecumenismo e il dialogo interreligioso. Turin, éd. Claudiana, 1998. [Traduit de l’italien par B. Brumelot]
1. Nous employons pour désigner l’extermination de six millions de juifs par les nazis le terme hébreu « Shoa » (catastrophe) préférable à celui, assez répandu, de « holocauste » qui exprime l’idée d’un anéantissement total (ce qui était exactement le but des nazis) mais qui risque d’introduire une dimension sacrificielle » qui n’a pas sa place ici.
2. Par exemple, les documents de l’Eglise réformée hollandaise de 1970 sur « Israël : peuple, terre et état » ou celui de l’Eglise évangélique de Rhénanie de 1980 [cf. Sidic XIV/1 (1981)], ou celui de la 199ème assemblée des Eglises presbytériennes des USA en 1987
3. Par exemple, le rapport « l’Eglise et le peuple juif » présenté par Foi et Constitution en 1967 et les « Considérations oeucuméniques sur le dialogue judéo-chrétien » du Comité exécutif, 1982 [cf. Sidic XV/3 (1982)].

 

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