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Revue SIDIC VIII - 1975/3
1965-1975 Dix ans de dialogue judéo-chrétien (Pag. 39 - 41)

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Points d'esthétique biblique
Bernard Hercenberg

 

L'onde, intelligence du monde.

NOTES PRÉLIMINAIRES


— Les lectures que nous proposons dans ce texte sont dans l'esprit de celle que nous faisons du mot « beauté » en hébreu, yafé, qui donne la signification de la conception esthétique de la Bible: ce mot contient à la fois ceux de « bouche » et d'« ici, là » dont les racines peh et poh sont identiques (puisque les voyelles n'interviennent pas dans les racines bibliques). La « beauté • dépend donc, au sens biblique de la relation entre le langage et le lieu, relation qui met l'homme dans un état de créativité qu'indique la dernière lettre du mot, le hé qui désigne la matrice féminine et qui est la lettre de l'engendrement.

— D.: A l'impossibilité de représenter une réalité trop puissante et totale correspond au niveau de l'écriture, l'impossibilité d'inscrire, en un mot, le nom de D., le visage du monde.

« Tous les phénomènes peuvent être interprétés soit en termes de corpuscules, soit en termes d'ondes. Par conséquent, il ne faut considérer la description ondulatoire et la description corpusculaire que comme des façons complémentaires d'envisager un même phénomène objectif ».
Max Born, fondateur de la mécanique quantique.

Alors que les cieux n'étaient pas encore ordonnés, l'intelligence présidait déjà à la création du monde. Trois versets de la Bible précisent les marques de sa transcendante manifestation, depuis son invisible présence jusqu'au visible le plus puissant et palpable. Ces versets proposent à la réflexion une vision unitaire et dynamique des perceptions rythmiques, sonores et visuelles.

« Dans sa préparation des cieux, il (D.) m'a (la sagesse qui se manifeste dans l'intelligence) (1) placée dans sa loi (en traçant) un cercle à la surface de l'abîme » (2). Dans cette approche de l'intelligence à son origine, alors invisible et permanente, surgit déjà la silhouette circulaire de la terre où se confronteront le permanent et le cyclique. « II a tracé dans sa loi un cercle à la surface des eaux jusqu'à la limite de la lumière avec l'obscurité » (3) Le rythme qui partage le temps en jours et nuits, inscrit le signe de la permanence, le cercle, invisible à l'oeil dans la perception du réel, mais compréhensible à l'intelligence de l'homme. « Je donne le soleil pour illuminer le jour et inscris dans les lois la lune et les étoiles pour illuminer la nuit, j'agite la mer et fais bruire ses vagues » (4). Au partage en jours et nuits d'un temps alors cyclique, se juxtapose le témoignage permanent de l'intelligence manifestée à la surface des eaux. De la conception imagée de l'intelligence céleste à sa manifestation dans le visuel, ce cheminement situe à l'échelle cosmologique deux apparences de l'intelligence qui préside au fonctionnement de l'univers: le temps, cyclique et permanent. Le mouvement à la surface des mers, offre par son impact visuel auquel se réfere le mot gal, un point de réflexion particulièrement important. Dans ces versets ce mot est placé dans une trilogie dont les deux autres éléments sont l'intelligence

globale, la sagesse et la forme circulaire qu'elle affecte. L'onde nous est présentée comme l'apparence fondamentale et partielle de l'animation du monde. Elle est un modèle du vrai comme le précise ce verset: « Si tu observais les lois (... ta justice serait comme les vagues de la mer » (5).

Trois mots sur lesquels le dernier verset s'appesantit retiennent notre attention: « J'agite (rogah) la mer et fais bruire ses vagues (galav)» (6). Agiter n'est qu'une des significations auxquelles peuvent se référer les trois lettres de la racine ragah, les deux autres signifiant « contracter • et « moment, instant ». Le mot ragah permet donc de désigner trois concepts décrivant l'animation de l'eau qui provoque la vague dont le corps se contracte et se décontracte en des périodes de temps régulières produisant un son. L'onde qui les anime témoigne dans le visible et l'auditif de l'intelligence du monde qu'elle transcende, du macrocosme au microcosme, comme l'indiquent les lettres qui la composent: gal, guimel et lamed, g et I, aux valeurs numériques 3 et 30 (7). Le mot « cercle • hagal, construit sur celui d'onde, permet de situer cet élément et l'homme à qui il parvient à l'échelle cosmologique. Vues dans leur totalité les ondes produites à la surface d'un lac par une pierre jetée dessinent des cercles. Telle serait l'apparence générale des vagues à la surface des océans si l'origine de l'agitation était identique. A la surface des cieux ou de la terre la forme globale de l'intelligence est identique: un cercle, tel celui séparant le jour et la nuit à la surface de la terre. Mais le cercle dans sa totalité n'apparaît pas à l'homme dans sa perception du réel; il y préside, la dirige. Des trois formes fondamentales, cercle, carré, triangle, l'onde du son pur, sinusoïdale, est construite sur la première. Comme si la vision de l'intelligence dans son ensemble et le nombre total des possibilités de combinaisons des trois ondes fondamentales en sept manières différentes émanait d'une même origine, dont elles devaient sur terre tenter de montrer l'apparence, ce sont le chiffre sept et le mot onde qui construisent ensemble le nom du cercle hagal. La première lettre a pour valeur numérique 70. Elle symbolise le temps et a la forme de l'oeil « y » dont elle porte le nom. Le mot hagal signifie que la vision globale, de type sphérique, ne peut se faire sans le temps, celui par exemple de rotation sur soi-même pour couvrir un champ de vision de 360°. La vision partielle qui est la nôtre se porte sur l'onde faite vague, c'est-à-dire sur la droite que l'oeil sphérique de l'homme tente de replacer dans la vision universelle. L'oeil, organe de perception et le temps donnés à l'homme, doivent lui permettre de se situer dans le cosmos. A la limite, toute forme sonore ou visuelle est une manifestation de l'intelligence du monde. C'est pourquoi le mot gal apparaît dans plusieurs termes bibliques désignant des perceptions sonores ou visuelles comme élément constitutif fondamental désignant un phénomène naturel.

Galoh désigne la vision élémentaire et profonde des choses, celles de la nudité qui ne doit pas être découverte (loh tigaleh) (8), celle que D. impose à Bileham en lui ouvrant les yeux (vayegal eyné) (9), alors qu'il n'aperçoit pas l'ange qui barre le chemin à son ânesse. L'onde anime les vages mugissantes de la mer aussi bien que les voix des anges et des hommes: les « voix des ailes des anges » (10) apparaissant à Ezéchiel ou celles s'élevant de Babel détruite, sont comparées aux « eaux nombreuses » (11).

La connaissance de l'intelligence divine dans sa totalité, qui permettrait le maniement de l'onde, ne devrait être accessible qu'au sage car la puissance qu'elle contient est trop considérable pour être laissée aux mains de l'homme, Le mot ragah qui désignerait la période de l'onde, apparaît dans des récits où se manifeste un danger de mort, témoignant de la connaissance du rapport permanent qui existe entre l'énergie de l'onde et sa fréquence, nombre de périodes par unité de temps, comme l'exprime la formule de Max Planck (12). « En un instant (régah) je (D.) monterai en ton sein (du peuple d'Israël qui vient de construire le veau d'or) et le dévorerai (13), comme furent dévorés Koré, Dathan et Abiran qui s'étaient révoltés contre Moïse: la terre se perça (vatibakah) et les engloutit (14). C'est dans la connaissance de la sagesse placée par D. dans un cercle à la surface de l'abîme (15), sagesse ou intelligence totale qui constitue le fondement de la terre (16), que repose l'utilisation de la science désignée par ce mot « percer »: « Dans sa connaissance (de la sagesse) les abîmes se percèrent  (17) ainsi que les nuages et « toutes les sources des profonds abîmes » (18) lors du déluge. C'est aussi à la connaissance de l'intelligence de l'onde que Moïse recourt pour fendre la mer, ou plutôt pour séparer ses ondes, à la sortie d'Egypte (19). C'est encore le verbe « percer » qui qualifie l'action de D. qui fendit le rocher de Lechi dans le désert, afin de donner de l'eau à boire au peuple d'Israël (20).

Il est normal de retrouver le danger de l'onde dans le son. Les trompetttes de Jéricho qui ont dû chercher afin de l'amplifier la fréquence de l'onde du mur de la ville qui s'écroula sous les vibrations, sont un exemple de cette science du son dont les Hébreux devaient avoir la maîtrise (21). Après l'onction de Salomon, la terre se fendit (vatibakah) aux voix du peuple qui se réjouissait et jouait de la flûte (verbe halai) (22). On peut tuer par un son de flûte. La double signification du verbe halai rappelle celle du verbe bakah • percer » au sens physique le plus immédiat mais aussi de l'onde qui traverse, par la connaissance de l'intelligence du monde. Comme pour montrer le lien qui les unit, les verbes halai et bakah sont employés à quelques versets d'intervalle pour décrire les exploits de ce guerrier qui se glissa dans un camp ennemi sans être vu, pareil à l'onde, et qui tua trois cents hommes en brandissant sa lance (23). Ce n'est pas la mort par l'épée qui les atteignit mais celle du son, de ce son de flûte qui peut fendre la terre, et dont la racine halai est celle utilisée pour signifier la mort qu'il donna. Ce guerrier qui utilise la puissance du son s'inscrit dans l'intelligence du monde avec laquelle il peut entrer en relation.

A la vague se mêle le son fondamental du monde. C'est souvent l'image que les premiers artisans de la terre, les potiers représentèrent sur leurs vases. Par un besoin inné d'être en relation avec les éléments terrestres qui furent leurs premiers maîtres, ils peignirent ou gravèrent sur leurs objets de terre destinés à recevoir un liquide, l'animation qu'ils y avaient observée, signifiant comme par une étiquette, la nature du contenu. Parfois, précisant davantage leur intention, ils y ajoutaient des poissons et des filets de pêche. Curieux hasard que celui qui fit cette cruche circulaire, imposant par là la silhouette de la terre à l'objet qui de ce fait allait recevoir pour décor le tracé global de l'intelligence du monde auquel il appartient.

Les dessins des vases qui sont reproduits ici * n'entendaient certes pas illustrer un texte biblique. Qui consulterait un texte avant d'avoir aperçu la lune et les étoiles, le soleil et la mer? A-t-on besoin d'apprendre les notes de musique pour savoir siffler?

• Dans les galets, dans les morceaux de verre des bouteilles brisées, polis par le va-et-vient rythmé des vagues, je suis certain de reconnaître la géométrie interne de la nature. Mes première ébauches faites sur place et les peintures sur isorel que j'en tirai à la rentrée, sont entachées d'éléments gestuels, mais la forme ellipsoïdale est déjà présente. Elle va s'emparer lentement mais avec ténacité, de la surface, pour en devenir la raison d'être. Désormais, cette forme ovoïde épurée signifiera dans toutes mes oeuvres de cette période, le sentiment océanique •.
Vasarely, Notes brutes (24)



(1) Le premier verset du même chapitre dit: « la sagesse (hochemah) ne crie-t-elle pas, et l'intelligence (tevounah) ne donne-t-elle pas sa voix mais c'est au mot sagesse du verset 12 que se référa le • m • de m'a. Nous présentons la sagesse comme l'état complet de l'intelligence, dont il est question dans les manifestations partielles évoquées ici, celles de l'onde. Nous nous référons plus loin toujours à ce partiel, à ce qui nous parvient. Dans le terme d'intelligence, nous avons incarné le dynamisme, la vivacité, le lumineux, le rôle communicatif, de mise en relations de l'onde. L'expression « intelligence du monde • et « globalité de l'intelligence • sont voisines et tentent d'approcher la signification du mot sagesse.
(2) Proverbes, VIII, 27.
(3) Job, XXVI, 10.
(4) Jérémie, XXXI, 34.
(5) Isaïe, XLVIII. 18.
(6) • rogah hayam vayehémou galav •. Nous transcrivons par une même lettre, le • h • deux consonnes hébraïques qui en fait n'ont ni la même valeur numérique (cf. note 7), ni la même prononciation: le • h • de rogah est un ayin, lettre à la prononciation gutturale, de valeur 70, et celui de hayam est le hé aspiré de valeur 5. C'est certainement à ce qui est le plus facilement observable à la surface de la mer que fait allusion ce mot. C'est cependant à la houle que se référe la notion d'onde qui est développée ici: la houle est un mouvement vertical de l'eau. La vague qui se déplace horizontalement, emmène avec elle la houle.
(7) Chaque lettre de l'alphabet hébraïque porte une valeur numérique. La première, aleph, vaut un; la troisième est ghimel (g) et la douzième lamed (I).

(8) Genèse, XX, 26.
(10) Nombres, XXII, 31.
(11) Ezechiel, I, 24 • et col canefeyhem •.
Jérémie, LI, 55, • maxim rabim •.
(12) E = H x V; E = énergie; H = constante de Planck; V = fréquence.
(13) Exode, XXXII I, 5, • régah héchad héhéleh bequirbecha •.
(14) Nombres, XVI, 31, 32.
(15) Proverbes, VIII, 27.
(16) Proverbes, III, 19.
(17) Proverbes, III, 20, • bedaheto (hochemah) tehomot nivekehou •.
(18) Genèse, VII, 11, • nivekehou col mahayenot tehom rabah •.
(19) Exode, XIV, 16, • hareh et matecha • • hal hayam ouvekahehou
(20) Juges, XVI, 19, • vayivekah Y. et hamachtech hacher belechi
(21) Josué, VI, 1-20.
(22) I, Rois, I, 40, • vatibakah haharetz bekolam
(23) II, Samuel, )0(111, 8 et 18, • hahetzno hal chemoneh mehot halai bapaham echad
* N.D.L.R. A notre grand regret, nous n'avons pas pu reproduire ces dessins.
(24) 1972, Bibliothèque Médiations, chez Denoêl/Gonthier, pp. 11-12.
Bernard Hercenberg

 

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