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Le mystère du christ et l'identité Chrétienne
Jean Paul II, Pape (Wojtyla, Karol) 1920-2005
Saint-Siège (1997/04/11)
Allocution du pape Jean Paul II aux membres de la Commission Pontificale Biblique. Le vendredi 11 avril 1997 le pape a reçu les membres de la commission en audience avec leur président, S.Em.le Card.Joseph Ratzinger. Au cours de la rencontre, le Saint-Père leur a adressé ce discours:
1. Monsieur le Cardinal, je vous remercie de tout coeur pour les sentiments que vous avez voulu m'exprimer en présentant la Commission pontificale biblique, en ce début de votre mandat. Je salue cordialement les anciens et nouveaux membres de la Commission, présents à cette audience. Je salue les "anciens" avec une vive reconnaissance pour les tâches qu'ils ont déjà accomplies, et les "nouveaux" avec une joie particulière, suscitée par l'espérance. J'éprouve une grande satisfaction, car cette occasion me permet de vous rencontrer tous personnellement, et de répéter à chacun de vous combien j'apprécie la générosité avec laquelle vous mettez votre compétence d'exégètes au service de la Parole de Dieu et du Magistère de l'Eglise.
Le thème que vous avez commencé à étudier au cours de votre session plénière actuelle est d'une très grande importance: il s'agit en effet d'un thème fondamental pour la compréhension correcte du mystère du Christ et de l'identité chrétienne. Je voudrais surtout souligner cette utilité que nous pourrions qualifier d'ad intra. Elle se reflète également inévitablement dans une utilité pour ainsi dire ad extra, car la conscience de la propre identité détermine la nature des relations avec les autres personnes. Dans le cas présent, elle détermine la nature des relations entre chrétiens et juifs.
2. Dès le IIe siècle après Jésus-Christ, l'Eglise s'est trouvée face à la tentation de séparer complètement le Nouveau Testament de l'Ancien, et de les opposer l'un à l'autre, en leur attribuant deux origines différentes. L'Ancien Testament, selon Marcion, était l'oeuvre d'un Dieu indigne de ce nom, car il était vindicatif et sanguinaire, alors que le Nouveau Testament révèle le Dieu réconciliateur et généreux. L'Eglise a repoussé cette erreur avec fermeté, en rappelant à chacun que la tendresse de Dieu se manifeste déjà dans l'Ancien Testament. Cette tentation du marcionisme est à nouveau présente, hélas, à notre époque. Cependant, ce qui peut être le plus fréquemment constaté est l'ignorance des relations profondes qui lient le Nouveau Testament à l'Ancien Testament; une ignorance qui, chez certains, est déjà l'origine de l'impression que les chrétiens n'ont rien en commun avec les juifs.
Des siècles de préjugés et d'opposition réciproque ont creusé un fossé profond, que l'Eglise s'efforce
présent de combler, encouragée dans ce sens par la prise de position du Concile Vatican II. Les nouveaux lectionnaires liturgiques ont réservé une plus grande place aux textes de l'Ancien Testament et le Catéchisme de l'Eglise catholique a eu le souci de puiser constamment dans le trésor des Saintes Ecritures.
En réalité, l'on ne peut pas exprimer pleinement le mystère du Christ sans avoir recours à l'Ancien Testament. L'identité humaine de Jésus se définit à partir de son lien avec le peuple d'Israël, avec la dynastie de David et la descendance d'Abraham. Et il ne s'agit pas seulement d'une appartenance physique. En prenant part aux célébrations dans la synagogue, où étaient lus et commentés les textes de l'Ancien Testament, Jésus prenait également humainement connaissance de ces textes, il en nourrissait son esprit et son coeur, les utilisant ensuite dans la prière et en inspirant son comportement.
Il est ainsi devenu un authentique fils d'Israël, profondément enraciné dans la longue histoire de son peuple. Lorsqu'il a commencé à prêcher et à enseigner, il a abondamment puisé dans le trésor des Ecritures, enrichissant ce trésor de nouvelles inspirations et d'initiatives inattendues. Celles-ci - il faut le remarquer - ne cherchaient pas à abolir l'antique révélation mais, bien au contraire, à la conduire à son plein accomplissement. L'opposition toujours plus forte, à la quelle Jésus a dû faire face jusqu'au Calvaire, a été comprise par lui à la lumière de l'Ancien Testament, qui lui révélait le sort réservé aux prophètes. Il savait aussi, de l'Ancien Testament, qu'à la fin l'amour de Dieu est toujours victorieux.
Priver le Christ de la relation avec l'Ancien Testament signifie donc le couper de ses racines et vider son mystère de tout sens. En effet, pour posséder un sens, l'Incarnation a eu besoin de plonger ses racines dans des siècles de préparation. Dans le cas contraire, le Christ aurait semblé être un météore tombé de façon accidentelle sur la terre et privé de lien avec l'histoire des hommes.
4. Dès ses origines, l'Eglise a bien compris l'enracinement de l'Incarnation dans l'histoire et, en conséquence, a pleinement accueilli l'introduction du Christ dans l'histoire du peuple d'Israël. Elle a considéré les Ecritures juives comme une Parole de Dieu éternellement valable, qui s'adressait à elle-même, ainsi qu'au fils d'Israël. Il est d'une importance primordiale de conserver et de renouveler cette conscience ecclésiale des relations essentielles avec l'Ancien Testament. Je suis certain que vos travaux y contribueront de façon éminente et je m'en réjouis dès à présent, en vous remerciant de tout coeur.
Vous êtes appelés à aider les chrétiens à mieux comprendre leur identité: Une identité qui se définit tout d'abord grâce à la foi dans le Christ, Fils de Dieu. Cependant, cette foi est indissociable de la relation avec l'Ancien Testament, puisqu'il s'agit de la foi dans le Christ "mort pour nos péchés selon les Ecritures" et "ressuscité selon les Ecritures" (1 Co 15,3-4). Le chrétien doit savoir que, par son adhésion au Christ, il est devenu "la descendance d'Abraham" (Ga 3,29) et qu'il a été greffé sur le bon olivier (cf. Rm 11, 17.24), c'est-à-dire introduit dans le peuple d'Israël, pour "bénéficier avec elles (les branches) de la sève de l'olivier" (Rm 11,17). Si telle est sa ferme conviction, le chrétien ne pourra plus accepter que les juifs, en tant que juifs, soient méprisés, voire pire, maltraités.
5. En vous disant cela, je n'entend pas ignorer que le Nouveau Testament conserve les traces de tensions évidentes qui ont existé entre les communautés chrétiennes primitives et certains groupes de juifs non-chrétiens. Dans ses Epîtres, Saint Paul lui-même atteste qu'en tant que juif non-chrétien, il avait été fier de persécuter l'Eglise de Dieu (cf. Ga 1,13; 1 Co 15 9; Ph 3,6).
Ces souvenirs douloureux doivent être effacés dans la charité, selon le précepte du Christ. Le travail d'exégèse doit avoir le souci d'avancer toujours dans cette direction, et de contribuer ainsi à amoindrir les tensions et à dissiper les malentendus.
Précisément à la lumière de tout cela, le travail que vous avez commencé apparaît extrêmement important et mérite d'être conduit avec soin et application. Il comporte assurément des aspects difficiles et des points délicats, mais il est très prometteur, il est riche d'espérance. Je souhaite qu'il soit très fructueux pour la gloire du Seigneur. En formant ce voeu, je vous assure de mon souvenir constant dans la prière et je vous donne de tout coeur, à tous, une Bénédiction apostolique spéciale.
D'après l'Osservatore Romano fr. 6.5.1997