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Revue SIDIC XI - 1978/1
Catéchése chrétienne et judaïsme (Pag. 15 - 20)

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Où va la catéchèse? Le renouveau de la catéchèse s'inspire-t-il de ses sources bibliques et juives?
Marie-Hélène Fournier

 

La catéchèse chrétienne s'est renouvelée. Elle a toujours évolué: N'est-elle pas comme le souligne l'étymologie de sa racine grecque « faire retentir », la proclamation d'une Bonne Nouvelle, qui interroge et transforme la vie des hommes, différemment à chaque époque? Mais les mutations qui affectent surtout les milieux urbains: l'incroyance communément admise, l'étatisation et la sécularisation des institutions, le questionnement radical devenu mode de pensée ont conduit les chrétiens à une autre façon de parler de Dieu à partir de l'expérience qu'en font les hommes et à une autre façon d'envisager la foi, moins comme un ensemble de vérités que comme une manière de vivre en référence au Seigneur. Quel sens cela a-t-il pour nous?

Le but de ces quelques pages sur la catéchèse de l'Eglise de notre temps est de dégager la signification et l'enjeu de l'évolution en cours.

On s'attachera dans une première étape à rappeler comment s'est faite cette évolution: quels sont les principaux facteurs du tournant engagé et les caractéristiques de la pédagogie actuelle.

Mais devant les remises en cause radicales auxquelles elle est affrontée, on se demandera, comme y invite le synode de 1977, quelles sont les conditions d'une authentique catéchèse?

Tiendra-t-elle compte de ses racines bibliques et juives? Ce serait sa chance de contribuer ainsi dans la fidélité à la grâce de ses origines, au réveil de la communauté chrétienne.

I. LE RENOUVEAU DE LA CATÉCHÈSE

Le Synode, rassemblant 200 délégués de l'épiscopat du monde entier, qui s'est tenu à Rome tout le moisd'octobre 1977, a fixé l'attention sur le renouveau de la catéchèse chrétienne. Quel renouveau? Voici 25 ans en effet que la catéchèse change visiblement, et pas seulement dans ses méthodes et dans ses manuels.

Quel renouveau?

Elle a élargi à la fois ses destinataires: on parle de catéchèse continue; son objectif: toute l'éducation chrétienne visant à vivre et célébrer en chrétien; son contenu: l'ensemble du mystère de salut de Dieu culminant en Jésus-Christ, et ses responsables: toute la communauté chrétienne.

Le premier « Message au peuple de Dieu » peut décevoir par son ampleur et l'accumulation d'amendements qui ont estompé sa visée, mais il n'est pas neutre. Il prend résolument le parti du renouveau de la catéchèse et encourage les efforts qui se font dans cette direction, invitant les chrétiens à résoudre leurs problèmes pratiques à l'intérieur du cadre très large qu'il trace.

Le changement opéré ne rend pas la catéchèse, comme on en conclut hâtivement parfois, plus efficace ou plus facile, il ne change pas la qualité des chrétiens formés. « Le résultat de l'ancienne catéchèse n'est pas si mauvais, disait plaisamment un catéchiste, puisque nous sommes là. »

Mais il est irréversible parce que bien des facteurs ont tourné la roue de l'histoire. C'est pourquoi nous nous garderons d'une nostalgie stérile qui voudrait ressusciter telle ou telle époque révolue. Il nous faut vivre à notre époque dans la fidélité à la foi héritée de nos pères et à l'homme nouveau de l'âge planétaire.

L'Eglise avait mis au point au XVIe s., ce fut l'oeuvre de St. Pierre Canisius, une catéchèse « transmission de vérités de foi », soucieuse d'une formulation claire du contenu doctrinal du message chrétien à mémoriser pour y conformer sa vie. Comment en est-elle venue à une catéchèse « bonne nouvelle, au coeur de la vie » qui part effectivement du présent de l'agir humain, lieu où saisir que Dieu parle et fait agir?

Quelques facteurs du renouveau amorcé

La mutation de civilisation qui s'accélère en cette fin du XXe s. est surtout ressentie par les adultes qui ont vécu leur enfance avant la 2e guerre mondiale ou juste après. Ils n'ont qu'à rappeler leurs souvenirs pour dégager les principaux facteurs qui ont contribué à modifier la pédagogie chrétienne:

1° Les contacts entre pays ont ouvert la voie au renouvellement.

Les échanges internationaux institutionnalisés depuis une quarantaine d'années furent l'occasion d'une première prise de conscience. Dès 1954 les méthodes se diversifiaient selon les milieux, les âges et les pays au fur et à mesure de l'abandon du catéchisme par demandes et réponses, où apprendre « les vérités de la foi ».

Au carrefour des instituts internationaux de catéchèse, comme des sessions et colloques organisés en Europe et en Amérique-Latine, on peut saisir la transformation reflétée par quelques documents qui servent de points de repère:
* Paris 1964, Directoire de Pastorale catéchétique; Medellin 1968;
* Catéchisme hollandais 1968;
* Rome 1971, Directoire catéchétique général;
* Rome 1976, Document préparatoire au Synode « La Catéchèse en notre temps ».

2° Le bouleversement culturel provoqué par les suites de deux guerres s'accroît avec les progrès des techniques, l'essor des mass-media, l'éclatement des institutions: et l'école elle-même est remise en question! La dévalorisation du discours au profit de l'action, la mutation de la morale qui s'adapte aux situations, affectent également les communautés chrétiennes obligées de reconsidérer leurs points d'appui. Elles sont en recherche de nouveaux lieux catéchétiques et de nouvelles expressions de la foi.

C'est ainsi qu'une « proposition de la foi » succède à l'enseignement magistral. L'instruction religieuse à l'école devient l'objet d'une option, d'autant plus qu'elle est exclue des programmes de bien des Lycées d'Etat. Elle est vécue autrement, dans des temps forts (week-end et camps-retraites) organisés par les jeunes des aumôneries et même l'école catholique tente parfois cette sortie de la catéchèse des cadres de l'institution.

Un univers centré sur l'homme

Depuis qu'il considère le cosmos en conquérant, l'homme a davantage conscience de ses possibilités et il désacralise ce qu'il adorait. Terah, père d'Abram, rendait un culte aux astres, et le cosmonaute marche sur la lune... Le pôle de la vie est déplacé. « Pour l'homme, l'homme est sa raison dernière » proclame Marx et c'est en lui-même qu'il cherche la signification de son existence. L'émancipation de la femme l'associe de plus en plus à cette prise de conscience d'une autonomie libérante.

La catéchèse aussi retrouve un regard pénétrant sur la créature, image de Dieu. Le progrès des sciences humaines a affiné la connaissance des conditions de développement de la personne et des lois de la communication. C'est ce qui a provoqué le renouvellement de la pédagogie.
L'éducation chrétienne vise la formation globale de la connaissance, de l'affectivité et de l'agir, tout au long de l'existence et n'hésite pas à reconnaître la vie de l'homme comme lieu de la Révélation continuée.

L'entrée massive des laïcs, parents et éducateurs dans les rangs des catéchètes, formés jusque là le plus souvent de prêtres, de religieux et de religieuses, a contribué à présenter la foi comme le témoignage d'une « manière de vivre » le message évangélique aujourd'hui, face aux interpellations quotidiennes.

Cette responsabilité partagée incite les parents chargés de la catéchèse à demander un recyclage et c'est une des chances de la théologie pastorale que d'être ainsi forcée à acclimater son langage et à s'inculturer.

Tels sont les principaux éléments qui poussent actuellement à une nouvelle évaluation de l'objectif de la catéchèse et provoquent une révision des méthodes.

Il ne s'agit pourtant pas seulement de causes extérieures. Invitant l'Eglise à un retour aux sources, le Concile de Vatican II prend lui-même un langage pastoral qui prend appui sur la vie des hommes et c'est à partir d'une expérience sociale et d'un agir chrétien que le théologien apprend à relire la présence active de Dieu dans le monde. La Révélation se continue et la catéchèse n'a pas d'autre but que de permettre aux générations qui montent d'être à leur tour le lieu où Il se manifeste.

Les étapes d'une évolution de vingt années

Examinant l'évolution suivie par la catéchèse à travers les chocs de l'histoire des vingt dernières années, nous éprouvons qu'il s'agit d'un changement de regard. Mais il est d'importance car il implique une théologie différente.

1° La catéchèse, en effet, a longtemps pris son point de départ « ailleurs » (de la Parole venue d'en haut) pour éclairer l'ici: la vie des hommes, la voici centrée sur « ici » pour y découvrir l'appel mobilisant de Celui qui continue à se révéler « là où deux ou trois sont réunis en son Nom ». Pour découvrir Dieu elle n'a plus deux lieux à confronter mais un seul: la vie au coeur de laquelle jaillit l'interpellation qui transforme et met en route.

2° Réservée autrefois à des prêtres et des religieux dans une relation maître-élèves, elle est de plus en plus une tâche où des laïcs, et aux trois quarts des femmes, des mères, des jeunes, apportent leur élan et leur savoir-faire chrétien et ils ne sont plus en face, mais « à l'intérieur » en cheminement avec les jeunes.

3° Ses moyens se sont multipliés: documents, images, films, disques, bandes ou videocassettes permettent aux participants d'évaluer sur le champ ce qui vient d'être vécu, remplaçant le catéchisme unique, né du concile de Trente, qui a structuré la foi de beaucoup d'entre nous.

Certes, ses formules visaient une orthodoxie et une séparation des hérésies. Il a fait oeuvre utile en son temps. Mais la situation a changé: il semble aujourd'hui plus important de faire rencontrer Dieu dans un monde où la foi ne va plus de soi.

On peut caractériser les étapes franchies depuis 20 ans par le relief donné à l'un ou l'autre élément important:

1° L'instruction religieuse structure une connaissance de foi à travers une pédagogie de type magistral: « la présentation de la doctrine chrétienne à tout homme, dans toutes les situations, à tous les âges » (F. Coudreau 1955). Il semble que les cours scolaires soient adaptés à ce type de rencontre avec la culture religieuse.

2° L'annonce de la Bonne Nouvelle (Kerygme) du salut de Dieu touche l'homme dans sa totalité et la liturgie est le lieu privilégié du dialogue où elle retentit et où jaillit la réponse dans une célébration: « La catéchèse est la fonction pastorale qui transmet la Parole de Dieu pour éveiller et nourrir la foi » (Directoire de pastorale catéchétique 1964, Paris).

3° C'est en 1968 à Medellin que J. Audinet caractérise déjà la catéchèse comme « l'action par laquelle ungroupe humain interprète sa situation, la vit et l'exprime à la lumière de l'Evangile. »

En 1974 le théologien I. Berten peut définir ainsi la catéchèse « cet événement grâce auquel une ou des personnes, enfants, adolescents ou adultes, arrivent à dire eux-mêmes, dans leur propre langage, le sens de l'expérience de leur vie, en relation et en solidarité avec d'autres croyants, en discernant dans cette expérience le Dieu de Jésus Christ » (cours Lumen Vitae).

Dans la même ligne, l'équipe internationale de catéchèse des frères des écoles chrétiennes parlera de « mouvement de réflexion critique et de transformation des réalités vécues en référence au Seigneur » (1975). Partant de l'action, son but est de conduire à une action: un engagement ou un changement évangélique.

Le rôle du catéchète aujourd'hui, nous y reviendrons, est donc moins de discourir ou de faire mémoriser que d'accompagner cette démarche en prenant le temps de partager la vie, le projet et l'action des autres. C'est la vie du groupe, comprise et vécue d'une manière neuve, son projet cherchant à refaire avec Dieu le monde, dans la ligne prophétique, qui devient le contenu de la catéchèse. Et celle-ci ne peut plus se limiter à l'enfance car elle concerne toute la vie et toutes les situations de l'homme.

L'on voit naître en Amérique-Latine une catéchèse axée sur la prise de parole et la libération intégrale de tous et en Afrique noire où l'animisme implique déjà la foi en Dieu, une découverte du messianisme chrétien qui doit encore s'inculturer.

On retrouve dans ces insistances les trois dimensions que vont reprendre les membres du dernier Synode pour les unir de façon indissociable dans la démarche catéchétique: l'annonce (Parole), la célébration (mémoire) et l'engagement de vie (témoignage).

II. RECONNAISSANCE DES RACINES BIBLIQUES ET JUIVES DE LA FOI CHRÉTIENNE

Si nous tentons dans cette deuxième partie de poser comme critère d'authenticité de la catéchèse la reconnaissance des racines bibliques et juives de notre foi, c'est que l'absence de cette dimension fondamentale appauvrit dangereusement l'éducation chrétienne dans sa pratique actuelle et risque de faire dévier la réforme amorcée.

Malgré le rappel de documents officiels trop peu commentés encore: ceux qui développent le message de Nostra Aetate 4-5, la réflexion chrétienne va trop rarement aux sources de sa foi qui est judéo-chrétienne, pour y enraciner solidement son message et sa pédagogie: la pédagogie contenant elle-même, dans sa démarche, l'essentiel du message.

1° Nous n'en voulons pour preuve que le peu de place donnée aux Ecritures, dans les programmes des classes primaires belges en particulier.

2° On citera abondamment Jésus et les Evangiles mais presque jamais l'Ancien Testament et les Epîtres. Or, c'est du contact prolongé avec la façon biblique de rencontrer Dieu dans la vie que la foi a besoin pour grandir, et c'est l'apport irremplaçable du Premier Testament renforcé par le fait que le Nouveau se situe en continuité quand il cite les Ecritures. Devant la variété d'emplois de la Bible pas toujours cohérents, l'équipe européenne de catéchèse « Enfance » (10 pays), dans laquelle nous travaillons, se préoccupe depuis 1976 de préparer un document « Bible et Catéchèse » pour rappeler les lignes essentielles d'une pédagogie de la foi inspirée de la Bible.

3° D'autre part, les enquêtes successives de Paul Demann et de François Houtart (Louvain 1972) sur la présentation du judaïsme et des juifs dans les manuels de catéchèse ont lancé un cri d'alarme. Une nouvelle analyse des cent derniers ouvrages recommandés par les libraires catholiques de France avec l'accord du Centre National d'Enseignement Religieux (Toulouse 1977) montrera bientôt qu'il reste encore beaucoup à faire pour remplacer les à priori négatifs par un autre regard. Le chanoine Houtart et son équipe, comme le professeur L. Dequeker, en Belgique, ont tous deux contribué à fournir les éléments d'un réajustement nécessaire:

Le premier dénonce dans quelques pages incisives les à priori théologiques qui sont causes des déformations de l'enseignement chrétien: théorie de la substitution, apologétique forçant l'opposition, interprétation négative de la place d'Israël dans l'Histoire du Salut.

Le second, après avoir cité les 18 thèses de la commission belge, rectifiant les principales erreurs recensées donne, sous le titre « La Nouvelle Alliance et le problème de Jésus », des éclaircissements précieux sur quelques points-clés: commandement nouveau, Jésus et la Loi, St Paul et la Loi, Messianisme juif et Christ Jésus, Mission d'Israël et de l'Eglise, Lien d'Israël à la Terre, Nouvelle et Ancienne Alliance, la foi commune. Il y souligne la continuité des deux traditions, dont nous nous obstinons à cerner uniquement les points de rupture, accentués par la confrontation historique.

La redécouverte fondamentale en éducation, que « le medium c'est le message » (Mac Luhan) nous reconduit à envisager la pédagogie de la foi, le style de relation, l'environnement même, en famille et en groupe, comme exemplaire d'une manière de vivre chrétienneporteuse d'une invitation à la foi plus interpellante que des énoncés. C'est pourquoi nous insisterons sur « la démarche » et nous nous contenterons ici, pour montrer l'apport positif d'une pratique de la catéchèse réenracinée et renouvelée aux sources bibliques et à ses origines juives, de proposer quelques pistes de réflexion et quelques exemples.

Une catéchèse inspirée de la Bible

Il ne s'agit pas, comme trop souvent encore, d'une catéchèse avec la Bible comme illustration ou sur la Bible comme histoire du passé mais d'une mise en mouvement inspirée de la Bible.
C'est en groupe de catéchèse qu'on peut faire l'apprentissage de cette « démarche biblique » — comme Jésus procéda avec ses disciples, dans la ligne des prophètes.

La démarche biblique:

C'est l'entrée dans la marche d'une histoire commencée avant nous et qui continue dans des groupes de croyants, telle que Jésus l'enseigne aux disciples d'Emmaüs. Histoire « particulière » car chacun la vit à sa façon pour s'y découvrir partenaire de Dieu, et histoire « universelle » parce que Dieu la construit pour l'humanité entière, hier, aujourd'hui et demain.

La foi jaillit de cette découverte de la Présence active, aimante et bousculante de quelqu'un qui désinstalle, se nomme à qui l'accueille et se fait reconnaître, de générations en générations.
Les trois étapes de cette lecture et re-lecture de la vie sont celles que nous pouvons trouver dans chaque épisode biblique de l'un et l'autre Testament:

Les événements vécus: apprendre à y écouter le CRI de ce qui naît ou souffre, en s'y impliquant comme nos pères dans la foi.

La réflexion en groupe, avec des croyants, qui fait surgir le sens et ouvrir l'avenir.
L'action qui répond à l'interpellation perçue et engage la vie aujourd'hui avec le libérateur qui fait advenir ce qu'il promet.

Une dynamique s'y découvre, celle d'une espérance qui relie promesse et réalisations provisoires dans un perpétuel dépassement, un cheminement avec Dieu, une « errance » comme l'appelle J.P. Bagot soulignant le risque de la foi.

La Bible est un creuset où se forgent l'homme et la femme qui réapprennent à vivre et à marcher, c'est le lieu où se forme une conscience...

Deux pédagogies exemplaires:

Jean Radermakers décrit à travers les démarches retracées par les synoptiques comment la Parole de Jésus fait vivre à ses interlocuteurs cette catéchèse inspirée de la Bible. Il faudrait approfondir la richesse des deux pédagogies différentes qui apparaissent à l'égard des disciples venus du judaïsme et des sympathisants venus du paganisme. Elles sont très éclairantes pour choisir une démarche d'après le type de chrétiens qu'on accompagne.

Les « croyants » entrés dans l'Alliance savent que la vie a un sens et la Bible est pour eux comme une mémoire où relire l'aujourd'hui. C'est ce qui se passe dans la liturgie dominicale, comme dans l'office du shabbat.

Les païens, c'est-à-dire la part en nous qui méconnaît Dieu parce qu'elle est sécularisée, seront placés devant les transformations opérées aujourd'hui pour s'interroger sur l'action de Celui qui renouvelle ainsi la vie des hommes. Tout l'Ancien Testament d'ailleurs nous fournit l'exemple d'une diversité d'approches: la Torah, les Prophètes et les Ecrits sont trois façons de vivre et d'exprimer sa foi, trois pédagogies pour des milieux culturels différents.

Cette catéchèse, inspirée de la Bible, exige de ses animateurs d'être eux-mêmes entrés dans ce cheminement de foi — ne serait-ce qu'en participant à un groupe biblique qui échange sur ce qu'il vit. — Leur témoignage, celui des tâtonnements de leur errance, comme de leur départ à l'aventure, au fil du quotidien, est celui qu'attend la jeune génération que déçoit un conservatisme immobile et l'anonymat d'un langage religieux où ne vibre pas une expérience vitale.

La dimension oecuménique et les valeurs juives

Une catéchèse recentrée sur la Bonne Nouvelle « dans sa globalité et son entier déploiement », comme la souhaitait Mgr. Orchampt au dernier Synode, permet de retrouver une dimension authentiquement oecuménique.

C'est en effet dans un retour commun aux sources de la foi et à l'approfondissement de la Parole de Dieu que les chrétiens des diverses communautés séparées se rencontrent sur l'essentiel. Nous sommes témoins de l'attrait exercé par des hauts lieux comme Taizé ou Chevetogne où l'on peut abolir les frontières pour vivre ensemble les valeurs de prière, de gratuité, d'engagement au service de frères et soeurs plus démunis.

L'expérience d'une catéchèse commune est souvent positive, comme au Lycée Européen de Bruxelles ou en Suisse. C'est alternativement le pasteur et le prêtre qui animent le même groupe d'étudiants pour une explication biblique ou une lecture de la vie.

Mais c'est dans la rencontre stimulante avec des juifs fidèles témoins de leur tradition que les chrétiens peuvent aussi redécouvrir des dimensions qu'une crispation antijudaïque a estompées depuis des siècles: les rites familiaux, la place du questionnement de l'enfant et dudialogue religieux avec le père qui transmet ainsi le récit de la libération pascale, les échanges du shabbat autour de la Torah, les bénédictions qui rythment la vie quotidienne, avec leur formule facile à mémoriser et leur finale adaptée au moment: « Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi de l'univers, toi qui... », le climat de fête joyeuse à la maison à chaque étape liturgique rappelée par des objets symboliques.

Les femmes, nombreuses à renouveler dans leur foyer la formation chrétienne familiale, sont inventives quand elles peuvent ainsi renouer avec une tradition éprouvée pour réinstaurer le dialogue sur Dieu dans la vie quotidienne.

La communication orale et la pédagogie juive

Les peuples orientaux — et la Bible est née dans le croissant fertile — ont une façon vivante de mémoriser et de transmettre leurs traditions en « racontant une histoire », comme continue à le faire le père de famille durant le Seder Pascal. L'utilisation du mashal ou parabole est connue parce que l'Evangile nous l'a rendue familière. Celle du midrash ou commentaire symbolique permet aussi de traduire l'expérience religieuse et d'échanger autrement qu'au plan des idées. Elle consiste à demander quand ce n'est pas clair « à quoi la chose est-elle semblable »? Ce qui permet à l'enfant de s'exprimer par un dessin et à l'adolescent de faire un exercice midrashique. La transposition dans le langage quotidien, dans le registre d'images qui est familier est aidante pour entrer dans la démarche biblique et traduire l'expérience de la présence du Dieu vivant. Par exemple, ce que Jérémie évoque en disant « la Parole de YHVH me fut adressée » — peut aussi être traduit en groupe par des diapositives symboliques que les jeunes commenteront.

C'est par le retour au langage des symboles, à partir des réalités bibliques: pain, vin, semence, terre, sel ou lumière qui l'on peut rendre les jeunes attentifs à « l'autre dimension » qu'on ne peut évoquer qu'à travers le créé.

Fondamentalement l'univers et l'homme sont à l'image de Dieu, en communication avec Lui. Par cette ressemblance, l'esprit humain peut saisir l'appel de l'Esprit de Dieu. Et Jésus, comme les prophètes juifs, parle de la création nouvelle à partir de ces réalités sensibles.

Enfin, pour apprivoiser le corps et la mémoire du coeur les catéchistes utilisent encore comme les juifs, et Jésus n'y manque pas, le rythme et le geste pour faire entrer dans les structures de l'univers transformé. Dans cette ligne les livres du père Jousse et le groupe de l'abbé Moreau essaient de retrouver une mémorisation gestuée qui corresponde au rythme de la respiration et du coeur (rythmomélodie et rythmocatéchèse) et renouer avec la tradition juive. Comme les techniques du yoga ou du zen, cette pédagogie aide à unifier l'être dans son centre profond et éduque l'attitude clé du « faire mémoire ».

* * *

Ces quelques exemples ont pour but de mettre en route la créativité des catéchistes. Ils ont d'abord comme on l'a vu à recentrer le message chrétien sur l'essentiel: cette Bonne Nouvelle de la Tendresse de Dieu qui accompagne l'homme dans son errance, comme elle a mené Israël dans son Exode et Jésus dans son passage par la mort pour accomplir la libération universelle.

Il s'agit aussi de renouveler leur témoignage et sa communication à travers une relation respectueuse du cheminement des jeunes qui aide leur « prise de parole » personnelle. N'avons-nous pas le souci de leur permettre de s'ouvrir à la Parole de Dieu avec tout leur être etd'y répondre par l'expression libre de l'acte de foi ou de l'action inspirée par la foi?

Il faudra encore un travail de longue haleine pour débarrasser tout à fait la catéchèse de l'antijudaïsme qui mutile le message de Jésus Christ et pour mettre fin au contre-témoignage de ce qu'il faut bien appeler avec Jules Isaac « l'enseignement du mépris ».

Le renouveau de la catéchèse, encouragé unanimement par le Synode de 1977, peut aboutir à un réveil plein d'espérance si la communauté chrétienne tout entière témoigne d'une foi qui est manière de vivre et de dialoguer avec Dieu dans l'écoute de sa Parole, aujourd'hui comme hier.

Par une pédagogie qui s'adresse à tout l'être et mobilise sa créativité, elle renoue ainsi avec une tradition qui demeure vivante dans le judaïsme.


Marie-Hélène Fournier, Soeur de Sion, est membre de la Commission nationale belge pour les relations entre chrétiens et juifs et coordinatrice de la catéchèse dans le diocèse de Bruxelles-Malines. Elle est aussi responsable du Centre de documentation Rencontre juifs-chrétiens-musulmans dont le siège est à Bruxelles. Avant d'assumer les fonctions qu'elle exerce aujourd'hui en Belgique, M.H. Fournier, de nationalité française, a enseigné pendant dix ans la catéchèse à l'Institut Pastoral Catéchétique de Strasbourg.

 

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