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Documents sur les Rélations juifs-chrétiens

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La signification de Jérusalem pour les Chrétiens

Responsables des Communautés chrétiennes de Terre Sainte
Israël (1994/11/23)

 

Préambule
1. Le mercredi 23 novembre 1994, les chefs des Communautés chrétiennes à Jérusalem se sont réunis pour réfléchir sur le statut de la Ville sainte et sur la situation des chrétiens. A la conclusion de leur réunion, ils ont publié la déclaration suivante:

Jérusalem, Ville sainte
2. Jérusalem est une Ville sainte pour les peuples des trois religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam. Son caractère unique de sainteté lui confère une vocation spéciale: l'appel à la réconciliation et à l'harmonie entre tous ses citoyens, pèleríns ou visiteurs. Pour sa valeur symbolique et émotive, Jérusalem est aussi utilisée dans le réveil des différents nationalismes et des fondamentalismes dans la région et ailleurs. Elle est malheureusement devenue source de conflit et de division. Elle est au coeur du contentieux israélo-palestinien et israélo-arabe. Son mystère attire les croyants, mais en même temps sa situation présente non enviable est source de scandale pour beaucoup.


Le processus de paix
3. Le processus de paix actuel entre Israël et le monde arabe s'est mis en route, pour une solution du conflit dans le Moyen-Orient. Des pas nouveaux ont été faits et des signes concrets ont été posés. Jérusalem est encore tenue à l'écart de ce processus, du fait que son statut et spécialement la question de la souveraineté sur la ville sont parmi les questions les plus difficiles à résoudre dans les négociations futures. Toutefois, il faut y réfléchir dès maintenant et faire tout le nécessaire pour pouvoir les aborder dans les meilleures conditions, quand le moment sera venu.

Les positions actuelles
4. Quand les différentes parties impliquées parlent aujourd'hui de Jérusalem, c'est souvent pour affirmer des positions exclusivistes. Leurs revendications actuelles sont très divergentes, voir conflictuelles. Selon la position israélienne, Jérusalem tout entière doit rester la capitale unifiée et éternelle de l'État d'Israël, et sous la souveraineté absolue d'Israël seul. LesPalestiniens, d'autre part, insistent sur le fait que Jérusalem doit devenir la capitale du futur État palestinien, bien que, ce disant, ces derniers aient en vue la partie orientale, arabe, et ne revendiquent pas l'ensemble de la ville moderne.

Leçons de l'histoire
5. Jérusalem a une histoire longue et mouvementée. Elle a connu de nombreuses guerres et conquêtes. Détruite plusieurs fois, comme le phoenix, elle est toujours renée de ses cendres. La motivation religieuse n'était pratiquement jamais séparée du politique ni du culturel et a souvent joué un rôle prépondérant. La motivation religieuse aboutit souvent à l'exclusivisme ou au moins à la suprématie d'un peuple vis-à-vis des autres, alors que tout exclusivisme ou suprématie humaine est contraire au caractère prophétique de Jérusalem et à sa vocation universelle comme ville de la paix et de l'harmonie entre tous ses habitants.

Jérusalem, comme toute la Terre Sainte, a vu arriver successivement de nombreux peuples nouveaux à travers son histoire, venant du désert ou de la mer, du Nord ou de l'Est. La plupart du temps, les nouveaux venus se sont peu à peu intégrés à la population locale. Ce fut là une caractéristique assez constante. C'est quand les nouveaux venus revendiquaient une possession exclusive ou refusaient de s'intégrer qu'ils ont été rejetés.

L'expérience de l'histoire nous apprend que Jérusalem, pour être une ville de paix et non plus une ville convoitée de l'extérieur et donc ville de guerre, ne peut pas appartenir exclusivement à un seul peuple ou une seule religion. Elle doit être ouverte à tous, partagée entre tous; ceux qui la gouvernent doivent en faire la «capitale de l'humanité». Cette vision universelle de Jérusalem devrait aider ceux qui y détiennent le pouvoir à comprendre l'attachement des autres pour elle et à accepter de la partager avec eux.

Vision chrétienne de Jérusalem
6. Grâce à la lecture de la Bible, les chrétiens reconnaissent que la longue histoire du peuple de Dieu dont Jérusalem est le centre, est l'histoire du salut qui accomplit le dessein de Dieu dans et par le Christ, Jésus de Nazareth.

Jérusalem fut le lieu choisi par le Dieu unique pour y faire habiter son Nom au milieu de son peuple et pour permettre à son peuple d'y rendre un culte agréable. Les prophètes regardent vers Jérusalem, surtout après la purification de l'exil: elle sera appelée «ville de justice, cité fidèle» (Is 1,26-27), où demeure le Seigneur dans la sainteté comme au Sinaï (Ps 68,18). Le Seigneur établira la ville au milieu des nations (Ez 5,5), et le second Temple deviendra une maison de prière pour tous les peuples (Is 2,2 et 56,6-8). Jérusalem, remplie de la présence de Dieu (Is 60,1), doit rester une ville aux portes ouvertes (Is 60,11), avec la Paix pour Magistrat et la Justice pour gouvernement (Is 60,17).

Dans la vision de leur foi, les chrétiens croient que la Jérusalem des Prophètes doit être entrevue comme place de salut dans et par Jésus-Christ. Dans les Évangiles, Jérusalem rejette l'Envoyé, le Sauveur, il pleure sur elle, parce que cette ville des Prophètes, qui est aussi la ville où s'accomplit l'essentiel du salut - la mort et la résurrection de Jésus - a complètement perdu de vue la voie de la paix (cf. Lc 19,42).

Dans les Actes des Apôtres, Jérusalem est le lieu du don de l'Esprit, de la naissance de l'Église et de la communauté des disciples de Jésus qui doivent être ses témoins non seulement à Jérusalem, mais jusqu'aux extrémités de la terre (1,8). C'est aussi le lieu où la première communauté chrétienne incarne l'idéal ecclésial et devient pour cela point de référence permanent.

Dans l'Apocalypse, c'est la nouvelle et céleste Jérusalem qui est annoncée (3,12; 21,2; cf. Ga 4,26; He 12,22), image de la création nouvelle et des aspirations de tous les peuples, lorsque Dieu essuiera toute larme et lorsqu'il «n'y aura plus de mort, de pleur, de cri et de peine, car l'ancien monde s'en est allé» (21,4).

7. Dans la Tradition chrétienne, la Jérusalem terrestre préfigure la Jérusalem céleste comme «vision de paix». Dans la liturgie, c'est l'Église elle-même qui reçoit le nom de Jérusalem et revit ses angoisses, ses attentes et ses joies. De plus la liturgie de Jérusalem a été le fondement de toute liturgie, dans les premiers siècles, et plus tard a exercé une influence profonde sur le développement des diverses traditions liturgiques, à cause des nombreux pèlerinages à Jérusalem et du sens symbolique de la Ville Sainte.

8. Avec les pèlerinages se développe peu à peu l'idée d'une sanctification dans l'espace par les célébrations sur les lieux saints, en plus de la célébration des temps et des événements du salut (Égérie, Cyrille de Jérusalem). Jérusalem va bientôt occuper une place unique dans le coeur de la chrétienté mondiale. Une théologie et une spiritualité du pèlerinage se développent progressivement. C'est un temps ascétique de ressourcement biblique, de mise à l'épreuve, durant lequel les chrétiens se rappellent qu'ils sont des étrangers et des pèlerins sur la terre (cf. He 11,13) et que leur vocation personnelle et communautaire, toujours et partout, est de prendre la croix et de suivre Jésus.

La présence continue d'une communauté chrétienne
9. Pour le christianisme, Jérusalem est le lieu des racines, toujours vivantes et nourrisantes. Tout chrétien y est né. Pour tout chrétien, être à Jérusalem, c'est être chez soi.

Depuis deux mille ans et jusqu'à aujourd'hui, à travers les multiples vicissitudes de l'histoire et la succession des différents pouvoirs, l'Église locale et ses fidèles ont toujours été présents à Jérusalem. Ils portent, à travers les siècles, témoignage à la vie, la prédication, la mort et la résurrection du Christ sur les lieux mêmes et, accueillant leurs frères et soeurs dans la foi, comme pèlerins résidents ou de passage, ils leur permettent de s'y replonger par un ressourcement plus vivant et ecclésial. Cette présence continue d'une communauté chrétienne vivante est inséparable des lieux historiques. C'est à travers «les pierres vivantes» que les lieux saints et archéologiques prennent «vie».

Ville sainte et ville comme les autres
10. La signification de Jérusalem pour les chrétiens a donc deux dimensions fondamentales inséparables:

1. Ville sainte avec les lieux saints les plus précieux pour les chrétiens, à cause de leur lien avec l'histoire du salut accompli dans et par Jésus-Christ.

2. Ville de la présence continue d'une communauté chrétienne vivante depuis les origines.

Donc, pour les chrétiens locaux - comme pour les juifs et les musulmans locaux -, Jérusalem n'est pas seulement une Ville sainte, mais aussi leur lieu de vie, leur patrie. D'où leur droit à continuer d'y vivre librement, avec tous les droits qui en découlent.

Requêtes légitimes des chrétiens pour Jérusalem
11. En tant que Ville sainte, Jérusalem doit avant tout jouir de la pleine liberté d'accès aux lieux saints et de la liberté de culte. Les droits de propriété, de garde et de culte que les différentes Églises ont acquis à travers l'histoire doivent continuer à être détenus par les mêmes communautés. Ces droits, déjà protégés dans le statu Quo des Lieux Saints selon les «firmans» et les autres documents historiques, doivent continuer à être reconnus et respectés.

Les chrétiens du monde entier, d'Orient ou d'Occident, doivent avoir le droit de venir en pèlerinage à Jérusalem et doivent pouvoir y trouver tout ce qui est nécessaire pour accomplir leur pèlerinage dans l'esprit de leur tradition authentique: liberté de visite et de circulation, prière sur les lieux saints, accompagnement spirituel et pratique respectueuse de leur foi, possibilité d'un séjour prolongé, accueil et hébergement dignes.

12. Les communautés chrétiennes vivant sur place doivent jouir de tous les droits nécessaires pour continuer librement cette présence et pour remplir les responsabilités qui s'y rattachent, tant vis-à-vis de leurs membres locaux que vis-à-vis des pèlerins à travers le monde.

Les chrétiens locaux, non seulement en tant que chrétiens, mais aussi comme tout citoyen de la ville sainte, religieux ou non, doivent jouir des mêmes droits fondamentaux pour tous, droits sociaux et culturels, politiques et nationaux.

Parmi ces droits il faut mentionner:
- le droit humain à la liberté de la religion et de la conscience, pour les personnes comme pour les communautés religieuses;
- les droits civils et historiques qui leur permettent d'exercer leurs responsabilités et devoirs religieux, éducatifs, médicaux et leurs autres devoirs de charité;
- le droit d'avoir leurs propres institutions: institutions pour l'accueil des pèlerins, instituts pour l'étude de la Bible et de la tradition, centres de rencontre avec les croyants des autres religions, monastères, églises, cimetières, etc., et le droit d'avoir leur propre personnel et d'administrer ces institutions.

13. En réclamant pour eux-mêmes ces droits, les chrétiens reconnaissent des droits semblables et parallèles aux croyants et aux communautés du judaïsme et de l'islam et se déclarent disposés à rechercher avec eux une application mutuellement respectueuse de ces droits et une coexistence harmonieuse, dans la perspective de la vocation spirituelle universelle de Jérusalem.

Statut spécial
14. Tout cela supose un statut juridique et politique spécial pour Jérusalem, qui en reflète l'importance et la signification universelle.

1. Pour satisfaire aux aspirations nationales de tous ses habitants et pour que juifs, chrétiens et musulmans puissent vivre à Jérusalem «chez eux» et y vivre en paix les uns avec les autres, il faut que, en plus des pouvoirs politiques locaux, des représentants des trois religions monothéistes soient associés à l'élaboration et à l'application d'un tel statut.

2. A cause de la signification universelle de Jérusalem, la communauté internationale doit être engagée dans la garantie stable et permanente de ce statut. Jérusalem est trop précieuse pour dépendre uniquement des autorités locales, municipales ou politiques nationales, quelles qu'elles soient. L'expérience montre qu'une garantie au plan international s'impose.

L'expérience montre que telles autorités locales, pour des raisons politiques ou de sécurité, sont parfois forcées de violer les droits d'accès libre aux Lieux saints. C'est pourquoi, donner à Jérusalem un statut spécial est une néceessité, afin que Jérusalem ne soit pas vicitime de lois imposées comme conséquences d'hostilités ou de guerres, et afin qu'elle reste une cité ouverte qui transcende les troubles locaux, régionaux ou mondiaux. Ce statut, établi par les autorités politiques et religieuses locales, devrait être garanti aussi par la communauté internationale.

Conclusion
15. Jérusalem et un symbole et une promesse de la présence de Dieu, de la fraternité et de la paix, pour tout le genre humain, en particulier pour les enfants d'Abraham, les juifs, les chrétiens et les musulmans.

Nous appelons toutes les parties concernées à comprendre et à accepter la nature et la significiation profonde de Jérusalem, cité de Dieu, que personne ne peut s'approprier de façon exclusive, à prendre en considération les aspirations religieuses et nationales des autres, sans aucune discrimination, afin de redonner à Jérusalem sa vraie dimension universelle et d'en faire le lieu saint de la réconciliation de l'humanité.

Signatures:
Patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem,
Patriarche latin de Jérusalem,
Patriarche arménien de Jérusalem,
Custode de Terre Sainte,
Archevêque copte de Jérusalem,
Archevêque syriaque de Jérusalem,
Archevêque éthiopien de Jérusalem,
Évêque anglican de Jérusalem et
Évêque président de l'Église anglicane,
Vicaire patriarcal grec-catholique,
Évêque luthérien de Jérusalem,
Vicaire patriarcal maronite,
Vicaire patriarcal syrien-catholique

Jérusalem, le 23 novembre 1994.



*Texte français distribué par le Patriarcat latin de Jérusalem - en Documentation Catholique 15 janvier 1995. N° 2108, p.85-87)

Review SIDIC (1995/2)

 

 

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