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Défense du pharisien
Roger Etchegaray
France (1980/02/03)
Le pharisien a mauvaise presse parmi les chrétiens, surtout en Carême. On fait son procès dans toutes les églises. Et comment ne pas être ébranlé après le réquisitoire du Christ lançant la série impressionnante de ses invectives: - Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites!» (surtout dans Mt. ch. 23). Avec l'appui d'une telle autorité, il a été facile au cours des siècles de déduire que tous les pharisiens étaient des hypocrites. C'est ainsi qu'on entretient encore l'antisémitisme; et l'insulte morale est d'autant plus blessante pour les juifs qu'ils se reconnaissent comme les héritiers spirituels des pharisiens.
A vrai dire, ce sont les rédacteurs des Évangiles qui ont été sévères à l'égard des pharisiens jusqu'à être injustes en généralisant à outrance. Il faut y voir le reflet des premiers conflits entre les communautés chrétienne et juive à une époque où le judaïsme était sous l'obédience pharisienne. Condamner en bloc les pharisiens, c'est faire injure à d'authentiques amis de Jésus comme Nicodème (cf. Jean 3, 2; 7, 50-51; 19, 39), comme Simon qui l'invite à table (Luc 7, 36). L'apôtre Paul était fier de son identité pharisienne (Act 23, 8; 28, 5) et de tout ce qu'il devait à sa formation pharisienne • aux pieds de Gamaliel » (Act. 22, 3) qui a pris courageusement position en faveur des Apôtres (Act. 5, 39). A travers la schématisation abusive des Évangiles, il suffit de reconnaître que le Christ a condamné, non pas la famille spirituelle qu'André Neher appelle le pharisianisme •, mais le pharisaïsme, c'est-à-dire le danger permanent qui menace tout esprit religieux lorsqu'il lie la quête de Dieu à ses propres performances dans l'application de la Loi.
Les vrais pharisiens ont été aussi énergiques que le Christ pour condamner l'hypocrisie et le légalisme; les textes talmudiques issus de leur milieu en témoignent clairement. Grâce à eux, le judaïsme s'est maintenu sans faiblir à travers deux mille ans d'exil, de persécution, de dispersion. Bien plus, le message évangélique a hérité de doctrines fondamentales qui nous viennent des pharisiens comme la croyance en la résurrection des morts. Nous leur devons l'idée d'un peuple entier « peuple de prêtres » exigeant de chacun une vie de service dans des relations personnelles qui ont révélé peu à peu le visage de Dieu-Père. Nous leur devons le sens d'une Parole de Dieu reçue et interprétée au sein d'une tradition vivante. Nous leur devons une tendresse joyeuse pour la Loi qui, loin d'opprimer l'homme, structure son existence quotidienne (cf. Ps. 118).
J'arrête là une plaidoirie que j'ai rédigée après un long examen d'un dossier complexe. Je n'ai pas voulu tracer un portrait idéal du pharisiens, mais avant tout effacer un portrait injuste et faux: l'enjeu est important pour l'histoire et pour le temps présent. Nous qui avons un faible pour le publicain de la parabole, pourquoi ne chercherions-nous pas aussi à prier comme le pharisien, le vrai, le pharisien inconnu mais qui fut légion? Je suis sûr que le Christ lui-même nous y engage!
* Extrait du Bulletin diocésain de Marseille et publié dans SMIC avec l'autorisation de l'auteur.
Conseil International des chrétiens et des juifis