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Revue SIDIC XXX - 1997/1
Le Séder pascal (Pag. 17 - 20)

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Une lecture midrashique des récits de la dernière céne de Jésus
Hedwig Wahle

 

A chaque génération, chacun doit se considérer comme étant lui-même sorti d'Egypte, ainsi qu'il est écrit: "Tu raconteras à ton fils, ce jour-là, en lui précisant: c'est pour cela que l'Éternel a agi en ma faveur, à ma sortie d'Egypte, car ce ne sont pas seulement nos pères que le Saint Béni soit-il a délivrés, mais également nous-mêmes qu'il a délivrés avec eux", ainsi qu'il est écrit, "Et c'est nous qu'il a sortis de là pour nous conduire, en nous en faisant don, au Pays qu'il avait promis à nos pères".

Cette injonction de se considérer soi-même comme ayant été délivré d'Egypte est à la base de toute la célébration du Séder pascal. Cela correspond en même temps à un des aspects essentiels du midrach: lire dans le texte, entre les lignes, ce qu'il a à nous dire pour aujourd'hui.

Puisque nous savons que Jésus a célébré sa dernière cène avec ses disciples autour de la fête de Pâque et que les synoptiques la présentent comme un repas pascal, ne pourrions-nous pas lire les récits des évangiles comme un midrach de la Pâque juive, du Séder pascal, une interprétation chrétienne pour aujourd'hui ? Il me semble qu'une telle lecture pourrait nous faire découvrir de nouveaux aspects dans la signification de l'acte de Jésus.

Rappelons-nous d'abord que la fête de la Pâque, de Pessah s'enracine dans deux fêtes du printemps: celle des nomades - le sacrifice de l'agneau - et celle des agriculteurs, avec les pains azymes. A l'époque de Jésus, ces deux fêtes avaient depuis longtemps fusionné en une seule, qui reçut alors une signification historique. Pessah était devenue fête de commémoration et d'actualisation des bienfaits de Dieu, lors de l'Exode à la sortie d'Egypte.

L'abattage au Temple d'un agneau, qu'on mangeait ensuite au cours d'un repas familial festif dans les enceintes de Jérusalem, tenait dans la fête une part essentielle. Après la destruction du Temple, il n'y eut plus d'agneau sacrificiel, mais le repas fut encore célébré comme repas liturgique et - d'après ce que nous lisons dans la Michnah - sous une forme qu'on retrouve en grande partie dans la liturgie actuelle. C'est pourquoi il semble légitime et utile de comparer les récits évangéliques sur la dernière cène de Jésus non seulement avec le Séder pascal de l'époque de Jésus mais aussi avec celui d'aujourd'hui sans pour autant vouloir prétendre que la dernière cène de Jésus était un repas pascal dont le déroulement correspondait avec celui du séder contemporain.

Pour faire nos comparaisons, notre lecture midrachique, commençons déjà avant la fête. Un élément de la fête des pains azymes consistait à faire disparaître le vieux levain - tradition qui s'est conservée jusqu'à aujourd'hui dans la fête de Pessah. Avant celle-ci, toute la maison est nettoyée de fond en comble. L'avant-veille de la fête, le père de famille en fouille chaque recoin pour s'assurer qu'il n'y a plus de levain. Le lendemain matin celui qu'on y a encore trouvé est brûlé. À partir de ce moment jusqu'au dernier jour de Pessah, on ne mange plus que du pain azyme. Cette coutume est déjà mentionnée dans la Michnah et S.Paul semble y faire allusion en 1 Co 5,7s.

Purifiez-vous du vieux levain pour être une pâte nouvelle, puisque vous êtes sans levain. Car le Christ, notre pâque, a été immolé. Célébrons donc la fête, non pas avec du vieux levain, ni du levain de méchanceté et de perversité, mais avec des pains sans levain: dans la pureté et dans la vérité.

Paul reprend la coutume juive et lui donne un nouveau sens. Il la spiritualise. Le levain ce n'est pas seulement le pain, c'est aussi le coeur qui par la rédemption du Christ est purifié de tout ce qui est pervers. Dans ce contexte, être sans levain, être pur, veut dire aussi vivre à la suite de Jésus.

Pour relire la signification des symboles de la fête en vue de Jésus je m'inspire de l'érudit juif, Shalom Ben Chorin, qui dans son livre Mon frère Jésus, (Seuil 1983), suggère que Jésus ait transformé la célébration du Séder en quatre endroits.

La célébration commence par deux bénédictions: l'une sur le vin, l'autre sur le jour de fête. Cette dernière est une prière d'action de grâces pour avoir pu vivre afin de célébrer ce jour. On boit ensuite la première coupe; puis on se lave les mains. Mais, d'après une tradition, ce jour-là, le père de famille ne se lave pas les mains lui-même; on les lui lave, car en ce jour il est roi, homme libre. D'après Schalom Ben-Chorin, c'est ici la première différence entre la dernière cène et le Séder. Jésus transforme ce rite du lavement des mains en son opposé: au lieu de se laisser laver les mains, il lave lui-même les pieds de ses disciples. On peut dire que Jésus explique, actualise le rite. En cette nuit où tout Israël souligne qu'il est libéré de l'esclavage, Jésus au contraire souligne qu'il est venu pour servir et que ses disciples eux aussi doivent être serviteurs des autres. En outre on peut lire dans ce geste une exhortation aux serviteurs de Dieu, donc a nous tous de nous reconnaitre dépendant de Dieu.

La Haggadah, le récit, est introduite par "les 4 questions" du plus jeune de l'assemblée qui commencent par: "Pourquoi cette nuit se distingue-t-elle des autres nuits?" Ces questions et réponses sont le point de départ pour le récit de tous les bienfaits de Dieu envers son peuple, liés à la libération d'Egypte.

D'après une tradition tardive, à la cène de Jésus Jean était le plus jeune. Puisqu'aujourd'hui c'est la coutume la plus répandue que le plus jeune pose les 4 questions on peut imaginer qu'au cours d'un séder de Jésus avec ses apôtres c'était le rôle de Jean de poser les questions. Dans les évangiles une autre question est posée: "Qui est le traître?" On peut penser que Jean ait spontanément élargi les questions en y ajoutant celle-ci qui était au bout de la langue de tout le monde.

Dans la Haggadah, le rituel pour le Séder pascal, nous lisons qu'exposer le récit de la sortie d'Egypte amplement à chaque Séder est une obligation; plus on en parle, plus on mérite de louanges, de toute façon une demi-heure au moins s'impose comme règle. On énumère les bienfaits de Dieu dans une litanie scandée par le refrain "assez", Dayenu, car chacun de ces bienfaits aurait à lui seul suffi à entraîner une dette de reconnaissance. Mais Dieu dans sa grande bonté en a comblé son peuple. D'après Rabban Gamaliel, chacun est tenu d'expliquer les trois thèmes principaux du Séder: Pessah, matsah et maror. Cependant tout ceci ne doit pas être uniquement un souvenir; au contraire chaque juif de chaque époque "doit se voir comme si lui-même était sorti d'Egypte". Pour tous ces bienfaits, on rend alors grâce avec les psaumes du Hallel et on boit ensuite la 2ème coupe.

Puis on fait des ablutions pour le repas et on prononce deux bénédictions sur les matsot, la bénédiction habituelle du pain et celle qui ordonne de manger les matsot. Après avoir mangé un peu de matsah, on trempe les herbes amères dans du haroset, un doux mélange de pommes, noix et vin, couvert d'un peu de cannelle, de la couleur du mortier dont les Israélites ont dû fabriquer des briques, car le haroset symbolise ces briques et est supposé en plus atténuer l'amertume du maror. On les distribue ensuite aux participants du repas. Selon Ben-Chorin, ceci correspond bien au signe de reconnaissance du traître que Jésus donna à ses disciples pendant la cène; on pourrait dire alors que les herbes amères signifient également ici l'amertume de la mort de Jésus.

Le symbole principal de la fête de Pessah est la matsah, le pain azyme. Sur la table du Séder sont placées trois matsot séparées par des serviettes et recouvertes d'une petite nappe. Il existe de nombreuses interprétations pour ces trois matsot. Dans le langage populaire ils sont parfois désignés par, de bas en haut: Israël, Lévi et Cohen (les prêtres). Ceci signifie que tout Israël est réellement présent à chaque Séder. D'après une autre interprétation les trois matsot correspondent aux trois patriarches: même asservis les ancêtres se distinguaient de leur entourage païen, puisqu'ils étaient des descendants d'Abraham, Isaac et Jacob.

Mais pourquoi utilise-t-on trois matsot à Pessah tandis que pour les repas de fête et de chabbat on fait la bénédiction sur deux pains entiers ? Les deux pains de fête symbolisent la Manne, la nourriture des Israélites au désert. Le chabbat la manne ne tomba pas, mais le sixième jour ils recueillirent une portion double. C'est pourquoi on bénit deux pains le chabbat. Deux des matsot remplacent ces deux pains. La troisième matsah, celle du milieu, commémore la sortie d'Égypte. En Dt 16,3 nous lisons:

Tu ne mangeras pas à ce repas du pain levé; pendant 7 jours, tu mangeras des pains sans levain - du pain de misère, car c'est en hâte que tu es sorti du pays d'Égypte - pour te souvenir, tous les jours de ta vie, du jour où tu es sorti du pays d'Égypte.

La matsah du milieu est donc le pain de misère. Là encore on trouve plusieurs interprétations: soit que les pauvres ne pouvaient pas acheter une miche entière, ils se contentaient alors d'en acheter un morceau et de le briser en deux; soit que les pauvres ont l'habitude de briser leur pain et de le partager. De toute façon c'est cette matsah du milieu, représentant Lévi, qui est brisée en deux, un morceau est mis de côté, sur l'autre moitié on dit la bénédiction spéciale juste avant le repas.

Au commencment du Séder, après le lavement des mains et avant les 4 questions du plus jeune, on mange les fruits de la terre dans de l'eau salée, ce qui est une réminiscence du hors d'oeuvre. Actuellement, le repas n'a lieu que beaucoup plus tard. D'abord on brise la matsah du milieu, comme nous venons de dire, et on la garde pour la fin du repas comme "afiqoman", ce qui est compris aujourd'hui comme le dessert. Cette signification du mot afiqoman est en fait le résultat d'un malentendu. Dans la Michnah, une phrase dit ceci: Nous ne terminons pas le séder "afiqoman". En effet il s'agit d'un mot grec dont l'etymologie est incertain mais qui est compris par la Michnah comme "procession solennelle" ou "divertissement". La prescription veut donc dire qu'un exubérant divertissement ne doit pas faire suite à la sainte action du Séder. Le sens de ce mot se perdit au fil des années, et dans le Talmud déjà on lui donna le sens de "dessert". Une autre interprétation voit dans l'afiqoman une figure de l'agneau pascal, qui lui aussi devait clôturer le repas de fête.

Il y a une coutume que les enfants volent l'afiqoman, la matsah pour la fin du repas, et le cachent. D'après une autre coutume c'est le père qui cache la matsah et ce sont les enfants qui vont la chercher. C'est bien un des éléments de la fête qui ont été introduits pour y intégrer les enfants et les garder éveillés.

Après le repas, qui ne comporte pas d'ordonnances particulières, le père doit donc chercher l'afiqoman qu'avaient caché les enfants et qui est ensuite mangé, en guise de dessert. D'après Ben-Chorin ce fut cette matsah, l'afiqoman, que Jésus distribua aux disciples qui étaient avec lui à table - comme son corps qui sera brisé (Lc 22,19). Rappelons-nous que la matsah était brisée avant que la moitié soit cachée. D'ailleurs, les trois matsot symbolisent tout Israël, comme nous l'avons déjà mentionné. Si nous lisons les récits évangéliques comme un midrach du Séder, alors nous pouvons penser qu'à cet endroit aussi Jésus a actualisé le texte, l'a appliqué à lui-même. En brisant et en partagant la matsah, il souligne que lui-même devient le représentant de tout Israël: il est le sauveur. Chez Paul (1 Co 5,7s) et chez Jean ce symbolisme de Jésus comme sauveur s'exprime aussi par la représentation de Jésus comme agneau pascal. Au commencement de l'Évangile de Jean, déjà, Jésus est désigné par le Baptiste comme l'agneau de Dieu (Jn 1,29.36), symbolisme qui est souligné une fois encore par le fait que Jésus meurt au moment précis où l'on abat l'agneau au Temple (Jn 19,14.30s).

Après qu'on ait mangé l'afiqoman, une prière d'action de grâces est récitée et on boit la 3ème coupe, celle de la paix. C'est peut être ici la 4ème différence entre la cène de Jésus et le Séder. Car Jésus transforma cette coupe de la paix en coupe de son sang versé pour la rémission des péchés de tout Israël. Dans sa prédication, s'il dit toujours qu'il est venu pour apporter la paix, c'est d'une paix différente de celle qui était attendue qu'il s'agit, la paix intérieure et la rémission des péchés. C'est bien cette paix que Jésus a apportée et que nous célébrons nous, chrétiens, à Pâques. Et nous sommes reconnaissants envers nos frères juifs que, grâce à leur célébration, nous puissions mieux comprendre cela et le message que les Évangiles veulent nous transmettre.


Hedwig Wahle est une soeur de Notre Dame de Sion. Elle est membre de l'équipe du SIDIC est professeur aux Facultés Universitaires St Louis à Bruxelles.

 

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