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Revue SIDIC XXXI - 1998/2
Le Bien et le Mal après Auschwitz: implications éthiques pour aujourd'hui (Pag. 20 - 21)

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Michael Mcgarry

 

«Nous venons de nous exposer et de nous confronter pendant quatre jours avec l’obscurité du mal et l’invisibilité des objets et des êtres qui incarnent à nos yeux le bien. C’est comme un retour au gué du Yabboq, au combat de notre père Jacob avec Celui qui n’a pas révélé son nom mais a donné à Jacob le nouveau nom d’Israël, ‘car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu l’as emporté’ (Gn 32, 29). La Shoah, même à la distance de plus d’un demi-siècle, suscite refus et incompréhension. Nous aimerions l’oublier et n’avons pas de catégories pour la nommer». C’est en ces fort justes termes que s’est exprimé le professeur Arij A. Roest Crollius, s.j., en clôturant le symposium international sur Le bien et le mal après Auschwitz: implications éthiques pour aujourd’hui.

Les organisateurs de ce symposium ont rendu un important service à l’Eglise dans sa volonté d’affronter les redoutables années de la Shoah. Cette réunion a permis à des vétérans de tels symposiums aussi bien qu’à de jeunes chercheurs, tout récemment entrés dans l’univers ténébreux, ‘échanger sur le sens que peuvent avoir les années de la Shoah pour aujourd’hui. Certains ont eu le sentiment que les mots ne pouvaient rendre compte de la réalité et ne pouvaient lever qu’un petit coin du voile. D’autres ont laissé entendre que la réalité défiait toute conversation ordinaire, voire tout échange scientifique. Le «ton» de la rencontre, si l’on peut parler ainsi, a été celui d’une réflexion sobre et éclairée. En définitive, qu’a apporté cette réunion ?

Sur la question de savoir où nous en sommes au lendemain de ce symposium, je dégage quatre idées des exposés remarquables et pénétrants des intervenants, dont un bon nombre figurent dans le présent numéro de SIDIC.

Tout d’abord, on ne saurait demander à ce symposium - pas plus qu’à ceux qui ont lieu de par le monde (on songe, en particulier, à la Conférence internationale annuelle consacrée à la recherche sur l’Holocauste et les Eglises) - de nous mener à un endroit nouveau, de changer radicalement les données du problème. Il n’en reste pas moins significatif que ce symposium se soit déroulé à Rome, centre de l’une des principales communautés chrétiennes et siège de la plus ancienne diaspora juive au monde et de la plus grande mosquée en dehors du monde arabe. En outre, peu de temps après ce symposium romain se tenait, à l’initiative et dans l’enceinte du Vatican, un autre colloque, Les racines de l’antijudaïsme dans le contexte chrétien, dans le cadre de l’analyse entreprise par l’Eglise catholique romaine de ses propres enseignements en matière d’antijudaïsme et d’antisémitisme. Au-delà d’un changement, notre symposium a continué à cimenter le lien entre la tradition de la prédication et celle de la pratique chrétienne.

Deuxièmement - et ce point est lié au premier - le symposium a permis de s’exercer à ce que le P. Crollius et le P. Metz ont tous deux présenté comme un impératif éthique de toute première importance: se souvenir. Nos lecteurs n’ont pas besoin qu’on leur rappelle que, dans nos Eglises chrétiennes, nombreux sont ceux qui dissocient la réflexion sur la Shoah de notre héritage chrétien. Or, ce qu’il convient de rappeler sans relâche, c’est que bourreaux et témoins étaient presque tous chrétiens. Garder ce fait en mémoire ne peut que nous inciter à porter avec sobriété notre identité chrétienne.

Troisièmement, même les exposés les plus abstraits ont soulevé cette question: «Oui, mais maintenant, que faut-il faire ? « Pour la plupart des participants, le désespoir et la prostration ne sont pas des options valables. Seule la réflexion, déprimante mais nécessaire, sur la Shoah peut ouvrir de nouvelles voies. Là encore, on peut s’inspirer du P. Crollius pour tirer trois conséquences: «se souvenir», «vivre une solidarité pleine de compassion» avec nos frères et soeurs juifs qui ont été persécutés et «être vigilants», guetter tout signe laissant présager un événement comparable à la Shoah. Le rapport entre une recherche consciencieuse et approfondie et l’action à mener au sortir des débats reste flou. Il serait sans doute trop simple de dire que les intervenants et organisateurs du symposium ne se souciaient guère de l’action qui pourrait découler de leur réflexion, mais on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’ont fait les participants après leur départ de Rome. Que fait chacun d’entre nous après avoir pénétré dans la ténèbre de la Shoah : n’est-il pas inévitable que nous réclamions une bouffée d’air, un nouvel espace vital, une échappatoire ? Mais alors, quelles incidences cette attitude peut-elle avoir, non seulement sur notre réflexion sur la Shoah, mais aussi sur notre réaction au symposium ?

Enfin, a-t-on posé de nouvelles questions et abouti à de nouvelles conclusions ? Non, notre symposium n’a rien révélé de nouveau. Mais nous, catholiques, protestants et juifs, nous sommes à nouveau penchés sur cet incroyable abîme de notre siècle, afin de chercher des réponses, de nouvelles formulations pour d’anciennes questions, et afin de veiller à ne pas oublier, à ne pas laisser vivre la nouvelle génération comme si la Shoah n’avait jamais existé. Ensemble, nous avons tamisé les cendres et les débris des années de destruction. Nous avons cherché une lumière, un grain de sagesse ici et là, puis nous sommes revenus à nos lieux d’étude, de prière, de rassemblement et de travail - émus et perplexes, avec quelques éclairs de compréhension mais surtout avec la détermination de ne plus laisser pareil événement se reproduire. Alors, même les manifestations apparemment les plus insignifiantes d’antisémitisme ou de tout autre préjugé dont nous sommes témoins nous paraîtront moins faciles à tolérer, parce que nous avons vu, pensé, contemplé ce qui s’est passé la dernière fois. Et, si elle n’est pas suffisante, cette implication éthique sera peut-être au moins un point de départ incontournable pour la prochaine génération.


Michael McGarry c.s.p., pasteur à Newman Hall et à la paroisse du Saint Esprit de Berkeley, CA, a présenté au symposium le travail intitulé “Le courage après la Shoah: exploration d’une vertu chrétienne”. [Texte traduit de l’anglais par C. Le Paire].

 

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