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Revue SIDIC XIX - 1986/1
Le 4éme chant du Serviteur: diverses interprétations (Pag. 11 - 15)

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Le serviteur de Dieu - Les Chants du Serviteur: une relecture du Deutéro-Isaïe
Rosario Pius Merendino

 

C'est une thèse déjà ancienne, confirmée par des études récentes, que les poèmes appelés « Chants du Serviteur de JHWH » Os 42,1-4; 49.1-6; 50,4-9; 52,13-53,12) n'ont pas pour auteur le Doutéro-Isaie, ce prophète anonyme de l'Exil auquel on attribue les chapitres 40 à 55 du livre d'Isaïe mais qu'ils ont été composés plus tard, à des époques différentes, peut-être par quelques-uns de ses disciples, pour être finalement insérés dans l'ensemble de ces quinze chapitres.
Nous pouvons dire que dans ces quatre chants la communauté des exilés exprime, au cours de son histoire, l'essentiel de ses réflexions sur le message originel du prophète. Ces réflexions qui. à des moments divers, ont revêtu une forme littéraire spécifique due soit à des individus, soit à des groupes, ont été ajoutées au texte prophétique quand on a senti le besoin de mettre en lumière ou de préciser un point précis. C'est un travail d'interprétation qu'ont accompli ainsi ceux qui transmettaient le texte, toujours plus conscients de rendre ainsi service à la fois au maître d'autrefois et à la communauté entière. En fait, ide voulaient montrer que le message du prophète était toujours valable, malgré les difficultés insolubles dans lesquelles se débattait la communauté d'Israël qui se reconstituait comme groupe, pourvu d'une certaine unité et d'une relative autonomie, sur la terre de la Promesse.

Le grand prophète du retour avait vu dans la victoire de Cyrus, roi des Mèdes, dominant l'immense empire babylonien, le signe de la rondes tendance divine à l'égard du peuple d'Israël exilé. Il avait espéré, il avait même annoncé comme certaines, -la fin imminente de l'Exil et la reconstruction de la nation. Or le retour dans la patrie avait effectivement eu lieu, mais au prix de quelles déceptions! Difficultés et dangers faisaient obstacle à la pleine réalisation des espérances religieuses, politiques, sociales et économiques qui avaient soutenu les exilés sur le chemin du retour. Le maître qui les avait invités à lire dans les événements l'action de Dieu en faveur de son peuple, donnant ainsi à ces événements un caractère a sacré » et non purement profane, risquait d'apparaître maintenant, face à une dure réalité, comme un prophète trompeur, le prophète d'un Dieu impuissant, incapable de faire des a choses nouvelles », ou encore comme le prophète d'un Dieu qui, après avoir châtié son peuple, ne voulait plus renouer alliance avec lui. Les chants du Serviteur de JHWH répondent à plusieurs reprises à ces objections: ils insistent sur l'origine divine de la mission du prophète, appellent celui-ci « serviteur », c'est-à-dire ministre et porte-parole de Dieu; ils révèlent le dessein divin d'étendre l'alliance à tous les peuples de la terre, soulignant ainsi le caractère universel de la mission dont le prophète a été investi. Ils voient dans son martyre non pas un insuccès, signe d'abandon de la part de Dieu ou de l'incapacité de ce dernier à tenir tête à ses ennemis, mais un témoignage de l'origine divine de la mission reçue et de la présence, du soutien de Dieu dans la vie tourmentée du prophète; ils y volent enfin un événement prévu par Dieu dans son plan de salut, expression de sa toute-puissance et de sa fidélité à l'alliance proposée à tous: la mort infligée à son prophète et, plus tard, à son peuple lui-même à plusieurs reprises au cours de l'histoire, ne signifie pas que Dieu renonce à son dessein ni qu'Il se penche avec moins d'amour sur chacun des peuples et des êtres humains.

On comprend que les disciples de Jésus aient médité sur le message de ces chants et que ce soit justement à travers eux que la première communauté chrétienne ait découvert le sens de la mission et de la mort de son fondateur. Si l'on veut profiter vraiment de leur précieux enseignement. il faut lire ces chants un par un. Nous ne pouvons le faire ici que de façon incomplète, suffisamment toutefois pour encourager ceux que cela intéresse à poursuivre leur étude à l'aide des nombreux commentaires et monographies qui ont été consacrés à ces textes et au Deutérolsaie.

Premier chant du Serviteur: le 42,1-9

Le premier chant est écrit à la première personne. C'est Dieu qui parle. Il présente le Serviteur comme celui qu'il a élu, à qui il a donné son esprit et qu'il envoie communiquer aux nations son a décret d'alliance », c'est-à-dire sa décision solennelle de conclure avec elles une alliance éternelle. Il souligne, en outre, que la mission du Serviteur est une mission de salut et qu'elle réussira. Le texte original était un peu plus bref: versets 1.3.4a. Le verset 2 a été inséré plus tard, selon toute probabilité en même temps que les 3ème et 4ème chants, dans lesquels il est question des persécutions subies par le Serviteur et de ses souffrances. Le contenu du verset 2 donne à penser en effet que le Serviteur, bien loin de prononcer de la part de Dieu un oracle de châtiment ou de condamnation, supportera avec force d'âme et sans se plaindre les mauvais traitements dont il aura à souffrir au coure de sa mission. L'incise du verset 4b présente le Serviteur comme un nouveau Moïse. le Moïse universel, le médiateur entre Dieu et tous les peuples. Voici ce que donne la traduction du texte original:

v. 1 II est main. Serviteur! Je le tiens par la main
Voici mon Elu! En lui mon âme se complait
J'ai mis sur lui mon esprit.
Il portera le (mon) décret d'alliance à la
connaissance des nations.

v 3 II ne brisera pas le roseau froissé,
Il n'éteindra pas la mèche qui faiblit.
En signe de (ma) fidélité, il fera connaître
le (mon) décret.

v. 4 II ne faiblira ni ne sera brisé
tant qu'il n'aura pas affermi sur terre le
(mon) décret.

Comme an le voit, la partie centrale du texte est la répétition, en inclusion, du terme « mon décret» Imishpad. Il s'applique, dans son sens le plus immédiat, à la sentence judiciaire prononcée par un tribunal. C'est un terme légal, employé Ici avec une portée théologique: les auteurs veulent souligner le caractère définitif et irrévocable de la volonté de Dieu manifestée au prophète et solennellement annoncée par lui.

Ce chant a été inséré entre Is 41 (1-4) 25-29 et Is 42,5-8 avec l'intention précise d'interpréter ces textes et d'exalter, à côté de la figure du roi victorieux Cyrus, simple exécuteur du décret divin, la figure du «Serviteur», Messager de JHWH et interprète « sacré » des événements considérés comme voulus et dirigés par Dieu. Dans le texte original du Deutéro-Isaïe, la figure de Cyrus est au premier plan: Dieu l'a suscité et lui a donné force et pouvoir pour être le libérateur du peuple opprimé et le révélateur de la « gloire» divine, aplanissant la route en vue de la restauration de l'alliance entre JHWH et Israël (42,6-8). On y faisait simplement mention du messager envoyé à Jérusalem (41,27) qui, aux yeux du prophète, le représentait en réalité lui-même. Avec l'insertion de 42.1.3.4a, le passage entier s'enrichit d'un sens nouveau. Cette fois, la mission du prophète-serviteur devient centrale. Elle est essentielle à l'histoire, car elle subsistera jusqu'à ce que le décret divin soit porté à la connaissance de toutes les nations.

Les victoires de Cyrus sont contingentes, temporaires; il se peut qu'à la libération succède une nouvelle déportation ou une oppression encore plus douloureuse; mais jamais ne fera défaut la parole prophétique qui propose à Israël et, par lui, à tous les peuples l'alliance sans cesse renouvelée avec Dieu. C'est elle, et non pas la victoire des armes, qui sera l'instrument véritable du salut, de la libération et de l'alliance; c'est elle qui ne manquera jamais, qu'elle soit prononcée par un prophète-serviteur ou par tout le peuple de Dieu. Elle est proposée à Israël et au monde entier par celui que Dieu choisir a d'époque en époque ou qu'il a élu une fois pour toutes comme son allié et son porte-parole.

Tout en parlant d'individus précis (Cyrus victorieux, le messager de Jérusalem, le Serviteur, le libérateur de la servitude), notre passage donne à penser, précisément du fait de sa perspective universalisante, qu'il s'agit de quelque chose de plus: d'un mouvement de l'histoire garanti par la présence, dans cette histoire, du peuple d'Israël. Celui qui a écrit le chant 42.1.3.4a a un horizon plus large que celui qu'avait en son temps le DeutéroIsaïe; son sens de l'histoire n'est pas limité à un moment particulier, il est ouvert au mouvement dialectique des choses, clairvoyant et patient à la fois.

Second chant du Serviteur: Is 99,1-8

Pour composer le second chant, un auteur inconnu s'est servi d'un texte d'origine anonyme lui aussi qui, s'inspirant du Deutéro-Isaie, faisait l'éloge du roi Cyrus et célébrait sa mission universelle de porteur de salut. Son style est différent de celui du prophète qui aimait à faire parler Dieu à la première personne. Cette fois, c'est Cyrus lui-même qui parle. Nous en donnons ici une traduction:

V. 1 Ecoutez-moi, îles, soyez attentives, vous. nations lointaines!
JHWH m'a appelé dès le sein maternel,dès le ventre de ma mère
il a célébré mon nom.

V. 2b II a fait de moi une flèche acérée, Il m'a caché dans son carquois!

V. 3 II m'a dit: Tu es mon Serviteur, en toi je me glorifierai.

V. 5a-6a+ Maintenant, ainsi parle JHWH: c'est peu que tu sois pour moi un serviteur
pour relever les tribus de Jacob et ramener le reste d'Israël.

V. 6b Je t'ai établi comme lumière des nations, pour que tu sois mon salut jusqu'aux extrémités de la terre.

Après l'Exil, la communauté d'Israël n'acceptait plus de voir dans le roi Cyrus de jadis le porteur universel du salut divin. L'expérience, la catastrophe dans laquelle la monarchie davidique avait précipité la nation, lui faisait craindre, entre autres choses, une identification entre mission religieuse et mission politique. L'appellation de « lumière des nations» et de porteur de « salut pour tous les peuples» convenait bien au contraire au prophète qui venait de réaffirmer la volonté salvifique de JHWH et la reprise de l'alliance avec Israël, en interprétant les événements comme une manifestation de la gloire divine à toutes les nations. Encore une fois, c'est à la parole prophétique que la communauté donnait la priorité, y voyant l'instrument choisi par Dieu pour accomplir son dessein de salut universel. Rattaché aux versets 2a.4a.5a):

Il a fait de ma bouche comme une épée tranchante.
Il m'a caché à l'ombre de sa main:
Mais moi, j'ai dit: C'est en vain que j'ai peiné, c'est inutilement que j'ai usé mes forces; Celui qui m'a formé dés le sein maternel pour
être son serviteur
pour ramener à Lui Jacob et rassembler pour Lui Israël.

le texte a donc été inséré ensuite à la fin du recueil du Deutéro-Isaie (les versets 49,7-13 n'ayant peut-être pas encore été ajoutés). Cette fois encore. l'insertion donne à la partie finale du recueil deutéro-isaien une signification plus large et plus pleine. Après avoir affirmé de nouveau, toujours dans le style direct du discours divin, que l'appel et la réussite de Cyrus sont l'oeuvre de JHWH (48,14-76), le prophète, comme pour authentifier son message et les textes qui le transmettent, réfère à Dieu sa mission par une simple parole:

« Voici, JHWH m'a envoyé!» et, rentrant aussitôt dans l'ombre, il exhorte Israël à sortir de Babylone et à proclamer dans le monde entier que la rédemption est accomplie: a JHWH a racheté son serviteur Jacob!» (48,20b). Retouché par des ajouts appropriés et inséré à cet endroit, notre chant détourne l'attention une fois de plus de Cyrus pour la porter sur le prophète, l'envoyé de JHWH, lui faisant prononcer des paroles de jugement contre les ennemis de Dieu (49,2a), des paroles de salut pour Israël et pour tous les peuples (49,5a.6b); il souligne aussi la souffrance qu'éprouve le prophète au cours de sa mission (49,4a), souffrance qui est toutefois compensée par les effets salutaires de la mission elle-même: être lumière pour les nations et salut pour tous. Dans la lumière qui se répand sur le monde grâce à l'annonce de l'alliance offerte à tous les peuples, dans l'accueil que ces derniers réservent au don divin du salut, JHWH lui-même révèle et trouve sa gloire.

L'instrument salvifique, le signe de la condescendance divine ne sont plus, comme dans le passé, la victoire des armes et la puissance politique: ils ont fait place pour toujours à la parole prophétique, confiée à quelques élus et, à la fin, avec les retouches ultimes faites au texte (49, 4b,5b et a Israël » en 49,3), au peuple d'Israël tout entier. Désormais la grandeur historique de ce peuple ne viendra plus de sa domination militaire, politique ou culturelle sur les autres peuples, mais simplement de sa présence parmi eux, de sa mission universelle de porteur de la parole divine et de témoin de Vaillance proposée à tous.

Troisième chant du Serviteur: le 50,4-9

Comme le second, le troisième chant est formulé à la 1ère personne. C'est un discours du Serviteur. Est-ce un hasard si les deux chants centraux sont des discours du Serviteur, tandis que le premier et le dernier sont des discours de Dieu? Si c'est un artifice de style chez les rédacteurs, il a une signification, tant au point de vue de la structure qu'au point de vue du contenu des textes. Comme si le recueil deutéro lsaien devait être encadré, au début et à la fin, par la présentation solennelle du Serviteur dont Dieu proclame la mission salvifique. Comme si, d'autre part, devait figurer au centre du recueil, comme en son coeur, le témoignage du Serviteur souffrant qui, alors que sa mission semble avoir échoué, proclame qu'il a été fidèle à celui qui l'a envoyé et à la mission qui lui a été confiée L'évangéliste Marc semble s'être rendu compte de l'importance théologique de cette structure puisque lui aussi encadre la première partie de son Evangile par les paroles de Dieu concernant Jésus, paroles qui reprennent presque littéralement Is 42,1 Mc 1,11 et 9,7). En même temps. le verset de Mc 9,7 introduit la deuxième partie de l'Evangile, où il est question du martyre et de la mort de Jésus. Le silence de celui-ci quand il est interrogé par le grand-prêtre et par Pilate rappelle indirectement le silence du Serviteur pendant sa passion (cf. Is 53,7). A l'intérieur de ce cadre nous avons, dans l'Evangile aussi. le témoignage de Jésus qui, parfaitement obéissant à la volonté divine, reste fidèle à sa mission d'annoncer le Règne de Dieu.
Le troisième chant a été composé, lui aussi, avec l'intention d'exalter la figure du prophète-serviteur deutéro-isaïen et de montrer que persécution ne signifie pas échec, mais manifestation de la volonté de Dieu et de sa puissance à l'égard de ses ennemis. Avant d'être inséré, ou plutôt ajouté au corpus deutéro-isaien (avec 49.14-55,13?), le texte a été retouché. A l'origine, 0 devait se présenter ainsi:

V. 4a* Le Seigneur JHWH m'a donné de connaitre la parole:
V. 5a2b Je n'ai pas opposé de résistance, je ne me suis pas rejeté en arrière.
V. 7a2171 C'est pourquoi je n'éprouve pas de honte;
j'ai rendu mon visage dur comme pierre.
V. 8 II est proche celui qui me justifie;
qui veut plaider contre moi?
Oui .est mon adversaire? Out s'approche de moll
V. 9a Le Seigneur Dieu me vient en aide; qui me condamnera?

Ce texte a subi plusieurs retouches, la dernière de ces additions se trouvant aux y. 6.7a'.7b2.. On y insiste de nouveau sur la fermeté avec laquelle le Serviteur subit les tortures qu'on lui inflige, parce qu'il a en Dieu et en la mission qui lui est confiée une confiance illimitée. Le chant s'harmonise mieux ainsi avec les autres, en particulier avec le second et le quatrième. Le texte originel avait été précédemment incorporé au discours divin de jugement, dans lequel JHWH affirme sa suprématie absolue sur ceux qui s'opposent à la réalisation de son plan de salut, annonçant qu'il interviendra pour les châtier (cf. ls 50,1a".2-3.9b.11). La communauté juive post-exilique exprimait dans ce texte, comme dans bien d'autres, l'espérance que Dieu, loin d'abandonner son peuple, le ferait survivre à ses ennemis tout au long de l'histoire. C'est précisément ce thème du décret divin, prononcé contre les ennemis et leurs divinités cosmiques, qui a valu à notre chant sa place dans le contexte qui est le sien actuellement. On peut noter la correspondance qui existe, d'une façon générale, avec les discours de jugement de 4924-26 et 51,21-23 et, plus directement, entre 50,2b-3 et 51,6.8.10.

Dans un cadre thématique te! que celui-ci, la souffrance et le martyre du Serviteur porteur de la parole de Dieu revêtent un sens très clair: aucune persécution, aucun martyre subi par Israël ne pourront annuler le don de la parole divine au monde et l'accomplissement du salut dans l'alliance. La parole prophétique donnée par Dieu ne fera jamais défaut, et aucune force humaine n'aura raison d'elle. Par cette relecture, le peuple d'Israël exprimait une fois encore qu'il passait d'une vision politique et triomphaliste de l'histoire à une vision spirituelle et religieuse, ne faisant plus coïncider pouvoir humain et puissance salvifique de Dieu, ne considérant plus les institutions ou moyens humains comme des garanties de la présence condescendante de Dieu.

Quatrième chant du Serviteur: is 52,13-53,12

Nous en arrivons au dernier chant, le plus long et aujourd'hui encore le plus discuté, car nous ne savons pas grand-chose des modèles dont l'auteur anonyme s'est inspiré. La place manque ici pour que nous en donnions la traduction, mais cela n'est pas indispensable pour comprendre l'essentiel du message.

C'est, semble-t-il, un chant à plusieurs voix: la voix de Dieu, qui promet et confirme (52,13-15; 53,11b-12), le choeur des peuples, autrefois oppresseurs et hostiles, qui reconnaissent maintenant dans la mission et dans le sort du Serviteur une manifestation de la puissance divine (53,1-5); enfin la voix du peuple d'Israël, qui s'avoue coupable d'avoir causé par ses péchés d'infidélité envers JHWH la mort soudaine et terrible du Serviteur. Il confesse que ce dernier est juste, qu'il a été sauvé par Lui de l'extermination et de la mort. C'est comme si le châtiment subi par le Serviteur avait tout d'un coup désarmé la colère des oppresseurs et avait été agréé de Dieu lui-même comme un châtiment subi à la place de tous (53,6-11a). Dans ce cas également, Israël se reconnaît comme personnalisé, avec sa destinée historique, par la figure du prophète-martyr; III affirme sa conviction, son espérance: jamais sa mission propre de porte-parole de Dieu dans l'histoire ne prendra fin, et son sacrifice sera accepté par Dieu pour le salut de tous les peuples. Est-il arbitraire de penser que ce chant a jailli non seulement de la réflexion communautaire sur le sort du prophète deutéro-isaïen, mais aussi de la longue expérience de douleur et de martyre qui a presque sans interruption été celle du peuple d'Israël depuis l'Exil? Dans ce chant Israël transmet, sous forme symbolique, l'image la plus tourmentée et donc la plus vraie de lui-même; il signe la pièce d'identité qui le distinguera pour toujours des autres peuples et lui assignera une place unique et bien définie dans l'histoire religieuse de l'humanité: celle de médiateur et de témoin impérissable de l'amour divin qui s'étend à tous les hommes, dans le temps et dans l'espace.

Il n'est pas besoin d'insister sur l'importance que la communauté chrétienne primitive a attribuée à ce dernier chant. Il a été la olé herméneutique qui a permis de comprendre le sens de l'oeuvre et de la mort de Jésus. Mais la médiation de Jésus ne remplace pas celle d'Israël, elle en fait partie, En Jésus, c'est encore Israël qui accomplit sa mission. La catéchèse chrétienne primitive a eu le souci de définir Jésus comme « fils de Dieu, fils d'Abraham » (Mt 1,1; Lc 3,31.34) et elle a vu en lui le Sauveur a lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël » (Lc 2,32). L'évangéliste Jean n'hésitera pas à affirmer que « le salut vient des juifs » (Jn 4.22). Malheureusement, l'aveuglement et la faiblesse humaine ont contribué à creuser des fossés et des divisions, séparant ce qui, dans le plan de Dieu, ne faisait qu'un. Ainsi Jésus et sa communauté ont été séparés d'Israël qui était et qui reste « la matrice », le lieu où se noue l'alliance de Dieu et où s'accomplit le sa/ut.

Sera-t-il possible de reconstituer l'unité du peuple élu auquel les chrétiens croyants se rattachent en vertu de leur appartenance au Fils de David et d'Abraham, et dont ils ne peuvent être séparés? C'est là l'oeuvre à laquelle juifs et chrétiens doivent absolument s'atteler aujourd'hui, s'ils veulent être fidèles à l'alliance unique à laquelle Dieu les a appelés.



Le Professeur Rosario Pius Merendino est un bibliste, spécialiste de l'Ancien Testament. Il a travaillé surtout les livres du Deutéronome et du Deutéro-Isaïe. Il prépare actuellement un commentaire historico-critique du Deutéro-Isaïe. L'article que nous présentons ici est traduit de l'italien.

 

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