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Collaboration Judéo-Chrétienne dans l'Amérique du Nord - Les premiers initiateurs
John T. Pawlikowski OSM
Les relations contemporaines judéo-chrétiennes aux Etats-Unis et au Canada s'étaient développées antérieurement à Vatican II, grâce à de vaillants juifs et chrétiens, déjà pionniers, avant la publication de Nostra Aetate, résultat immédiat de Vatican II. Les évêques de l'Amérique du Nord ont joué un rôle actif dans le vote de Nostra Aetate durant le Concile, en sauvant le document à certains moment-clefs quand sa destinée était en péril. Leur apport se devait en partie à un courant de pensée qui existait en Amérique du Nord depuis plusieurs décades antérieures au Concile. Bien qu'une telle coopération n'engendrat guère de conversation inter-religieuse, comme nous les connaissons aujourd'hui, elle créait cependant un degré de confiance et de compréhension entre juifs et chrétiens, ce qui était alors sans précédent historique.
En recherchant les racines de l'actuelle Rencontre Judéo-chrétienne en Amérique du Nord, nous constatons que les éléments suivants ont contribué à son développement:
1) L'intérêt porté à la "Terre Sainte" par les chrétiens du Canada et des Etats-Unis.
2) La coopération entre les organisations juives et chrétiennes aux Etats-Unis pendant la période d'organisation en syndicats du travail et de législation économiques associé à la campagne "New Deal" (Nouveau programme de réformes) du président Franklin Roosevelt.
3) La "Révolution Pacifique" du Québec et son impact sur l'éducation.
4) La révision des livres scolaires, catholiques et protestants entreprise respectivement par les Universités de St Louis et de Yale à la fin des années 50 et début de 60.
5) La fondation de la National Conference of Christians and Jews (Conférence Nationale de Chrétiens et Juifs) à l'éveil d'un mouvement anti-catholique qui surgit durant la campagne présidentielle aux Etats-Unis en 1928, dans laquelle un catholique, Alfred E. Smith était à la tête du parti démocrate. Ces réalités ont contribué à fertiliser le terrain favorisant un dialogue plus profond et plus étendu lancé en réponse à Nostra Aetate et à des déclarations similaires de plusieurs dénominations protestantes et groupes oecuméniques.
L'intérêt des chrétiens pour la Terre Sainte
Une des premières influences positives sur le futur dialogue judéo-chrétien, fut l'intérêt croissant de quelques chrétiens de l'Amérique du Nord (principalement des protestants à tendance plus évangélique) pour l'importance de la Terre Sainte. Tandis que cet intérêt ne récusait pas directement les anciens stéréotypes du Juif et du Judaïsme à l'intérieur des églises, il commença à changer l'esprit des relations judéo-chrétiennes dans un sens positif. Eventuellement on vit apparaître un groupe, petit mais significatif, de "Sionistes" chrétiens comme Carl Hermann Voss qui prit parti en faveur de la résurgence du peuple juif avec un état national, au moment où le bloc protestant et ses journaux, tel que The Christian Century (le Siècle Chrétien), s'opposait énergiquement à un territoire de souveraineté juive en Palestine.
Robert T. Handy, historien chrétien et pionnier du dialogue, fut un des premiers intellectuels à saisir l'importance pour protestants et catholiques de l'Amérique du Nord d'aller en Terre Sainte. Cela se fit d'une manière importante dans la dernière partie du 19e siècle. Le travail de défrichement de Handy fut continué par une nouvelle génération de savants1 comme David Klatzer, des Etat-Unis, et Michel Brown du Canada. Ces travaux montrent que certains chrétiens importants du Canada anglais, comme l'Honorable John Hawkins Hagarty et William Henry Draper, tous deux pour un temps chefs de la Justice dans la province d'Ontario, et le Rev. Egerton Ryerton, premier président de l'Université de Victoria Collège et longtemps directeur de l'éducation pour la province d'Ontario, s'associèrent publiquement avec un mouvement pro-sioniste. Ils révèlent aussi que parfois l'expérience de voyageurs chrétiens en Terre Sainte contribuait à modifier le concept stéréotypé du Juif.
On peut trouver un exemple de ce fait dans le rapport que fit Adam Clayton Powell Sr.2 de son pèlerinage en 1939. Au cours du voyage entre le Caire et Jaffa, Powell se rappela, comment les Hébreux avaient emprunté de l'or et de l'argent aux Egyptiens (Ex 12,2). Cela l'incita à raconter une histoire de Booker T. Washington à propos d'un esclave noir qui mangeait les animaux de son maître. "Tu possèdes les poulets et tu me possèdes", dit l'esclave.. "Alors tu as un peu moins de poulet et un peu plus d'esclave". Powell continua à expliquer que les marchands juifs n'arrivaient pas à obtenir de justes prix de la part des Gentils et étaient quelquefois forcés de demander des prix plus élevés, sachant que le Gentil s'attendait à ce qu'il procède selon la soi-disant "tactique juive". Avec habileté, Powell cherchait à faire disparaître les préjugés contre les juifs qu'il savait être coutumiers chez ses lecteurs chrétiens.
Coopération à une époque de lutte sociale
On trouve une autre dimension de la pré-histoire du dialogue judéo-chrétien contemporain dans les relations qui se sont forgées entre protestants, catholiques et juifs pendant environ trois décades de lutte sociale aux Etats-Unis, lutte qui eut aussi son impact au Canada. Des dirigeants des plus grandes organisations nationales juives et chrétiennes d'alors (le conseil fédéral des églises, la conférence catholique nationale de l'assistance sociale, et le Central Conference of American Rabbis) formèrent une coalition, qui dura plus de deux décades, en faveur des droits des travailleurs et la justice économique générale.
Trois confessions étaient impliqués dans la grève des conducteurs de train de la compagnie de Western Maryland Railroad en 1927 ainsi que dans les investigations de la tragédie du jour de l'Armistice à Centralia, Washington en 1919 quand plusieurs travailleurs perdirent la vie. Au niveau de la politique fédérale sur le travail, des représentants des trois religions firent plusieurs interventions importantes. En décembre 1929 apparut une déclaration commune protestant-catholique-juif sur les conditions de l'industrie textile, suivi d'un autre en janvier 1932 sur le chômage. L'année précédente ces trois confessions avaient parrainé à Washington une conférence sur la prévention permanente du chômage, et en juin 1932 quand le chômage aux Etats-Unis était monté à des proportions alarmantes, et que le gouvernement, paraissait peu disposé à prendre quelque action décisive pour porter remède à cette situation, le Rabbin Edward L. Israël, le père R.A. Mc Gowan et le Rev. James Myers se sont joints aux représentants de la fédération américaine du travail et à l'organisation nationale des fermiers pour témoigner devant le Congrès américain. Par des programmes diffusés dans un vaste réseau national, ils demandèrent aux gouvernements fédéral et local une réponse adéquate à la crise du chômage. Leur témoignage passe pour avoir eu une influence importante pour obtenir du Congrès plus tard dans l'année l'approbation des premiers fonds fédéraux pour affronter cette crise.
En juillet 1933, après l'adoption du National Industrial Recovery Act (NRA), la Central Conference of American Rabbis et le conseil fédéral des églises conjointement avec la conférence des évêques catholiques, publièrent un document décrivant les implications sociales de cette législation historique. Le signataire pour la conférence des évêques fut Mgr. John A. Ryan qui devint une figure prédominante dans l'histoire de la législation sociale des Etats-Unis. Finalement en décembre 1933, des représentants des trois plus grandes communautés religieuses se présentèrent devant la Chambre des Représentants, alors en débat sur les impôts. Dans leurs interventions, ils réclamaient des lois qui assureraient une distribution plus équitable des richesses et revenus de la nation.
Il est impossible de déterminer exactement l'impact de ces interventions tri-confessionnelles sur les lois des Etats-Unis. Mais il y a raison pour croire qu'ils eurent un poids important auprès des législateurs et des bâtisseurs d'opinions. Des chercheurs sociaux Claris Silcox et Galen Fisher, de l'institut de recherche sociale et religieuse, attribuèrent par exemple en 1934, explicitement l'abolition de la journée de 12 heures dans l'industrie de l'acier "en bonne part" à ces efforts des trois religions. Leur conclusion globale était que "cette étroite collaboration entre ces trois organismes, parlant au nom de dizaines de milliers d'églises et de synagogues est considérée... avoir fait beaucoup pour éduquer la conscience de la nation et pour démontrer un souci courageux de la part de tous les croyants pour la justice et pour de bonnes conditions de vie... Elle a aidé à réfuter l'accusation que les organes religieux sont des organisations de classes, les instruments et les défenseurs d'intérêts particuliers."3
Du point de vue de cette dissertation, l'aspect le plus significatif de ces efforts interreligieux sur la législation sociale fut la crédibilité et la confiance développées entre les dirigeants religieux. Quand nous nous demandons pourquoi les évêques des Etat-Unis et du Canada ont si fortement appuyé la déclaration historique de Vatican II sur l'Eglise et le peuple juif, une partie de la réponse vient sûrement de l'influence de cette collaboration sociale, bien qu'elle n'ait jamais conduit les chefs religieux de l'époque à une discussion spécifiquement théologique se rapportant aux relations judéo-chrétiennes. Je dirais que cela a créé un héritage de bonne volonté qui, au moment de Vatican II, s'est traduit par un fort appui du vote en faveur de l'adaptation de Nostra Aetate.
La "Révolution Pacifique" du Québec
Un troisième événement important en Amérique du Nord eut lieu au Canada, au Québec. Enracinée dans le défi fondamental du système de l'éducation au Québec par un jeune frère enseignant, cette "Révolution Pacifique", comme on l'a appeler, a mis en marche une grande révision du système au début des années soixante. Cette révision ouvrit des possibilités à une des plus importantes pionnières des relations judéo-chrétiennes de ce continent: Sr. Marie-Noëlle de Baillehache, NDS. Elle avait déjà réalisé un travail préliminaire par le Centre Ratisbonne de Montréal et son journal, dont elle avait changé le nom en Dialogue après sa venue de France en 1959.
La réaction, devant ce violent défi des concepts éducatifs au Québec, entraîna en partie la création d'une commission royale qui examinerait la situation. Sr Marie-Noëlle crut que la communauté juive du Québec devait être entendue aux séances de la commission. Elle se mit donc en contact avec plusieurs chefs juifs et des organisations à Montréal pour connaître leur points de vue. Malgré que son idée n'était pas unanimement reçue parmi des leaders juifs à qui elle s'adressait, elle poursuivait son projet avec constance. Finalement elle publia dans la Presse un article important sur les Juifs et la crise de l'éducation au Québec.
Se rendant compte que son travail pour les rapports juifs-chrétiens se compliquait par de continuelles divisions à l'intérieur de la communauté chrétienne, Sr Marie-Noëlle commença à travailler pour l'unité chrétienne, obtenant l'aide de plusieurs congrégations de religieuses. Grâce aux discussions du Concile Vatican II sur l'oecuménisme bien acheminées, les efforts de Sr Marie-Noëlle commencèrent à montrer des résultats positifs au Québec. Son travail oecuménique lui donna aussi la possibilité de passer de l'information sur les juifs et le Judaïsme aux dirigeants des Eglises chrétiennes avec lesquelles elle était en contact. En septembre 1964, une juive orthodoxe importante invita Sr Marie-Noëlle à parler dans sa synagogue sur les récents développements des relations entre Catholiques et Juifs; le résultat fut qu'elle eut une entrevue importante avec le Montréal Star
Sr Marie-Noëlle commença alors à travailler avec le Rev. Roland de Corneille, un prêtre anglican à Toronto, un des premiers champions du progrès de la compréhension entre juifs et chrétiens dans tout le Canada. Le Père de Corneille vint à Montréal pour parler et pour engager les dirigeants juifs en vue d'un programme de dialogue permanent à Montréal. Ce programme fut enfin lancé grâce au soutien de plusieurs professeurs de l'Université McGill, les jésuites qui ont désigné le Père Stefan Valiquette S.J.4 pour travailler avec Sr Marie-Noëlle, le Rabbin Wilfred Suchat et d'autres. Leur local fut le Centre Ratisbonne, maintenant appelé "Centre MI-CA-EL".
Par ce Centre, Sr Marie-Noëlle organisa un programme de conférences et plusieurs groupes de discussion entre les églises et synagogues locales. Elle prépara les visites au Canada du Père Cornelius Rijk, le premier directeur du Bureau du Vatican pour les Relations Judéo-chrétiennes, du Fr. Bruno Hussar5 et du Fr. Marcel Dubois, deux Dominicains vivants en Israël, qui étaient eux-mêmes des pionniers dans le développement du dialogue. Sa traduction française du livre fondamental sur le judaïsme du Rabbin Stuart Rosenberg pour le pavillon juif de l'Expo 67 et un article en Yiddish dans le Canadian Jewish Digest6 augmentèrent sa notoriété.
Quand l'Archevêque Paul Grégoire voulut un dialogue judéo-chrétien pour les prêtres et les rabbins vivant à Montréal, il se tourna vers Sr Marie-Noëlle. Quoique vivant au Québec, le travail de Sr Marie-Noëlle eut aussi une influence dans d'autres parties du Canada et un impact sur le travail des Soeurs de Sion dans des villes canadiennes comme Toronto, Saskatoon et Winnipeg. A Toronto, cela conduisit à collaborer avec d'éminents théologiens parmi lesquels Gregory Baum. Son travail avec le Père de Corneille fut bénéfique pour les deux.
Le Père de Corneille joua un rôle de pivot à travers la Ligue des Droits de l'Homme du Bnai Brith et postérieurement comme membre du Parlement canadien en enracinant le dialogue à Toronto et dans d'autres parties du Canada de langue anglaise. Par son travail pour la réunion du International Council of Chrisitans and Jews à Toronto en 1968 où James Parkes, savant anglican, "le père du dialogue", était l'orateur prééminent, il aida à établir le dialogue entre juifs et chrétiens comme une importante force sociale au Canada ainsi qu'aux Etats-Unis.
Etudes de livres scolaires chrétiens et juifs
L'étude de livres scolai- res chrétiens, supervisée par le American Jewish Committee et son directeur inter-religieux, Rabbi Marc H. Tanenbaum7, constitua une quatrième réalité pionnière pour la croissance du dialogue juif-chrétien. L'étude protestante, entreprise par le défunt Dr Bernhard E. Olson à l'Université de Yale, fut la première à être terminée. Il a examiné environ 120.000 plans de leçons de catéchèse et les livres de religion de quatre éditeurs représentant les plus importantes dénominations protestantes. Les résultats de cette étude de sept années, furent publiés en 1963 sous le titre de Faith and Prejudice (Foi et préjugés)8. L'analyse profonde du contenu de l'enseignement protestant du Dr. Olson poussa le président du Union Theological Seminary de New York, John C. Bennett à faire la remarque que "consciemment ou inconsciemment, la semence des préjugés se trouvent dans l'enseignement religieux".9 Le célèbre théologien, Reinhold Niebuhr, après avoir examiné les données du Dr Olson, affirma que les sources religieuses de l'antisémitisme peuvent être, en fait, plus puissantes que les raciales.
La partie catholique du projet tri-confessionel du l'AJC sur les manuels scolaires fut confié à la direction du Père Trafford P. Maher, SJ du département sociologique de l'Université de Saint Louis. Il divisa l'étude en trois sections: la littérature, les études sociales et la religion: chaque section devenant matière pour une thèse de doctorat par un étudiant de son département. Une analyse des livres d'histoire, de géographie, d'éducation civique et de sociologie pour l'école secondaire fut faite par Sr. M. Rita Mudd, FSCP, tandis que Sr. M. Linus Gleason, CSJ, examinait ceux de littérature. L'étude pivot des textes religieux fut donnée à Sr. Rose Thering, OP.10 L'étude de Sr. Thering fut délibérément entreprise en dernier, dans la série catholique, à cause de la préoccupation du Père Maher, que la critique de manuels religieux pourrait offenser bien des Catholiques.
La partie juive du projet des manuels scolaires fut supervisée par le Dr. Bernhard D. Weinryb au Dropsie College à Philadelphie. Il examina plus de cent éléments de matériel scolaire en anglais, en hébreu, et en Yiddish, provenant de quarante-six organisations et éditeurs. Il trouva que le matériel didactique juif était, en général, ni positif ni négatif dans sa présentation du christianisme et des autres religions. Habituellement la critique se limitait à des représentants spécifiques de petits groupes religieux plutôt qu'au groupe dans son ensemble, exception faite de certains matériaux venant des juifs de l'Europe de l'Est. Le Dr Weinryb conclua que, dans l'ensemble, le programme de l'école juive est plus introverti que celui de leur contre-partie catholique ou protestante. L'étude juive n'a jamais été publiée sous forme de livre et n'a eu qu'une influence minime pour orienter les juifs vers le dialogue.
Les études chrétiennes, par contre, ont eu une influence considérable. Les résultats catholiques et protestants attirèrent l'attention des plus grands éditeurs dans les deux communautés qui, pour la première fois se sont vu présenter des données scientifiques sur la présence de préjugés dans le matériel d'enseignement chrétien. Le résultat fut un examen complet du matériel de base de l'enseignement chrétien, principalement dans les domaines où il y avait le plus de déformation (la responsabilité de la crucifixion, le sens théologique du judaïsme après la venue de Jésus, l'image des pharisiens).
Par la suite, le Dr Olson employa les données de ses études pour le programme de la National Conference of Christians and Jews à New York. Les études catholiques jouèrent un grand rôle dans le développement et l'acceptation du chapitre quatre de Nostra Aetate à Vatican II. Les dirigeants catholiques au Concile, qui appuyaient la déclaration proposée sur les relations entre catholiques et juifs ainsi que les observateurs juifs, comme le Rabbin Marc Tanenbaum, usèrent les résultats de ces études pour essayer de persuader les évêques d'appuyer le document. Sr. Rose Thering lança un magnifique mouvement en vue de refaire l'éducation des professeurs catholiques et du clergé sur les juifs et le judaïsme, à la lumière des études des manuels, d'abord au centre d'éducation catholique pour adultes à Chicago et ensuite au Seton Hall University à New Jersey. Il est probable qu'aucune autre personne de l'Amérique du Nord n'ait fait plus que Sr.Rose pour implanter une nouvelle conception des relations entre juifs et chrétiens dans le domaine de l'éducation.
La National Conference of Christians and Jews (NCCJ)
L'élément final que je soulignerais comme ayant contribué à la rencontre des Chrétiens et des Juifs en Amérique du Nord fut la fondation de la National Conference of Christians and Jews due à l'éveil d'un anti-catholicisme provoqué vers l'année 1928, lors des élections présidentielles. Etablie à Chicago, grâce aux efforts du Rabbin Louis Mann de la célèbre Congrégation du Sinaï et d'une coalition formée en grande partie de membres du clergé protestant, la NCCJ (maintenant la Conférence nationale) devint bientôt une entité nationale, ayant des ramifications dans tous les Etats-Unis. Au début, la NCCJ se dédiait à envoyer des équipes composées de juifs et de chrétiens dans des assemblées locales et dans des réunions publiques pour combattre différentes formes de préjugés, y compris le racisme, l'anticatholicisme et l'antisémitisme. Quoique la plupart des évêques catholiques aient manifesté un minimum d'appui à NCCJ, ils permirent aux laïques catholiques de participer à ces équipes inter-religieuses.
Alors que ces équipes inter-religieuses et les semaines de fraternité à laquelle elles donnaient naissance nous semblent plutôt minimes à la lumière des critères d'aujourd'hui, cela élevait les juifs et le judaïsme à une force religieuse majeure dans ce qui avait été considéré jusqu'alors comme l'"Amérique chrétienne". Cela a aussi contribué à la formation de relations personnelles entre juifs et chrétiens pour la première fois permettant une collaboration au plan social, et a rendu possible des efforts communs locaux dans des villes importantes comme Chicago où le Cardinal George Mundelein devint une voix importante dans la dénonciation du nazisme, et où des pionniers sociaux tels que Mgr. John Egan créa des oeuvres en collaboration avec les dirigeants juifs chargés de la réforme sociale.
Les premiers efforts de la NCCJ n'ont pas directement affronté l'anti-judaïsme qui prévalait dans la théologie de l'époque. Cela devait arriver un peu plus tard quand le Dr. Bernhard Olson s'installa dans le bureau national de la NCCJ, à New York. Grâce aux efforts du Dr. Olson et d'autres membres de la NCCJ, comme le Président David Hyatt, la NCCJ et ses bureaux locaux devinrent importants en utilisant les résultats de l'étude des manuels scolaires et les nouvelles déclarations théologiques catholiques et protestantes pour changer les attitudes des professeurs et du clergé. Tandis que l'influence de la NCCJ fut le plus fort chez les Protestants, il eut aussi une certaine influence sur le Catholicisme américain.
L'époque de Nostra Aetate
Nous tournons maintenant nos regards sur certaines personnes dont l'influence fut capitale et dont les apports eurent un impact durable sur la compréhension entre juifs et chrétiens. N'importe quelle liste est inévitablement sélective et peut ignorer probablement le travail de quelques pionniers. Au sein de la communauté catholique se détachent les noms de Mgr. John M. Oesterreicher, Fr. Edward Flannery, Sr. Katherine Hargrove, Mgr. Georges Higgins et le Père Victor Donovan. Tous ont contribué à préparer la voie à Nostra Aetate et immédiatement après son approbation en 1965 à donner suite à sa déclaration sur les relations de l'Eglise avec les juifs et le judaïsme.
John Oesterreicher, juif autrichien, converti au catholicisme, vint aux Etats-Unis en 1940 pour échapper à la Gestapo. Il établit l'Institute of Judaeo-Christian Studies à l'Université de Seton Hall en mars 1953. Cet institut devint un des premiers avocats de la réflexion catholique sur l'importance de la tradition juive pour l'auto-compréhension catholique et pour l'appréciation de Jésus et des origines du Christianisme. Son travail consistait à organiser des conférences et de publier de temps à autre un écrit appelé The Bridge (Le Pont). Le cinquième et dernier volume fut publié après Vatican II et fut le seul où entra une collaboration juive. En 1952, Mgr Oesterreicher publia un volume dont le titre était Walls are Crumbling (Les murs s'écroulent), décrivant sept philosophes juifs qui avaient découvert le Christ. Une version révisée de ce travail fut publiée en 1967 sous le titre de Five in Search of Wisdom (Cinq à la recherche de la Sagesse). Après Vatican II, Mgr. Oesterreicher orienta ses publications vers des discussions sur la théologie de l'Alliance et de l'impact d'Auschwitz sur la pensée des chrétiens. Il rédigea aussi un compte-rendu sur le développement de Nostra Aetate.11
Mgr. Oesterreicher joua un rôle important dans la mise à l'ordre du jour de Vatican II du problème des relations juifs-chrétiens et grâce à sa présence au Concile il influença aussi la forme de la version finale de Nostra Aetate. Déjà en 1960 John Oester reicher, avec le professeur (plus tard évêque) John J. Dougherty du Séminaire de l'Immaculée Conception à Darlington, New Jersey et treize autres prêtres écrivirent au Cardinal Béa une pétition demandant que lors du Concile, on traite de la question de la réconciliation entre juifs et chrétiens. Cette pétition donna une grande impulsion à l'idée d'une déclaration conciliaire sur la relation de l'Eglise avec le peuple juif. En février 1961 Mgr.Oesterreicher fut nommé consulteur au Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens. Ensemble avec l'Abbé Leo Rudloff (le fondateur de Weston Priory dans le Vermont) et Gregory Baum, il travailla comme membre de la sous-commission pour les questions juives. Après le Concile, Mgr. Oesterreicher contribua à l'établissement du Secrétariat des Evêques américains pour les relations entre juifs et chrétiens qui était initialement logé à Seton Hall.
Le travail de Mgr Oesterreicher n'échappa pas à la controverse. Quelques juifs importants critiquaient The Bridge pour son orientation pré-conciliaire de "seulement catholiques", tandis que ses livres sur les juifs convertis, spécialement l'édition postérieure à Vatican II qui disparut rapidement du marché, lui attirèrent la critique à la fois des juifs et des chrétiens dans le dialogue. Dans ses dernières années, il rompit avec quelques chrétiens jouant un rôle important dans le dialogue, sur des questions théologiques en rapport avec Auschwitz et sur l'appui des chrétiens à Israël. Quelle que fut la controverse au sujet des efforts d'Oesterreicher, il n'y a pas à en douter, il doit être considéré comme une première importante voix dans la compréhension entre juifs et chrétiens en Amérique du Nord; ses efforts étaient indispensables pour établir un dialogue suivi. En 1964, avant Nostra Aetate, il fut honoré par une des plus grande communautés juives du Massachusetts, étant un des premiers chrétiens à recevoir un tel prix. Il était clair que ses contributions positives avaient été remarquées et appréciées par les représentants de la communauté juive.
Mgr. Oesterreicher contribua aussi à l'apparition d'un autre pionnier, le Père Edward Flannery, prêtre du diocèse de Providence, Rhode Island, qui attira l'attention nationale pour la première fois par son livre de défricheur The Anguish of the Jews
(L'angoisse des Juifs), qui détaillait l'histoire de l'antisémitisme chrétien. Ce livre, avec une introduction de John Oesterreicher eut un impact énorme sur la conscience chrétienne au sujet de l'antisémitisme, dont la preuve était ses nombreuses éditions. Mgr. Oesterreicher contribua aussi à la nomination du Père Flannery comme directeur-fondateur du bureau des Evêques des Etats-Unis pour les relations entre juifs et chrétiens. Il aida énormément le Père Flannery dans l'installation de ce bureau qui, par la suite, fut transféré de Seton Hall aux locaux de la National Conference of Catholic Bishops à Washington. Travaillant avec efficacité à l'intérieur de la structure de la Conférence, le père Flannery put obtenir l'appui pour plusieurs déclarations des évêques américains qui appliquaient Nostra Aetate à la situation américaine et il put publier d'importantes déclarations sur quelques problèmes spécifiques contestant les relations entre juifs et chrétiens.
En étroite collaboration avec le P. Flannery à la Conférence des Evêques, il y avait un autre pionnier, Mgr. Georges Higgins, connu comme le "prêtre-travailliste" à cause de son appui au syndicalisme (où il travaillait en étroite collaboration avec plusieurs chefs travaillistes juifs). Mgr. Higgins était fin connaisseur des procédures de la Conférence. Il devint président du comité national consultatif pour le bureau du P. Flannery, et lui procura une aide inappréciable en faisant passer aux évêques, pour leur approbation les documents qu'il proposa. Mgr. Higgins fit beaucoup pour promouvoir le dialogue et parla fort contre l'antisémitisme, grâce à sa colonne syndicale nationale The Yardstick (La Verge) qui paraissait dans tous les journaux catholiques d'une mer à l'autre.
Finalement, il faut mentionner Sr Katherine Hargrove RSCJ du Manhattanville College de New York, et le père Victor Donovan CP. Sr Hargrove, par ses écrits ses conférences et son enseignement contribua fortement au lancement du dialogue et à la mise en oeuvre initiale de Nostra Aetate. Et le Père Donovan, par ses conférences, ses publications et son travail avec le Edith Stein Guild eut un rôle similaire, principalement à la base sur la côte Est du pays.
De la communauté Protestante, il faut mentionner le travail de personnes comme Franklin Littell ainsi que de Roy et Alice Eckardt. Tous se sont penchés, dans leurs écrits, sur un nouvel examen des relations entre juifs et chrétiens à la lumière de l'Holocauste. Ils furent des pionniers et souvent des voix solitaires au milieu du Protestantisme américain, ayant à faire face à l'antisémitisme si répandu dans sa bureaucratie et ses publications. Le Professeur Littell contribua aussi à l'établissement de deux institutions permanentes pour le dialogue nord-américain: la conférence annuelle des érudits sur l'Holocauste et les Eglises, et la conférence nationale des dirigeants chrétiens pour Israël. Il faudrait aussi mentionner le proéminent théologien protestant Reinhold Niebuhr pour sa position ferme dans les relations entre juifs et chrétiens à des moments-clefs.
Dans la communauté juive, les premiers personnages importants furent sûrement le Rabbin Marc Tanenbaum du American Jewish Committee et son assistante Judith Banki. Dans la Anti-Defamation Leauge, le nom des Rabbins Arthur Gilbert et Solomon Bernards méritent d'être cités. Le Rabbin Gilbert eut un impact sur l'éducation et joua un rôle dans l'approbation de Nostra Aetate. Le Rabbin Bernards, grâce aux instituts qu'il tenait annuellement au Princeton Theological Seminary pour les membres chrétiens de la faculté, réussit à amener beaucoup d'éducateur protestants à la notion du dialogue.
Plusieurs autres méritent aussi d'être mentionnés. Le Professeur J. Coert Rylaarsdam, professeur d'Ancien Testament à l'Université de Chicago, fut un des premiers biblistes à repenser la relation entre juifs et chrétiens du point de vue de la Bible. Un Pauliste, le père Jean Sheerin qui éditait le Catholic World (Le monde catholique) fut tôt un promoteur enthousiaste du dialogue. Il fut co-fondateur avec le Dr Martin Luther King, Jr et le Rabbin Abraham Heschel de Clergy and Laity Concerned About Vietnam qui mobilisa des dirigeants juifs et chrétiens contre la guerre. Le Rabbin Heschel, en plus de son activité sociale avec les chrétiens pendant la guerre du Vietnam, contribua aussi au du dialogue naissant par ses rencontres avec des experts chrétiens au Union Theological Seminary à New York qui était en lien avec sa propre institution, le Jewish Theological Seminary of America. Finalment, le Dr.Joseph Lichten de la Anti-Defamation League fut parmi les premiers à établir de nouvelles relations avec la communauté catholique américaine, surtout dans le domaine des relations juives-polonaises. Par la suite il reçut la décoration de Chevalier du Vatican.
Le travail des pionniers que nous avons mentionné fut rehaussé par de nombreux autres chrétiens et juifs. Ensemble leurs efforts, durant une bonne partie de ce siècle, ont injecté le dialogue comme un trait permanent dans l'Amérique du Nord. Ceux d'entre nous qui sommes venus après eux doivent beaucoup à leurs efforts de fondateurs.
NotesJohn T. Pawlikowsi est un prêtre Servite et professeur de l'Ethique Social au Catholic Theological Union à Chicago. Il est l'éditeur de New Theology Review et auteur de 10 livres et nombreux articles sur la Choah et les relations entre juifs et chrétiens. Parmi d'autres prix il a reçu le 1989 Raoul Wallenberg Award for Distinguished Contributions to Religion, et le 1994 Person of the Year Award du Council of Christians and Jews polonais (Warsaw).
1. Cf. Robert T. Handy, The America-Holy Land Studies Project: A Personal Statement; David Klatzer, American Christian Travelers to the Holy Land, 1921-1939; et Michael Brown, Canada and the Holy Land: Some North American Similarities and Differences, en With Eyes Toward Zion--III: Western Societies and the Holy Land, eds. Moshe David et Yehoshua Ben-Arieh, New York/Westport, CT/London, Prager, 1991, 33-39; 63-76; 77-91.
2. Adam Clayton Powell, Senior était le père d'un des premiers membres US. Africain-Américain du Congrès.
3. Cf. Claris Silcox et Galen Fisher, Catholics, Jews and Protestants: A Study of Relationships in the United States and Canada, New York, Institute of Social and Religious Research, 1934, 301-331.
4. Le père Valiquette avait contribué à amener les Soeurs de Sion à Montréal.
5. Les contributions du père Bruno Hussar sont développées dans un autre article de ce numéro.
6. Canadian Jewish Digest, 13:1 (Spring 1971).
7. Les contributions de Rabbi Tanenbaum sont mises en évidence dans un autre article de ce numéro.
8. Bernard E. Olson, Faith and Prejudice, New Haven, Yale University Press, 1963.
9. Cf. James W. Arnold, Religious Textbooks: Primers in Bigotry, New York, The American Jewish Committee, 1970
10. Pour un résumé et une discussion des études catholiques cf. John T. Pawlikowski, OSM, Catechetics and Prejudice: How Catholic Teaching Materials View Jews, Protestants and Racial Minorities.
11. John M. Oesterreicher, The New Encounter Between Christians and Jews, New York, Philosophical Library, 1986.