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Rome 1969
Vatican Office for Catholic-Jewish Relations
Saint-Siège (1969/04)
Au mois d'avril 1969, une consultation de 21 experts catholiques de 14 pays, invités par le Vatican Office for Catholic-Jewish Relations, a eu lieu afin d'examiner en détail la mise en oeuvre de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate n. 4. Le résultat de cette consultation a été exprimé dans des « Réflexions et Suggestions » qui furent soumises au Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens. Pendant la Session plénière du mois de novembre 1969, les évêques membres du Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens ont étudié plusieurs documents de travail. L'un d'eux a été publié au mois de décembre aux Etats-Unis, par suite d'une indiscrétion. Le texte final, élaboré et remanié est encore soumis à l'approbation du Saint Père.
Nous publions ici l'introduction à la discussion de la Session plénière. Elle est distincte du document en question, mais montre dans quel esprit est réalisé le travail au niveau officiel de l'Eglise.
I. C'est « en scrutant le mystère de l'Eglise » elle-même (Nostra Aetate) que le Concile a été amené à rappeler le lien qui unit le peuple chrétien avec la descendance d'Abraham. La Déclaration qui fut alors publiée est un document qui inaugure une ère nouvelle dans les rapports entre chrétiens et juifs. Sur ces relations pèse encore, il est vrai, le lourd héritage du passé. Mais devant les affirmations claires du Concile tous les chrétiens sont appelés à un effort de compréhension et d'approfondissement qui doit se traduire dans les faits pour que ce document ne demeure point lettre morte. C'est en vue de promouvoir cette application et cette recherche que nous proposons les réflexions et les suggestions qui suivent.
II. Après quatre années, il est possible de faire le point. Quatre attitudes peuvent être diagnostiquées en ce qui regarde ce problème des rapports entre les chrétiens et les juifs:
a) celle de ceux qui ont compris que le christianisme ne pouvait se comprendre, dans son origine et sa nature même, sans référence à la tradition juive où il a pris racine et qui est encore bien vivante jusqu'à nos jours;
b) celle des « indifférents » qui ne voient pas en quoi ce problème peut affecter leur condition de chrétiens (soit que le judaïsme en soi ne leur pose aucun problème, soit parce que de facto il n'y a point de juifs dans le milieu où ils vivent);
c) celle de ceux qui, non seulement oublient « le patrimoine qu'ils ont en commun avec les juifs » (Nostra Aetate) mais sont encore inspirés par un antisémitisme plus ou moins conscient et plus ou moins déclaré, dont le Concile a déploré toutes les manifestations (Nostra Aetate, n. 4);
d) celle de ceux qui, souvent par ignorance, exagérant ou généralisant des cas individuels, considèrent le peuple juif actuel comme presque totalement « sécularisé », voire athée, et ainsi n'ayant plus de signification religieuse.
III. En vue de promouvoir l'application concrète de la Déclaration Nostra Aetate, et dans la ligne de l'esprit qui l'anime, il nous semble utile de rappeler ce qui suit:
a) Le problème des rapports entre juifs et chrétiens concerne l'Eglise en tant due telle,puisque c'est « en scrutant son propre mystère » qu'elle est affrontée au mystère d'Israël. Ces rapports touchent donc la conscience et la vie chrétienne dans toutes ses manifestations (liturgie, catéchèse, prédication, etc.) dans tous les pays où l'Eglise est implantée, et non pas seulement ceux où elle se trouve en contact avec des juifs.
b) Le Nouveau Testament lui-même affirme la valeur permanente des Livres saints où se fonde et s'alimente la foi du peuple juif. « N'allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abolir, mais accomplir» (Mt 5, 17); « à eux appartiennent l'adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches » (Rm 9, 4); les juifs « restent chéris à cause de leurs pères. Car les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance » (Rai 11, 28-29).
c) L1,Eglise n'est pas née seulement de l'Ecriture mais aussi de la tradition vivante du peuple juif: la Providence ne s'est pas bornée à « une préparation simplement livresque de la venue du Messie » (L. BOUYER, La Bible et l'Evangile 2, 248); le Christ, les apôtres et les premiers chrétiens ont participé de cette tradition. « Si transformante que soit la révélation chrétienne, c'est à la tradition juive qu'elle puise non seulement ses formules, ses images, ses cadres, mais jusqu'à la moelle de ses notions » (ibid., 250). Le christianisme, d'autre part, ne se relie pas directement à l'A.T. tel quel, mais à celui-ci tel qu'il était interprété par la tradition juive ancienne.
Les recherches récentes des exégètes comme des liturgistes ont abouti à la conclusion qu'il est indispensable, pour comprendre pleinement la tradition et les institutions chrétiennes, d'approfondir la connaissance des institutions juives elles-mêmes: cela est particulièrement clair dans le cas de l'origine des sacrements. Les chrétiens ont adopté les fêtes et les prières juives, en les adaptant à la révélation apportée par le Christ; mais leur sens fondamental ne peut être saisi qu'en référence constante à leur milieu d'origine. Or cette liturgie juive est encore célébrée de nos jours avec la même foi, dans le même esprit, et souvent dans les mêmes termes, qu'à l'époque ancienne à laquelle les premiers chrétiens y prenaient encore part. Il n'y a sans doute pas de façon plus suggestive de comprendre l'institution eucharistique dans le cadre du repas pascal juif, que de connaître la célébration du Seder pascal dans une famille juive.
d) Sur le plan de la recherche théologique, le même fait s'est vérifié: tout approfondissement des notions fondamentales de la religion chrétienne amène à une confrontation avec les doctrines analogues du judaïsme intertestamentaire où elles s'insèrent. C'est la Providence elle-même qui a voulu que la révélation du Christ prenne le relais des doctrines que nous voyons répandues dans le judaïsme palestinien du ler siècle. Les conceptions eschatologiques, apocalyptiques; les conceptions du péché et de la Rédemption; l'Incarnation comme présence parmi nous du Verbe de Dieu, et d'autres thèmes encore, tout cela ne peut être étudié sans une profonde familiarité avec le monde de la tradition juive, non seulement du temps du Christ, mais telle qu' elle se trouve formulée à toutes les étapes et sous les formes de la littérature juive.
Relevons deux points, à titre d'exemples, où la théologie chrétienne ne peut que s'enrichir au contact de la tradition religieuse juive:
aa) le concept d'histoire du salut: dans la Bible nous voyons que Dieu se fait connaître et se révèle concrètement dans les événements, dans les rapports avec les hommes concrets: YHWH est le Dieu de quelqu'un, « d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ». Dieu sauve en agissant; toute la vie est histoire du salut: nul fait ou événement n'échappe au dessein de « Dieu Sauveur ». C'est ainsi que la religion juive a toujours conçu son rapport avec Dieu. Comment alors, dans l'optique chrétienne, comprendre ce que signifie l'« histoire du salut », cette Révélation de Dieu dans et par l'histoire, sans tenir compte de la façon dont le peuple élu a pris conscience de la rencontre de Dieu et vécu cette révélation d'un Dieu toujours présent au cours de sa longue histoire jusqu'à nos jours?
bb) la conception du monde: tous les croyants juifs et chrétiens, sont affrontés au monde de « la mort de Dieu », de la sécularisation, ou de quelque nom que l'on appelle cette mise entre parenthèses ou pure exclusion de Dieu de sa création. Or, en face de ce problème contemporain, la conception juive d'un monde comme création permanente de Dieu, de la conception vivante de l'action et de la présence du Créateur dans toutes ses oeuvres, peut nous aider à rester fidèles au sens biblique d'une sorte de « consécration » de l'univers.
Ce sont là des exemples, mais il en est d'autres qui pourraient illustrer l'apport de la tradition juive à la théologie chrétienne, quand celle-ci retourne aux sources communes aux juifs et aux chrétiens.
IV. Le problème des rapports avec les juifs étant lié au mystère même de l'Eglise (Nostra Aetate), ce sont toutes les Eglises chrétiennes qui se trouvent de facto concernées par celui-ci. Il a donc un aspect oecuménique qu'il importe de souligner dans le contexte où nous nous trouvons. Les Eglises chrétiennes sont divisées et en quête de l'unité voulue par le Seigneur. Cette unité ne peut se construire que par un retour aux sources communes, aux origines de la foi.
L'expérience montre en fait que partout où s'est développé la dialogue entre juifs et chrétiens, le dialogue oecuménique lui-même a gagné en profondeur et en vitalité. Le Pape Paul VI, s'adressant aux participants du Congrès de l'Organisation Internationale pour l'étude de l'A.T., groupant des savants juifs, protestants et catholiques, déclarait en les recevant en audience, le 19 avril 1968: « Les trois familles, juive, protestante et catholique, le (l'A.T.) tiennent également en honneur. Elles peuvent donc étudier et vénérer ensemble ces saints Livres... Il est heureux que l'initiative ait été prise de cette étude en commun.. Voilà une forme authentique et féconde de travail oecuménique » (L'Osservatore Romano, 20 avril 1968). L'approfondissement des relations oecuméniques conduit nécessairement à la rencontre du peuple juif. K. Barth, en 1966, faisait remarquer: « Il y a actuellement de nombreux contacts bienfaisants, entre l'Eglise catholique et plusieurs Eglises protestantes, entre le Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens et le Conseil mondial des Eglises... Le mouvement oecuménique est poussé par l'Esprit de Dieu; mais n'oubliez pas: il n'y a qu'une seule et importante question: nos relations avec Israël ».
Beaucoup d'évêques ont perçu cette connexion en établissant les commissions pour les relations judéo-chrétiennes dans le cadre desorganismes chargés des questions oecuméniques. Ce contexte oecuménique lui-même montre dans quel esprit doivent s'établir et se développer les relations entre chrétiens et juifs: dans un esprit que l'on peut aussi qualifier d'oecuménique, au sens où le terme exprime le souci de connaître l'autre tel qu'il est et se définit lui-même, de l'aimer et de le respecter dans ses convictions et les conceptions qui gouvernent sa vie.
(D'après le Service d'information n. 9, Février 1970/1, du Secrétariat pour l'unité des chrétiens).