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Jubilé: Renouveler nos liens communs avec la communauté Juive. Une invitation aux membres de l’Eglise Catholique au Canada

Commission Épiscopale Canadienne de L’œcuménisme
(2000/10/13)

 

Ce document a été préparé en collaboration avec des membres de la communauté juive ainsi que des représentants de la Consultation canadienne entre juifs et chrétiens*

Proclamer un Jubilé
*Ce sera votre jubilé :
chacun de vous rentrera dans ses terres et dans sa famille (Lev 25,10).


Comme membres de l’Eglise catholique, nous célébrons cette année un « grand Jubilé », soulignant ainsi le 2000e anniversaire de la naissance du Christ. Le Lévitique met en lumière les engagements d’un tel jubilé : réfléchir sur notre réalité communautaire, retourner aux origines de notre foi et renouveler l’expérience même de foi. Le climat de jubilation qui nous anime et nous entoure est une invitation à reprendre notre engagement à suivre Jésus-Christ avec plus de courage et de cohérence(1)1.

Jésus de Nazareth est issu du peuple juif et il a été enraciné dans la tradition de Moïse et des prophètes. Quoique son enseignement ait eu un caractère de profonde nouveauté, il arrive souvent au Christ de prendre position à partir des enseignements des Ecritures hébraïques et d’employer les méthodes des rabbins de son époque. « Jésus était et est toujours resté un Juif » (2)2. Les racines juives de Jésus et le fait qu’il fut pleinement un homme de son temps et de son milieu ne peuvent que « souligner soit la réalité de l’Incarnation, soit le sens même de l’histoire du salut, comme il nous a été révélé dans la Bible » (3)3. Plus nous côtoierons le judaïsme, particulièrement dans ses traditions, mais également dans sa réalité vécue, mieux nous connaîtrons Jésus.

Un temps pour se souvenir
La célébration de l’avènement du Christ invite véritablement au souvenir – souvenir de deux mille ans qui englobent l’histoire de la communauté des chrétiens, depuis ses débuts au sein de la communauté juive à Jérusalem, à travers l’évolution dramatique qui est survenue alors que l’Eglise a pris racine parmi les Gentils aux cultures différentes, jusqu’à sa situation présente comme communauté de foi à l’échelle du monde. Toutefois, pour exprimer la perception qu’ils ont d’eux-mêmes, les chrétiens ne peuvent pas écarter la présence et l’inspiration continues de la tradition juive. Même, « il importe (…) que les chrétiens cherchent à mieux connaître les composantes fondamentales de la tradition religieuse du judaïsme et qu’ils apprennent par quels traits essentiels les juifs se définissent eux-mêmes dans leur réalité religieuse vécue » (4)4. Le peuple juif est « cher à Dieu », son élection et sa mission sont toujours valables et il joue un rôle capital dans l’histoire religieuse de l’humanité.

Puisque l’Eglise a repris du judaïsme la pratique de l’année du Jubilé, la présente année ne devrait-elle pas être l’occasion de poser un jalon supplémentaire pour se rapprocher du peuple juif ? En cette année, ne devrions-nous pas entreprendre des actions concrètes menant à de nouveaux rapports marqués par la compréhension, la paix et le respect mutuel ? En continuant de guérir les blessures qui séparent les communautés juive et chrétienne, nous contribuerons à guérir les blessures du monde, ce que le Talmud décrit comme une action nécessaire au développement du « royaume du Très-Haut ».

Nos liens spirituels communs
L’Eglise du Christ découvre son « lien » avec le judaïsme en « scrutant son propre mystère » (5)5. Au moyen des Ecritures, mais aussi par la théologie et la liturgie, l’Eglise maintient un lien vital avec la religion juive. Lors de sa visite à la Synagogue de Rome, en 1986, le pape Jean Paul II a dit : « La religion juive ne nous est pas ‘extrinsèque’ mais, d’une certaine manière, elle est ‘intrinsèque’ à notre religion. Nous avons donc avec elle des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés ».

Juifs et chrétiens font de la Bible la substance même de leur liturgie. La prière des Heures et autres textes liturgiques ont leurs pendants judaïques, de même que les formules précises de nos prières les plus chères. La prière eucharistique, qui est au centre même de notre culte, s’inspire de la grande berakhot, ou prière de bénédiction de la tradition juive. Il nous importe d’apprécier les richesses de notre foi pour lesquelles nous sommes redevables au judaïsme et de proclamer en quoi nous éclaire une connaissance de la liturgie juive et des commentaires juifs sur l’Ecriture.

En cherchant à connaître les membres de la communauté juive, nous voulons mieux comprendre leur histoire et leurs traditions, sans pour autant prendre le relais. Il y a beaucoup à apprendre de la participation à des festivités juives, sauf qu’il faut prendre garde de faire comme si on entendait s’approprier ou reconstituer des événements de l’histoire juive. La cohérence et la signification des mots et des symboles tiennent de l’ensemble d’une tradition ; la distorsion ne s’insère que lorsque ceux-ci sont simplement importés dans une autre tradition.

Les ambiguïtés d’une histoire commune
L’Eglise primitive et le judaïsme rabbinique ont tous les deux pris forme à peu près à la même époque, s’enracinant tous les deux dans le judaïsme biblique. En dépit et même en raison de leurs liens serrés, la séparation initiale du Ier siècle a pris l’apparence d’une rivalité, puis d’une aliénation et enfin d’une hostilité séculaire. Quoique « l’histoire des rapports entre juifs et chrétiens ait été tumultueuse » (6)6, « les liens spirituels et les relations historiques rattachant l’Eglise au judaïsme condamnent comme opposée à l’esprit même du christianisme toute forme d’antisémitisme et de discrimination… » (7)7. Les enseignements des papes récents ont fait valoir le caractère profondément non-chrétien de l’antisémitisme, depuis l’énoncé de Pie XI à l’effet que « spirituellement, nous sommes des sémites (9)»8 jusqu’à la déclaration de Jean Paul II affirmant que « l’antisémitisme est sans justification aucune et absolument condamnable (9)»9 .

A propos de l’accusation de « déicide » (responsabilité de la mort de Jésus), qui avait été un facteur majeur dans l’histoire des relations « tumultueuses » entre juifs et chrétiens, le Concile Vatican II affirme clairement que : « … ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tous les juifs vivant alors, ni aux juifs de notre temps » (10)10. Selon l’enseignement de l’Eglise catholique, Jésus s’est soumis en toute conscience à la mort à cause des péchés du monde. C’est donc dire que l’accusation de déicide n’a aucun fondement théologique ou biblique. Cette calomnie ne devrait plus jamais être propagée et « les juifs ne doivent pas, pour autant, être présentés comme réprouvés par Dieu ni maudits » (11)11
. De plus, l’enseignement de la Déclaration sur la liberté religieuse du Concile établit clairement que la foi est un don gratuit de Dieu qui exclut toute forme de contrainte.

Appel à la réconciliation
Le 12 mars, lors du premier dimanche de Carême de l’année jubilaire, le pape Jean Paul II a amené l’Eglise catholique à demander pardon pour les péchés de ses membres envers le peuple de la première Alliance, Israël(12)12. En situant la confession des péchés dans un contexte liturgique, le pape a voulu montrer par là le sens profond de cet acte : la purification de la mémoire et la réconciliation. Au cours de son récent pèlerinage, Jean Paul II est devenu le premier pape à prier devant le Mur occidental, l’emplacement le plus sacré du judaïsme. Il y a inséré une prière écrite de pardon. La prière est au cœur du repentir et de la réconciliation auxquels nous sommes appelés.

L’appel à la réconciliation est partie essentielle du message de Jésus. Il s’agit d’un élément premier pour comprendre l’œuvre de Dieu dans le monde, de même que la mission de l’Eglise de participer à cette œuvre. « Tout cela vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui par le Christ et qui nous a confié le ministère de cette réconciliation. Car dans le Christ, c’était Dieu qui se réconciliait le monde…, qui a mis sur nos lèvres le message de réconciliation » (2 Co 5,18-20). Selon le pape Paul VI, l’Evangile doit influencer et même bouleverser les valeurs humaines, les points d’intérêt, les lignes de pensées et les modèles de vie qui ne sont pas en harmonie avec la Parole de Dieu et le dessein de salut. Le témoignage chrétien consiste à « porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans et rendre neuve l’humanité elle-même… » (13)13. Ainsi, l’engagement chrétien à une vie de réconciliation aura des répercussions non seulement sur les rapports personnels mais également sur l’ensemble de l’humanité.

La réconciliation commence par le repentir, un engagement ferme à se détourner des sources de division et des attitudes d’ostracisme. Le repentir peut survenir par suite d’une intuition subite ou d’un éveil progressif à la compréhension des choses. Dans un cas comme dans l’autre, il en découlera un changement de vie, un abandon complet d’attitudes et de comportements antérieurs. L’Ecriture nous rappelle que le souvenir est au cœur de notre fidélité à l’alliance de Dieu : « C’est lui le Seigneur, qui est notre Dieu ; ses jugements s’exercent sur toute la terre. Souvenez-vous éternellement de son Alliance » (1 Ch 16,14-15). La parabole de l’enfant prodigue (Lc 15,11-24) souligne l’influence déterminante du souvenir dans la dynamique du repentir. N’est-ce pas là la forme de repentir à laquelle nous sommes appelés au moment d’un jubilé ?

Mesures pratiques
Depuis quelques années, l’Eglise en est venue à reconnaître que Dieu appelle à une transformation profonde de nos relations avec le judaïsme et le peuple juif. En cette année jubilaire, comment exprimer notre engagement en cette matière ?
La pri re : Vu notre patrimoine spirituel commun, chrétiens et juifs pourront convenir de prier ensemble en certaines occasions. La pri re en commun, fid le aux deux traditions, pourrait servir de stimulant puissant pour la connaissance mutuelle et la réconciliation.

Visites et activités sociales : On pourrait susciter la compréhension en visitant, ensemble ou séparément, lieux de culte, écoles, musées et autres endroits du m me genre. Des activités sociales communes seraient de bonnes occasions de rencontrer des voisins juifs.

Echanges : Des échanges en groupes et des rencontres domicile o les participants discuteraient de divers sujets ou th mes dans un esprit d’ouverture, de candeur et d’amitié pourraient constituer une mesure concr te favorisant la compréhension. Voil le début d’un cheminement dans lequel nous espérons nous engager avec respect.

Etude de documents ecclésiaux : Les organismes diocésains et paroissiaux, les écoles et surtout les séminaires pourraient prévoir des programmes d’étude et de mise en uvre de Nostra Aetate et des documents officiels subséquents. La saison liturgique du Car me, en raison de l’accent mis sur le repentir et la réconciliation, semble un temps éminemment propice l’organisation de tels programmes.

Prédication et enseignement : Le but de la prédication et de l’enseignement consiste présenter les juifs et le juda sme d’une mani re objective, libre de préjugés et ménageant les susceptibilités, dans un climat de pleine conscience du partage d’un patrimoine de foi commun.

Imprimés et médias : Les textes scolaires, les livres de pri res et de chants doivent refléter le contenu et l’esprit de l’enseignement de l’Eglise. Notons particuli rement la tradition juive de ne pas prononcer haute voix le Saint Nom de Dieu écrit avec les lettres YHWH ou le mot Yahweh. Ainsi, lorsque le Nom apparaît dans les traductions bibliques ou des cantiques, il serait opportun de le remplacer par le vocable « le Seigneur », « l’Eternel » ou « Dieu ».

Coopération en mati re sociale : Fondées sur la Parole de Dieu, les traditions juive et chrétienne sont bien conscientes de la valeur unique de la personne humaine. Dans la mesure du possible, on doit favoriser la coopération en mati re d’entreprises sociales vouées au bien- tre et la moralité publics, surtout quand il s’agit de sujets comme la paix, la justice, les droits de la personne et la dignité humaine. Le fait de prendre part des activités commémorant l’Holocauste (la Shoa) pourrait aider favoriser une juste compréhension de ces questions et promouvoir un engagement commun des chrétiens et des juifs en ce domaine.

Un avenir plein d’espoir
A la Pentecôte, les premiers disciples de Jésus se sont sentis tout à coup secoués, renversés même, sous l’effet des dons de l’Esprit (Ac 2,4). Aux dissensions de la tour de Babel a succédé la réalité étonnante de l’unité dans l’Esprit franchissant toutes sortes de langues et de cultures. Aujourd’hui encore, nous sommes appelés à reconnaître les merveilles divines à travers la diversité linguistique et culturelle.
En tant que descendants d’Abraham, juifs et chrétiens sont appelé à sanctifier le monde (Gen 12,2s.). Cette promesse et cet appel faits à Abraham invitent à s’engager ensemble à promouvoir la paix et la justice parmi les peuples. Selon le pape Jean Paul II : « Juifs et chrétiens partagent un immense patrimoine spirituel qui trouve sa source dans l’auto-révélation de Dieu. Nos enseignements religieux et nos expériences spirituelles exigent de nous que le mal soit défait par le bien… Pour nous, se souvenir signifie prier pour la paix et la justice et nous engager pour leur cause » (14)14.

Notes
* Texte français du Bureau pour l’œcuménisme de la CECC. [Publié par La Documentation catholique, 3 décembre 2000, n. 2237.]
1 Le Concile Vatican II a profondément modifié l’attitude de l’Eglise envers le judaïsme par sa déclaration sur les relations avec les religions non-chrétiennes, Nostra Aetate. Cette orientation s’est poursuivie et affirmée grâce à l’autorité des documents post-conciliaires produits par la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme : Orientations et suggestions pour l’application de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate (n. 4), (1974) ; Notes pour une correcte présentation des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l’Eglise catholique, (1985) ; Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoa, (1998).
2 Notes, 12.
3 Notes, 12.
4 Orientations, préambule.
5 Nostra Aetate, 4.
6 Nous nous souvenons, III, 1.
7 Orientations, préambule.
8 Discours à un groupe de pèlerins, septembre 1938, La Documentation catholique, 1938, col. 1460.
9 1er novembre 1997.
10 Nostra Aetate, 4.
11 Nostra Aetate, 4. Lorsqu’il s’est adressé aux leaders juifs à Mainz, en Allemagne, le 17 novembre 1980, le pape Jean Paul II a reconnu que l’Alliance de Dieu avec le peuple juif n’a jamais été révoquée, rappelant alors l’affirmation de saint Paul dans sa lettre aux Romains (11, 29).
12 Le 7 mars, cinq jours avant la célébration liturgique à la basilique Saint-Pierre, la Commission internationale de théologie a rendu public un document intitulé « Mémoire et réconciliation : l’Eglise et les fautes du passé », qui « précise les raisons, les conditions et la nature exacte des demandes de pardon pour les fautes du passé ». Une section du document porte spécifiquement sur les relations entre les chrétiens et les juifs. On précise que les relations constituent « un des aspects qui exigent un examen de conscience particulier ».
13 Evangelii nuntiandi, 18.
14 Yad Vashem, le 23 mars 2000.

 

 

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