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Revue SIDIC XVII - 1984/3
La Parole de Dieu à l’église et à la synagogue (Pag. 13 - 15)

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Les lectures de la synagogue
Charles Perrot

 

L'article ci-dessous a été publié dans la revue Foi et Vie LXXXII, 4-1983, Cah. Bibl. 22. Nous le repro¬duisons ici avec l'aimable autorisation de l'auteur et de la Rédaction de la revue Foi et Vie.

La synagogue est d'abord le lieu de la Parole, celle d'un Dieu qui continue de parler à son peuple et celle des croyants qui lui répondent. Elle est donc le lieu d'un dialogue où la parole souveraine appelle la prière. Toutefois, la prière n'est pas l'acti¬vité par excellence de l'assemblée synagogale, mais bien la parole divine qui l'interpelle par la lecture de l'Ecriture. La Bible, et donc la Torah d'abord, construit la synagogue c'est-à-dire « l'assemblée ». Entre la synagogue et la lecture biblique le rapport est donc immédiat, voire constitutif, même si l'ins¬titution synagogale recouvre en fait d'autres acti¬vités. Rappelons les modalités de la lecture biblique au matin du shabbat et lors des fêtes, en Palestine durant les premiers siècles de notre ère. Nous pour¬rons alors mieux saisir comment la synagogue est le lieu d'une parole en continuelle résonance.

La lecture de la Torah

De nos jours, les synagogues disposent les lectures de la Torah selon un cycle de lecture annuel, répartissant dans l'année les 54 parashyot à partir de Simhat Torah, c'est-à-dire la fête de la « joie de la Torah », tombant le 23 Tishri (septem¬bre-octobre), à la fin de la fête de Sukkot (les Tentes). On suit alors, à quelques variantes près selon les rites, le cycle annuel dit babylonien. En Palestine, avant le VIle siècle surtout, la pratique coutumière est bien différente: on suit un cycletriennal, répartissant cette fois les lectures sur trois ans et demi d'abord, puis sur trois ans seulement. Dans le cycle triennal palestinien, on trouve donc quelques 154 à 158 lectures de la Torah, appelées sedarim (seder, au singulier), débutant aussi, très probablement, dans le contexte de la fête de Sukkot (donc en septembre ou octobre). Ces deux pratiques coutumières, annuelle et triennale, remontent appa¬remment à la fin du Ile siècle de notre ère, et pro¬bablement en Palestine toutes les deux. On cons¬tate, en effet, que le principe d'une « lecture con¬tinue» de la Torah ne s'est guère imposé avant le milieu du Ile siècle de notre ère, à la suite d'une controverse opposant Rabbi Meir et Rabbi Juda (cf. Tosefta Megilla 4,10). L'âge d'or du cycle triennal palestinien a coïncidé avec l'extraordinaire déve¬loppement architectural des synagogues galiléennes des Ille-IVe siècles, sans parler des magnifiques expansions homilétiques de ce temps, en lien direct avec ce cycle de lecture. Les grands homéliaires, tels le Midrash Rabbah ou les Tanhumot, en por¬tent toujours la marque.

La lecture des prophètes

Après la lecture de la Torah, on lit généralement un texte des Prophètes, tiré souvent d'Isaïe ou des Douze petits Prophètes. Certains rouleaux, com¬me celui d'Ezéchiel, posaient encore des questions à cet égard à la fin du ler siècle de notre ère!

L'auteur des Actes écrit: « Après la lecture de la Loi et des Prophètes, les chefs de la synagogue leur firent dire: "Frères, si vous avez quelques mots d'exhortation à adresser au peuple, prenez la parole!" » (Ac 13, 15). A Antioche de Pisidie où se trouve Paul, comme dans toute la Palestine, on suit alors la coutume de lire un morceau choisi des Pro¬phètes, avant de dire l'homélie ou le mot d'encoura¬gement. Mais là encore, une telle coutume, valo¬risant assurément le texte prophétique grâce à l'action des scribes pharisiens, n'est pas partout acceptée. Sans parler des milieux sadducéens ou des sectaires de !Qumran, cette pratique coutumière ne semble pas connue à Alexandrie, par exemple. L'homélie ou l'explication biblique d'un Philon d'Alexandrie suit directement la lecture de la Torah. Mais peut-être a-t-on alors vite pris l'habitude de terminer l'office par une haftarah tirée des Prophè¬tes, c'est-à-dire, au sens étymologique, un « mot d'adieu ». Néanmoins, dans la Palestine du ler siècle déjà, une telle lecture des Prophètes, précédant cette fois l'homélie, est largement coutumière. Là encore, il s'agit de morceaux choisis, débutant à un alinéa de lecture et choisis justement en fonction du texte de la Torah qui précédait, immédiatement après quelques bénédictions. Un lien verbal et sur¬tout thématique unissait les deux lectures. Le texte prophétique se présentait alors comme l'achève¬ment ou l'accomplissement de la Torah, son actua¬lisation et son premier commentaire autorisé. Dans ces conditions, on comprend vite que n'importe quel texte prophétique, pris au hasard de la lecture, ne convenait pas en la circonstance. Il fallait un choix. Au contraire, certains textes de la Torah et des Prophètes s'attirèrent vite l'un l'autre selon un processus « d'aimantation textuelle » qui provo¬qua peu à peu l'émergence des pratiques coutu¬mières. Là encore, il n'existait pas de lectionnaire et de calendrier des lectures, mais déjà des coutu¬mes où certains textes prophétiques gravitaient autour des lectures de la Torah. Dans le cadre du ou des cycles triennaux, sans parler du ou des cycles annuels encore pratiqués de nos jours, la coutume fixa progressivement un certain choix de lectures prophétiques.

Les lectures du cycle triennal

Voici une liste de ces lectures du cycle triennal,1 telle que nous avons pu la reconstituer à la suite des travaux de Jacob Mann 2 et à partir des an¬ciens manuscrits palestiniens ou des éléments dé¬couverts dans la Guéniza du Vieux Caire. On re¬marquera la longueur des lectures: celles de la Torah (sedarim) ont au moins 21 versets et celles des Prophètes (haftarot), 10 versets environ. Le découpage des lectures de la Torah variait selon les régions. Le choix des haftarot variait aussi selon les synagogues, comme il a été dit plus haut.

Par ailleurs, les lectures palestiniennes pour les fêtes et demi-fêtes sont en partie différentes de celles acceptées en Babylonie, et donc des lectu¬res actuellement retenues dans les synagogues. Donnons seulement l'exemple de Rosh Ha-Shana (Premier de l'an) comportant les lectures de Lv 23,23s et Joel 2,1s; Gn 21,1s et I S 1,1; et celui des sept jours de Pessah (Pâque): 1er jour: Lv 22,26s et Jos 5,12; 2e jour: Lev 23,9s; 3e jour: Ex 12,43s; 4e jour: Nb 9,1s; 5e jour: Dt 16,1s; 6e jour: Ex 22,24s; 7e jour: Ex 14,30s et Jg 5,1-20 ou Es 10,32s ou Es 19,1-25; shabbat de la fête: Dt 24,22s et MI 3,10-24 ou Ex 13,17s (?) Ez 37,1s (?).

Affinités entre Torah, haftarah et homélie

Les haftarot sont choisies en fonction des lec¬tures tirées de la Torah. Un lien verbal, un mot-agrafe, et plus encore un ou plusieurs thèmes sem¬blables unissent ces lectures entre elles. Donnons l'exemple de la lecture « sur le buisson », à savoir le seder 47 comportant la lecture d'Exode 3,1 à 4,17. Elle est d'ailleurs citée par Marc 12,26 et par Philon d'Alexandrie dans son de Somniis § 194. Après le texte de la Torah (Ex 3,1: « Moïse faisait paître le troupeau »), on lisait une haftarah tirée d'Isaïe, comprenant d'abord une vingtaine de ver¬sets; puis on s'est contenté d'une dizaine seule¬ment: Es 40,11-19 et 31 ou encore Es 40,11-18 et 21-22 (Es 40,11: « Comme un pasteur, il fera paître son troupeau »). Dans les magnifiques homélies qui fleurissent, surtout à partir du Ille siècle de notre ère, on voit l'homéliaste s'appuyer d'abord sur « un verset d'ouverture (une petihtah) », par exemple Psaume 78-71: « De derrière ses brebis, (Dieu) fit venir (David), il en fit le berger de Jacob son peuple ». Ainsi pouvait-il montrer comment Dieu, le pasteur d'Israël, choisit lui-même des pasteurs pour son peuple, après les avoir éprouvés par la conduite d'un troupeau. L'homéliaste utilise en la circonstance de nombreux éléments sur le thème pastoral puisés dans le Pentateuque, les Prophètes et les Ecrits, par exemple Michée 7,14 (« Fais paître ton troupeau sous la houlette ». De telles chaînes scripturaires portant sur un même thème font véri¬tablement vibrer la synagogue, au point de la trans¬former en une sorte de « concordance vivante » de toute la Bible. Les textes scripturaires sont en effet «enfilés comme des perles », selon une expression d'alors, afin de mieux mettre en valeur le message fondamental.

Plus encore, l'homéliaste utilise facilement des éléments tirés des traditions orales de type haggaBique ou narratif, afin d'édifier et de mieux mettre en évidence le thème propre au shabbat. La syna¬gogue devient alors le lieu du « recueil » et de l'unité de toute la Révélation, à partir de l'Ecriture et de cette « Bible orale » puisée elle aussi chez Moïse. Dans ce jeu homilétique où la Bible expli¬que la Bible et la fait continuellement résonner, la parole délivrée à la synagogue garde toujours son actualité. L'action et la réaction des textes bibli¬ques les uns sur les autres provoquent l'homéliaste à rappeler les diverses significations déjà données à un texte par les Rabbis d'antan, mais à dire aussi leur sens, et donc à entrer et faire entrer dans le mouvement même du texte, au surgissement de sa continuelle signifiance.



* Le Rd P. Charles Perrot est professeur d'Ecriture Sainte à l'Institut Catholique de Paris. Il est aussi l'auteur d'articles et de livres dont « La lecture de la Bible dans la synagogue: Les anciennes lectures pa¬lestiniennes du Shabbat et des fêtes », éd. Gerstenberg, Hildesheim 1973.

1. Nous ne pouvons reproduire ici toute la liste du cycle triennal, tel qu'il a pu être reconstitué. On peut la trouver dans le livre de Ch. Perrot cité plus haut, p. 55 à 87, ou dans le numéro de Foi et Vie mentionné plus haut.
2. Jacob Mann: The Bible as Read and Preached in the Old Synagogue, vol. 1, éd. Ktav, New York 1971: Jacob Mann and lsaiah Sonne, vol. Il, Hebrew Union College, Cincinnati 1966.

 

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