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Revue SIDIC XVI - 1983/1
Le Cantique des Cantiques: diverses interprétations (Pag. 23)

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Enseignement et Education: Le Cantique des Cantiques dans la liturgie
Carmine Di Sante

 

Le Cantique occupe une place centrale dans la liturgie juive. Les juifs de rite sephardi le chantent chaque vendredi soir pour accueillir le Shahhat attendu par tous comme une « Fiancée »; et aussi à l'occasion de la Pâque, à la fin des sept jours de célébration de la fête. Chez les Ashkenazis, les Cantique est lu le matin du Shahhat avant la lecture de la Thora et, dans cer- taines communautés, sa lecture conclut la célébration du Seder pascal.

On peut justifier de bien des inanières le rapprochement qui a été fait entre le Cantique et la célébration du Shabbat ou de la Pâque. Le Cantique évoque la jeunesse et l'amour... ce qu'évoque aussi la fête prin- tanière de la Pâque. On y trouve aussi une référence au « char de Pharaon » (Cr 1,9) qui Fait penser à l'Exode. Les chants d'amour entre l'amant et l'aimée enclosent, expriment, dans le concret de leurs images colorées et charnelles, l'amour de Dieu pour Israël son épouse, l'Alliance conclue au désert. Cette vigueur enfin, cette joie et cette surprise que le Cantique chante avec lyrisme sont pour nous des symboles éloquents de l'expérience vécue par Israël, celle d'un passage de l'esclavage à la liberté, de l'Exil à la Terre et au Royaume, du fini à l'infini. Lu chaque vendredi soir dans les synagogues orientales, ce texte, mieux que tout autre, exprime le passage du monde créé au repos incréé et éternel du Shabbat.

Par contre, le Cantique ne rencontre qu'un emploi limité et marginal dans la liturgie catholique romaine, réformée et amplifiée par le Concile Oecuménique Vatican II. Complètement absent du Lectionnaire des joua de fête, il est utilisé une seule fois dans le Lectionnaire férial (le 21 décembre: Q 2,8-14, en relation avec le passage mariologique de Le 1,39-45); une seule fois aussi dans l'Office Divin (comme lecture brève pour la nativité de la Vierge, le 8 septembre: Ct 6,10); six fois dans le Rite de la Consécration des Vierges, deux fois comme lecture biblique (Ct 2,8-14 et 8,6-7) et quatre fois comme antienne (Ct 3,1; 2,6; 2,14; 4,8); une seule fois dans le Rituel du Mariage (Ct 2,8-16); et une seule fois dans le Commun des Vierges (Ct 8,7, comme lecture brève).

Si nous considérons la liturgie pré-conciliaire, nous ne trouvons pas de différences substantielles, sinon que certaines péricopes supplémentaires sont utilisées à l'occasion de fêtes de la Vierge (par ex. la Nativité et l'Assomption) ou de saintes comme Marie Madeleine ou Marguerite de Cortone.

Comparant l'usage liturgique du texte du Cantique dans les deux traditions, nous sommes amenés à faire les remarques suivantes:

— La liturgie catholique n'utilise jamais le Cantique en son entier. En y réfléchissant, il semble bien dommage de se priver, de priver la communauté ecclésiale, de ce texte magnifique qui est l'un des plus riches de la littérature biblique et même mondiale.

— los quelques péricopes sélectionnées ne sont lues que dans k contexte de fêtes mariales secondaires ou dans des situations rituelles partkulières (comme le mariage ou la consécration d'une vierge); par contre on ne les trouve nulle part dans les célébrations essentielles comme celles de Pâques ou du dimanche « sommet et source de toute l'action liturgique » (Con rtitution sur la Liturgie, Vat. II, n. 10). Contraste évident avec l'usage de ce texte dans la liturgie juive qui le met en lien avec le Shahhat et avec l'Exode.

— Si le Cantique n'est guère utilisé dans la liturgie chrétienne, il en est par contre fait un usage abondant dans la grande tradition mystique (citons par exemple St Bernard de Clairvaux dont 86 sermons furent inspirés par le Cantique). Cela signifie que l'Eglise a préféré une actualisation mystique et mariologique du Cantique à celle qui serait plutôt liturgique et ecelésiologique, actualisation réservée à certains événements ou moments particuliers mais ne s'étendant pas à tout le peuple de Dieu. Qui, en effet, ne jugerait pas inconvenant d'entendre prononcer, dans le cadre de la liturgie, des mots tels que: « amants... baisers... odeurs... colliers._ seins... couchette... lèvres... corps... coups d'oeil... etc... »? Et pourtant, dans la liturgie juive, ce langage ne gêne aucunement: il a été et est encore interprété tout simplement comme une expression de l'amour profond et indicible de Dieu pour son peuple.

La liturgie juive, dans le réalisme de ses images, peut nous aider à retrouver une liturgie chrétienne plus « incarnée » et cosmique, où l'on puisse entendre, sans en être gênés, les paroles humaines concrètes, celles de notre histoire propre. Elle peut nous aider surtout à redécouvrir dans le Cantique des Cantiques le symbole non de la Vierge et du mariage seulement, mais de l'événement paso. I même: l'hymne d'amour du peuple, tant juif que chrétien, qui chante sa joie d'avoir été libéré de l'esclavage et de la mort (Egypte: Crucifixion), et conduit à la liberté et à la vie (Terre promise: Résurrection).



* Carmine ni Saure est membre de l'Equipe du Centre SMIC de Rome où sa collaboration est appréciée tant comme bibliothécaire que comme spécialiste en liturgie.

 

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