D'autres articles de cet numéro | En anglais | En français
Repenser "Jesus, Juif"
James H. Charlesworth
Introduction
Les juifs et les chrétiens bien informés n'abordent plus les Evangiles comme s'ils étaient des biographies; cependant, en réaction contre ce qui leur paraît une critique sans nuances ou excessivement libérale des Evangiles, certains étudiants auraient tendance à lire le Nouveau Testament comme si les actions et les paroles de Jésus y étaient rapportées sans altération. Depuis plus d'un siècle, les spécialistes protestants et catholiques du Nouveau Testament ont montré que cette approche n'est pas appropriée. Malheureusement, beaucoup aujourd'hui sont troublés par ce qui leur semble être un choix entre les actions "authentiques" de Jésus et les rédactions "non authentiques" de l'Eglise. Je vais essayer de montrer qu'il s'agit là d'une fausse alternative.
Certains spécialistes seront sûrement tentés de poser la question suivante: Les recherches faites sur le Nouveau Testament n'amènent-elles pas à une conclusion évidente, à savoir qu'on ne peut rien connaître de certain sur le Jésus de l'histoire? La réponse semble être "non": cependant Bultmann et Tillich eux-mêmes ne partagent pas ce pessimisme radical. Leurs conceptions ne doivent pas être confondues avec celles de Bruno Bauer, Paul Couchoud, G. Gurev, R. Augstein et G.A. Wells, lesquels nient tous l'existence de Jésus. Bultmann et Tillich, tout radicaux qu'ils soient, affirment l'existence de Jésus et la réalité, impossible à nier, de sa crucifixion à Jérusalem avant 70 de notre ère. Toutefois, le fait de ne pas saisir la particularité historique de Jésus, avec tout ce qu'elle comporte de scandaleux, amène à réduire la religion à une philosophie de l'existence, ainsi que l'a très bien vu Fritz Buri dans sa critique de Bultmann.
Les obstacles les plus importants que nous rencontrions dans notre recherche sur le Jésus historique se sont évanouis. C'est d abord l'obstacle théologique qui est tombé. Il reposait sur une double affirmation: certains critiques disant que la foi seule suffit au chrétien, d'autres ajoutant qu'on ne peut avoir de Jésus, le Christ, qu'une connaissance existentielle. Maintenant, les esprits avertis comprennent qu'une foi non accompagnée d'une certaine connaissance historique n'est pas une foi en Jésus. Seules les réponses de foi à Jésus qui, comme les credos et les hymnes primitifs, sont riches de données historiques, sont typiquement différentes de la superstition, aussi sophistiquées qu'elles nous paraissent.
En second lieu, il est maintenant évident pour les spécialistes du Nouveau Testament faisant autorité que certaines données pré-pascales ont été préservées dans les Evangiles. Si nous sommes gênés dans notre recherche par l'aspect "confession de foi" propre aux Evangiles, cela vient de ce que les premiers chrétiens n'étaient pas paralysés par le fait de la crucifixion, mais animés par la puissance de la résurrection. Malgré leur caractère embarrassant, certaines données comme la trahison de Judas, le reniement de Pierre et la crucifixion de Jésus ont été maintenues malgré tout dans les récits. Ces données ont façonné l'Eglise; elles n'ont pas été inventées pour répondre à ses besoins. La seule explication plausible de l'identification de Simon de Cyrène comme étant le père d'Alexandre et de Rufus (Mc 15,21) est que ceux-ci devaient avoir de l'importance — et peut-être même être présents — au sein de la communauté de Marc.
Nous devons saisir que l'histoire n'est accessible que par la voie de la tradition; et elle ne se comprend que par la voie de l'interprétation. La critique rédactionnelle n'est possible que parce que des traditions ont été conservées, qui ont pu être mises par écrit.
Troisième difficulté enfin, nous étions autrefois perdus dans un terrain historique désert, du fait que nous avions si peu de sources pour le judaïsme d'avant 70. Maintenant — depuis 1940 et les années qui suivirent — nous possédons des centaines de documents datant d'avant 70 et d'origine juive, je veux parler des Apocryphes et des Rouleaux de la Mer Morte.
D'une certaine façon, dans les décades où l'on s'adonnait à une apologétique confuse, à des essais bien intentionnés pour mettre au point une méthodologie infaillible, nous avons oublié deux dimensions qui sont essentielles pour les recherches sur le fils de Joseph. Le caractère scientifique de la recherche historique tient à la méthode employée et non à la conclusion; ce qu'on peut attendre de l'historien, au mieux, c'est une probabilité, non une certitude. C'est pourquoi tout ce que l'on peut dire sur la recherche des ipsissima verba de Jésus (ses paroles exactes), et sur la certitude absolue qu'on a de les retrouver s'avère imprécis, borné et impossible.
Les recherches nouvelles faites sur Jésus seront différentes des essais précédents et mieux informées, et cela premièrement à cause du nombre accru de témoignages documentaires et du fait de découvertes archéologiques phénoménales; c'est pourquoi il est bon d'évaluer où nous en sommes par rapport à ces documents. Notre discussion portera essentiellement sur les Pseudépigraphes du Nouveau Testament, sur les Rouleaux de la Mer Morte, les Manuscrits de Nag Hammadi (1), Josèphe et l'archéologie.
Le champ à couvrir étant étendu et complexe, l'approche doit être centrée et sélective; et le développement qui suit suppose de toute évidence de nombreuses prises de position personnelles dont on ne peut rendre compte ici. Je me contenterai de dire que pour chacun de ces secteurs de la recherche, deux questions seulement seront envisagées: Les données sont-elles significatives pour notre recherche sur le Jésus de l'histoire? Si oui, pourquoi et à quels points de vue importants?
Les Pseudépigraphes de l'Ancien Testament
En 1913 paraissait chez Clarendon la première édition anglaise des Pseudépigraphes de l'Ancien Testament (2). Elle était sélective et destinée aux chercheurs. En 1983 et 1985 paraissaient chez Doubleday les deux volumes de The Old Testament Pseudepigrapha (3). La première édition anglaise contenait dix-sept pseudépigraphes; la nouvelle comporte cinquante-deux documents, plus treize écrits préservés seulement dans des citations anciennes et ajoutés en supplément au second volume. Le bond spectaculaire qui a fait passer les documents de dix-sept à soixante-cinq fera difficulté aux chercheurs qui se satisfont de l'idée courante qu'on se fait du judaïsme des premiers siècles; les plus jeunes, passionnés par de nouveaux défis, profiteront à plein de ce vaste territoire, nouveau, à explorer. Ils découvriront qu'il est maintenant encore plus difficile de séparer les écrits juifs des écrits chrétiens; et ils prendront conscience peu à peu de la portée de l'affirmation que, pendant au moins quarante ans, de 30 à 70 de 1' ère chrétienne, le "christianisme" a été un groupe intérieur au judaïsme. Cherchant à comprendre les Pseudépigraphes, ils seront finalement obligés de se confronter aux problèmes concernant Jésus et sa place au sein du judaïsme du premier siècle.
Comme toujours quand se produisent des découvertes nouvelles et passionnantes, elles donnent lieu à des affirmations qui déforment la réalité. Il est clair que l'avertissement de Jésus, que ton "oui" soit "oui" et ton "non", "non", rapporté par Matthieu, et son allusion à "plusieurs demeures dans les cieux", rapportée par Jean, ont des parallèles impressionnants dans un pseudépigraphe datant probablement de la fin du premier siècle et appelé le second Hénoch. Un écrivain (C.F. Potter, dans Jésus a-t-il écrit ce livre? a été impressionné par ceux-ci au point de soutenir "qu'il se pourrait bien que Jésus ait écrit le second Hénoch, ou une partie de celui-ci" (4). Heureusement aucun véritable spécialiste n'a commis ce genre d'absurdités à sensation.
Quand on évalue l'importance des Pseudépigraphes pour la recherche sur Jésus, il y a un aspect incontournable et absolument évident. De nombreux Pseudépigraphes sont en gros contemporains de Jésus et sont palestiniens. De même que les Rouleaux de la Mer Morte, ils constituent des sources particulièrement importantes quand il s'agit de décrire les phénomènes religieux au sein du judaïsme d'avant 70. Cependant, à la différence des Rouleaux de la Mer Morte, les Pseudépigraphes ne sont pas d'abord ou simplement la production littéraire d'un petit groupe de juifs qui s'étaient retirés et isolés dans le désert. Les Pseudépigraphes juifs les plus anciens éclairent le paysage intellectuel de cette époque, celui des juifs d'avant 70, des juifs tels que Jésus. Et cela est d'une extrême importance, car des génies créateurs tels que Jésus ont des horizons qui débordent ceux d'un seul pays. C'est un monde intellectuel que celui où ils vivent. Quelle est l'importance des premiers Pseudépigraphes juifs pour la recherche sur Jésus? Cette importance est amplement démontrée si nous considérons combien ces écrits nous aident à comprendre l'apocalyptique et l'eschatologie juives.
E. Käsemann, on le sait, arrive à la conclusion que la pensée apocalyptique "est la mère de la théologie chrétienne" (5). Ce brillant spécialiste allemand du Nouveau Testament nous rappelle que l'étude de la pensée apocalyptique n'était pas considérée comme un sujet présentant de l'intérêt au cours de ses années d'étudiant, et pendant presque toute sa carrière de professeur. Aujourd'hui, cependant, ce vaste domaine constitue un champessentiel pour la recherche néo-testamentaire. Le professeur J. Christian Baker par exemple, a eu l'intelligence de voir que le coeur de la théologie paulinienne est constitué par l'apocalyptique juive (6).
La vision des auteurs d'apocalypses est, pour l'essentiel, que les justes peuvent retourner à la maison. Ils peuvent retourner à la maison, non dans le sein maternel à la Freud, et pas davantage dans un monde ésotérique grâce à la "gnose". Ils peuvent retourner au paradis qui doit être — ou est déjà — réouvert pour eux (voir particulièrement 4 Esdras, 8 et 2 Hénoch, 8-9). C'est là qu'ils jouiront d'une plénitude de paix et d'amitié avec tous, spécialement une fois encore avec Dieu.
Les Pseudépigraphes et la littérature apocalyptique qu'ils rassemblent sont d'une importance décisive pour comprendre Jésus de Nazareth, mais il va sans dire que Jésus n'est pas un auteur d'apocalypses. Ceux-ci sont invités, à plusieurs reprises, à écrire ce qu'ils ont vu ou entendu; Jésus n'a rien écrit. Les auteurs d'apocalypses sont souvent des scribes qui travaillent dans un "beth midrash", sont influencés par la littérature de sagesse, et se préoccupent de connaissances encyclopédiques et scientifiques; Jésus est un maître itinérant qui proclame la venue imminente et l'importance du Royaume de Dieu.
Les auteurs d'apocalypses sont animés d'une fureur vengeresse, appelant souvent la colère de Dieu sur les ennemis des juifs (cf. 2 Hén. 52). Jésus met davantage l'accent sur les dispositions intérieures, sur l'attitude de compassion et un amour ouvert à tous — il encourage même ses disciples à "aimer" leurs "ennemis" (Mt 5,4). Les auteurs d'apocalypses ont tendance à mépriser la terre; Jésus célèbre la création de Dieu et voit dans les lis des champs un exemple du souci que Dieu prend de son peuple (Mt 6, 25-33). Les auteurs d'apocalypses parlent de la venue prochaine du monde futur; Jésus — de manières parfois contradictoires, selon les évangélistes — affirme que Dieu seul connaît le temps de la fin (Mc 13,22), mais que ce dernier commence déjà à poindre dans son ministère (Mc 9,1), spécialement dans ses miracles et ses paroles (Mc 1,14-15). Enfin, ce qui est le plus important, les auteurs d'apocalypses ont tendance à présenter Dieu comme loin du monde vivant de l'humanité; Jésus lui, met l'accent sur la proximité, la présence même d'un Père compatissant, qui doit être appelé "Abba" (mot sémitique signifiant "père").
Toutefois les apocalypses et la littérature apocalyptique sont importantes pour comprendre Jésus. Les auteurs d'apocalypses et Jésus partagent tous un même souci des opprimés (cf. I 1-1én. 102-104 et 2 Hén. 63); et tous prononcent des malédictions contre les riches jouisseurs et oppresseurs (1 Hén. 94, 8-9; 96,4-8; 97, 8-10; Mc 10, 23-25). Tous présupposent un profond dualisme, spécialement celui de deux âges catégoriquement différents; tous finalement sont optimistes; les promesses de Dieu et le plus grand de tous les rêves humains — la paix et l'harmonie universelles —se réaliseront par l'action même de Dieu, peut-être à travers un médiateur. Tous transfèrent leur allégeance à un autre monde et redéfinissent les priorités. Par exemple, Jésus déclare que les premiers seront les derniers (Mc 10,3). Tous prennent parti pour les pauvres (Mc 10,21) contre les riches, encouragent à se conduire selon la justice (ex. 1 Hén. 104, 6; 2 Hén 61), formulent des béatitudes (voir Hén. 42,52; Mt 5) et exigent la pureté du coeur (cf. 2 Hén. 45; Mc 7,14-23).
Le fait le plus surprenant — stupéfiant, pour beaucoup — qui marque la recherche sur les Pseudépigraphes est qu'un changement essentiel s'est produit dans l'évaluation de la date et du caractère des Paraboles d'Hénoch (1 Hén 37-71). Ce livre est excessivement important pour les spécialistes du Nouveau Testament car il décrit le Fils de l'homme venant du ciel, le Messie, l'Elu et le Juste. Je suis convaincu que ces quatre termes désignent le même médiateur de Dieu (7).
J.T. Milik, qui a eu la responsabilité de publier les fragments araméens d'Hénoch trouvés parmi les Rouleaux de la Mer Morte, a souligné que pour les Paraboles d'Hénoch, si clairement parallèles aux paroles attribuées à Jésus, il n'existe pas de témoin parmi les fragments araméens. Elles seraient, d'après lui, une composition chrétienne datant environ du commencement du troisièmesiècle de 1' ère chrétienne. Pratiquement tous les spécialistes du Nouveau Testament se sont rangés à son avis et ont refusé d'utiliser le premier Hénoch 37-71 pour porter un jugement sur la vie de Jésus et la théologie des premiers chrétiens.
Aujourd'hui, aucun spécialiste des Paraboles d'Hénoch n'est prêt à accepter l'opinion de Milik sans davantage de preuves à l'appui. Aux séminaires internationaux de Tübingen et de Paris, plus d'une douzaine d'experts ont admis qu'il s'agit certainement là d'un document juif (8). Tous les membres de ces séminaires, sauf un, étaient convaincus que cet écrit juif — les Paraboles d'Hénoch — devait être antérieur à la destruction de Jérusalem en 70 de l'ère chrétienne. C'est pourquoi le terme, et peut-être le titre de "Fils de l'homme" était déjà bien en usage chez les juifs de Palestine longtemps avant 70.
Puisqu'on trouve l'expression "Fils de l'homme" presque toujours dans des séquences du Nouveau Testament regroupant des paroles de Jésus, n'est-il pas possible que celles-ci remontent à Jésus lui-même? Certaines de ces paroles sur le Fils de l'homme ne peuvent- elles pas nous aider à comprendre Jésus et l'idée qu'il se faisait de sa mission? N'est-il pas difficile de ranger tous les emplois de l'expression "Fils de l'homme" soit dans la catégorie d'un substitut du pronom de la première personne du singulier, soit dans celle des références génériques à l'humanité? Qu'est-ce qu'en réalité l'expression "Fils de l'homme" indique et connote dans les premières décades du premier siècle de l'ère chrétienne? Et qu'est-ce que Jésus veut dire par ces mots?
Une remarque serait à ajouter au passage. Comme on le sait, on trouve en Jude 14-15 une citation de ce que l'on considérait, il y a longtemps, comme étant — peut-être — un document juif perdu. Maintenant nous savons que l'auteur de Jude citait 1 Hén. chapitre 1. Et, chose inattendue, on a découvert cette même citation en araméen sur une bande de cuir trouvée parmi les Rouleaux de la Mer Morte (9).
Les théologiens biblistes, et d'autres, vont être obligés maintenant de revoir notre conception du canon, puisqu'un livre appartenant au canon chrétien cite comme prophétique le passage d'un livre qui n'a été intégré ni dans le canon protestant ni dans le canon catholique, mais qui se trouve dans le canon Falasha. De toute évidence, au premier siècle, les frontières entre canon, Ecriture et paroles inspirées étaient remarquablement fluides.
Les Rouleaux de la Mer Morte
Les manuscrits appelés Rouleaux de la Mer Morte ont été découverts pour la première fois à la fin des années 1940 dans des grottes situées à l'Ouest de la Mer Morte. Les premières photographies et traductions sont apparues peu de temps après, mais le plus gros rouleau a été découvert par Y. Yadin au milieu des années 1960 et n'a pas été traduit en anglais avant 1983. Il reste à publier un ensemble imposant de fragments; actuellement je dénombre plus de 223 Rouleaux importants de la "secte" et fragments de documents; moins d'une douzaine seulement d'entre eux sont bien connus (10).
Aucun recueil de littérature ancienne n'a excité l'imagination de nos contemporains autant que les Rouleaux de la Mer Morte, ce qui explique les déclarations sensationnelles et les contre-déclarations idéologiques. Dans le jargon des spécialistes on parle de la "fièvre de Qumran". En fait, on a majoré l'importance des Rouleaux de la Mer Morte pour la recherche sur Jésus; certains critiques sont allés récemment jusqu'à reprendre l'opinion ancienne, écartée à juste titre, que Jésus ou Jean le Baptiste seraient en réalité les fondateurs de la communauté de Qumran, le' Môreh ha-Tsedek" ou le Maître de Justice. Ceux qui soutiennent ces idées sont des romanciers déguisés en savants.
Les Rouleaux ne confirment pas l'opinion que Jésus ait été un Essénien, ou même ait subi assez fortement leur influence (11). Cependant, il est difficile de se ranger à l'avis de William S. LaSor qui, dans son livre Les Rouleaux de la Mer Morte et le Nouveau Testament, dit que les Esséniens et Jésus, tout comme les premiers chrétiens, représentent simplement des mouvements juifs, "sectaires", "se mouvant sur différentes orbites" (12).
Il faut distinguer entre ce qui se trouve dans le Nouveau Testament et ce qui est par derrière. Ce qui se trouve dans le Nouveau Testament, ce sont les réflexions des premiers chrétiens présentées de manière théologique; ce qui est par derrière ce sont les personnalités historiques des origines, et les communautés qui ont été suscitées par les événements historiques, c'est-à-dire l'expérience et le souvenir de la vie de Jésus et de sa mort horrible, ainsi que l'affirmation de s'être trouvés en face d'un Jésus ressuscité. Entre ce qui est "dedans" et ce qui est "par derrière", il n'y a pas antithèse absolue, mais ce sont deux catégories distinctes. C'est faute d'avoir perçu cette distinction que les recherches sur le Nouveau Testament ont en grande partie manqué leur but au cours des 200 dernières années.
La mort de Jésus en l'an 30 de l'ère chrétienne précède d'environ 40 ans le premier Evangile. Le problème crucial n'est pas la comparaison de documents, c'est-à-dire les Rouleaux antérieurs à 70 et les Evangiles postérieurs à cette date. Les questions critiques concernent Jésus et les Esséniens, et les quarante années et plus pendant lesquelles les Esséniens, Jésus et ses disciples ont partagé un même territoire, une même nationalité, une même période chronologique, et les mêmes adversaires — c'est-à-dire les Romains, les Sadducéens et par intermittences, les Pharisiens et les Zélotes. Se peut-il qu'il n'y ait pas eu de relations entre les Esséniens et le mouvement palestinien de Jésus, alors que les uns et les autres insistaient sur le péché de l'humanité, la nécessité de la grâce divine, les temps eschatologiques, l'établissement de la Nouvelle Alliance selon Jérémie 31, la présence et la puissance de Satan et des démons, et l'appel vibrant d'Isaïe 40,3? N'est-il pas clair que les deux groupes insistaient essentiellement sur le même principe herméneutique, toute l'Écriture et la prophétie visant le présent — la fin des temps — et directement et spécialement leur groupe particulier? Est-ce-que les deux groupes, mutatis mutandis, n'encouragent pas le partage des biens? N'est-il pas devenu tangible, ces derniers temps, que chacun des deux groupes était un produit, et, jusqu'à un certain point, un exemple de l'apocalyptique juive? Ces deux groupes — et eux seuls —ne soulignent-ils pas la présence vivante de "l'Esprit Saint" dans leur communauté? Peut-on légitimement écarter ces analogies en y voyant de simples coïncidences? Ces réflexions nous obligent à nous poser la seule question importante: Quelles étaient les relations entre Jésus et les Esséniens? (13)
Selon Philon et Josèphe, quatre mille Esséniens vivaient en Palestine. Puisqu'à Qumran et dans les environs il n'en pouvait vivre qu'environ deux cents, la grande majorité, c'est-à-dire à peu près trois mille huit cents devaient demeurer ailleurs. Philon et Josèphe soulignent aussi le fait que les Esséniens vivaient dans des villages et dans des villes, et qu'ils préféraient se grouper aux abords des agglomérations. La référence que fait Josèphe à une "porte des Esséniens", dans les murailles de Jérusalem, semble avoir trouvé maintenant une confirmation dans les découvertes archéologiques récentes et un passage du Rouleau de Temple (14). Il nous faut faire face à l'évidence de plus en plus claire que des Esséniens vivaient dans le secteur Sud-Ouest de Jérusalem. De telles perspectives sont significatives. Jésus a probablement rencontré des Esséniens sur ses chemins, peut-être s'est-il entretenu avec bon nombre d'entre eux. Peut-être ont-ils discuté des valeurs qui leur étaient communes et de la nécessité de se consacrer totalement à Dieu et à son Alliance.
Dans une esquisse rapide, on peut indiquer quatre points de ressemblance entre Jésus et les Esséniens. D'abord Jésus a en commun avec les Esséniens une théologie entièrement monothéiste et typiquement eschatologique. Le présent marque la fin des temps. Lui, il annonce naturellement un eschaton plus imminent, mais quand on parle de la différence entre les Esséniens et Jésus il faudrait dire que si l'eschatologie de Jésus est davantage "en réalisation", c'est plus en termes de degré que de nature.
Secondement, Jésus partage avec les Esséniens un même sens de la consécration radicale à Dieu et à la Torah; et peut-être fait-il allusion aux Esséniens, le seul groupe de célibataires connu dans le judaïsme du premier siècle, quand il fait l'éloge des hommes qui deviennent eunuques pour le Royaume de Dieu (cf. Mt 19,10-12).
Troisièmement, selon Marc, Jésus proclame que le divorce est interdit. Cette déclaration de principe est difficile à comprendre, aussi Matthieu l'exprime-t-il de façon plus lâche et sous forme de casuistique (Mt 5, 31-32; 19,9). La conception qu'avait Jésus du divorce, selon Marc, était jusqu'à maintenant sans parallèle connu dans l'histoire de la pensée juive; mais on a trouvé maintenant dans le Rouleau du Temple une interdiction du divorce. Selon ce document, le roi ne doit être marié qu'à une seule femme: "et il (le roi) ne doit pas choisir en plus d'elle une autre femme, parce qu'elle, et elle seule, restera avec lui tous les jours de sa vie" (11 QTemple 57, 17-18). Ce qui est demandé au roi est exigé des autres avec encore plus de rigueur. Deux juifs seulement ont refusé la possibilité du divorce: Jésus selon Marc, et l'auteur du Rouleau du Temple. Puisque le Rouleau du Temple est antérieur à Jésus et paraît avoir été pour certains Esséniens la quintessence de la Torah, il faudrait revoir la question des rapports qui peuvent avoir existé entre Jésus et les Esséniens (15).
Toute comparaison entre Jésus et les Esséniens doit finalement partir d'un terrain reconnu, les grandes différences qui les séparent. Les Esséniens sont extrêmement légalistes et, pour préserver leur pureté, ils se mettent à l'écart de tous les autres; Jésus, lui, rejette les règles légalistes qui étouffent le shabbat et il se compromet avec toutes les couches de l'humanité.
Plus important, il insiste sur la nécessité d'aimer les autres, une attitude illustrée par Luc dans la parabole du Bon Samaritain, et présentée comme un commandement nouveau dans les écrits johanniques. Il est possible que Jésus ait pensé à l'invitation à haïr les fils des ténèbres et qu'il l'ait rejetée au moment où il déclare: "Vous avez appris qu'il a été dit: Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi" (Mt 5, 43). Le meilleur, et peut-être le seul vrai parallèle juif à la règle de haïr les autres se trouve dans les Rouleaux de la Mer Morte. En fait, selon la Règle de la Communauté, au moment du renouvellement de l'Alliance les Esséniens récitaient des malédictions contre tous les fils des ténèbres, spécialement ceux qui n'étaient pas des Esséniens, y compris certains juifs qui se faisaient passer pour Esséniens.
Sans aucun doute, ce que les Rouleaux de la Mer Morte apportent de plus important et de moins discutable à la recherche sur Jésus, c'est la lumière qu'ils font briller sur une période jusque-là obscure. Entrer dans le monde des Rouleaux de la Mer Morte, c'est se laisser immerger par ce qui a été l'environnement théologique de Jésus. Les Rouleaux font plus que de nous faire découvrir le paysage idéologique qui a été celui de Jésus ou de nous révéler le "zeitgeist" qu'il a connu. Tout comme les données mises à jour grâce aux fouilles archéologiques de Qumran, ils nous donnent quelques indications sur le contexte social dans lequel vivaient les juifs palestiniens d'avant 70.
A ces brèves remarques, j'ajouterai que les Rouleaux de la Mer Morte — comme les Pseudépigraphes — nous permettent de reconnaître les traits distinctifs de la théologie de Jésus. Ces premiers textes juifs fournissent le cadre grâce auquel le théologien peut apprécier le caractère unique de Jésus de Nazareth. Les contours du Jésus historique commencent à apparaître, et il est saisissant de constater combien est vraie cette affirmation que la genèse et le génie du christianisme primitif, et la seule raison permettant de le distinguer du judaïsme, se trouvent avant tout dans la particularité d'une vie unique.
En résumé, nous pouvons dire que la remarque de Renan, souvent citée, que le christianisme est un essénisme ayant réussi, est simpliste et déforme la réalité. Le christianisme n'est pas issu d'une "secte" aux franges du judaïsme normatif. Le christianisme s'est développé à partir de nombreux courants juifs. Ni sa source ni sa trajectoire n'ont été uniques. Jésus n'était sûrement pas un Essénien, mais il peut avoir partagé avec les Esséniens davantage qu'une nation, une époque ou un simple lieu.
Flavius Josèphe
Les écrits de Flavius Josèphe sont bien connus et sont de grande importance pour les études sur le Nouveau Testament depuis plus de mille ans. Certains savants chrétiens d'avant Chalcédoine (451) ont même eu pour celui-ci une vénération excessive. Jérôme (324-420) le salue comme "le Tite Live grec" (Epistula 22 ad Eustochium 35,8).
Josèphe et Jésus étaient des juifs de Palestine, intimement liés tous deux à la Galilée. Même si Josèphe a vécu plus tard au cours du premier siècle que Jésus, sa carrière fut marquée au début par la lutte contre les Romains et, à la fin, par la guerre contre ceux-ci. Il est difficile de discerner ce qui s'est passé dans les quinze heures ayant précédé la crucifixion, mais il est clair que Jésus a été crucifié par les Romains, probablement parce qu'il leur apparaissait comme un rebelle politique. Jésus et ses disciples ont certainement été considérés comme menaçant la paix instable qui régnait en Palestine aux environs de l'année 30.
L'intérêt de Josèphe, en ce qui concerne les recherches sur Jésus, ne consiste de toutes façons pas dans sa personne, mais dans ses écrits. Il est l'historien du judaïsme naissant; il décrit la période turbulente dans laquelle Jésus a vécu (16).
Et, ce qui est plus important, il parle de Jésus in Ant 18, 63-64. Dans sa forme actuelle, cependant, cette référence à Jésus manifeste certainement une main chrétienne, soit qu'un scribe chrétien ait ajouté ce passage in toto, soit qu'un ou plusieurs scribes chrétiens l'aient réécrit et interpolé.
Une étude du Testimonium Flavianum ne permet de faire que des conjectures sur l'une ou l'autre de ces hypothèses qui, finalement, se découvrent comme fondées sur des preuves insuffisantes. Il semble probable que Josèphe ait fait référence à Jésus, mais certainement pas sous la forme préservée par les manuscrits grecs (17), aussi bien des critiques préfèrent-ils ne pas aborder le problème de l'authenticité des paroles de Josèphe dans cette section des Antiquitates. Ce passage est pratiquement ignoré dans les recherches sur le Jésus de l'histoire (18).
J'ai attendu pendant des années la découverte d'un nouveau manuscrit des Antiquitates contenant quelques variantes par rapport au Testimonium Flavianum. Nous pourrions alors peut-être faire une tentative de recontruction de l'original. Et voilà que ce songe s'est réalisé en faitrécemment grâce à la découverte du Kitab Unwan, qui est une version arabe du Testimonium Flavianum. Voici la traduction de ce passage (par S. Pinès, auquel nous devons la découverte): (19)
"De même, Josèphe le juif. Car il dit dans les traités qu'il a écrits à propos du gouvernement (?) des juifs: "Il y eut en ce temps-là un homme sage appelé Jésus. Sa conduite fut droite et il était reconnu comme juste; et beaucoup parmi les juifs et parmi les gentils devinrent ses disciples. Pilate le condamna à la crucifixion et il mourut; mais ceux qui étaient devenus ses disciples ne cessèrent pas de le suivre. Ils ont rapporté qu'il leur était apparu trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant; il était donc peut-être le Messie au sujet duquel les prophètes ont raconté des choses merveilleuses" (20).
Ce qui est évident immédiatement — lorsqu'on compare la recension en arabe à celle en grec —c'est que les passages nettement chrétiens sont manifestement absents dans la version arabe. Les deux recensions du Testimonium Flavianum devraient être étudiées par les étudiants en théologie, les prêtres et les pasteurs, les laïcs et les professeurs de Séminaires. La recension grecque, après élimination des interpolations chrétiennes, révèle comment un juif du premier siècle pouvait classifier Jésus: un rebelle venant perturber une paix précaire; mais un sage aussi, accomplissant des choses "surprenantes", peut-être même des miracles; et qui fut suivi par bon nombre de juifs et de gentils. La version arabe apporte une justification textuelle à l'élimination des interpolations chrétiennes et elle démontre que Josèphe, en Antiquités 18, met probablement en discussion la personne de Jésus; mais, dans sa forme "complète", ce texte est certainement trop favorable à Jésus. La mise en lumière de ces deux recensions nous permet de tourner nos projecteurs environ 2.000 ans derrière nous et de les braquer sur le Jésus de l'histoire, et elle soulève aussi d'importantes questions sur la manière dont la personne de Jésus fut perçue par les juifs du premier siècle en dehors du cercle de ses adeptes.
Archéologie
Au cours des trois dernières décades, deux découvertes spectaculaires se sont révélées comme particulièrement importantes pour les recherches sur Jésus. Il faut cependant reconnaître tout d'abord qu'il est très difficile de remonter, à partir de l'ambiance qui était celle de la Palestine du ler siècle — ambiance qui nous est partiellement connue grâce à l'archéologie — jusqu'aux actions et aux pensées de Jésus.
Une découverte très importante pour les recherches sur Jésus a été celle des ossements d'un homme du nom de Yehohanan, qui est mort crucifié (21). Ses talons (tuber caltant) sont restés attachés aux pièces de bois de la simplex, car la pointe métallique qui les tenait cloués s'est incurvée en rencontrant un noeud dans la croix en bois d'olivier. Ses avant-bras, ou ses poignets, avaient été liés au patibulum. L'homme avait une trentaine d'années au moment de sa crucifixion, à Jérusalem, à une époque proche de celle où Jésus lui-même fut crucifié. Avant cette découverte archéologique, nous n'avions aucun vestiges de personnes ayant subi la crucifixion. L'importance de cette découverte pour les recherches sur Jésus est évidente: Nous avons là un souvenir cruel de l'horreur de la crucifixion; mais aussi la confirmation d'une sépulture selon les rites juifs.
La découverte archéologique la plus importanteen ce qui concerne les recherches sur Jésus consiste cependant peut-être dans une plus grande certitude que nous avons quant au lieu de la crucifixion: celle-ci eut lieu aux environs de l'année 30, un tout petit peu en dehors des murailles de Jérusalem selon ce qu'affirme l'auteur de la lettre aux Hébreux (He 13,12).
L'emplacement où la tradition situe la crucifixion n'est pas, à première vue, très attirant. C'est une sorte de ménagerie où les autorités religieuses ayant charge de l'église du Saint Sépulcre se disputent, et celle-ci se trouve à l'intérieur des murailles actuelles de la vieille ville. Au cours des années 60, K. Kenyon a découvert des indices évidents de ce que les murailles entourant actuellement ce lieu s'appuient, en plusieurs endroits, sur des fondations construites selon toute probabilité par Hérode Antipas en 41. Ainsi en l'année 30 de notre ère, l'emplacement se trouvait en dehors de la ville. A la fin des années 60, le Père C. Cotiasnon m'a montré dans l'église du St. Sépulcre des colonnes in situ qui appartenaient à l'église constantinienne du 4e siècle (22). Nous avons donc sur place un témoin architectonique qui remonte aux premiers siècles chrétiens. De plus, avant le I9e siècle, nous n'avons pas connaissance qu'il y ait eu d'autres sites faisant concurrence au Golgotha.
Un rocher situé à l'intérieur de l'église du Saint Sépulcre, et appelé traditionnellement le "Calvaire", se dresse encore à environ 13 mètres au-dessus du roc de soubassement. La roche nue porte, en outre, les marques d'une ancienne carrière: ce sont les restes inutilisés d'une ancienne carrière de pierre blanche (malaki) de l'ancienne l'époque pré-exilique d'Israël (23). Au cours du ler siècle avant notre ère, ce lieu s'était transformé: après avoir été une carrière au 7e ou 8e siècle, il était devenu un lieu de sépulture: des tombes juives datant d'avant 70 y sont encore visibles. Il est possible que la phase finale, au ler siècle de notre ère, avant l'année 70, ait été de se transformer en jardin, comme le décrit l'auteur de l'Evangile de Jean Un 19,41). Je suis convaincu que Jésus a été crucifié sur cette petite saillie de roches de rebut, emplacement qui était, en l'année 30, en dehors des murailles et proche d'une voie publique, et qui, comme tel, répondait à toutes les conditions requises par la loi juive (Lv 24, 14; Mishnah Sanh. 6,1) comme par la loi romaine pour un lieu d'exécution capitale.
Les premiers chrétiens qui vivaient à Jérusalem ont peut-être connu ce que les archéologues n'ont découvert que récemment. Il est possible qu'ils aient célébré la crucifixion de Jésus en récitant le Psaume 1 I , y. 22: "La pierre rejetée des bâtisseurs est devenue la tête d'angle". En fait, cette tradition est reprise en 1 Pierre 2,7: "C'est elle, la pierre que vous, les bâtisseurs, aviez mise au rebut et qui est devenue la pierre d'angle" (Ac 4,11). Le pronom "elle" pourrait être à double sens et se référer soit au Calvaire, soit à Jésus.
Même si l'on ne doit pas céder à une fascination naïve ou à une attraction ingénue pour les "lieux saints", ce serait une erreur de ne pas reconnaître l'importance des récentes découvertes archéologiques pour la recherche sur Jésus. L'importance de telles découvertes est réellement primordiale.
Conclusion
Ce que nous venons d'exposer montre à quel point une approche purement théologique et littéraire du Nouveau Testament et des "sources" chrétiennes est inappropriée et peut nous fourvoyer; et comment une telle approche amène à des conclusions non scientifiques et à la banqueroute de la théologie. La quantité de données fournies par les textes, encore si peu étudiés, du judaïsme naissant et par les nouvelles découvertes archéologiques est phénoménale. Voilà que des positions bien établies sont bouleversées par leur confrontation avec les realia. Notre regard s'éloigne des préoccupations idéologiques pour rencontrer un (I) L'article que nous présentons ici dans une traduction française a dû être raccourci faute d'espace. Le paragraphe concernant les manuscrits de Nag Hammadi a été supprimé. Pour les pages successives, traitant de Flavius José
juif qui a vécu en Galilée au ler siècle. Nos songes historiques sont ancrés dans la réalité d'un drame historique.
Les apocryphes et les manuscrits de la Mer Morte nous permettent de reconnaître les traits distinctifs de la théologie de Jésus. Ces textes du judaïsme naissant nous fournissent un cadre à l'intérieur duquel un théologien chrétien peut apprécier ce qui est spécifique à Jésus de Nazareth. Les contours du Jésus de l'histoire commencent à se dessiner, et ils nous confirment combien l'origine et le caractère du christianisme naissant (et la raison profonde de sa différenciation du judaïsme) sont liés à une expérience de vie particulière.
L'analyse des textes et des témoignages archéologiques remontant grosso modo à l'époque de Jésus ne doit naturellement pas se faire de manière impropre, comme si ceux-ci pouvaient prouver, ou soutenir, une foi ou une théologie. Une foi authentique n'a pas besoin de tels appuis (24). Les philologues, historiens et archéologues ne peuvent donner aux chrétiens un Seigneur ressuscité, mais ils peuvent aider les juifs et les chrétiens à mieux comprendre la vie de Jésus, sa manière de penser et sa mort. Les acquisitions du passé et les données nouvelles qui nous sont offertes actuellement sont une invitation implicite à nous engager dans de nouvelles recherches sur Jésus, à arriver à une compréhension de sa personne et de son temps qui ne soit plus déformée par les préjugés religieux, mais qui soit le fruit d'un effort commun des juifs et des chrétiens. Nous découvrons là en même temps un appel à nous tenir informés des nouvelles méthodes scientifiques et des plus récentes données littéraires et archéologiques, un appel aussi à comprendre qu'il n'y a pas forcément antagonisme entre le métier de l'historien et celui du théologien.
Notes(1) L’article que nous présentons ici dans une traductio française a dûêtre raccourci faute d-espace. Le paragraphe concernant les manuscrits de Nag Hammadi a été suprimé. Pour les pages successives, traitant de Flavius Josèphe et de l'archéologique, et pour la conclusion nous suivons la version résumée parue sous le nom de l'auteur dans le Bolletino dell'Amicizia ebraico-cristiana de Firenze, Janvier-juin 1993, pp. 13-18.
(2) R.H. Charles, éd. The Apocrypha and Pseudepigrapha of Old Testament in English, 2 vol. (Oxford 1913; souvent réimprimé depuis 1963).
(3) J.H. Charlesworth, éd. The Old Testament Pseudepigrapha, 2 vol. (Garden City, N.Y. 1983-1985).
(4) C.F. Porter, Did Jesus write This Book? (N.Y., 1965),
p. 27.
(5) E. Kàsemann, "On the subject of Primitive Christian Apocalyptic", in New Testament Questions of Today, trad. W.J. Montague (Philadelphia, London 1969.
(6) 1. Chis. Beker, Paul the Apostle: The triumph of God in Life and Thought (Philadelphia, 1980; réimprimé en 1984).
(7) Voir les articles de Charlesworth, Black et Vanderkam dans The Messiah: Developments in Earliest Judaism and Christianity (Minneapolis, 1992).
(8) Voir Charlesworth, Glipseudepigraphidell'Antico Testament° e il Nuovo Testamento (Studi Biblici 91; Brescia 1990.
(9) Photographie et discussion dans Charlesworth, Jesus Within Judaism (Anchor Bible Reference Library. Garden City, N.Y. 1988) pp. 44-45.
(10) Voir l'édition intégrale des Rouleaux de la Mer Morte préparée par le Princeton Theological Seminary Dead Sea Scrolls Project. L'éditeur est J.C.B. Mohr (Paul Siebeck) de Tübingen et Westminster/John Knox Press, Louisville.
(II) Voir dans Jesus and the Dead Sea Scrolls les contributions de Charlesworth et d'autres (Anchor Bible Reference Library; N.Y. 1992).
(12) W.S. LaSor, The Dead Sea Scrolls and The New Testament (Grand Rapids, Mich. 1972) p. 254.
(13) La question est soumise maintenant à une équipe internationale d'experts dont les travaux ont été publiés dans Jesus and Me Dead Sea Scrolls.
(14) Voir l'article de R. Riesner dans Jesus and the Dead
Sea Scrolls.
(15) Voir l'article de O. Betz dans Jesus and the Dead Sea Scrolls.
(16) Cf. L. Feldman, "Palestinian and Diaspora Judaism in the First Century", in Christianity and Rabbinic Judaism, ed. H. Shanks (Washington, D.C., 1992) pp.l-39.
(17) Cf. la même argumentation, présentée avec finesse, dans A Marginal Jew: Rethinking the Historical Jesus, Anchor Bible Reference Library, New York 1991, pp. 60-69.
(18) Cf. Charlesworth, Jesus within Judaism 24, pp. 90-102, et J.P. Meier, "Jesus in Josephus: A Modest Proposai", Catholic Biblical Quaterly 52 (1990) 76-103.
(19) S. Pinès, An Arabic Version of the Testimonium Flavianum and Its Implications, Jérusalem 1971.
(20) La phrase finale pourrait aussi être traduite ainsi: "On a cru qu'il était le Messie au sujet duquel les prophetes ont raconté des choses merveilleuses" (cf. Pinès, An Ara-bic Version, p. 71). Je suis personnellement favorable à cette lecture qui est soutenue par les versions syriaques du Testimonium Flavianum.
(21) Cf. J.H. Charlesworth et J. lias, "Crucifixion: Archeology, Jesus and the Dead Sea Scrolls", Jesus and Me Dead Sea Scrolls, pp. 273-89.
(22) C. Coiiasnon, The Church of the Holy Sepulchre in Jen& salem, trans. J.P.B. et C.Ross, London 1974. p.29 et tables XVI, XVIII et XIX.
(23) Cf. les photographies in G. Cornfeld, ed., The Historical Jesus: A Scholarly View of the Man and His World, New York et London 1982, pp. 202 et 112.
(24) Pour la valeur et les limites de l'archéologie par rapport à la foi, cf. les articles publiés in What has Archaeology Io Do with Faith?, éd. Charlesworth et W. Weaver (Faith and Scholarship Colloquies, Philadelphia 1992).
James H. Charlesworth est un pasteur américain, bien connu pour ses recherches et publications, particulièrement en ce gui concerne les Pseudépigraphes de l'Ancien Testament. Il est le "George L. Collard" professeur de langue et littérature du Nouveau Testament, et l'éditeur du Princeton Theological Seminary Dead Sea Scrolls Projects. Parmi ses publications, notons: Jesus Within Judaism, The Old Testament Pseudepigrapha, Jesus and the Dead Sea Scrolls, The O. T. Pseudepigrapha and the New Testament.
L'article présenté ici est une reprise des pp. 177-198 du recueil d'articles édité récemment par J.H. Charlesworth sous le titre: Jesus' Jewishness. Exploring the Place of Jesus in Early Judaism, The Crossroad Publishing Company and the American Interfaith Institut?, New York, 1991. (Traduction française du SIDIC).