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Déclaration de la Commission de l'Episcopat Polonais pour le Dialogue avec les Juifs
Commission de l'Episcopat Polonais pour le Dialogue avec les Juifs
Pologne (1995/01/23)
Le demi-siècle qui s'est écoulé depuis la libération du camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 1945, appelle notre attention encore une fois sur la douloureuse réalité et le symbolisme de ce camp où plus d'un million de juifs, des milliers de Polonais (70-75.000), de Tsiganes (21.000), de Russes (15.000) et des personnes d'autres nationalités (10-15.000) ont souffert une mort atroce.
Déjà peu de mois après le début de la guerre, au printemps de 1940, les allemands nazis avaient érigé le camp de concentration d'Auschwitz sur le territoire polonais occupé par eux et annexé au Troisième Reich. Dans la phase initiale de son existence, des milliers de polonais, surtout l'élite intellectuelle, les membres des mouvements de résistance, mais aussi des ecclésiastiques et des représentants de presque toutes les conditions sociales étaient les premiers prisonniers et victimes de ce camp. Il n'existe probablement pas une famille polonaise qui n'ait perdu au moins un proche parent à Auschwitz ou dans un autre camp. Nous nous inclinons avec grand respect devant cette souffrance démesurée, souvent acceptée dans un profond esprit chrétien. Un exemple éloquent en est la figure héroïque du père Maximilian Kolbe, qui en août 1941 a offert sa vie à la place d'un autre prisonnier. Il a été béatifié par le Pape Paul VI et canonisé par le Pape Jean Paul II. Sa victoire, motivée par l'évangile de Jésus Christ, témoigne d'une façon impressionnante de la puissance de l'amour et du bien, dans un monde d'outrage et de violence.
Presque dès le début, des juifs polonais ont été envoyés dans ce camp en tant qu'éléments de la société polonaise qui devrait être exterminée. A partir de 1942, à la suite de la conférence de Wannsee, le camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau, ainsi que d'autres camps sur le territoire de la Pologne occupée, sont devenus des camps d'extermination, des lieux de la réalisation de l'idéologie criminelle de la "Solution finale", c'est à dire, du plan d'assassiner tous les juifs d'Europe. Les Nazis transportèrent vers les camps de mort des juifs de tous les pays européens occupés par Hitler. Non seulement Auschwitz, mais aussi Majdanek, Treblinka, Belzec, Chelmno et d'autres étaient implantés par les allemands - comme endroit pour exterminer les juifs - dans la Pologne occupée par eux, puisque d'une part la majorité des juifs d'Europe vivaient ici et d'autre part un tel crime des Nazis pouvait être mieux dissimulé de l'opinion publique mondiale dans un pays complètement occupé et en partie même annexé par le Troisième Reich. On estime aujourd'hui que plus d'un million de juifs sont morts uniquement à Auschwitz-Birkenau. Par conséquent, bien que des membres d'autres nations y aient également péri, néanmoins les juifs considèrent ce camp comme le symbole de l'extermination totale de leur peuple. "Précisément, ce peuple, qui a reçu de Dieu le commandement: 'Tu ne tueras pas', a éprouvé sur lui-même, dans une mesure particulière, ce que signifie: tuer." Jean-Paul II à Auschwitz-Birkenau le 7 juin 1979).
Le génocide, connu sous le nom de Shoah, a pesé douloureusement non seulement sur les relations entre les Allemands et les juifs, mais aussi pour une large part, sur les relations entre les juifs et les Polonais, qui ont été les uns et les autres, bien que ce ne fut pas dans la même mesure, les victimes communes de l'idéologie nazie. Puisqu'ils vivaient en si grande proximité, les Polonais sont devenus les témoins involontaires de l'extermination des juifs. Il faut constater avec regret, que pendant de longues années, Auschwitz-Birkenau a été considéré par les autorités communistes presque uniquement à travers le prisme de la lutte contre le fascisme, ce qui ne favorisait pas la manifestation de la vérité sur l'ampleur de l'extermination des juifs. Il faut souligner que Polonais et Juifs ont vécu dans ce pays pendant des siècles et quoique de temps en temps des conflits aient surgi, les uns et les autres ont considéré la Pologne comme leur patrie. Les juifs qui étaient expulsés d'autres pays d'Europe occidentale ont trouvé refuge en Pologne. Par conséquent celle-ci a souvent eu la réputation d'être "paradisus Judaeorum" (un paradis juif), puisque ici ils ont pu vivre selon leurs coutumes, leur religion et leur culture. Contrairement à bien des pays européens, jusqu'à la seconde guerre mondiale, les juifs n'ont jamais été expulsés de Pologne. Près de 80 pour cent des juifs vivant aujourd'hui dans le monde entier peuvent, à travers leurs parents ou leurs grands-parents, faire remonter les racines de leur famille en Pologne. La perte de l'indépendance et le partage de la Pologne pendant plus de 120 ans entre la Russie, l'Autriche et la Prusse ont entrainé, en plus de bien d'autres conséquences dramatiques, une dégradation des relations entre juifs et Polonais. Dans la période qui s'est écoulée entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, alors que la Pologne, après avoir regagné son indépendance en 1918, cherchait son identité propre, apparurent de nouveaux terrains de tension, de nature psychologique, économique, politique et même religieuse, mais jamais raciale. Malgré l'antisémitisme de certains milieux, peu de temps encore avant le début de la Seconde Guerre mondiale, alors que les représailles d'Hitler s'intensifiaient, ce fut précisément la Pologne qui accueillit des milliers de juifs venus d'Allemagne.
Face à l'extermination nazie des juifs, beaucoup de Polonais réagirent avec courage et une abnégation héroïque, risquant leur propre vie et celle de leur famille. Les principes évangéliques de solidarité avec ceux qui souffrent et sont persécutés, ont motivé pratiquement tous les couvents dans le Gouvernorat Général à donner asile à des enfants juifs. De nombreux Polonais ont perdu leur vie, car, malgré les menaces de mort pour eux et les membres de leurs familles, ils osaient cacher des juifs. Il faut se rappeler, que la loi de la responsabilité collective s'appliquait aussi aux Polonais qui cachaient des juifs. Souvent des familles entières, des enfants jusqu'aux grands-parents, ont été décimées pour avoir caché des juifs. En reconnaissance la médaille des "Justes parmi les nations" a été conférée à des milliers de Polonais. Beaucoup d'autres, qui sont restés anonymes, ont également apporté leur aide. Malheureusement il y avait aussi ceux qui ont commis des actes indignes de chrétiens, en se livrant au chantage, parfois même en livrant aux mains des Allemands les juifs cachés. Rien ne peut justifier une telle attitude, même si l'époque inhumaine de la guerre et les attrocités des Nazis ont parfois voulu que, certains juifs, eux-mêmes persécutés par l'occupant, ont été obligés de livrer leurs frères aux mains des Allemands. Nous rappelons encore une fois les paroles de la Lettre Pastorale des Evêques Polonais lue dans toutes les églises et chapelles catholiques le 20 janvier 1991, et qui affirmait: "Malgré tant d'exemples héroïques de la part des chrétiens polonais, il s'est également trouvé des gens qui sont restés indifférents devant cette tragédie inconcevable. Nous déplorons en particulier que des catholiques, d'une manière ou d'une autre, ont été la cause de la mort des juifs. Ils restent à tout jamais un reproche pour la conscience y compris au niveau social".
Auschwitz a été créé par les nazis allemands et non pas par des Polonais. Tout ce que ce camp de mort symbolise est le résultat de l'idéologie nationale-socialiste, qui n'était pas non plus née en Pologne. A côté de cet autre totalitarisme qu'a été le communisme et qui est responsable lui aussi de la mort de plusieurs millions d'individus, le nazisme signifie le mépris de la dignité de l'homme, image de Dieu. Il existait, dans la contrainte et l'impitoyable extermination, une dramatique communauté de sort entre Polonais et juifs. Pourtant ce sont les juifs qui ont été les victimes du plan nazi de la liquidation systématique et totale. "Une idéologie insensée avait arrêté ce plan au nom d'un racisme satanique et l'a exécuté avec une conséquence absoluement impitoyable" (Jean-Paul II à Cologne, 1er mai, 1987).
Le demi-siècle qui s'est écoulé depuis la libération du camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau, nous oblige à dénoncer de manière expresse toute manifestation qui foule aux pieds la dignité humaine, tel que racisme, antisémitisme, xénophobie et des attitudes anti-polonaises. "Vivant dans un pays qui est marqué par le poids de l'atroce événement qu'on appelle la Shoah, ensemble avec Edith Stein, qui est morte à Auschwitz parce qu'elle était juive, nous répétons avec insistance dans la foi et la confiance totale en Dieu, le Père de toute l'humanité,: La haine n'aura jamais le dernier mot dans ce monde" (Jean-Paul II au peuple allemand - 25 avril 1987). La seule garantie de tout cela est l'éducation des futures générations dans l'esprit du respect mutuel, de la tolérance et de l'amour conformément aux recommandations de la présentation correcte des juifs et du judaïsme dans la prédication et la catéchèse de l'Église catholique (24 juin 1985).
Au nom de la Commission
Evêque Stanislaw Gadecki, Président
23 janvier 1995