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Revue SIDIC II - 1969/2
Les juifs dans la litérature (Pag. 14 - 15)

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Le juif, l'Amérique, et la littérature
Sr. Louis-Gabriel

 

Le point le plus valable du livre de Mr Sol Liptzin, The Jew in American Literature (Bloch Publ. Co., 1966) est son analyse des différentes positions prises par les auteurs juifs aussi bien que les non-juifs, concernant le problème de l'identité juive aux Etats-Unis. Celui-ci semble préoccuper l'auteur plus que la valeur littéraire des ouvrages qu'il examine; autrement dit, il serait difficile de comprendre et de pardonner les quelques pages consacrées par exemple à Emma Lazarus et la mention occasionnelle de Saul Bellow.

Au 18e et au début du 19e siècle, le portrait du juif de l'Amérique coloniale et républicaine ressemble à celui de ses coreligionnaires anglais. Il a été esquissé suivant plusieurs tendances contradictoires: la vénération des protestants pour les figures patriarcales de l'Ancien Testament, l'esprit libéral du siècle des Lumières, et le stéréotype de la littérature occidentale, le mauvais juif, dont le prototype a été Judas, et qui a pris sa place dans le roman et le drame européen, en passant par le jeu des Mystères, Chaucer, Marlowe et Shakespeare. Le portait littéraire du juif prend un caractère plus spécifiquement américain avec l'émigration massive des juifs d'Europe orientale, les réfugiés des pogroms russes, depuis l'année 1880 jusqu'à la Première Guerre Mondiale. Eux-mêmes et leurs descendants forment le noyau de ce qui constitue aujourd'hui la communauté la plus importante du monde, Israël y compris. Ce sont eux-mêmes et leurs problèmes que les auteurs expriment, durant les premières décades de leur lutte pour la vie comme à l'heure actuelle, et au sujet desquels ils tombent d'accord. Au commencement, la première question fut celle de leur acceptation par des voisins non-juifs, malgré leur situation d'étrangers et leur intégration économique plus ou moins rapide. Les romans rapportent le fait qu'ils furent assujettis à un certain nombre de mesures discriminatoires — jusqu'à la crainte de rabaisser la valeur de leurs domaines s'ils étaient admis à vivre dans de meilleurs faubourgs —et objets d'efforts humanitaires bien intentionnés de la part des prédicateurs chrétiens et des intellectuels libéraux (parmi lesquels Mark Twain) qui se situent tout à fait dans le sens de l'attitude récente de la communauté des Blancs vis-à-vis de la minorité noire.

L'attitude raciste existe également, par exemple, dans l'apocalyptique Caesar's Column (1890) ou dans les maximes de James Russell Lowell rapportées par l'Atlantic Monthly en 1897. En dépit de toutes les différences il semble donc tout à fait juste de voir dans le destin de la communauté juive immigrante de ce temps — du moins telle qu'elle est décrite dans la littérature — une certaine ressemblance avec la communauté noire d'un demi-siècle plus tard, et de trouver sans doute que leur progrès relativement rapide, allant du taudis au faubourg, explique en partie l'existence d'un préjugé anti-juif de la communauté noire fortement rattachée au ghetto. Le fait, que leurs concitoyens non-juifs n'étaient pas et ne sont pas encore prêts à accorder au juif un partage égal des bénédictions de la « Terre Promise », est bien mis en valeur par Mr Liptzin dans le chapitre du même titre. Une certaine partie de la population juive — et ici, le roman semble être un reflet assez fidèle de la réalité — a donc été tentée de rejeter toute trace de ses origines, pour ne pas se différencier de ses concitoyens américains. D'autres, au contraire, ont découvert — ou redécouvert — leur patrimoine juif, après avoir fait l'expérience souvent pénible qu'une assimilation totale était une utopie et la trahison de leur identité.

Cette situation prévalut dans la littérature et la vie réelle, au cours des années qui s'écoulèrent entre les deux guerres. En décrivant des personnages juifs, les écrivains juifs et non-juifs, par exemple Ludwig Lewison, Maurice Samuel, Ernest Hemingway et John Hersey, ont perçu la complexité du problème de l'intégration. Ils ont expérimenté la tension qui existe entre le désir d'être comme le reste de la population et la réaction presque inévitable — surgissant de l'intérieur ou causée par des facteurs externes —qui les a fait prendre conscience d'un patrimoine culturel séparé, trop précieux pour se perdre dans le creuset américain. Au cours de cette période, trois facteurs ont tenté de maintenir le monde juif américain comme une entité distincte et séparée. Tous les trois se remarquent dans les écrits de fiction et de non fiction de l'époque: le Nazisme et ses répercussions aux Etats-Unis, la florissante littérature yiddish, et l'enthousiasme avec lequel certains auteurs tels que Judah L. Magnes, Martin Lowenthal et d'autres, ont réussi à présenter la cause du Sionisme.

Un phénomène rappelé par certains écrivains juifs allemands du début du vingtième siècle, est celui du juif détesté dont le meilleur représentant est le jeune Ben Hecht, dans son roman A Jew in Love, par exemple (1931). Cette morbide et cruelle dissection de l'effort, parfois reconnu comme maladroit ou exagéré de la part des juifs d'une certaine génération désireuse de s'insérer dans le milieu non-juif en renonçant à leur identité juive, ne se réduit en aucune façon aux années trente. Actuellement on peut remarquer dans l'Etat d'Israël, une réaction de la partde certains juifs intellectuels (et autres) qui appartiennent à la soi-disant Nouvelle Gauche. La motivation sous-jacente est complexe; le désir avoué d'être parfaitement objectif au nom d'une idéologie, semble cacher l'envie séculaire d'échapper au sort commun dans lequel ils sont engagés depuis leur naissance, de l'échanger contre un autre, contre la société librement choisie par affinité d'élection. Cependant cette tentative se rapproche finalement de celle des juifs du Moyen Age, convertis du christianisme, qui dénoncèrent leurs anciens amis, dans le vain effort de se faire mieux accepter d'eux. On reste sur la pénible impression que cela avait dépassé les bornes. C'est un vrai soulagement d'en revenir à l'acceptation positive de sa propre identité, laquelle se dégage des oeuvres de Bernard Malamud; même si cela implique qu'on assume les drames du passé et qu'on fait peut-être face, lucidement et courageusement, à ceux de l'avenir.

Le portrait du juif américain dans la littérature semble illustrer le gigantesque effort d'intégration de la communauté juive; cela s'achève cependant — ou tend plutôt vers cet achèvement — sans tenir assez compte de la condition de l'assimilation totale: désintégration au niveau communautaire et individuel. Dans la société pluraliste idéale on devrait pouvoir être à la fois juif et américain, assumer un héritage culturel ambivalent sans trahir aucun des deux caractères.

 

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