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SIDIC Periodical VI - 1973/3
Le Talmud (Pages 35 - 39)

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Réflexions à propos des réactions au document des évêques français
C. A. Rijk

 

Selon le père J.P. Van Deth le document « Orientations pastorales sur l'attitude des chrétiens à l'égard du judaïsme », publié par le comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, en avril 1973 « jouera le rôle de révélateur » (I.C.I. 15 mai 1973). A quelques mois de la parution de ce document on peut vraiment lui donner raison: le document ainsi que les multiples réactions qu'il a provoquées font le point et révèlent les attitudes qui se manifestent par rapport au difficile problème des relations entre l'église et le judaïsme.

Tout d'abord le document lui-même montre le sérieux de certaines autorités de l'église qui veulent mettre en pratique les directives du Concile Vatican II. Plusieurs conférences épiscopales, en effet, à la suite de ces directives du Concile, ont donné des orientations concrètes concernant les relations entre chrétiens et juifs (cf SIDIC 1970, 2 « Textes et documents »). Le comité épiscopal français se situe ainsi clairement dans la perspective de la mise en oeuvre de « Nostra Aetate ». Son document est le plus récent et le plus approfondi, ce qui manifeste bien que la déclaration du Concile est un commencement plus qu'un aboutissement. En effet, le document français marque une évolution de la pensée chrétienne par rapport au Concile. Pour pouvoir déceler et évaluer cette évolution il faut d'abord lire et étudier sérieusement le texte lui-même. Cela va de soi, mais il n'est peut-être pas inutile d'insister sur cette condition préalable élémentaire. Il n'y a eu que trop de réactions basées sur une lecture inexacte, partielle ou superficielle du texte.

L'intention de ce bref article n'est pas d'analyser et d'évaluer toutes les réactions qui ont suivi la publication du document français, mais plutôt de réfléchir brièvement sur quelques problèmes, posés ou mis en lumière à cette occasion. L'évolution de la pensée à partir de la déclaration du Concile est visible en plusieurs points. Voici les plus importants: en plusieurs endroits (cf le texte intégral du document dans SIDIC 1973, 2), le texte est plus explicite que le Concile; ainsi quand il s'agit de l'antisémitisme et surtout de la compréhension du judaïsme. Ensuite, tandis que « Nostra Aetate » dit avec saint Paul, que les « juifs restent très chers à Dieu dont les dons et l'appel sont sans repentance », le document français parle de la vocation permanente du peuple juif et essaie d'en préciser le contenu. Puis, dans un effort sincère pour comprendre et respecter l'identité juive, le texte considère le lien entre le peuple juif et la terre promise et essaie de définir une attitude chrétienne en face de l'énorme complexité de tous ces problèmes.

Il faut reconnaître qu'il a fallu beaucoup de courage au comité épiscopal français pour aborder ces questions extrêmement difficiles, questions qui, par ailleurs, ont une importance fondamentale pour l'église elle-même. Rappelons que d'après « Nostra Aetate », c'est « en scrutant le mystère de l'église » que le Concile se souvient de ses liens avec le peuple juif. Ces questions fondamentales provoquent en général (le concile l'a bien montré) des discussions violentes et passionnées. Il ne faut donc pas s'étonner de ce que le document français ait rencontré des réactions si diverses.

Examinons donc maintenant ces réactions.

— Il y a eu des réactions très positives du côté juif. Ce fait montre, en tout cas, que les juifs peuvent se reconnaître dans ce que dit le texte à leur égard. Ils se sentent compris et respectés dans un document publié par des évêques catholiques, ce qui n'est pas un petit mérite du texte! Le document comprend et parle le langage de l'autre, il établit ainsi un vrai dialogue. Il reste que certaines expressions (par exemple « la sanctification du nom ») sont assez vagues pour beaucoup de chrétiens et doivent être expliquées. Il faut aussi noter certaines réactions du monde juif qui par des exagérations ou par des phrases tirées de leur contexte, par exemple « le droit et les moyens d'une existence politique propre » ont fait dire au texte des choses qu'il ne dit pas (« déclaration Balfour catholique... »). Ces réactions, surtout quand elles sont politiques, ont évidemment beaucoup nui à une compréhension sereine du document.

— Du côté non-juif et non-chrétien il y a surtout eu des réactions politiques (cf le Monde 18 avril; la Croix 16 mai). Ceci montre une fois de plus (cf le concile) l'enracinement du judaïsme dans la réalité concrète, la complexité de l'existence juive ainsi que la difficulté (ou l'impossibilité?) de trouver des expressions et des nuances qui fassent droit à l'auto-compréhension des juifs et qui soient acceptables par tous. Dans cette catégorie on trouve aussi des interprétations unilatérales et inexactes du document. Elles touchent d'ailleurs le problème du rapport entre le religieux et le profane, que nous retrouverons plus loin.

— Les réactions du côté chrétien sont très diverses, en positif ou en négatif. Elles soulignent la nature complexe et difficile des relations judéo-chrétiennes. Dans les milieux qui avaient développé des contacts vivants avec des juifs, selon l'esprit de Vatican II, dans le respect et l'estime mutuelle, et qui découvraient le sens de ces relations, le texte a été salué comme un important pas en avant, comme un réel progrès dans la compréhension religieuse de la relation entre l'église et le judaïsme.

Il y a eu, d'autre part, des réactions très émotionnelles du point de vue religieux, du type: « la foi au Christ ne suffit-elle plus? » (cf Biot, Témoignage chrétien 26 avril). Elles révèlent que certaines personnes se sentent touchées et attaquées dans leur conception de la foi chrétienne. Souvent dans ces cas là, le texte n'a pas été bien lu ou l'intention des évêques est mal comprise.

D'autres ont réagi d'une manière négative et parfois passionnée à partir d'une prise de position politique (cf par exemple, l'analyse du document par quarante jésuites du Liban dont fait état le Monde du 4 mai). Ceci montre bien le lien profond qui existe entre la situation sociale et politique et la conception de la foi.

Enfin, il y a eu également des réactions proprement théologiques comme celles du cardinal Daniélou et celle du père Congar.

Notons, en passant, deux tendances qui se font jour à travers ces différentes approches: l'un rejette le document et présente une vue contraire, l'autre essaie d'entrer dans l'esprit et l'intention du texte, suit l'évolution de la pensée et s'efforce de l'évaluer en mettant en question ses propres vues. Dans la plupart des cas, malheureusement, c'est la première tendance qui prédomine: on ne se pose pas de questions, on ne s'interroge pas, on n'écoute pas l'autre, mais au contraire on affirme, on accuse parfois.

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Dans cet ensemble, signalons provisoirement quelques faits et quelques problèmes importants qui sont venus à la lumière à l'occasion des réactions et des discussions.

1. - Il est certain que la déclaration « Nostra Aetate » du concile Vatican II ne peut marquer un point d'arrivée mais un point de départ sur une route difficile. Souvenons-nous des réactions qui ont suivi cette déclaration et comment certaines personnes, déjà à cette époque, se sentaient attaquées dans leur conception de la foi. Il n'en sera pas autrement dans le cheminement de la mise en pratique du document conciliaire. Ceci du fait de l'extrême difficulté de la question et en même temps de son importance. De nombreuses réactions ont montré à quel point, dans un problème aussi délicat, davantage de nuances et d'explications seraient nécessaires.

2. - Un des grands problèmes qui se posent dans ce contexte est la relation entre le religieux et la politique. A ce sujet beaucoup ont parlé d'ambiguité, de manque de clarté, de confusion etc... (par exemple, les évêques d'Afrique du nord, cf le Monde du 28 avril). Un éclaircissement ultérieur est certainement nécessaire; mais il s'agit ici d'une question importante qui ne concerne pas seulement la relation entre l'église et le judaïsme, mais toute la présence de l'église et de la révélation divine dans l'histoire et dans le monde. On a reproché au document français de prendre une position politique à l'égard de l'état d'Israël et même de donner une justification théologique à l'existence et à la politique de l'état d'Israël. Le père Congar (cf la Croix du 16 juin 1973) a montré que ces accusations sont fausses. Le document est vraiment pastoral et religieux et non pas politique. Par ailleurs il est inévitable, dans le contexte concret, que le document ait des répercussions politiques. Il aurait mieux valu que les évêques le disent eux-mêmes au début, dans le texte même de leur document. Toutefois, il ne faut pas oublier l'avertissement publié dans la Croix du 11 mai 1973. Sans doute l'avis de personnes plus directement engagées dans la situation concrète au Moyen Orient aurait pu aider à éviter certains termes ambigus.

La grande question qui se pose ici, c'est que selon le judaïsme on ne peut pas séparer le religieux du profane, parce que toute la réalité est touchée par la présence de Dieu. Pour unchrétien occidental, habitué à une séparation assez nette (au moins en théorie) entre les deux domaines, cela crée un problème, surtout s'il cherche une attitude de dialogue et donc respecte l'autre tel qu'il est. On ne résout pas la question en disant: « les autres ont tort et nous avons raison ». Le problème ne se pose d'ailleurs pas seulement par rapport au judaïsme, mais aussi dans les relations de l'église avec l'Islam et en général avec le monde oriental. On se demande pourquoi les réactions négatives, à la suite du document, ignorent cet aspect. Il y a donc ici tout un domaine de recherches encore à poursuivre. Certains milieux théologiques (théologie sociale, théologie politique...) travaillent dans ce sens. Une confrontation sincère avec le judaïsme pourrait stimuler ces efforts.

3. - Un autre élément essentiel, l'élection du peuple juif, a suscité des réactions. « Le peuple juif n'a pas été dépouillé de son élection », dit le document, en s'appuyant sur des textes bibliques concernant l'alliance éternelle (Gn 17,7), l'appel irrévocable (Rm 11,29) et la fidélité de Dieu à son peuple. Ici on touche un problème central pour les relations entre l'église et le judaïsme. Des réactions hâtives mais très significatives ont dit que de cette manière le document met en péril la foi en Jésus-Christ. Si le peuple juif reste élu, l'église ne serait plus alors le seul élu? Comment peut-on concevoir cela? Mais si le peuple juif avait perdu son élection, où est la fidélité de Dieu? l'idée de la substitution — « traditionnelle » — semblait une solution facile, mais trouve-t-elle une base dans l'écriture sainte? Les évêques français affirment que non. On prétend que de parler encore aujourd'hui d'une élection particulière du peuple juif est la meilleure manière de ressusciter l'antisémitisme (J. Daniélou, le Figaro 28 avril 1973). Mais sur quelle conception de l'élection se fonde une telle idée? Et que pourrait-on alors penser de l'élection particulière du peuple chrétien?

Jusqu'ici la meilleure réflexion, sereine et équilibrée, vient du père Congar (la Croix, 16 juin 1973). Congar appelle son article: « Un effort pour le (le document) mieux comprendre ». Il dit que, pour les chrétiens, le judaïsme a été dépassé « comme régime religieux de salut ». Puis il reconnaît que « les juifs peuvent être sauvés dans et par la pratique de leur religion, de façon analogue à celle dont d'autres non-chrétiens peuvent être sauvés. De façon analogue seulement parce que le cas des juifs est toujours particulier. Il faut pourtant approfondir le sens de ces termes « analogue », « cas particulier », et surtout « régime religieux de salut ». Que veut dire exactement « régime religieux de salut »? Surtout dans une perpective eschatologique qui est soulignée à juste titre par Congar. Citant le père Fessard, Congar rejoint les affirmations de saint Paul dans l'épître aux romains: « Il s'agit alors, non du salut personnel, mais de l'histoire de l'humanité telle que Dieu la mène à l'eschatologie, c'est-à-dire à son terme final. De par l'intervention définitivement acquise de Dieu dans cette histoire (Rm 11,29), l'humanité se distribue en juifs et en « nations ». Cette dualité n'est surmontée qu'en Jésus-Christ et ne sera effacée pour l'humanité qu'à la fin. (Et le sera-t-elle vraiment? C. R.). Il en résulte que l'élection d'Israël a introduit dans l'histoire une structure dont saint Paul constate la permanence dans le temps de l'église, tant que la plénitude n'est pas atteinte. Cette permanence appartient au dessein de Dieu, elle doit y avoir un sens, et pas seulement au plan sociologique, mais au plan théologique. Préciser ce sens n'est pas chose facile ».

Il me semble que ce paragraphe surtout est précieux et qu'il stimule une réflexion encore plus approfondie, dans laquelle on pourrait essayer de voir plus clairement la vocation, la mission particulière du peuple juif, en rendant compte de la permanence de la structure introduite dans l'histoire par son élection et du fait que juifs et chrétiens sont toujours en route vers la pleine manifestation du Messie, puisque les temps messianiques ne sont pas encore accomplis en plénitude.

4. - La conception chrétienne de l'ancien Testament est une question directement liée à la question précédente et elle a donné lieu à des discussions passionnées tout au long de la tradition chrétienne. La position officielle de l'église est que l'ancien Testament est parole de Dieu tout comme le nouveau Testament. En reconnaissant cela le document des évêques français dit que « cela même suppose qu'il (l'ancien Testament) soit accueilli et reconnu d'abord en lui-même ». Cette position qui semble exacte et toute naturelle a provoqué certaines réactions négatives. Beaucoup de chrétiens étaient habitués ou bien à ne pas lire du tout l'ancien Testament, ou bien à le lire dans un sens allégorique, spirituel, voire dogmatique ou bien à le voir exclusivement comme la préparation du nouveau Testament. Si l'exégèse chrétienne moderne connaît toujours plusieurs tendances (littérale, allégorique, spirituelle...), la condition première de toute exégèse sérieuse reste la lecture, l'analyse scientifique et la compréhension du texte « en lui-même ». Les sciences bibliques étudient la signification, la valeur actuelle, le message du texte inspiré pour la vie concrète afin que la Bible devienne vraiment « source de vie ». Cette méthode herméneutique concerne les textes de toute la Bible et n'est encore qu'à ses débuts dans la recherche actuelle. Si l'on cherche à traduire le message de toute la Bible, ancien et nouveau Testaments, pour et dans la vie du croyant, on doit attacher une grande importance au fait que pour les chrétiens aussi il y a un énorme « pas encore », même s'ils confessant le « déjà » de Jésus Messie. Dans la perspective de l'accomplissement eschatologique, de la réalisation totale du règne de Dieu, l'ancien Testament, « reconnu d'abord en lui-même », a beaucoup à apprendre aussi aux chrétiens. Cela est d'autant plus vrai que le « mystère » dont parle saint Paul (Rm 11,25) est lié à l'accomplissement final du royaume.

5 - En ce qui concerne le lien du peuple juif avec la terre promise, le document a suscité -une discussion relativement violente à propos des textes bibliques qu'il a cités. Le document est très prudent dans ses expressions, mais il a été accusé de justifier la politique du sionisme (question à étudier en profondeur, sans prise de position superficielle), d'utiliser la Bible dans un but politique, de lire la Bible d'une façon intégriste, littérale... etc. Congar et d'autres ont montré que ces accusations sont fausses. Le problème qui se pose ici, c'est encore l'interprétation de la Bible qui ne peut être ni « fondamentaliste », ni littérale, ni exclusivement spirituelle. Quel est le rapport du message biblique avec la réalité concrète historique, sociale, politique et même géographique? Y en a-t-il un? La question n'est pas soulevée par le document français, mais elle
doit être étudiée sérieusement. Selon la foi, juive ou chrétienne, Dieu est le Dieu de l'histoire. Quel est le sens exact de cette affirmation? Dans ce contexte, il faudrait approfondir la signification de l'Incarnation, le contenu des expressions « ciel nouveau et terre nouvelle », le rôle du particulier et de l'universel dans le plan de Dieu.

En conclusion, on peut vraiment dire que le document du comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme ainsi que les réactions qu'il a provoquées ont beaucoup « révélé »... On aime espérer que les problèmes soulevés ou suscités à cette occasion seront abordés et approfondis dans un esprit serein et oecuménique.

 

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