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L'étrange destinée de la sécularisation
James Vincent Schall, S. J.
« L'un des phénomènes les plus frappants que l'on constate aujourd'hui aux Etats-Unis est l'effort presque frénétique des journaux scientifiques pour refouler la marée loin de la recherche et de l'étude scientifique. Les mouvements antiespace, anti-guerre, anti-pollution, la mode isolationiste qui se développent dans le pays sont, plus que tout, une réaction contre un monde super-sécularisé. Le fait que ces nouveaux dieux, comme les a fort bien nommés E.M. Cioran, puissent éventuellement devenir plus effrayants que l'ancien univers scientifique sans Dieu n'est pas encore parvenu à la conscience du grand public (« The new gods », The Hudson Review, Spring, 1968). Le mouvement écologique risque de devenir une religion néo-naturiste. Certes, quelques savants, en particulier Lynn White, ont accusé la tradition judéo-chrétienne d'être à l'origine de la crise actuelle parce qu'elle accepte comme principe tiré de la Genèse la prééminence de l'homme sur le monde (« The Historic Roots of our Ecologic crisis », Science, 10 mars 1967). Cet accent mis sur la dignité de l'homme est ressenti comme une sorte d'orgueil qui présume que la terre et les animaux sont livrés à l'humanité pour son usage exclusif.
En conséquence, la recherche d'autres dieux— dieux de l'Orient, de l'Inde, d'Afrique — est liée à cette réaction. La science, également, est regardée comme une conséquence logique de cette même perspective greco-judéo-chrétienne sur la loi et l'ordre de l'univers. Le dieu de la science, ou peut-être l'absence de dieu qui la caractérise, finit par n'être plus qu'une forme déguisée du Dieu de Jacob, d'Isaac et de Joseph, compris comme le Premier Moteur. Toute tentative pour ménager une place à part pour la religion dans le but d'être en accord avec une « science » pure, semble, ainsi, être un simple subterfuge.
Il y a toutefois une nouvelle espèce de « désacralisation » que l'on ne trouvait pas dans la première contestation. La science classique avait encore gardé le sentiment de l'unicité et de l'absolu de l'homme. Son passé religieux non exprimé restait opérant — ceci explique qu'aujourd'hui l'ancienne mentalité scientifique soit telleknere exaspérée du pessimisme des nouveaux mouvements —. L'esprit humain était au centre parce que capable de connaissance, de recherche et d'organisation. La science n'a jamais perdu de vue que le but du télescope de Galilée était de donner la possibilité à tout homme d'y vérifier la réalité de la révolution des étoiles. Les courants actuels, bien qu'ils se déclarent éminement moraux, rejettent l'exigence morale bien loin de l'absolu de la personne humaine. Le révolutionnaire s'occupe de nation, de race, de classe; l'hamanité dont il parle est complètement abstraite. L'écologiste fait de la morale une fonction du processus naturel dont l'homme n'est qu'une des composantes. La dignité de la personne est coupée des amarres théologiques qui étaient restées à la surface pendant la révolution scientifique. La personne en vient à être considérée comme un élément de la société ou de la terre. Son caractère unique et l'absolu de sa relation, son appel par Dieu qui l'a créée de rien sont réduits à n'être que des éléments qui agissent sur sa structure...
La leçon que l'expérience de la sécularisation donne à l'histoire n'est pas: « Comment vivre en chrétien dans un monde sans Dieu? ». Mais c'est plutôt la claire vision que dans un monde sans Dieu l'on voit soudain surgir de faux dieux auxquels les hommes rendent leur culte. « Je suis le Seigneur ton Dieu et tu n'auras pas d'autresdieux que moi... » S'il est exact que les juifs et les chrétiens ont coupé les forêts sacrées et détruit les dieux de la nature — une expérience de sécularisation qui a vidé le monde des esprits qui le protégeaient — nous devons nous apercevoir maintenant que les arbres sacrés ont été replantés. La sécularisation n'a pas réussi, ce n'était qu'un simple interlude. Quand Paul disait que notre lutte n'est pas contre la chair et le sang mais contre les puissances et les principautés, il était bien près de décrire le climat spirituel de mouvements qui ont dépassé une vue séculière du monde. La révolution récente et le mouvement écologique sont essentiellement spirituels dans leur manière et dans leur zèle. Personne ne peut s'y tromper. Dans un tel monde la froide emprise de la sécularisation n'a pas de place. Mais la question que cela pose nécessairement à la religion est celle-ci: qui sont ces nouveaux dieux? ».