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SIDIC Periodical XIII - 1980/3
La liberté religieuse (Pages 10 - 25)

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La liberté religieuse: une perspective juive
Robert Gordis

 

Conférence donnée à la rencontre annuelle du Comité International entre le Judaïsme et l'Eglise catholique romaine, à Regensburg, du 21 au 24 octobre 1979. Nous reproduisons cet article avec l'aimable autorisation de l'auleur, étant bien entendu qu'il ne peut étre reproduit, soit en entier soit en partie, sans sa permission expresse.

Je considère comme un privilège de participer à un congrès aussi important que le nôtre, car nous allons y traiter de questions d'un intérêt primordial pour deux grandes communautés de foi qui ont pris naissance dans l'Antiquité, qui ont survécu pendant tout le Moyen-âge et qui ont, encore de nos jours, la puissance de guider, d'instruire et d'inspirer l'humanité.

Ce genre de conférences sont d'autant plus importantes qu'elles sont le fruit de cet esprit de « candor et caritas », de franchise et d'amour, qui nous unit. Le grand rabbin hassidique, Levi Yitshak de Berdichev, disait souvent qu'il avait appris, d'un paysan ivre, le sens de l'amour. Le rabbin avait eu l'occasion de rendre visite au propriétaire d'une auberge dans la campagne polonaise. Alors qu'il entrait dans l'auberge, deux paysans, assis à une table et qui avaient visiblement un peu trop bu, se tenaient embrassés, et se faisaient de grandes déclarations d'amitié. Soudain, Ivan dit à Pierre: « Pierre, dis-moi, sais-tu ce qui me fait souffrir? » — « Comment puis-je savoir ce qui te fait souffrir? », répondit Pierre. La réponse d'Ivan fut rapide: « Si tu ne sais pas ce qui me fait souffrir, comment peux-tu dire que tu m'aimes? Voilà, disait le rabbin Levi Yitshak, la vraie définition de l'amour. C'est dans cet esprit de « candor et caritas » que nous nous rencontrons aujourd'hui. Et mon propos est d'exposer ce qu'est la liberté religieuse dans la perspective juive.

C'est à l'époque moderne seulement que la liberté religieuse est devenue, pour l'homme, une question de conscience. Les Ecritures saintes de la tradition judéo-chrétienne contiennent, certes, l'enseignement moral leplus élevé qu'ait connu l'humanité, mais la liberté religieuse, de quelque façon qu'on l'entende, n'y est présentée nulle part comme un droit de l'individu ou comme un devoir de la société envers ses membres. Les grandes oeuvres de la philosophie juive classique du Moyen-âge, de Saadia à Maimonide et Crescas, tout comme, je pense, les imposants traités des Pères de l'Eglise et des théologiens scolastiques, ne présentent aucune discussion ni analyse de ce concept. Les sources de la Loi religieuse juive, le Talmud et les Codes rabbiniques, tout comme les grands répertoires du droit canonique catholique, ne s'occupent de ce sujet qu'indirectement, en référence aux hérétiques. Je ne connais aucun traité traditionnel de morale (le judaïsme en est pourtant particulièrement riche) qui mentionne la liberté religieuse comme une règle de morale, et j'imagine que la situation est la même dans les livres de morale chrétiens.

Il y eut, certes, quelques croyants généreux qui connurent, en tant qu'individus, cet idéal de la liberté de conscience déjà avant notre époque moderne. L'histoire fait mention de communautés qui, pour des motifs de foi, avaient institué la liberté religieuse bien avant le 18° siècle.

L'exemple le plus ancien de telles sociétés est, peut-être, le royaume des Khazars, en Russie centrale, entre la Volga et le Don, royaume qui dura du sixième au dixième siècle. Les gouverneurs tartares et les classes supérieures de l'Etat Khazar avaient adopté la religion juive au huitième siècle et ils accordèrent une liberté religieuse pleine et entière aux chrétiens comme aux musulmans' Le royaume de Hollande, établi au 16° siècle par Guillaume le muet, adopta le principe de la tolérance même si, dans son application, le principe fut limité; et le puritain dissident, Roger Williams, fondant une colonie de Plantations à Providence (Rhode Island) dans le Nouveau Monde, donna comme base à sa république la pleine liberté de conscience. Quant au catholique Lord Baltimore, il étendit aux Protestants la liberté du culte. Mais ce furent des cas exceptionnels et isolés.

Dans l'ensemble, le principe de la liberté de conscience ne fut largement admis et mis vraiment en pratique qu'au siècle des Lumières. Cette période révolutionnaire ébranla à la fois les juifs et le Judaïsme jusqu'en leurs fondements, sous la pression de deux forces conjuguées mais distinctes: celle de l'Emancipation et celle du Siècle des Lumières. Suivant les doctrines libérales de cet âge nouveau, l'Emancipation brisa les murs du ghetto dans toute l'Europe occidentale et centrale. Non sans beaucoup d'hésitations et de retours en arrière, les juifs d'Europe reçurent enfin le droit de cité dans les régions où ils habitaient et on leur accorda la plupart des avantages sociaux, économiques et culturels. Mais, dans ce processus de l'Emancipation politique, l'ancienne structure de la communauté juive se désagrégea, et elle perdit presque totalement l'autorité qu'elle avait sur ses membres; les seuls liens qui se maintinrent par la suite furent purement volontaires et individuels.2

Avant même que l'Emancipation ne soit achevée, le Siècle des Lumières avait commencé à saper bon nombre des présupposés de la religion traditionnelle. Le christianisme, qui s'était heurté déjà à plus d'un défi, avait pu repousser ces attaques avec un certain succès, mais le judaïsme qui, pendant des siècles, était resté à l'écart des principaux courants de la culture occidentale, se trouva à peu près désemparé, surtout au début, lorsqu'il se heurta aux théories du Siècle des Lumières. Les diverses écoles de pensée du judaïsme contemporain représentent différents essais de réponse au défi du monde moderne.

Cependant, quelque troublantes qu'aient pu étre les doctrines du Siècles des Lumières pour la religion traditionnelle, elles eurent un résultat positif: celui de créer, j'allais dire d'obliger à promouvoir un esprit de tolérance mutuelle entre les grandes religions. Le fameux drame de Lessing, y Nathan der Weise », a mis en lumière cette mentalité nouvelle. Le drame, dont les protagonistes sont un sultan musulman et un sage juif, tondent la fameuse parabole des « trois anneaux »: tous les trois, identiques en apparence, avaient été façonnés par un père pour ses fils car, les aimant également tous les trois, il ne pouvait se résoudre à donner cet héritage ancestral, d'une valeur inestimable, à aucun d'eux. Le sens de la parabole est clair: les trois anneaux symbolisent les trois religions monothéistes: le judaïsme, le christianisme et l'islam, toutes trois signes de l'amour de Dieu pour ses créatures et de la vénération qu'elles lui doivent en retour. Mais nous pouvons deviner, sous-jacente, une autre insinuation: aucune des trois religions ne peut raisonnablement prétendre qu'elle est, seule, dépositaire de la véritable révélation et ne peut s'arroger une place privilégiée dans une société libre. On a pu définir la liberté comme un esprit qui n'est jamais sûr d'avoir raison.

Comme nous l'avons remarqué, il a existé des saints et des sages qui, individuellement, ont estimé qu'il était possible d'être tolérant envers les autres religions tout en restant fermement attaché à sa foi; mais, pour la majorité des hommes, la liberté religieuse n'a été que la conséquence de la sécularisation.

A l'affaiblissement de la ferveur religieuse dans de larges couches de la population a succédé la conviction qu'« une religion en vaut une autre ». Dans bien des cas cette affirmation n'est qu'un euphémisme qui recouvre l'idée contraire, inavouée: « toutes les religions sont aussi mauvaises les unes que les autres ». Cependant, quelles que soient ses motivations, la sécularisation a eu le mérite de faire de la liberté religieuse non seulement un principe de vie pratique pour la société, mais aussi un idéal vers lequel tend l'homme moderne. En ce sens, s'il nous est permis de citer Horace M. Kallen: « le sécularisme peut être considéré comme voulu par Dieu

La Liberté Religieuse dans un Monde Sécularisé

Nous sommes, certes, reconnaissants pour ce don de l'esprit humain, mais il faut reconnaître que l'idéal de la liberté religieuse, lorsqu'il est fondé sur des bases séculières, souffre de graves limitations. La première faille évidente, c'est que, vu son origine laïque, le principe de la liberté religieuse sera mieux appliqué là où la fidélité religieuse sera plus faible, ou inexistante. Sielle grandit sur un terrain d'indifférentisme religieux, où toutes les religions sont considérées comme également méprisables, la liberté religieuse, en tant que principe, perdra évidemment beaucoup de sa valeur aux yeux de ceux qui accordent à la religion une place importante dans la vie humaine; surtout, elle n'obtiendra pas l'adhésion de ceux qui considèrent que, seule, leur propre tradition possède une vérité qui dépasse toutes les autres. Et pourtant, comme l'histoire humaine le montre bien, plus il y a de ferveur dans la fidélité religieuse, plus augmente le danger d'hostilité envers ceux qui n'appartiennent pas au même groupe et plus devient important ce principe de la liberté de conscience. On voit bien, ainsi, que le principe de la liberté religieuse, lorsqu'il s'appuie sur le sécularisme, perd une bonne part de son efficacité, et justement là où il serait le plus nécessaire.

De plus, la liberté de conscience, dans une structure purement séculière, ne peut, au mieux, qu'amener une trève mais non un état stable de paix entre les groupes religieux. Cette trêve est due à la présence d'une surveillance séculière, soit celle de l'Etat, soit celle d'une société où la fidélité religieuse est affaiblie. Et si les membres d'un groupe social tiennent passionnément à leurs engagements religieux, ce ne seront ni l'application de lois, ni l'opinion publique, ni même une déclaration des droits de l'homme qui pourront, vraisemblablement, maintenir longtemps l'application du principe de la liberté religieuse. Si le mot célèbre de William C. Douglas, magistrat à la cour suprême des Etats-Unis: « Nous sommes un peuple religieux dont les institutions supposent un Etre Suprême » est exact, la liberté de foi courra un grand danger lorsque les Américains prendront au sérieux leurs exigences religieuses, si vraiment le principe de cette liberté ne s'enracine que dans une vision séculière du monde.

Cette menace contre la liberté religieuse n'est pas seulement théorique. Ces dernières années ont été témoins d'une prolifération d'engagements religieux de tous ordres chez les Américains. On a vu augmenter en masse le nombre des « chrétiens re-nés », d'abord dans les églises évangéliques protestantes, puis dans d'autres. Dans le judaïsme, il y a eu un nombre croissant de « baalei teshuva », c'est-à-dire de juifs repentants retournant à la tradition, dans l'orthodoxie d'abord, mais aussi dans d'autres courants du judaïsme. Mais on a pu voir aussi une prolifération de cultes orientaux ou pseudo-orientaux, et aussi de mouvements « spirituels » d'invention moderne, avec une terminologie pseudo-scientifique ou non. Ils promettent tous la libération des maux dont souffre le monde moderne tels que l'aliénation, la solitude, la frustration et « l'anomie », et ils exigent généralement l'obéissance inconditionnée à un chef charismatique et la rupture de tous les liens familiaux, sociaux et culturels. Pour eux, une liberté religieuse d'origine séculière est suspecte, sinon dépourvue de tout sens, « ab initio ».

Le seul espoir que des groupes religieux de ce genre parviennent à un « modus videndi » dans une société pluraliste serait que la liberté religieuse trouve son fondement dans la religion même.
Finalement, même si certains croyants acceptent de mettre en pratique le principe de la liberté religieuse, s'ils ne la mettent pas en relation avec leur vue religieuse du monde, ils ne se sentiront pas engagés dans leur conscience. Ils peuvent reconnaître la liberté à ceux qui diffèrent d'eux, mais ce sera, pour eux, ou se plier malgré eux à une raison « de force majeure » ou, au mieux, une attitude de prudence, limitée quant au but et temporaire quant à l'application.

Si le lien n'est pas fait entre la religion à laquelle il appartient et l'affirmation doctrinale de la liberté religieuse, le croyant, même s'il ne va pas jusqu'à poser des actes dans ce sens, courra toujours un grave danger, celui de violer le commandement de Dieu: « Tu ne haïras pas ton prochain dans ton coeur » (Lev. 19, 17), et cette violation constituerait un grave manquement aux lois morales qu'il doit observer.

Bref, une doctrine séculière de la liberté court les mêmes risques que la morale laïque dans son ensemble" dont le code moral ne peut sanctionner que les fautes flagrantes et non les fautes plus subtiles que constituent une certaine attitude de l'esprit ou certaines dispositions intérieures, ce que le Talmud appelle « choses confiées au coeur ». Ce code ne peut pas non plus susciter le dynamisme capable de soutenir à la longue la fidélité à un idéal, même lorsqu'il est au pouvoir d'un groupe d'imposer sa volonté aux autres.

Les lacunes possibles, inhérentes à une doctrine de la liberté religieuse qui émane d'une vision séculière du monde, ne sont pas seulement théoriques. Actuellement nous voyons bien des « points chauds » à la surface du globe, lieux où les conflits s'enracinent chez des peuples passionnément attachés à leurs convictions religieuses. C'est de leur foi qu'ils tirent cette énergie inépuisable qui leur permet de soutenir un conflit meurtrier pour tous. C'est au nom de leur religion qu'ils justifient leur refus de déposer les armes et de chercher une solution pacifique à leurs problèmes. Nous n'avons qu'à rappeler la guerre civile entre protestants et catholiques qui dure, en Irlande, depuis des décades, les tragiques effusions de sang entre Arabes chrétiens et musulmans au Liban, et les violations du droit et de la morale internationale perpétrées en Iran par les partisans le l'ayatolla Khomeini, au nom du Prophète de l'Islam.

L'agonie du Bengladesh, de peu antérieure, et la lutte constante entre Hindous et Musulmans en Inde prouvent, une fois de plus, que plus les convictions religicuscs sont fortes, plus il est difficile de faire adopter le principe de la liberté religieuse. Dans de tels cas, une doctrine laïque est totalement impuissante, elle n'a même aucun sens.

Si la liberté religieuse doit être considérée comme un idéal auquel les hommes ont à adhérer, chaque tradition religieuse doit prendre au sérieux l'obligation où elle est de vivre dans une société pluraliste. La première démarche qu'elle a à faire est de retourner à ses propres sources pour y rechercher ce qui peut contribuer à établir le principe de la liberté religieuse dans une perspective religieuse. Le but de cette conférence est de rechercher dans le judaïsme les bases d'une doctrine de cette liberté.

Le Droit d la Liberté Religieuse

En premier lieu, il faut remarquer que la liberté religieuse présente trois aspects distincts bien que liés entre eux. Comme beaucoup d'autres valeurs morales, ses racines plongent dans l'instinct de conservation. En d'autres termes, l'aspect premier et le plus ancien de la liberté religieuse est le droit revendiqué par un groupe de pratiquer sa foi, sans interférence des autres. L'extension de ce droit à d'autres individus ou à d'autres groupes représente un immense progrès, à la fois dans le temps et dans la mentalité, progrès qui prend des siècles à s'accomplir et qui, dans la plupart des cas, n'a pas encore été accompli. En fait, même de nos jours, les exemples ne manquent pas de groupes, d'à peu près toutes les confessions, qui définissent le droit à la liberté religieuse comme un droit les autorisant à refuser cette même liberté à ceux qui ne sont pas comme eux.5

Sous ce premier aspect, la liberté religieuse ne diffère en rien des autres droits fondamentaux, tel le droit à la liberté de parole ou d'association, droits primordiaux que le groupe doit chercher à acquérir et à établir en son sein. Ce n'est que plus tard, et même parfois contre-coeur, que cette liberté de conscience sera étendue à des groupes ayant une foi et une pratique religieuse différentes. Enfin, le troisième degré de la liberté religieuse, et le plus difficile à atteindre, peut être reconnu, ce qui est loin d'être courant, quand un groupe religieux fidèle à sa foi et à sa tradition accepte d'accorder la liberté de pensée et d'action à ceux-mêmes qui, en son sein, sont des dissidents.

Le peuple juif a beaucoup contribué à l'établissement de la liberté religieuse selon son premier aspect. Quant aux autres aspects, le judaïsme, riche de son expérience historique, peut offrir, je crois, à l'humanité certaines perspectives intéressantes.

Avant de parler des trois sortes de liberté religieuse, nous pourrions faire remarquer qu'aucun groupe religieux plus que le peuple juif n'a eu intérêt à voir se développer ce principe, pour le présent comme pour le futur. Il est vrai qu'en fait chaque confession religieuse se trouve être une minorité en l'un ou l'autre coin du monde et qu'elle a l'occasion, hélas, de rencontrer bien des violations de son droit de pratiquer et de propager sa foi. Les Protestants ont subi pendant longtemps des vexations en Espagne et en Amérique latine. Les catholiques sont inquiets du statut de leur Eglise dans les pays communistes. Souvent les chrétiens se trouvent dans des situations difficiles, comme dans certaines régions de l'Afrique et dans les états dictatoriaux musulmans du Moyen-Orient.

Les juifs ont eu le triste privilège d'être une minorité presque partout et toujours. Pendant les 36 siècles qui séparent le roi David de Ben Gourion, le peuple juif n'a été maître de son destin comme nation indépendante en Palestine que pendant une petite fraction de son histoire. Cette situation dura moins de 500 ans pendant la période du Premier Temple, 80 ans sous le Second Temple, et 32 ans maintenant, dans l'Etat d'Israël contemporain. Ces 600 ans ne sont qu'un sixième de l'histoire d'Israël. Cependant, même pendant ces longues périodes d'indépendance et d'autonomie, il y eut de grandes communautés juives vivant hors de Palestine, qui étaient de loin beaucoup plus nombreuses que la population juive restée sur le sol natal. La possibilité de survie de ces communautés de la Diaspora était directement liée au degré de liberté religieuse dont elles jouissaient. Ainsi donc, si la restriction de la liberté religieuse crée un grave problème pour toutes les confessions, pour le peuple juif c'est une question de vie ou de mort.

Il est donc normal, historiquement, que ce peuple ait pris le premier les armes pour défendre ce droit, lui pour qui la liberté religieuse était une nécessité fondamentale. La première guerre pour cette liberté enregistrée par l'histoire a été la lutte des Maccabées contre le roi greco-syrien Epiphane, guerre qui éclata en 169 avant J.C. et qui n'avait pour but ni la liberté politique, ni l'accroissement du territoire, ni la gloire, ni le butin. Elle était la résistance d'un groupe de juifs palestiniens résolus à défendre leur foi religieuse et leurs coutumes dans un monde où tout était mis en oeuvre pour imposer, comme modèle uniforme de vie, la culture et la religion païennes du monde hellénistique qui s'étaient imposées dans tout le Moyen-Orient.

Si les Maccabées ne s'étaient pas battus, ou s'ils avaient été vaincus, les Ecritures hébraïques auraient été détruites, le judaïsme aurait été anéanti, le christianisme ne serait pas né et l'ensemble des valeurs de l'héritage judéo-chrétien, qui sont à la base de la civilisation occidentale, auraient disparu. Il était donc bien juste que, dans l'Eglise primitive, tant en Orient qu'en Occident, on célébrât le premier Août une fête appelée « Anniversaire des Maccabées », témoignant ainsi de la dette que le peuple chrétien aussi bien que le peuple juif ont envers ces premiers et intrépides défenseurs de la liberté de conscience.6

Une Conception Limitée de la Liberté Religieuse

Ainsi fut déclenchée cette interminable lutte en faveur de la liberté religieuse sous sa forme primordiale la plus ancienne. Depuis lors, et jusqu'à nos jours, bon nombre de communautés ont conçu la liberté religieuse à peu près uniquement comme le droit, pour elles, è pouvoir vivre selon leurs croyances et leurs pratiques religieuses; et leur critère pour évaluer le degré de liberté religieuse dans une société, c'est la facilité plus ou moins grande qui leur est accordée, et à elles seules, de propager leur foi. La liberté religieuse est alors définie comme * liberté de religion » et la a religion » ne peut être que celle de ces communautés particulières.

Cette perspective limitée a une longue et « respectable » histoire. On peut remarquer que les seules conversions forcées au judaïsme dont nous ayons l'exemple furent le fait de descendants de ces Maccabées qui s'étaient battus, eux-mêmes, pour la liberté religieuse de leur peuple. Le prince maccabéen Jean Hyrcan (135-104 avant J.C.) contraignit les Iduméens, ennemis héréditaires des juifs, à embrasser le judaïsme. Son fils, Aristobule, judaïsa la région de Galilée située au Nord de la Palestine.' Ces mesures furent dictées par des considérations pratiques plus que par un zèle religieux, ce qui est caractéristique de toutes les conversions en masse, même de nos jours. Ce n'est pas la seule fois que la religion a été utilisée pour dissimuler des motifs politiques, et cela presque toujours à ses dépens. Pendant des siècles, on posa comme principe que « l'erreur n'a aucun droit », et ce principe resta en vigueur sans être nuancé ni par des raisonnements intellectuels ni par des considérations pratiques. L'hérésie, c'est-à-dire la profession de doctrines non conformes à celles d'un groupe à dominante religieuse, pouvait être éliminée, au niveau individuel comme au niveau collectif, par une patiente persuasion ou par la force physique. Car l'hérésie était considérée comme illégitime et coupable, méritant par conséquent les plus durs châtiments. Avec le développement du protestantisme qui mettait en relief le rôle du « libre examen » et de la lecture de la Bible comme parole de Dieu, une multiplicité de sectes apparurent et, ce qui est remarquable, leur légitimité ne fut pas mise en question par l'Etat, du moins en théorie. La liberté religieuse devint alors une nécessité pratique pour le corps politique en même temps qu'une question brûlante pour les sectes minoritaires. Au fond, c'est à ces groupes minoritaires que le monde est redevable de l'élargissement du concept de liberté religieuse.

Cependant, dans l'ensemble, l'idéal auquel les divers groupes restèrent attachés continua à être celui de leur propre liberté religieuse. Quand les Puritains quittèrent l'Angleterre et, plus tard, émigrèrent de Hollande au Massachussets, ils étaient mûs par un désir passionné de liberté de conscience, mais limitée seulement à ce premier sens. Les protestants ne partageant pas les mêmes convictions, les catholiques, les juifs et /es incroyants auraient pu attendre de Colony Bay une certaine hospitalité, mais ils étaient expédiés bien vite chaque fois que l'un d'eux apparaissait dans le pays.

Les non-protestants continuèrent à être privés de certains droits jusqu'au 19me siècle en quelques Etats de la Nouvelle Angleterre. La liberté religieuse ne fut, à ses débuts, qu'un ensemble de mesures pratiques visant à établir des conditions de paix entre des groupes religieux opposés. Ce n'est que lentement, douloureusement, qu'elle apparut comme un idéal auquel les hommes donnent leur adhésion, indépendamment de toute autre considération.

La liberté de religion, dans une société ouverte, suppose nécessairement deux conditions qui étaient moins évidentes dans les sociétés hiérarchisées de jadis. Elle doit inclure l'égalité religieuse, car il ne peut pas exister de véritable liberté religieuse si la liberté de culte officielle est accompagnée de contraintes légales, psychologiques, sociales ou économiques. Telle est la situation actuellement en Russie soviétique. Il est sûr qu'une minorité ne peut raisonnablement pas s'attendre à ce qu'on lui accorde, dans la société, le même crédit qu'à la majorité; mais elle a le droit d'exiger que l'Etat ne lui impose ni restrictions ni contraintes. Autrement dit, la pleine liberté religieuse exige que l'Etat reconnaisse l'égalité de tous, croyants et incroyants, même si la force relative des divers groupes comporte nécessairement des inconvénients pour les groupes plus pauvres et moins nombreux.

Supposons, par exemple, qu'un protestant soit en train de prier dans une modeste chapelle de sa confession, ou un juif de faire ses dévotions dans une simple salle de prière, ils ne pourraient, raisonnablement, faire objection à ce qu'il existe, dans le même coin, une magnifique église catholique. Par contre, ils auraient des motifs légitimes pour s'opposer à une ordonnace légale qui empêcherait la construction d'une grande église méthodiste ou d'une synagogue juive dans la région. Il en serait de même pour un catholique se heurtant à la défense d'ériger une église, un monastère ou une école paroissiale dans une contrée.

Il est encore un autre élément essentiel à la pleine liberté religieuse: la liberté religieuse n'est pas véritablement sauvegardée si elle n'est acquise qu'au prix de la vitalité religieuse. La position de la communauté juive sur les relations de l'Eglise et de l'Etat est souvent mal comprise parce qu'on l'attribue uniquement au désir d'éviter ce qui est contraignant pour elle-même et pour les autres minorités, y compris les matérialistes. Il est vrai que la position des minorités devant la liberté de religion peut être mise en parallèle avec celle des non-croyants qui refusent, eux aussi, que le pouvoir et les ressources de l'Etat soient utilisés pour renforcer les droits de la religion officielle. Mais il existe, en faveur de la position juive, un autre motif, plus profond encore: la volonté sincère de préserver sa vitalité religieuse, ce qui n'est possible que si les convictions religieuses sont libres de s'exprimer. Sur ce point, l'intérêt des groupes majoritaires rejoint celui des minoritaires.

Nous en avons un exemple frappant dans la controverse qui s'éleva lorsque la Cour Suprême des Etats-Unis repoussa, comme non-constitutionnelle, la prière que le Conseil des Régents de l'Etat de New York proposait pour les écoles publiques. Maintenant que la fumée s'est dissipée, sinon le feu, il est clair que la Cour Suprême ne « bannissait pas Dieu de la vie américaine ». Dans ce même exemple, il faudrait faire remarquer que les juifs qui, à peu d'exceptions près, applaudirent de tout coeur la position de la Cour Suprême (comme le firent bien Vautres Américains) ne s'alliaient pas pour autant aux matérialistes ni aux incroyants. Mais ils défendaient ce qui, pour eux, représente la source de la vitalité religieuse et de sa liberté. Les pratiques religieuses, lorsqu'elles sont imposées par des moyens psychologiques ou légaux, ne fortifient pas mais affaiblissent la vitalité religieuse. Il existe quelques pays, en Europe, où l'Etat a pris en charge l'une ou l'autre des Eglises; l'instruction religieuse dans les écoles y est obligatoire et chacun doit s'y acquitter de la prière. C'est justment dans ces pays que la fidélité religieuse est la plus faible parmi les adultes, beaucoup plus qu'aux Etats-Unis où la pratique religieuse et la foi sont complètement laissées à la liberté individuelle et nullement imposées par l'Etat.

Bien sûr, la prière des Régents n'avait rien de sectaire, mais, comme le sait toute personne sincèrement attachée à sa religion, certaines pratiques religieuses peuvent être encore a moins sectaires » que d'autres! Nous en avons un exemple dans le « Décalogue sans dénomination » qui, 32 siècles après le Sinaï, fut révélé au Comité de l'Ecole de New Hyde Park, à Long Island. Pour le plus louable des motifs, les directeurs de l'école publique locale créèrent un texte neuf des Dix Commandements, texte qui n'est ni catholique, ni juif, ni protestant, mais indubitablement supérieur à tous. Voici la version du Premier Commandement: « Je suis le Seigneur ton Dieu qui t'ai délivré des liens de l'esclavage »1' D'un trait de plume, toute l'expérience historique d'Israël, qui est à la base de l'Alliance biblique et de la tradition judéo-chrétienne, était ainsi éliminée.

Liberté Religieuse dans le Judaïsme

Nous n'avons parlé jusqu'à présent que du premier aspect de l'idéal de la liberté religieuse: le droit que tout groupe religieux exige pour lui-même de pratiquer sa foi librement, sans restriction et sans interférence des autres. Pour ce qui est des deux autres aspects, de caractère plus abstrait, nous croyons que l'expérience historique spécifique du peuple juif a une valeur de signe pour les autres groupes religieux et même pour que puisse être sauvegardée la liberté sociale.

Comme nous l'avons fait remarquer, le principe de la liberté de conscience ne pose aucun problème, du moins théoriquement, à ceux qui considèrent toutes les religions comme également bonnes, ou mauvaises. Il y a quelques années, alors que le communisme commençait sérieusement à prendre pied chez les jeunes collégiens américains, j'ai eu l'occasion de participer à un symposium sur « Le communisme et la religion Parmi les conférenciers se trouvaient un évêque méthodiste, un ministre presbytérien, deux rabbins et Earl Browder, porte-parole principal du communisme aux Etats-Unis, à cette époque. Comme tous les orateurs religieux cherchaient à expliquer leur attitude en face du communisme, Mr. Browder se tourna vers nous et déclara, à l'enthousiasme manifeste des jeunes auditeurs: « Seuls les communistes sont capables d'établir la paix et l'égalité entre toutes les religions parce que nous ne croyons en aucune ». L'histoire des totalitarismes du 20e siècle a bien montré que l'intolérance religieuse peut se développer sous des régimes communistes et fascistes. Les fanatiques religieux peuvent apprendre plus d'une leçon de comportement à l'école des fanatiques anti-religieux de notre époque. La persécution grossière et brutale exercée actuellement contre la religion par des régimes athées nous fait considèrer, en comparaison, comme presque « idylliques » les exemples classiques d'intolérance religlieuse des siècles passés.

Néanmoins il est vrai que l'élaboration d'une doctrine de la tolérance religieuse et sa mise en pratique posent un problème réel et complexe, spécialement pour les croyants qui sont convaincus d'être les dépositaires de la vérité religieuse et qui considèrent ceux qui diffèrent d'eux comme moins bénis de Dieu. A ce sujet, l'attitude de la tradition juive est particulièrement intéressante; elle s'est manifestée au sein d'une communauté profondément convaincue qu'elle possède l'authentique révélation de Dieu et que, par conséquent, toutes les autres religions comportent un mélange plus ou moins grand d'erreur. Etant donné que ce point de vue est courant parmi des fidèles de la plupart des confessions, il serait utile d'examiner la doctrine de la liberté religieuse dans le judaïsme et sa pratique, c'est-à-dire l'attitude juive traditionnelle envers les dissidents, au sein même de la communauté. Mais ce qui est encore plus significatif, pour le monde en général, c'est la théorie et la pratique de la liberté religieuse envers les non-juifs, et sa pratique au sein même du judaïsme, c'est-à-dire l'attitude de la tradition juive envers (a) les droits des non-juifs désirant garder leur propre foi et (b) la légitimité d'une telle foi du point de vue juif.

Pour comprendre l'attitude juive envers les divergences religieuses au sein de la communauté, il faut se rappeler que le judaïsme a toujours été marqué par toutes sortes d'expériences religieuses qui s'expriment clairement dans les Ecritures hébraïques. La Bible hébraïque contient, dans ses limites à la fois larges et accueillantes, les oeuvres variées et souvent contradictoires d'hommes qui furent des prêtres, des législateurs, des historiens, des prophètes ou des sages, des psalmistes ou des prophètes. Elle reflète le tempérament du mystique et du rationaliste, celui du simple croyant et du chercheur en quête de la vérité suprême. Cela tient au fait que la Bible hébraïque n'est pas une collection de traités à vision unique mais qu'elle est, selon les paroles d'un grand exégète moderne, « une littérature nationale à fond religieux ».10

Cette caractéristique de la Bible a marqué successivement toutes les époques de l'histoire du judaïsme. Ce n'est pas par hasard que la période la plus créatrice de son historie après celle de la Bible, la période du second « commonwealth »," fut celle où les sectes ont proliféré. Bien que fragmentaires, nos sources révèlent l'existence des Pharisiens, des Sadducéens, des Esséniens et des Zélotes, si l'on veut employer la classification classique des « Quatre Philosophies » de Flavius Josephe. Nous savons par le Talmud, qui est une énorme compilation de controverses, que même les Pharisiens qui dominaient par leur nombre et par leur influence, étaient divisés en petits groupes qui prenaient des positions fort opposées, ainsi qu'en centaines de chercheurs individuels dont les points de vue différaient sur de multiples questions. Quoique, malheureusement, on ne sache que peu de choses sur les Sadducéens, on peut affirmer qu'il existait parmi eux la même variété d'opinions. Quant aux Esséniens, la découverte des Rouleaux de la Mer

Morte a montré que le terme d'Esséniens s'appliquait plutôt à un éventail de sectes qui s'opposaient farouchement les unes aux autres. Les Samaritains formaient aussi un groupe non négligeable de dissidents se distinguant avant tout par leur opposition à un judaïsme centré sur Jérusalem. C'est dans ce climat que le judéo-christianisme primitif fit son apparition, venant encore enrichir la vitalité et la variété du judaïsme palestinien. Et il y avait encore une innombrable variété d'expressions religieuses différentes dans les diverses communautés de la Diaspora.

Tous ces groupes juifs partageaient, bien sûr, la plupart des principes fondamentaux de leur foi, mais il existait des divergences importantes entre les sectes et à l'intérieur de chacune d'elles. Le Talmud rappelle que chez les Pharisiens, les différences entre les écoles de Hillel et le Shammaï étaient profondément enracinées et qu'en certaine occasion elles ont suscité des actes de violence physique." Néanmoins, le Talmud affirme qu'il y avait des mariages entre adeptes de Shammaï et adeptes de Hillel, et que « Celui qui observe la Loi selon les instructions de l'école de Hillel, tout comme celui qui suit l'école de Shammaï, est considéré comme accomplissant la Loi », parce que « ces deux-là, et d'autres, sont la parole du Dieu vivant »." Un tel éloge ne fut pas décerné aux Sadducéens qui allaient à l'encontre du principe fondamental du judaïsme officiel qui considérait la Loi orale comme d'origine et d'autorité divines. Ceux qui partageaient les vues des Sadducéens étaient considérés comme «n'ayant pas part au monde à venir»!' Mais pour ce qui est de ce monde, il est intéressant de remarquer que ni les Sadducéens, ni aucune autre de ces sectes, ne furent jamais officiellement excommuniés.

Au Moyen-Age, vinrent se conjuguer certains facteurs qui devaient diminuer cette marge de liberté doctrinale dans la communauté juive. D'abord, les conditions de vie de l'exil qui allaient en empirant, ainsi que le statut d'étrangers, semblaient exiger une plus grande homogénéité du groupe. Et puis, la plupart des doctrines non-officielles avaient disparu: la doctrine ultra-nationaliste des Zélotes avait perdu tout son sens, tandis que celle des Sadducéens, qui centraient toute leur vie religieuse sur le temple de Jérusalem, n'avait plus aucune application dans la vie d'un peuple en exil. Enfin, l'insistance avec laquelle, dans le monde médiéval, on exigeait partout le conformisme religieux, l'imposant aux groupes dissidents, eut aussi valeur de modèle et d'exemple. Le Père Joseph Lecler, dans son énorme étude en deux volumes: La Tolérance et la Réforme, montre comment St. Thomas d'Aquin fut « relativement tolérant pour les païens et tout à fait intolérant pour les hérétiques ». Comme le Père John Sheerin le remarque, St. Thons dit explicitement: a On est libre d'embrasser la foi, mais lorsqu'on l'a embrassée, on est obligé de la conserver ».

Aucune théorie aussi précise et logique ne fut jamais émise dans le judaïsme. La communauté juve n'eut jamais le pouvoir de contraindre à une uniformité de pensée, pas même dans les cas relativement rares où l'autorité fut tentée de s'embarquer dans une telle entreprise. Néanmoins, il y eut au Moyen-Age de véritables tentatives pour restreindre la liberté religieuse.

L'histoire de ces tentatives est éclairante pour l'étude de la tradition juive dans sa nature essentielle.

L'apport de Maimonide

Paradoxalement, les tentatives faites pour imposer une certaine unité aux croyances religieuses sont dues à la naissance de la philosophie juive médiévale, nourrie des principes d'Aristote et, à un moindre degré, de ceux de Platon. Maimonide, le plus grand penseur juif du Moyen-Age, présenta avec assurance une série de Treize Principes qui, espérait-il, pourraient servir de credo officiel au judaïsme. Quoique sa déclaration de foi ait acquis une grande popularité et qu'elle ait été imprimée en appendice dans le livre de prières traditionnel, les gens du commun n'hésitèrent pas à critiquer à la fois le contenu des articles de ce credo et leur sens, si bien qu'il ne devint jamais une confession de foi officielle.

On peut citer un exemple encore plus frappant de la persistance vivace, dans le judaïsme, de ce droit à la diversité dans les convictions religieuses. Rationaliste intransigeant comme il l'était, Maimonide déclarait que représenter Dieu sous une forme physique quelle qu'elle soit était, pour ainsi dire, une hérésie qui empêchait le croyant d'avoir part au monde à venir. Nulle part le génie du judaïsme ne se révèle mieux qu'ici. Sur la page même du Code où il est imprimé, nous trouvons ce jugement de Maimonide contesté par une remarque de Rabbi Abraham ben David de Posquières, son critique et commentateur, qui écrit: « Il y a eu des hommes plus grands et meilleurs que Maïmonide qui ont attribué à Dieu une forme physique, à partir de leur propre interprétation de l'Ecriture et, surtout, de paroles et d'explications qui les ont amenés à de fausses conceptions ».' Le point de vue du critique est clair. Le Rabbin Abraham ben David s'accorde avec Maimonide pour dénier à Dieu une forme physique, mais il affirme le droit de l'individu à conserver des idées qui vont à contre-courant du judaïsme, sans être pour cela exclu du troupeau. L'essence de la liberté, c'est de pouvoir se tromper.

Toutefois il est clair que l'esprit du judaïsme médiéval était bien moins accueillant à la diversité religieuse que ne l'avait été le juidaïsme rabbinique pendant les siècles qui précédèrent immédiatement, ou qui suivirent, la destruction du Temple. Ainsi, tandis que les Sadducéens, qui contestaient la validité de la Loi orale, n'avaient jamais été excommuniés, les Karaïtes médiévaux, qui rejetaient l'autorité du Talmud pour ne s'attacher qu'à la lettre de l'Ecriture, furent excommuniés par diverses autorités individuelles. D'autres, au contraire, refusèrent à la même époque de leur jeter l'anathème, et ce fut finalement ce dernier point de vue, plus bienveillant, qui prévalut.16

L'excommunication de Spinoza en 1656 comme, auparavant, la mise au ban d'Urie] Acosta par la communauté Séphardite d'Amsterdam, bien que fréquemment citée, fut en réalité tout à fait exceptionnelle et due à des circonstances particulières. Ce fut avant tout le réflexe d'une communauté menacée sur deux fronts à la fois. D'une part, la communauté juive de Hollande était tout juste tolérée de sorte qu'offrir asile â un hérétique qui attaquait les principes fondamentaux de la religion traditionnelle pouvait facilement menacer son statut dans le pays. D'autre part, la tradition juive, longtemps préservée des courants de la pensée moderne, se sentait trop faible pour soutenir l'assaut du rationalisme séculier.

Un autre essai d'excommunication fut tenté au dix-huitième siècle, contre le Hassidisme cette fois, mouvement populaire de caractère piétiste qui avait surgi dans l'Europe de l'Est. Ce fut un échec total. Finalement, le mouvement devint moins hostile envers le judaïsme rabbinique et, de nos jours, les Hassidim, comme leurs opposants rabbiniques appelés « Mitnaggedim », se trouvent dans l'orbite du judaïsme orthodoxe.

Au dix-neuvième siècle, quand commença à apparaître le Mouvement Réformé en Europe Centrale, certains rabbins orthodoxes d'Europe centrale et de l'Est essayèrent d'endiguer la marée en jetant l'anathème sur les innovateurs. Cette mesure qui avait, déjà au MoyenAge, prouvé son inefficacité dans le domaine des idées, fut, cette fois, absoluement inutile. Elle ne fit qu'approfondir le fossé entre traditionalistes et non traditionalistes, et elle fut tacitement abandonnée.

Bref, la liberté religieuse à l'intérieur de la communauté juive existe de facto. Elle est reconnue de jure par tous les groupes du judaïsme réformé ou conservateur et aussi par les plus libéraux de la tradition orthodoxe.

Il est à peine besoin d'ajouter que les différences entre groupes, et même à l'intérieur d'un même groupe, sont souvent tranchantes, et encore bien davantage, souvent, l'antagonisme entre porte-paroles de tendances opposées. L'accès de « religiosité », qui a suivi, chez certains, les attaques de la sauvagerie nazie et la bestialité des masses lors de la 25 guerre mondiale, a marqué profondément les juifs aussi bien que les chrétiens.17 Il a accentué, chez bon nombre de ceux qui ont survécu à Holocauste hitlérien, la tendance à se séparer, à s'isoler du reste du monde, et il a exacerbé leur hostilité contre tous ceux qui ne font pas partie de leur groupe. Cette mentalité est particulièrement discernable actuellement, mais elle est momentanée, sinon d'un instant précis, et elle passera. Si l'histoire peut nous apprendre quelque chose, cette attitude d'isolement et d'hostilité s'adoucira avec le temps et à la suite d'expériences plus positives. Les évènements navrants de ces trois dernières décades n'aboliront pas une tradition de trois millénaires.

Il serait à propos de faire, ici, quelques remarques sur le statut religieux dans l'Etat d'Israël. Le Cabinet israëlien a un Ministre des Cultes (au pluriel) chargé de la surveillance et de l'entretien des « lieux saints » des trois grandes religions, chargé aussi d'appuyer leurs requêtes dans le domaine des institutions et de l'éducation. Il est paradoxal mais exact de reconnaître que tous jouissent actuellement, en Israël, d'une totale liber. té religieuse, sauf les juifs! Chrétiens catholiques et protestants, musulmans et bahaïstes, tous jouissent de la plus complète liberté d'expression, même pour exercer une activité missionnaire auprès des juifs, situation qui a soulevé plus d'un conflit. En plus d'un Ministre des Cultes, Israël a trois Grands Rabbins d'une orthodoxie irréprochable, sauf pour quelques groupes orthodoxes qui rejettent leur autorité. Suivant la législation turque et la loi britannique, le Grand Rabbin (comme ses homologues chrétiens et musulmans) exerce son autorité dans le domaine du statut personnel, particulièrement du mariage, du divorce et de la conversion, et, à un degré moindre, dans le maintien de la pratique religieuse à l'armée et dans les institutions publiques, surpervisant de plus l'éducation religieuse.

Le système religieux dans son ensemble est soutenu actuellement par l'Etat d'Israël. On tente, il est vrai, de parer la situation contemporaine de l'auréole de la tradition, mais la vérité historique est que l'institution de cette fonction de Grand Rabbin en Israël ne représente pas un retour à la tradition juive, mais l'imitation de modèles non-juifs, et sa valeur est très discutable.

Avec le Grand Rabbinat comme symbole, l'orthodoxie est runique groupe religieux juif reconnu en Israël actuellement. Mais là encore, la tendance innée et traditionnelle à la contestation trouve moyen de s'exprimer librement. Ainsi, lorsqu'on édifia à Jérusalem les nouveaux et magnifiques bâtiments du Grand Rabbinat, bon nombre d'orthodoxes influents déclarèrent qu'il était défendu par la religion de franchir le seuil de ce bâtiment!

A côté de ces tensions parmi les orthodoxes en Israël, il existe d'autres mouvements: Réformateur, Conservateur (appelé x Massoreti » ou « Traditionaliste ») et Reconstructioniste, qui constituent le large éventail du judaïsme moderne. Ils doivent faire face à bon nombre d'interdits légaux de la part de l'Etat, ainsi qu'aux contrariétés et aux tracasseries des activistes juifs du pays. A la fin de 1979, les deux Grands Rabbins de Jérusalem déclarèrent publiquement qu'il était interdit par la religion de célébrer les jours du Grand Pardon dans des synagogues conservatrices. Ce décret n'eut aucun résultat, et il fut accueilli avec un certain embarras, même chez les orthodoxes. Il existe aujourd'hui dans le pays plusieurs vingtaines de synagogues conservatrices ou réformistes, et le nombre de leurs écoles va aussi en augmentant. L'anathème officiel contre les mariages célébrés en présence de rabbins non-orthodoxes est maintenant contesté devant les tribunaux par les Réformistes. Finalement, les différents courants de pensée du judaïsme religieux vont exiger et obtenir une pleine reconnaissance.

On ne peut donc pas tirer de conclusions à long terme en se basant sur l'union actuelle de la religion et de l'Etat en Israël. Cette union est entachée de partialité et elle est sujette à des tensions et à des pressions toujours croissantes. Il parait peu probable que le mode de relations entre la religion et l'Etat auquel on arrivera finalement se rapproche du principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat, tel qu'il est compris aux Etats-Unis, mais les limitations religieuses dont sont victimes les mouvements juifs non-orthodoxes, et non pas les autres, ne pourtant pas durer longtemps.

Nous sommes donc amenés à conclure, incontestablement, que, pour le judaïsme, de par sa nature et par son expérience religieuse, la liberté de divergence religieuse est une réalité reconnue de facto par quasi tous les membres de la communauté, même par ceux qui ne voudraient pas la reconnaître de jure.

Le Judaïsme et les autres Religions

La position du judaïsme envers la liberté religieuse de ceux qui professent d'autres religions découle, dans une large mesure, d'une autre caractéristique propre àla tradition juive, tradition souvent incomprise, non seulement en dehors de la communauté juive, mais même au-dedans. Ce trait particulier, profondément enraciné dans le judaïsme normatif, est un équilibre entre le particularisme et l'universalisme." La conception juive de la liberté religieuse procède de deux forces, à première vue opposées: d'une part, l'effort pour maintenir la tradition juive spécifique et nationale et, d'autre part, l'aspiration, non moins authentique, à voir se répandre parmi les hommes la foi en un seul Dieu et l'obéissance à ses préceptes religieux et moraux.

On affirme souvent que, avec l'apparition du monothéisme, la religion a commencé à devenir intolérante. Il est vrai, indubitablement, qu'une vue polythéiste du monde suppose implicitement la tolérance envers les autres divinités, car il y a toujours place, dans ce panthéon, pour une nouvelle figure, et l'histoire du syncrétisme religieux vient appuyer cette vérité. De plus, lorsque la croyance en un seul Dieu fait son apparition, elle exige nécessairement qu'on nie la réalité de toute autre divinité. Le « Dieu jaloux » de la Bible hébraïque qui proscrit a tout autre dieu devant lui » a été souvent, à l'origine de l'intolérance religieuse. Telle est la théorie courante.19

/I arrive parfois, cependant, qu'un beau raisonnement, d'une logique incontestable, soit contredit par la vie elle-même. En voici un bon exemple: Ernest Renan, cet écrivain français qui avait fait des études sémitiques, affirme que la monotonie du désert a donné aux Hébreux de l'Antiquité une propension au monothéisme, tandis que la variété des paysages, de Grèce par exemple, avec leurs montagnes et leurs collines, leurs vallées, leurs rivières et leurs cours d'eaux, suggérait nécessairement à l'esprit une multitude de divinités dont c'était la demeure. Cette théorie plausible a eu une vogue considérable jusqu'au moment où l'on a découvert que les tribus arabes nomades pré-islamiques, qui peuplaient les vastes étendues monotones du désert d'Arabie, avaient été d'un polythéisme luxuriant, et que tous les peuples sémites qui avaient habité à l'origine ce désert, avaient eu, eux aussi, des panthéons luxuriants. Ainsi la liste des divinités mentionnées dans la bibliothèque d'Assurbanipal en contient plus de 2500, et les recherches modernes ont encore bien augmenté ce nombre.

Il est vrai que le judaïsme était fortement opposé au paganisme. Il insistait sur l'intransigeante unité de Dieu et refusait d'accorder même un semblant de réalité à d'autres dieux. Néanmoins, le judaïsme biblique reconnaissait l'existence du paganisme en l'envisageant de deux points de vue. Peut-être des hommes trop logiques auraient-ils reculé d'horreur devant cette manière de voir, mais le fait est que le monothéisme juif, cette foi authentique et consciente en l'existence d'un Dieu unique, a reconnu comme une sorte de légitimité au polythéisme, mais pour les non-juifs. On peut attribuer cela, pour une part, au fait qu'il fallait bien reconnaître l'existence de cultes païens florissants à cette époque; mais, pour une grande part, cela est dû, je crois, à l'accent mis par le judaïsme sur le particularisme. Appelée à préserver la foi juive avec son caractère de groupe spécifique, la tradition juive a été amenée à reconnaître le même droit à l'éthos spécifique des autres nations, ce qui incluait forcément la religion.

Quelle qu'en soit l'explication, le fait est clair. Aucun livre de la Bible, pas même Iseite ou Job, n'est plus clairement monothéiste que le Deutéronome:

« Sache-le donc aujourd'hui et médite-le dans ton coeur: c'est le Seigneur qui est Dieu là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre, lui et nul autre » (4,39).

Cependant le même livre, qui met Israel en garde contre le polythéisme, parle d'un culte du « soleil, de la lune, des étoiles . . . que le Seigneur a donnés en partage à tous les peuples sous le ciel » (4,19 - comparer avec 29,25). Ainsi voyons-nous que, paradoxalement, c'est l'élément particulariste du judaïsme qui fut à l'origine d'une doctrine de la tolérance religieuse.

Le second facteur qui poussa à reconnaître une certaine valeur aux religions non-juives est plutôt lié à l'affinement de la pensée religieuse. Tout adepte du monothéisme un peu large d'esprit aurait bien pu reconnaître dans ces cultes païens auxquels s'opposait le judaïsme, une aspiration imparfaite et inconsciente certes, mais vraie, vers l'unique Dieu vivant. L'expression la plus frappante de cette intuition se trouve, peut-être, dans le livre du prophète Malachie, qui date d'après l'Exil:

«De l'Orient au couchant, mon Nom est grand chez les nations, et en tout lieu un sacrifice d'encens est présenté à mon Nom ainsi qu'une offrande pure. Car grand est mon Nom chez les nations, déclare le Seigneur Sabaot ». (1,11)

Des siècles plus tard, Paul, debout au milieu de l'Aréopage, faisait écho à ces paroles:

« Athéniens, à tous égards vous êtes, je le vois, les plus religieux des hommes. Parcourant en effet votre ville et considérant vos monuments sacrés, j'ai trouvé jusqu'à un autel portant l'inscription « AU DIEU INCONNU ». (Actes 17, 22-24)

Ce n'est pas l'unique exemple d'universalisme dans nos sources bibliques. L'auteur du livre de Jonas dépeint les marins païens, le roi et les habitants de Ninive, sous un jour beaucoup plus favorable que le prophète juif en fuite. Et le livre de Ruth témoigne d'une chaude compassion pour une étrangère sans amis.

La largeur de vues du Livre de Job dépasse toutes les autres: le vieillard Job est dépeint non comme un juif qui observe fidèlement les lois de la Torah, mais comme un non-juif dont la foi et l'observance sont décrites dans le « Code d'un homme d'honneur » (chap. 31)2° Dans ce code, expression la plus haute et la plus pure d'une morale individuelle dans la Bible hébraïque, Job énumère 14 sortes de péchés, d'ordre moral ou religieux, dont il est indemne. Le comportement moral suggéré par cette liste de péchés est peut-être la plus ancienne formulation de la « loi naturelle » que doivent suivre tous les êtres humains.

Ce « code de l'homme d'honneur » contient aussi la première affirmation de l'égalité entre tous les peuples:

«Si j'ai méconnu les droits de mon serviteur ou de ma servante, dans leurs litiges avec moi, que ferai-je quand Dieu surgira? Lorsqu'il fera l'enquête, que répondrai-je? Ne les a-t-il pas créés comme moi dans le ventre? Un même Dieu nous forma dans le sein» . (Job 31, 13-15)

Tous ces textes bibliques témoignent du fait qu'il était possible de maintenir l'unité et l'universalité de Dieu, tout en reconnaissant les valeurs cachées dans les approches encore imparfaites des religions païennes.

C'est ainsi que les deux perspectives, apparemment contradictoires, de l'univers biblique, l'accent mis sur l'ethos particulariste et la foi en un Dieu universel, furent comme le terreau sur lequel a pu fleurir, à l'époque du judaïsme post-biblique, une doctrine tout à fait remarquable de la tolérance religieuse. Nous reviendrons sur ce concept, connu sous le nom de x loi noachique ».

En même temps, il allait de soi qu'un Dieu universel, Père de tous les hommes, méritait l'obéissance et la fidélité de tous ses enfants. On fit donc un effort incessant pour contrebalancer les facilités du paganisme et pour gagner tous les hommes au monothéisme juif par la persuasion. Le flottera-Isaïe biblique, les Oracles Sibyllins apocryphes, l'activité de Philon d'Alexandrie tout au long de sa vie, en fait toute la littérature apologétique du judaïsme hellénistique, visaient à obtenir l'adhésion des hommes au Dieu vivant et unique d'Israël.

Fermement ancrés dans leur conviction que seul le judaïsme représente la vraie foi au Dieu unique, les prophètes avaient ardemment désiré cette adhésion finale de tous les hommes: « Oui, je ferai alors aux peuples des lèvres pures pour qu'ils puissent tous invoquer le nom du Seigneur et le servir sous un même joug ». (Soph. 3:9). « Et le Seigneur sera roi sur toute la terre; en ce jour, le Seigneur sera unique et son Nom unique ». (Zach. 14,9).

Cette vue de foi pour l'avenir n'amena pas le judaïsme à négliger les réalités du présent. La fin peut, ou plutôt doit être laissée à Dieu; l'immédiat est l'affaire de l'homme. Comme le judaïsme ne refusait pas « in toto » les valeurs cachées dans les autres religions et surtout les pratiques morales de bon nombre de leurs frères païens, il a été à l'origine d'une des doctrines les plus remarquable de la religion monothéiste, apportant une contribution unique à la théorie de la liberté religieuse, je veux parler des lois « noachiques », certainement bien antérieures au Talmud.

L'apport spécifique du Judaïsme

Le livre apocryphe des « Jubilés », écrit peu avant le début de l'ère chrétienne, ne pouvant concevoir qu'il ait existé des générations innombrables d'hommes, avant Moïse, vivant sans une révélation divine, attribue à Noé, homme droit et craignant Dieu, quoique non juif, des règles de conduite valables pour tout homme:

Au vingt-huitième jubilé, Noé commença à imposer aux fils de ses fils les ordonnances, commandements et jugements qu'il connaissait, et il exhorta ses fils à garder la droiture, à bénir leur Créateur, à honorer leur père et leur mère, à aimer leur prochain et à préserver leurs âmes de la fornication, de la souillure et de toute iniquité. (7,22)

Ces commandements ont été repris par la tradition rabbinique sous le titre de « lois des fils de Noé »21

Selon la perspective rabbinique, en vertu de leur nature humaine, tous les êtres humains reçoivent l'ordre de suivre au moins sept principes religieux et moraux fondamentaux. On trouve, dans ces commandements, la prohibition de l'idolâtrie, de l'immoralité sexuelle, du meurtre et du vol, et la défense de blasphémer et d'être cruel envers les animaux en mangeant le membre d'une bête vivante. Ils prescrivent aussi l'établissement d'un gouvernement basé sur la loi et la justice. Certains rabbins ont suggéré l'addition à cette liste de diverses autres prohibitions, mais ce sont les sept lois « noachiques » qui sont restées fondamentales.

Le motif qui, originellement, a poussé à formuler ce code n'était pas le désir de se montrer « indulgent » envers les non-juifs en les considérant comme « au-delà de la Loi ». Le but n'était pas de libérer l'ensemble du genre humain de l'obligation d'observer tous les rites de la Loi biblique que le peuple juif devait observer. Le but était de réprimer la tendance à l'infraction des lois et à la violence, fortement ancrée dans la nature humaine, en imposant les grandes lois fondamentales du comportement civilisé à tous les êtres humains et en les rendent responsables de toute infraction.

Les lois noachiques ont trouvé leur origine dans un monde païen où le culte du Dieu vivant et l'obéissance à sa valonté étaient inconnus. Mais cette doctrine devait avoir, inéluctablement, certaines conséquences logiques qui apparurent avec plus de clarté après la naissance des deux grandes religions monothéistes, le christianisme et l'islam. Si tous les non-juifs ont l'obligation d'observer les lois noachiques, comme les juifs d'accomplir tous les préceptes de la Torah, il s'en suit forcément que le non-juif observant les lois noachiques mérite d'être sauvé tout comme le juif qui observe la loi juive en ses moindres détails. Il n'y a donc, pour le non-juif, aucune nécessité impérieuse d'embrasser la foi juive pour être sauvé.

Il semble bien, notons-le, que dans le Nouveau Testament aussi il soit fait allusion à ces lois noachiques:

« Qu'on leur mande seulement de s'abstenir de ce qui a été souillé par les idoles, de l'impudicité, des chairs étouffées, et du sang . . . des viandes offertes aux idoles, du sang, de la fornication: desquels si vous vous abstenez, vous ferez bien. Adieu ». (Actes 15, 20.29)

Ce concept des lois de Noé est intéressant à plusieurs points de vue. Il est, en son essence, une théorie de la religion universelle qui est l'héritage de tous les hommes. Ce qui est caractéristique du judaïsme, c'est l'accent mis sur la rectitude d'action plus que sur l'orthodoxie comme signe de la vertu. Le critère décisif, pour le salut, c'est la conduite morale plus que l'adhésion à une foi. Cette manière de voir se trouve résumée dans la fameuse expression rabbinique: « Je prends à témoin le ciel et la terre: que l'on soit gentil ou juif, homme ou femme, esclave ou libre, l'Esprit divin repose sur chacun selon ses actions ».32 Dans son mouvement universaliste, ce passage rappelle la fameuse parole de Paul: «Il n'y a ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, car vous êtes tous un dans le Christ Jésus ».23 Fait significatif, la valeur reconnue également à tous les hommes par la formule rabbinique ne tire pas son origine d'un même croyance doctrinale, et elle n'en dépend pas; elle requiert seulement la fidélité à des règles de conduite morale.

Bon nombre de penseurs religieux de notre époque sont actuellement à la recherche d'une doctrine capable d'intégrer à la fois une totale loyauté envers une tradition spécifique et un coeur largement ouvert aux postulats d'une société démocratique vivant le pluralisme comme une réalité et considérant la liberté religieuse comme un bien. C'est une des questions qui, de nos jours, agite profondément les citoyens du monde libre, car elle a des implications pratiques importantes tant pour le gouvernement que pour la politique.

Il y a donc bien plus qu'un intérêt académique dans l'ébauche faite par les rabbins d'une théorie de la tolérance religieuse fondée sur le concept de « loi naturelle Y). Ce concept de « lois noachiques » n'est pas, notons-le bien, le produit de l'indifférence religieuse. Elle est née parmi les fidèles d'une religion traditionnelle qui, non seulement étaient attachés à leur foi, mais qui, de plus, la considéraient comme seule dépositaire d'une authentique révélation. Ils firent cependant place à des croyances différentes de la leur, non parce qu'ils y étaient contraints seulement, mais parce que c'était pour eux une question de justice. J'ai cherché, ailleurs, à présenter les principes d'un code moral enraciné dans la « loi naturelle » qui puisse être accessible à toute l'humanité.24

Relations avec les Religions issues du luddisme

La doctrine des lois noachiques était née dans un monde païen, mais on en put encore davantage apprécier la valeur lorsque deux religions monothéistes, le christianisme et l'islam, remplacèrent le paganisme. Les deux « croyances-filles cherchèrent énergiquement à remplacer leur mère et à lui dénier toute authenticité. La croyance mère s'efforça de repousser autant que possible leurs assauts en attirant l'attention sur ce qu'elle considérait comme leurs erreurs. Mais elle ne refusa pas, pour autant, de reconnaître les éléments de vérité conservés par ses héritières agressives.

Au Moyen-Age, l'attitude du judaïsme envers ces deux religions varia nécessairement selon D personnalité de chacun de ses dirigeants, les influences ambiantes et les expériences personnelles de chacun. La proximité des communautés chrétienne et juive en Europe et, de ce fait, les relations mutuelles économiques et sociales, dont dépendait la survie du judaïsme, obligèrent les autorités rabbiniques du Moyen-Age à tenir compte de la réalité. On trouve, dans le Talmud, de nombreuses règles obligeant le juif à limiter ses contacts avec les païens, particulièrement en ce qui concerne les fêtes païennes et les objets de cultes idolâtres. Les rabbins du Moyen-Age ne purent plus soutenir que les chrétiens étaient des païens et que toutes les limitations imposées par le Talmud aux relations avec les idolâtres les concernaient, eux aussi. Ces modifications de la loi talmudique furent d'abord, dans l'ensemble, des improvisations « ad hoc », limitées à des actes spécifiques dont dépendait le gagne-pain des juifs." Mais ce qui, dans les débuts, n'avait été qu'une nécessité pratique conduisit à l'élaboration d'une doctrine plus adaptée.

Parmi les traits les plus douloureux des relations judéo-chrétiennes au Moyen-Age, il faut citer les disputes religieuses publiques imposées de force aux juifs, souvent à l'instigation de juifs convertis au christianisme." Néanmoins, ces débats eurent un résultat positif. Ils poussèrent les juifs à réévaluer les principes généraux réglant leur attitude envers les non-juifs et à reconnaître les différences notables qui existaient entre les païens de l'Antiquité, mentionnés par le Talmud sous le nom d'idolâtres, et les chrétiens du Moyen-Age, leurs contemporains.

Ainsi la tragique dispute qui rassembla à Paris, en 1240, le converti Nicolas Dorin et quatre délégués juifs amena à brûler en public vingt-quatre charretées de livres hébraïques. Le principal porte-parole des juifs était Yehiel ben Joseph de Paris, assisté par Moïse de Coucy. Il faut rendre hommage à la grandeur d'âme de Moïse car, malgré cette triste manifestation de fanatisme, il exposa une manière nouvelle de considérer la religion dominante, nouvelle manière de voir à laquelle il avait été certainement incité par sa participation au débat. A plusieurs reprises, il demanda à ses frères de conserver scrupuleusement leur idéal moral dans leurs rapports avec les chrétiens, se fondant lui-même sur des considérations religieuses et morales d'une grande largeur de vue." Les motivations fondamentales ne furent pas, à ce moment-là, l'opportunité," mais ce fut le souci de l'honneur d'Israël et le refus du « hillul ha-shem », c'est-à-dire de la profanation du Saint Nom.29

Il n'était plus possible de nier la nécessité d'un modus vivendi entre juifs et chrétiens, alors que dans toute l'Europe ils vivaient côte à côte. Au même moment, les grandes lignes d'une théorie de la tolérance religieuse étaient tracées par des penseurs juifs vivant parmi les musulmans et aussi dans des pays chrétiens. La parole d'un des sages du Talmud qui affirmait au deuxième siède: «Il y a, parmi les gentils, des hommes droits qui ont part au monde à venir >3' fut élargie, très peu mais de manière significative, par Maïmonide qui disait, de façon plus générale: « Les hommes droits d'entre les gentils ont part au monde à venir ».31 Ainsi, la doctrine affirmant que le salut est accessible même à ceux qui sont en dehors du judaïsme resta normative, et elle fut à la base des lois noachiques. Le poète et philosophe du Moyen-Age, Juda Ilalevi, a écrit: « Ces peuples (c'est-à-dire les chrétiens et les musulmans) sont en quelque sorte une préparation et une introduction au messie que nous attendons, fruit de cet arbre qu'ils devront bien finalement reconnaître comme leur racine, même s'ils le méprisent pour le moment ».32

Le rabbin Menahem Meiri, qui vivait en France au treizième siècle, au moment où avait lieu l'expulsion des juifs de ce pays, écrit:

« Ceux parmi les piiens de jadis qui observaient les sept préceptes de Noé, c'est-à-dire: qui s'abstenaient du culte des idoles, qui ne blasphémaient pas le Nom de Dieu, qui ne volaient pas, ne commettaient pas d'inceste ni de cruauté envers les animaux et qui avaient des tribunaux, jouissaient des mêmes droits que les juifs; combien plus encore de nos jours, alors que les nations se distinguent par leur religion et leur respect de la foi! Mais nous devons concéder aussi les mêmes droits à ceux qui n'ont aucun code de lois, afin de sanctifier le Nom de Dieu ».33

Il déclare clairement: « de nos jours l'idolâtrie a disparu presque partout », et il décrit les musulmans et les chrétiens comme « des nations disciplinées par les pratiques de leur religion n."
Bien plus, même la doctrine trinitaire du christianisme, qui pourtant était énergiquement rejetée par le judaïsme comme atteinte à l'unité de Dieu, n'a pas été, en général, considérée comme un motif suffisant pour refuser au christianisme le titre de religion monothéiste. Au 12e siècle, rabbi Isaac le tosaphiste, commentateur du Talmud, donna une base légale à cette conviction que la foi en la Trinité était légitime pour des chrétiens en affirmant: « Il n'est pas défendu aux fils de Noé de pratiquer le "shittuf", c'est-à-dire d'associer à la foi en Dieu la foi en d'autres créatures 925 Cette affirmation eut une si large portée et une si grande autorité qu'elle fut souvent attribuée par les sages des siècles suivants au Talmud lui-même.

Maïmonide, qui avait un type de pensée à tendance systématique, critiqua vivement à la fois le christianisme et l'islam. Ayant toujours vécu en pays musulman, ayant donc eu peu de contacts avec les chrétiens, il était enclin à réagir négativement devant leur doctrine de la Trinité et devant leurs prétentions messianiques à considérer Jésus comme le Sauveur. Par contre, l'affirmation sans compromis de l'unicité de Dieu par les musulmans, au contact desquels il vivait constamment, le rendit plus tolérant envers l'islam, même s'il reprochait au prophète Mahomet sa sensualité. Quant au culte rendu à la Ka'aba, la pierre noire de la Mecque, Maïmonide y voyait comme un reste de polythéisme auquel l'islam avait donné une signification nouvelle, ce qui était une extraordinaire anticipation de nos recherches modernes.

Dans un passage de son grand code, Mishneh Torah (dont le texte imprimé a été tronqué à cause de la censure), Maïmonide rejette l'affirmation que Jésus était le Messie pour la raison que Jésus n'a pas rempli la fonction messianique conformément aux vues de l'Ecriture et de la tradition. Il poursuit ainsi:

La pensée du Créateur du monde est au-delà de ce que les hommes peuvent saisir, car leurs pensées ne sont pas ses pensées et leurs voies ne sont pas ses voies. Toutes les paroles de Jésus de Nazareth et celles de Mahomet qui vint après lui ont été dites uniquement afin de rendre droite la route pour le Roi Messie qui rendra le monde parfait et capable de servir Dieu, comme il est écrit: e Alors, je donnerai à tous les peuples des lèvres pures pour que tous puissent prier le Seigneur et le servir épaule contre épaule ».

Comment cela se fera-t-il? Le monde est déjà rempli des paroles du Messie et des paroles de la Torah et des commandements. Ces paroles se sont propagées jusque dans les îles lointaines, chez des peuples incirconcis dans leur coeur ou dans leur chair, qui maintenant discutent les Commandements de la Torah. Certains déclarent que ces commandements ont été valables mais qu'ils ne sont plus obligatoires et sont tombés en désuétude, pendant que d'autres déclarent qu'ils renferment des sens secrets, qui ne correspondent pas à leur sens littéral et que le Messie est venu et en a révélé les significations secrètes.

Mais quand le vrai Messie viendra, il réussira et il sera élevé en gloire et alors ils reviendront tous et ils reconnaîtront qu'ils ont hérité de traditions mensongères et que leurs prophètes et leurs ancêtres les ont égarés »
.36

Ailleurs Maïmonide déclare que les chrétiens sont idolâtres à cause de leur croyance en la Trinité." Sur ce point il va plus loin que ses sources rabbiniques. Un grand nombre de ses contemporains ne partageaient pas son attitude. Ainsi, son grand prédécesseur, Saadia (882-942), première grande figure de la philosophie juive médiévale qui, lui aussi, vivait en pays musulman, déclarait que la foi des chrétiens en la Trinité n'est pas une forme d'idolâtrie mais la personnification de leur foi en la vie, la puissance et la connaissance.38 Le point de vue négatif de Maimonide non seulement ignorait le passage du Talmud cité plus haut, mais il était en contradiction avec celui de la plupart des maîtres juifs, tels Rashi et Meiri qui, habitant en pays chrétiens, connaissaient bien les chrétiens et reconnaissaient leur foi profonde en un Dieu unique.

Dans la suite, des autorités rabbiniques tels que Moïse Rivkes, Hem Yaïr Bacharach (1638-1702) et le Rabbin Jacob Emden (1697-1776) reconnurent explicitement une tradition commune au christianisme et au judaïsme, faisant remarquer que les chrétiens croyaient en Dieu, à l'Exode, à la Révélation, à la vérité de la Bible et à la Création ex nihilo.39

Au dix-huitième siècle, Moïse Mendelssohn écrivit une réponse fameuse au ministre protestant Johann Casper Lavater. Il expliquait la doctrine juive traditionnelle, adaptant son langage à la mentalité du siècle des Lumières:

« Moïse nous a donné la Loi; c'est un héritage de la communauté de Jacob. Nous croyons que toutes les autres nations doivent observer la loi de la nature. Tous ceux qui mènent leur vie en accord avec cette religion naturelle et selon la raison sont appelés "hommes justes parmi les nations", et ceux-là peuvent avoir part au bonheur éternel ».

Le jugement qui suit avait un but nettement apologétique et, par conséquent, il n'échappe pas à l'exagération:

La religion de mes pères, donc, n'aspire pas à se répandre. Nous n'avons pas à envoyer de missions au Groénland ou aux Indes pour prêcher notre foi à ces nations lointaines. Cette dernière, en particulier, qui observe comme elle le fait la loi naturelle, et même mieux que nous ne le faisons ici d'après ce qu'on rapporte, est, aux yeux de notre foi religieuse, une nation enviable.

Il est vrai que le judaïsme n'a pas entrepris de campagne missionnaire active depuis les siècles qui ont précédé le christianisme, époque où le judaïsme hellénistique gagna un nombre incalculable de païens à la « crainte de Dieu » et prépara ainsi le chemin à une extension rapide du christianisme. Au Moyen-Age, les évènements historiques vinrent renforcer ce caractère propre au judaïsme, décourageant toute entreprise d'envergure dont le but aurait été de gagner les non-juifs au judaïsme.

Quelques voix s'élèvent, de nos jours, dans le monde juif, demandant qu'on fasse plus d'efforts pour transmettre la révélation juive aux « gentils » sans religion, mais sans utiliser les méthodes missionnaires traditionnelles.° Cette question est actuellement l'objet d'un débat animé au sein du judaïsme entre les laïcs et les autorités; mais tous, qu'ils soient pour ou contre cette activité missionnaire, sont d'accord pour reconnaître la légitimité des autres religions, la possibilité de trouver le salut pour ceux qui observent les lois fondamentales, religieuses et morales, du code noachique, et le droit pour tout homme à une totale liberté de croyance et de pratique religieuses.

La Liberté Religieuse, Essentielle au Judaïsme

Nous pouvons résumer comme suit la position du judaïsme sur la liberté religieuse:

1. Le judaïsme insiste sur la nécessité, pour lui-même, d'une totale liberté de foi et de pratique religieuse, ce qui comporte une égalité absolue devant la loi et le respect de tout engagement religieux personnel pris librement.

2. Le judaïsme reconnaît l'existence de tendances diverses au sein de la communauté juive et il accorde aux dissidents le droit de garder leurs propres opinions et pratiques. Ce droit est reconnu, du moins de facto, par les orthodoxes, et il est reconnu de jure par tous les autres groupes.

3. Le judaïsme reconnaît de jure l'existence d'autres religions dans le monde et leur droit intrinsèque à être observées.

Il y a, certainement, une bonne part de simplification dans l'affirmation d'Albert Einstein: « Je rends grâce à Dieu d'appartenir à un peuple qui a été trop faible pour faire beaucoup de mal dans le monde ». En fait, il y a beaucoup plus que de l'impuissance dans l'attitude du judaïsme envers la liberté religieuse. C'est l'équilibre qu'a dû trouver le judaïsme entre son aspiration universaliste et son besoin irréductible de préserver l'identité du groupe qui l'a poussé à élaborer une doctrine faisant place, dans la plan de Dieu et dans le monde, à des hommes de croyances et de pratiques différentes.

De plus, le caractère juif profondément marqué par l'individualisme, sa tendance à questionner et l'importance qu'il attache à l'exercice de la raison à l'intérieur de la foi ont fait de la divergence des points de vue un trait universel de la spiritualité juive. C'est pourquoi toutes les tendances, au sein de cette communauté, ont obtenu la liberté d'expression et d'action. Il y a eu, c'est vrai, des essais de limitation ou de suppression de cette liberté de conscience, et il y en aura sûrement d'autres dans l'avenir; mais les essais de ce genre sont toujours doublés de mauvaise conscience de la part de ceux qui prêchent l'intolérance, signe révélateur que leur enseignement n'a que de faibles racines dans cette tradition défendue par eux si ostensiblement, et qu'il est donc appelé à échouer.

Finalement, l'expérience millénaire faite par le peuple juif de son impuissance et de l'exil, tant dans l'Antiquité qu'au Moyen-Age, a rendu plus fort son attachement la liberté de conscience. De plus, le monde moderne a pu constater le fait que les juifs, individuellement ou collectivement, lorsqu'ils jouissent de la liberté religieuse, ont un niveau matériel et intellectuel effectivement plus élevé et en continuel progrès.

Ainsi ces trois éléments, tradition, caractère et histoire, ont contribué à faire de la liberté religieuse, tant pour le peuple juif que pour la famille plus large de l'humanité, non simplement une mesure de prudence provisoire, mais un idéal permanent. Il est évident que les juifs sont restés bien en-deçà de l'idéal élevé proposé par leur tradition, sur ce point comme sur beaucoup d'autres; ils n'en sont pas moins, dans l'ensemble, restés fidèles à cet idéal de la liberté de conscience, tant pour eux que pour toute l'humanité.



1. Sur le royaume des Khazars, voir A.B. Pollok, Khazaria (hébreu), Tel Aviv 1951; D.M. Dunlop, The History of the Jewish Khazars, Princeton 1964. Comme résumé, voir M.L. Margolis & A. Marx, A History of the Jewish People, Philadelphia 1927, p. 525.
2. Sur la communauté médiévale voir S.W. Baron, The Jewish Community, lm History and Structure to the American Revolution, t. 3, Philadelphia 1942. L'influence du Siècle des Lumières et de l'Emancipation est analysée dans tous les ouvrages sur le judaïsme moderne. Etude plus récente: celle de H.M. Graupe, The Rire of Modern Judaism, Huntington, L.I. 1978.
3. Voir sa thèse assez surprenante, dans son livre qui porte ce même titre: Secularism as Me Will of God, New York 1954.
4. Nous avons développé ce thème des relations entre morale et foi religieuse dans A Fait?, for Modems, New York 1960.
5. On peut en trouver des exemples, même de nos jours, dans tous les groupes religieux. Ainsi, il y a quelques mois, il y eut un moment de fureur en Israël lorsque les membres de la communauté ultra-orthodoxe de Meah-She'arim, à Jérusalem, tentèrent d'empêcher la circulation des voitures le jour du Sabbat, arrêtant et même brûlant les voitures qui passaient la Porte de Mandelbaum. Et quand la police eut arrêté les chefs de ce groupe, leurs sympathisants firent une manifestation à New York, face au consulat d'Israël, portant des bannières au nom du « Comité pour la liberté religieuse en Israel ».
Le New York Times du 18 déc. 1964 rapporte que le Très Révérend Louis Alonso Munoyerro, Archevêque titulaire de Sion et Aumônier général catholique des Forces armées espagnoles, a eu avec le journal ABC de Madrid une interview au cours de laquelle il protesta contre la totale liberté religieuse accordée aux protestants en Espagne, y voyant une conspiration internationale visant à « briser la catholique unité de notre patrie ». L'évêque adjurait les Espagnols d'être attentifs aux leçons de l'histoire en restant « sur leurs gardes » et ne ne « se joignant pas à ces champions de la liberté qui considèrent le Concile du Vatican comme un succès, même s'il réduit en esclavage la conscience des catholiques et, parmi eux, du peuple espagnol ».
De telles attitudes ne sont heureusement pas celles du catholicisme ou du judaïsme dans leur ensemble. De plus, l'intolérance n'est pas rare chez les athées. On sait bien que la Constitution soviétique garantit la liberté de religion et le droit de propagande antireligieuse. Ce droit à la liberté de religion est jugé entièrement compatible avec les lourdes contraintes imposées à peu près à toutes les institutions et à tous les chefs religieux, avec l'interdiction de donner une éducation religieuse et avec la suppression presque totale du judaïsme.
6. Cf. les judicieux commentaires sur le rôle des Maccabées dans la pensée chrétienne de TE. Cheyne dans The Origin and Religions Content of the Psalter, New York 1895, p. 29.
7. Cf. Josephe, Antiquités XII, 9, 1; 11, 3.
8. Dans l'Exode, Chap. 20, les juifs considèrent le verset 2 comme le Premier Commandement, les versets 3-6 comme le second et le verset 17 comme le dixième commandement. La plupart des protestants considèrent le verset 3 comme le premier commandement, les versets 4-6 comme le second et le verset 17 comme le dixième. Les catholiques romains et les luthériens considèrent les versets 3-6 comme le premier commandement et le verset 17 comme englobant les 9ème et 10ème.
9. Cf. notre article: « Educating for a Nation of Nations » dans Religion and the Public Schools, Santa Barbara, California, Center for the Study of Democratic Institutions, 1961, et notre livre: The Root and the Branch: Judaism and the Free Society, Chicago 1962, p. 94-114.
10. Cf. A.B. Erlich, Die Psalmen, Berlin 1905, p- 9i•
11. Il y a une bibliographie abondante sur le judaïsme des 2 siècles avant Jésus-Christ. Pour une brève présentation de quelques-unes des différentes sectes, voir notre livre, The Root and the Branch: Judaism and the Free Society, p. 34 s.
12. Cf. B. Sanhedrin 88b; B. Shabbat 17a; P. Shabbat 1, 4, 3c.
13. Cf. Mishna Eduyot, 4, 8; B. Erubin 13b.
14. Cf. Mishna Sanhedrin 10, 1.
15. C.F. Maimonide, Mishneh Torah, « Hilkhoth Teshubha » 3, 7 and RABD, ad loc.
16. Sur le mise au ban dans le judaïsme médiéval, et sur les excommunications, fameuses quoique pas tellement typiques, d'Uriel Acosta et de Benoît Spinoza, cf. notre livre Judaism for the Modern Age, p. 292-306. L'attitude complexe de Spinoza envers le judaïsme et le christianisme est analysée par Isaac Franck dans: « Spinoza's Onslaught on Judaism »: Judaism, vol. 28, n° 3, Spring 1979 and « Vas Spinoza a `Jewish' Philosopher? »: Judaism, vol. 28, re 3, Summer 1979.
17. La tendance à un piétisme exacerbé reparaît, croyons-nous, avec une certain régularité après les grandes catastrophes; on peut appeler cela une « loi ». On devrait examiner le bien-fondé de cette affirmation par une étude et une analyse des faits historiques évidents.
18. Sur cet aspect fondamental du judaïsme voir: The Root and the Branch: Judaism and the Free Society,
pp. 23-27.
19. Cet argument a joué un rôle important dans la pensée d'Arnold Toynbee. Le même point de vue est mis en évidence par Leo Pfeffer, qui cite le même commandement (cf. son article: a Church and State: a Jewish Approach » dans Jacob Fried: Jews in the Modem World, New York 1962, p. 210), ce qui est étonnant puisque, outre la perspective générale de Pfeffer sur le judaïsme, il cite aussi Roger Williams qui fonde, lui, sa théorie de la tolérance religieuse sur le Décalogue (et donc sur ce même commandement qui y est inclus). Cf. Pfeffer, ibid, p. 219 s.
20. Pour une analyse détaillée de la structure et du contenu de cet important document de morale, ainsi que pour l'exégèse de Job 31, 13-15 cité plus loin, voir Job's Code of Conduct », dans R. Gordis, The Book of Job, Commentary, New Translation and Special Studies, New York 1978, pp. 542-546.
21. B. Sanhedrin 56a s.; Toselta, Abodab Zarab, 9, 4-8.
22. Cf. Yalgut Shinfoni sur /es Juges, sect. 42.
23. Cf. Galates 3, 39.
24. Voir R. Gordis: A Basis for Morais: Ethics in a Technological Age », Judaism, Vol. 25 N° 1, Winter 1976.
25. Sur l'histoire des relations entre juifs et gentils dans l'Europe chrétienne, voir l'excellente étude de J. Katz, Exclusiveness and Tolerance, Oxford 1961. Sur la tolérance religieuse dans le Judaïsme, voir A. Altmann, Tolerance and the Jewish Tradition, London 1957, et notre livre: The Root and the Branch: Judaism and the Free Society, chap. 2, spécialement pp. 47-52.
27. Les textes d'un grand nombre de ces disputes sont rassemblés dans J.D. Eisenstein Otzer Vikkukhim, New York 1925. Cf. aussi Katz, op. cit., p. 106 s. et la bibliographie citée dans cet ouvrage; dans O.S. Rankin: Jewish Religions Polemic Early and Late Centuries, Edinburgh 1956, et dans F.E. Talmadge, Disputation and Dialogue: Readings in the Jewish-Christian Encounter, New York 1975.
27. Les modifications des lois talmudiques par de grandes autorités légales au Bas Moyen-Age sont analysées par S. Katz, op. cit., pp. 12-36.
28. C.F. Katz, ibid., p. 102 s.
29. Cf. le passage émouvant dans son Scier Mitzvot Hagadol, Venise, éd. 1547, p. 152 c-d, cité par Katz, op. cit., p. 104.
30. Tosefta: Sanhedrin 13, 2.
31. Maïmonide, Hilleboth Melakhim, 8, 11. Hilkhot Tesbuvah, 3,5. Hilkhot Eduth Iggerothav, Leipzig 1859, 2me partie, p. 23b.
32. Cf. son Khuzari 4, 23.
33. Cité dans Bezalel Ashkenazi, Sbittah Mequbbetzet, éd. 1761, p. 78a.
34. La manière dont il les décrit: « Ummoth haggeduroth bedarkhei haddathoth » signifie littéralement « Nations gardées dans les voies de leurs religions n. Voir Katz, op. cit., pp. 114-115, pour une appréciation exacte et équilibré des vues de Meiri.
35. Cf. Tosafot sur B. Sanhedrin 63b.
36. Cf. Mishtteh Torah, Hilkhoth Melakhim 1, 4.
37. Cf. Mishmeh Torah, Abodah Zara 9, 3; Commentary on the Mishnah, Abodah Zarab 1.
38. Cf. Emunot Veda« 2, 5.
39. Moïse Rivkes, Béer Hagolah sur Shulhan Artikh, Hoshen Mishpat 525, 5.
40. Pour une brève histoire du prosélytisme dans le judaïsme et des questions qu'il implique, cf. Judaism for the Modem Age, New York 1955, chap. 16, où je presse la communauté juive de considérer s'il ne serait pas opportun de faire une présentation correcte des dogmes et des pratiques du judaïsme pour tous ceux qui s'y intéressent, quelle que soit leur appartenance religieuse. Récemment, le Dr. Alexander Schindier, Président de l'Union (réformée) des Congrégations juives américaines, a poussé cette organisation à rédiger un programme d'information sur le judaïsme destiné d'abord à ceux qui désireraient devenir prosélytes. Ce programme vise en particulier les partenaires non-juifs des mariages mixtes dont le nombre n'a fait qu'augmenter pendant les dernières décades.

 

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