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SIDIC Periodical IX - 1976/2
Targumim et Midrashim (Pages 12 - 19)

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Lecture de la Bible dans la tradition midrashique
Ariel Rathaus

 

Le Midrash: une philologie et une historiographie « créatrices »

Les premières pages d'un article sur le Midrash, même s'il ne s'agit que de suggérer quelques éléments de réflexion au lecteur, doivent être consacrées, semble-t-il, à la terminologie et à un bref éclaircissement historique. Je dirai donc en commençant que le Midrash naît et se développe dans les quatre ou cinq premiers siècles de l'ère vulgaire grâce aux rabbins du Midrash et du Talmud, et que, tardivement, ses prolongements extrêmes atteignent les dixième et onzième siècles.

La racine d r sh de l'hébreu biblique présente des sens multiples, parmi lesquels on peut distinguer les suivants: se demander, s'enquérir, rechercher, étudier. L'hébreu de la Mishnah et du Talmud forge ensuite le mot derash qui est le résultat de la compilation et de la fusion de tous ces sens. Ce mot indique une méthode exégétique spéciale, appliquée à l'interprétation de l'Ecriture, et peut-être, plus qu'une méthode, une « forme d'esprit » particulière, une manière de se situer par rapport aux livres saints et d'en feuilleter les pages. En face de la parole de Dieu et des aspects multiples de son mystère, l'homme a le devoir de ne pas se contenter d'une apparente unité de signification: il doit plutôt se poser des questions, faire des recherches, cultiver en lui-même une inquiétude perpétuelle sur son interprétation. Nous reviendrons plus loin sur ce point: qu'il nous suffise pour le moment de souligner qu'à l'époque talmudique la racine du mot acquiert définitivement sa connotation exégétique.

Les termes midrash et derasha ont un sens parallèle à derash. Le premier de ces deux termes est le plus populaire et sera donc utilisé ici; on s'en sert habituellement pour parler de la méthode en général, en tant que technique d'herméneutique, qu'il s'agisse de l'interprétation particulière ou « légende exégétique », ou des nombreux recueils de matériel midrashique en dehors du Talmud (ils contiennent parfois le terme dans leur titre canonique transmis au cours des siècles: par exemple, Midràsh Tanchumà, Midràsh Tehilltim, etc...).

Le second terme, derashà, est employé lui aussi en deux sens, au moins. Au sens strict, derashà, signifie simplement toute interprétation de caractère non littéral; au sens large, c'est un propos officiel, basé essentiellement sur l'interprétation midrashique de passages bibliques, et on peut alors le traduire approximativement par « sermon » ou « homélie ». Nous ne nous intéressons pas ici à l'homélie en tant que telle, c'est-à-dire avec tous les artifices rhétoriques annexes utilisés dans tout discours parlé pour charmer l'auditeur et solliciter son attention. Indubitablement, l'art oratoire et l'action psychologique de celui qui parle a une influence sur les techniques employées et sur les caractéristiques de l'homélie sous son aspect proprement exégétique; pourtant l'exégèse midrashique contenue dans l'homélie et celle qui naît indépendamment d'elle sont essentiellement comparables et nous nous abstiendrons donc de nous avancer au delà, dans des distinctions qui seraient sans doute trop subtiles. (Sur la structure, l'exégèse et la rhétorique de l'homélie cf. Joseph Heinemann, Homélies officielles à l'époque talmudique — Derashot be-zibbùr ha-talmùd —, Jérusalem 1970).

On subdivise en général l'entière production littéraire talmudique en deux branches fondamentales: la Halakhah, jurisprudence et règles rituelles — et la Aggadah, récit, légende, enseignement éthique et théologique, sagesse populaire, allégorie de type moral. Les interprétations non littérales de la Bible en ce qui concerne la Halakhah s'appellent en hébreu midreshé halakhah, et dans cet article, nous ne les prendrons en considération qu'en passant: en effet, dans ce cas, l'interprète, bien qu'il se détache sensiblement du sens littéral, procède assez prudemment, laisse peu de liberté à la libre composition et à l'imagination, reste en accord avec les dires de la tradition juridique de son école et se laisse guider par des règles exégétiques logiques et codifiées. Au contraire, le propos de ces pages sera constitué par les interprétations en relation avec la Aggadah (en hébreu: midreshè aggadah). C'est vraiment dans le domaine de la Aggadah que l'exégèse talmudique de la Bible a atteint les résultats les plus achevés et les plus originaux, et le Midrash aggadique est désormais, peut-on dire, le midrash par excellence.

Voyons maintenant quel type de méthode exégétique représente le Midrash, quels éléments particuliers le distinguent? De tout ce qui a été anticipé jusqu'ici il ressort clairement que c'est avant tout une méthode d'exégèse non littérale; nous pourrions dire, en réduisant la définition au minimum, que le Midrash commence là où se termine l'interprétation littérale. Cependant, l'écart, l'éloignement soudain de la lettre du texte, n'a pas toujours la même importance; il y a des degrés et des nuances dans l'élaboration personnelle de l'interprète. Par exemple, certaines interprétations sont de nature pour ainsi dire « philologiques «, en ce sens que l'exégèse rabbinique (compte tenu de la distance chronologique et des variantes socio-culturelles) est comparable à celle d'un interprète moderne qui s'intéresse au sens « véritable » de l'Ecriture, et qui fait une lecture sèche et littérale. A l'extrême opposé on peut situer les éléments aggadiques qui ne conservent qu'un lien tenu et occasionnel (parfois ce lien manque tout à fait) avec le texte biblique: ici la créativité de l'auteur midrashique est excitée au maximum et elle s'exerce surtout dans des reconstructions imaginaires d'événements bibliques, historiques ou contemporains. Dans de tels exemples il est évident que les frontières de l'exégèse sont dépassées et que ces éléments appartiennent vraiment à la légende populaire, à la fable, au folklore, etc...

Entre ces deux extrêmes, nous pouvons distinguer un troisième type de Midrash, probablement celui dont dérive l'expression elle-même (qui en arrive à désigner les deux autres, par extension). Ce troisième type, si on le considère du point de vue de la créativité et de la libre reconstruction, comprend d'unepart des bases exégétiques qui sont quelque chose de plus par rapport à « l'interprétation >, normale inspirée par des critères philologiques, et d'autre part des légendes qui sont quelque chose de moins par rapport à la véritable légende populaire au sens propre du terme. Autrement dit, il s'agit d'une part « d'interprétations » exemptes de toute considération d'objectivité et de littéralisme; d'autre part, de légendes soi-disant exégétiques, c'est-à-dire qu'elles ne sont ni le simple produit d'une imagination sans frein ni absolument autonomes quand elles donnent vie et forme à un monde de rêve, mais qu'elles restent en rapport étroit avec le texte et sont mises dans la marge pour ainsi dire comme une glose du texte, dans le seul but apparent de l'expliquer. Isaac Heinemann suggère deux définitions parfaitement adaptées à ces deux niveaux fondamentaux de l'exégèse midrashique: il les désigne respectivement l'une comme « une philologie créatrice » et l'autre comme « une historiographie créatrice » (les méthodes de la Aggadah — Darké ha-aggadah — Jérusalem 1970, Introduction).

Puisque nous sommes entrés dans le vif du sujet, nous pouvons éclairer ces définitions par un exemple. Les deux niveaux, celui du philologue et celui de l'historiographe, sont souvent superposés et fortement liés, et c'est ce qui nous fait choisir un exemple où les deux sont représentés; nous les distinguerons cependant et nous les examinerons séparément. Le passage que nous proposons ici est un midrash extrait d'un des plus anciens recueils extra-talmudiques.

— Rabbi Siméon bar Yochai enseignait ceci: le Sabbat dit à Dieu: « Seigneur de l'univers, tout le monde a un compagnon, il n'y a que moi qui n'en ai pas ». Dieu lui répondit: « C'est l'assemblée d'Israël qui est ton compagnon ». Et quand Israël se trouva en face du Sinaï, Dieu lui dit: « Souviens-toi de la promesse que j'ai faite à Sabbat en lui disant que tu serais son compagnon ». Ceci correspond à ce qui est écrit: « Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier » (Exode, 20,8) — (Genèse Rabbà 11,9; pour le moment nous traduisons ce verset de l'Exode selon son sens littéral: on verra plus loin que dans le contexte du midrash il revêt une tout autre signification).

Ce remarquable passage aggadique se situe tout entier dans une atmosphère de mythe et d'allégorie, et il commence par un dialogue entre Dieu et un Sabbat personnifié, de caractère distinctement féminin (l'hébreu shabbat est du genre féminin). Sabbat reçoit de Dieu une assurance: elle aussi aura un jour un époux, c'est Israël. Le mythe précédent se transforme immédiatement en un embryon de légende exégétique très brève. Pourquoi « légende exégétique »? parce que la rencontre entre Dieu et Israël au Sinaï est un événement raconté explicitement dans l'Ecriture, qui, ici, s'enrichit cependant d'un détail: Dieu rappelle à Israël la promesse qu'il a faite à Sabbat.

Cette reconstruction légendaire de l'événement biblique n'est cependant pas présentée comme un fait purement arbitraire: elle se rattache à un passage de l'Ecriture, elle s'appuie sur Exode 20,8, qui fait partie du récit officiel de cet événement et qui lui sert aussitôt de soutien et de justification. Mais, le verset, en même temps qu'il « démontre • l'authenticité du récit, acquiert, dans le récit une dimension nouvelle: pour pouvoir servir de démonstration il doit être interprêté d'une manière inhabituelle. Et nous voici arrivés au niveau de la « philologie créatrice • qui ici, on le voit bien est inséparable de celui de « l'historiographie •. Comment interpréter ce verset? La première partie, « Souviens-toi du jour du Sabbat •, acquiert une intonation elliptique et allusive; Dieu veut dire exactement: « Souviens-toi de la promesse, faite par Moi, au jour du Sabbat •; la dernière partie, « pour le sanctifier • est interprétée comme si elle signifiait: « pour l'épouser •.

L'équivoque, le jeu de mot exégétique, est rendu possible du fait que le verbe employé par l'Ecriture, « le-haddesh», a, dans l'hébreu de la Mishnah et du Talmud le sens secondaire d'épouser qui s'ajoute au sens de base de « sanctifier »: c'est justement vers cette signification secondaire que s'oriente l'interprète, bien qu'il s'agisse d'une acception tardive substantiellement étrangère à l'usage biblique. La phrase complète se lit donc ainsi: « Souviens-toi que j'ai promis à Sabbat que tu l'épouserais •.

Maintenant, abordons, la question controversée de l'ordre des préséances: la légende exégétique jaillit-elle d'une interprétation inhabituelle d'un passage biblique ou bien au contraire, elle ne se réfère à ce dernier qu'a posteriori pour justifier une légende déjà existante, en mettant à profit la charge ambivalente qui était nulle à première vue; de fait, c'est vraiment, en théorie, de l'interprétation non usuelle de l'Ecriture que l'on part, puisque c'est elle qui permet et justifie la légende et le fait qui la précède.

Ceci revient à dire que l'élément de « philologie créatrice • joue logiquement le rôle, ici et dans de très nombreux autres midrashim, de point de départ: les éléments légendaires et l'emphase narrative en constituent la conséquence directe (si nous nous en tenons à la cohérence interne du fait accompli et non aux phases historiques incertaines de sa structuration); nous pourrions donc déclarer à juste titre que c'est l'élément premier du midrash.

Nous consacrerons donc les pages suivantes à la « philologie créatrice •: l'expression, certes éloquente par elle-même, est cependant assez bizarre pour justifier un bref éclaircissement.

Lecture philologique et lecture « créatrice »

La philologie tout court, sans autre attribution, nous savons tous plus ou moins ce que c'est: ceux qui la pratiquent disent explicitement que c'est un effort pour aborder objectivement une langue et l'histoire du sens des mots de cette langue (sémantique).

Elle peut englober des techniques toujours plus ingénieuses et fines, mais sa préoccupation essentielle est d'établir la version exacte, de fixer l'usage linguistique d'une façon rigoureuse. L'aspiration dernière des philologues est d'institutionnaliser le sens et la forme d'un vocable d'une manière univoque, et si après des recherches attentives un mot du vocabulaire devait cependant aboutir à une équivoque, on institutionnalisera même cette équivoque: que les sens et les usages possibles soient innombrables pourvu que chacun ait une place bien précise sur le tableau synoptique de l'évolution et des variations infinies de la langue, de manière à éviter toute confusion.

Egalement, les termes de « création • et de « créativité », par ailleurs, ne devraient pas donner lieu à des cas douteux: l'exemple le plus classique et normal de création linguistique étant évidemment la poésie.

Mais qu'arrive-t-il quand la « philologie • et la « créativité • coopèrent dans les limites du possible, et qu'elles oeuvrent de concert sur le même matériau linguistique? C'est ce qui arrive chaque fois qu'un lecteur qui n'est pas une âme complètement morte affronte un texte qui ne soit pas un texte complètement mort (ou jamais vécu). Dans un sens plus technique, c'est ce qui arrive quand un poète traduit, ou mieux quand il traduit l'oeuvre d'un autre poète. Nous nous trouvons alors en présence d'un produit littéraire discuté et dont la classification est incertaine; et la discussion, habituellement, ne porte pas tellement sur la valeur poétique mais plutôt sur la rigueur philologique.

La lecture rigoureusement philologique est certainement un fait plus que récent dans l'histoire plurimillénaire de la parole écrite. Dans le monde médiéval, par exemple, la poésie rejoint celui qui en jouit par l'intermédiaire du copiste, lequel ne se limite certes pas à jouer le rôle de simple instrument de reproduction graphique: il se sent, au contraire, autorisé à intervenir comme co-auteur: il manipule, il introduit des variantes, il amplifie ou abrège le texte. Ceci est bien caractéristique de l'approche médiévale et a donné lieu à des opinions catégoriques comme celle-ci: « La notion d'authenticité textuelle, telle que les philologues l'entendent, semble avoir été tout à fait inconnue, spécialement en ce qui concerne la langue vulgaire, au moins jusque vers la fin du quinzième siècle. • (P. Zumthor, Semiologia e poetica medievale, Milan 1973, p. 72).

Maintenant, si nous faisons une relecture du midrash en fonction du paragraphe précédent, nous remarquons aussitôt que l'interprète, rabbi Siméon bar Yochai, s'est essayé, d'une certaine manière, à une opération philologique; mais sans se sentir lié à la lettre du texte et en dépassant les limites d'une lecture « objective »; il a, pour ainsi dire, distillé le verset biblique au filtre de son génie exégétique personnel. Il restructure le verset, l'écrit de nouveau, lui fait subir un processus de métamorphose en vertu duquel à la signification littérale et canonique (« Souviens-toi de sanctifier le jour du Sabbat.) s'est superposée, en s'y mêlant, une signification accessoire, personnelle: « Souviens-toi d'épouser le Sabbat ». Il n'est pas pensable que, dans cette interprétation, rabbi Siméon bar Yochai ait eu l'intention d'éliminer complètement le sens « officiel »: le verset est l'un des plus connus, et il représente l'une des sources reconnues du précepte de l'observance du sabbat. Il s'en est plutôt servi pour introduire un enseignement théologique — les noces mystiques du Sabbat et d'Israël — en créant ainsi un nouveau produit littéraire dans lequel le sens canonique et le sens personnel co-existent: au niveau de la signification, ce passage biblique est devenu ambivalent.

Il est évident que pour que puisse exister une « philologie créatrice » deux conditions sont nécessaires:

— que soit licite une multiplicité d'approches du texte;

— que cette multiplicité ne reste pas une réalité théorique, mais qu'elle soit mise concrètement en lumière, ce qui se réalise si, à son tour, le texte peut être envisagé comme multiforme, ambigu, susceptible de plusieurs significations.

Commençons par le premier point. Il est clair que même en ce qui concerne la sphère juridico-ritualiste de la Hatakhah (dans laquelle, surtout à certaines époques, a évidemment prévalu la tendance à établir une norme unifiée valable pour tous), des traditions diverses ou tout à fait opposées subsistent dans les pages du Talmud. Si même, à certains moments, la multiplication de « systèmes » juridiques et ritualistes hétérogènes a provoqué désordre et égarement, en faisant espérer la réalisation d'une norme codifiée de comportement, ceci ne signifie pas que l'on ait rejeté le principe de la multiplicité des approches du texte ou que l'on ait voulu établir son sens univoque même sur le plan exégétique. Le cycle entier des controverses entre Shammaï et Hillel, par exemple, s'est résolu juridiquement en faveur du second (à quelques rares exceptions près), et pourtant le Talmud de Babylone, paradoxalement, affirme que: « les paroles de l'un et de l'autre sont, de la même manière, les paroles du Dieu vivant » (Erubin 13,b): autrement dit, la norme est unique et c'est celle qui a été fixée par Hillel, mais les « paroles du Dieu vivant » dont elle a été tirée ne peuvent certainement pas être exhaustivement expliquées et cataloguées en vertu d'une seule interprétation. Ce n'est pas par hasard qu'une des écoles de la Mishnah parmi les plus représentatives — celle de rabbi Aqiba — a tranché en faveur de la plus complète liberté exégétique, dans la conviction que la Loi devait se renouveler chaque jour, dans l'effort quotidien pour la lire et l'expliquer (cf. E.E. Urbach, The Sages, their Concepts and Beliefs, Jérusalem 1971, pp. 266-267).

L'étude se déroulait dans une atmosphère d'autonomie intellectuelle absolue. Les disciples, encore débutants, surpassaient parfois en finesse exégétique leurs maîtres eux-mêmes, et les décisions en faveur de l'une ou l'autre interprétation n'étaient pas prises à la suite de considérations hiérarchiques d'ancienneté ou d'autorité, mais sur la base de la reconnaissance honnête de la valeur de la démonstration. Et, d'abord, on considérait comme une étude réellement profonde et significative celle qui tirait son origine d'une inquiétude, d'une insatisfaction, plutôt que le pauvre résultat d'un « accord », d'un « consensus » garant de la paix de l'âme et de l'esprit (Urbach, op. cit., p. 562).

A ce sujet, le récit du Talmud de Babylone sur Rabbi Jochanan et son nouveau compagnon d'étude, rabbi Eléazàr ben Pedàt, est exemplaire. Quand ils commencèrent tous deux à étudier ensemble, rabbi Eléazàr confirmait, en l'appuyant de preuves, tout ce que disait rabbi Jochanan. A la fin, rabbi Jochanan, irrité, apostropha durement son compagnon, en lui disant avec reproches que le véritable savant sait opposer à toute affirmation vingt quatre objections, et peut fournir vingt quatre réponses à ses propres objections. « Et toi », concluait sarcastiquement rabbi Jochanan, « tu ne sais rien faire d'autre que d'apporter une preuve en ma faveur » (Babà Mezia 84 b).

Tout ceci, répétons-le, est dit en premier lieu à propos de la Halahhah (qui accorde au savant individuel une autonomie relativement limitée) et c'est donc applicable a fortiori à l'exégèse aggadique: ici les tendances caractéristiques de la « Weltanschauung » talmudique que nous venons d'examiner prennent encore plus de relief. L'interprète jouit d'une licence linguistique quasi absolue; le sens du texte est fluide et personnalisé, l'exégèse est conduite davantage selon le chemin détourné d'une relecture libre et imaginative que sur le modèle, rationnel et contraignant, d'une herméneutique philologique.

A propos du second des points auquel il a été fait allusion plus haut, à savoir la polysémie du texte comme condition nécessaire pour que puisse exister une « philologie créatrice », il est possible d'avancer qu'un quelconque lecteur du Talmud et du Midrash, même s'il est débutant, est en mesure d'affronter et de résoudre correctement le problème par lui-même, empiriquement. Le lecteur est pour ainsi dire assailli par une foule d'hypothèses de lecture et d'interprétations diverses pour un même verset biblique; il est donc évident que les rédacteurs des écrits talmudiques estimaient qu'opérer une sélection rigoureuse dans le matériau transmis aurait été une entreprise non seulement ardue, mais, en définitive, injuste et incorrecte. Il est probable que toutes les interprétations étaient reconnues « vraies » du moment que chacune enrichissait le texte d'une nouvelle fiche à encastrer dans la mosaïque infinie des sens possibles; souvent, ensuite, l’interprète lui-même n'hésite pas à fournir plus d'une interprétation pour un verset unique.

Dans la conception des rabbins du Talmud, la Bible — qui n'est pas seulement un livre, mais le Livre, l'archétype du livre issu d'un monde empreint de sacralité — n'équivaut certainement pas à, un quelconque témoignage écrit, dans lequel le langage est distraitement et inconsciemment gaspillé.

La parole divine, de sa nature propre, procède par allusions, elle ne s'épuise pas dans un modèle lexical ou un objet grammatical et syntaxique, elle suggère un contenu caché et impalpable. Parole totale des origines, elle absorbe sans cesse et réassume en elle-même tous les sons fragmentaires, tous les mots apocopés, tous les effets du discours que, en se faisant illusion, les hommes appellent une « langue ». De cette parole, le philologue et le linguiste ne saisissent qu'un écho lointain: la part qui coïncide avec la valeur sémantique de leur langue limitée, quotidienne.

Rabbi Jehoshua, reconte le Talmud de Babylone, dit un jour à ses disciples: « Une école ne peut durer si l'on n'y enseigne pas chaque jour quelque chose de nouveau ». Les disciples répondirent que justement, ce sabbat, rabbi Eléazar ben Abarias avait enseigné quelque chose de nouveau: « Les mots de l'Ecriture, avait-il dit, sont comme les racines d'une plante: elles croissent et se multiplient » (Chaghigà 3a-b). Jamais peut-être n'a été exprimé avec plus de force incisive, le prodige linguistique d'un livre d'unedensité de signification extrême, creusé et érodé par les mots, mais qui cependant conserve la pureté et la disponibilité de la page blanche. L'Ecriture, immuable à travers les siècles en vertu d'une tradition attentive à codifier même les accents des lettres, participe d'une façon inattendue, au dynamisme d'un organisme en croissance: la substance de sa présence au monde ne se trouve pas tant dans les encres, les parchemins, le geste silencieux du scribe, mais dans l'exégèse confuse et polyvalente des écoles talmudiques, dans la superposition contradictoire des nombreuses voix qui la lisent. Ce n'est pas par hasard que le Talmud utilise le terme classique de Mikrà qui veut dire «lecture» pour désigner l'Ecriture.

Ce qu'aujourd'hui nous définissons, en termes profanes, polysémie d'un texte, serait appelé par les rabbins du Talmud infinité linguistique: s'il s'agissait, bien entendu, du texte biblique. « Le monde entier n'est que la trois mille deux centième partie de l'Ecriture », déclare, dans le Talmud de Babylone, rav Hisda au nom de Mari bar Mar (Eruvin 21a). Nous devons supposer que cet aphorisme paradoxal se propose, plus que d'indiquer l'exacte mesure du monde à des lecteurs frustes et sans esprit critique, de souligner avec force l'incommensurabilité et l'infinité de l'Ecriture.

Si curieux que cela puisse paraître, dans la conception rabbinique, ce ne sont pas seulement les frontières du monde qui sont sans limites, mais les frontières d'un alphabet sacré.

Interprétation « pseudo-littérale » et écriture du texte « ex novo »

Arrivés à ce point de notre exposé, il nous semble utile de présenter quelques passages midrashiques pour illustrer concrètement ce qui a été dit jusqu'ici d'une façon théorique. Choisir des exemples, même d'une façon peu exhautive, est pratiquement impossible ici; il a donc fallu prendre une solution de repli: les exemples que nous proposons ne sont donc pas représentatifs, ou pour mieux dire, ils sont tels que certaines tendances contradictoires de l'exégèse midrashique y sont visiblement poussées à leur paroxysme. Autrement dit, nous chercherons à montrer les deux extrêmes opposés entre lesquels oscille la méthode du midrash: d'un côté une lecture quasi philologique, une interprétation en apparence littérale, de l'autre une liberté de reconstruction allant jusqu'aux conséquences les plus extrêmes et les plus définitives, ce que nous pourrions appeler « écriture du texte ex novo ». Le lecteur averti comprendra que ce qui est représentatif se situe « in medio », que la grande majorité du matériau midrashique naît véritablement d'une fusion, d'une compénétration de ces tendances opposées et que tout ceci ne va pas sans tension.

Notre premier exemple est un passage tiré de Rosh-ha-Shana 16 b (Talmud de Babylone): — Rabbi Izchàk dit: « Que l'homme ne soit pas jugé sinon en référence à ses actions au moment du jugement, puisqu'il est écrit: "Car Dieu a entendu la voix de l'enfant là où il se trouve" (Genèse 21,17) ».

Dans ce court midrash, Rabbi Izchàk exprime une opinion théologique, qu'il tire d'un verset de la Genèse. Cette opinion théologique s'entend plus ou moins ainsi: Dieu juge les hommes selon leurs mérites et leurs fautes actuels et non en se référant à leurs actions passées et futures. Ceci est dit essentiellement pour souligner que même celui qui « in mente Dei » est destiné infailliblement au péché est pourtant jugé par rapport à son innocence actuelle (même si elle est éphémère). Le passage de Genèse que cite Rabbi Izchàk pour soutenir sa thèse est tiré du récit dramatique du renvoi, par Abraham, de sa concubine Agar et de son fils Ismaël. Agar et le jeune Ismaël errent dans le désert; ayant épuisé leur réserve d'eau, ils finissent par se résigner à la mort. C'est alors qu'apparaît un ange qui rassure Agar: Dieu a eu pitié d'eux et les sauvera. C'est l'ange qui prononce la phrase reprise par le midrash:
« Car Dieu a entendu la voix de l'enfant là où il se trouve »

Le récit biblique s'arrête là. Comment le midrash fait-il une nouvelle élaboration de ce matériau? Notons avant tout qu'Ismaël, fils d'Abraham, personnage absolument neutre et mal défini dans la Bible, revêt dans la littérature rabbinique le signalement d'un véritable « héros négatif >', symbole et prototype de la dégénérescence et de la déviation hors de la voie droite. Quand, par conséquent, Rabbi Izchàk lit dans Genèse que Dieu intervient pour sauver Ismaël, il a la preuve du fait que les hommes sont jugés « hic et nunc », du moment que l'enfant, innocent aujourd'hui, doit devenir plus tard un pécheur récidiviste. Pour arriver à cette conclusion, cependant, Rabbi Izchàk interprête le passage biblique d'un façon inhabituelle. Les derniers mots du verset: « Là où il se trouve », semblent, en effet, tout à fait superflus. Le lecteur sait très bien où se trouve l'enfant: s'il ne se trouvait pas au désert, il ne courrait pas le risque de mourir de soif. Qeul est donc le but de cette précision inutile? La question peut sembler spécieuse; pourtant rappelons-nous que, dans le pensée des rabbins du Talmud, il n'existe pas une virgule qui soit superflue dans l'Ecriture et qu'il y a beaucoup à apprendre des nuances du texte. Rabbi Izchàk répond que ces mots s'appliquent à une situation bien précise dans l'échelle des valeurs morales: le « là où il se trouve » n'exprime pas une indication de caractère géographique, et ne souligne pas non plus une indication, utile pour le récit, des circonstances dramatiques que vivent les protagonistes, mais fait allusion à une des si nombreuses étapes d'un cheminement moral, à la localisation morale qu'occupe Ismaël à ce moment-là: il se trouve à ce moment-là dans l'innocence, et c'est pourquoi Dieu le sauve. Ainsi, Rabbi Izchàk tire du verset l'enseignement qu'il veut transmettre au lecteur: les hommes sont jugés par Dieu selon ce qu'ils sont au moment du jugement.

Or, l'interprétation de Rabbi Izchàk est, d'un point de vue philologique, littérale. Pour bien comprendre cela il sera utile de se souvenir de l'exemple présenté au paragraphe précédent: là, l'éloignement de la lettre du texte se produisait à un niveau proprement philologique; on jouait sur la double signification, dans l'hébreu talmudique, du verbe utilisé par la Bible, et, en choisissant le sens le moins acceptable du point de vue philologique, on restructurait la phrase du point de vue linguistique. Ici, par contre, la phrase est prise pour ce qu'elle est du point de vue de la sémantique, mais elle est lue sous l'angle d'une allégorie éthique. Rabbi Izchàk manipule magistralement le verset, sans violer la syntaxe, ni la grammaire, ni le vocabulaire habituel; et pourtant, on ne peut pas ne pas remarquer que le midrash a poussé le sens très loin et que le passage biblique, en ce qui concerne son sens littéral probable, a été enrichi par l'interprète d'un nouveau vêtement, d'une signification nouvelle et inaccoutumée.

Tout ce qui a été dit jusqu'ici a évidemment pour but de préciser l'extrémisme de « l'interprétation pseudo-littérale »; voyons maintenant comment illustrer brièvement ce que nous avons appelé « une écriture du texte ex novo.

Avant de donner des exemples, nous pouvons avancer que le matériau attribuable à ce typed'exégèse est, dans ce qu'offre le Midrash, ce qu'il y a de plus bizarre et original (du point de vue d'une herméneutique philologique): ici, en effet, l'interprète ne se contente plus d'affronter le texte au niveau du sens, mais il intervient au niveau de l'écriture, il fait une nouvelle rédaction du texte; et cette rédaction « ex novo » est faite d'une façon évidente, préméditée, sans moyen terme.

L'interprétation est alors introduite par la formule canonique: « Ne lis pas... mais... «, que l'interprète utilise pour changer la leçon et en présenter une alternative (la plus insoutenable, bien entendu, sur le plan philologique). La manipulation midrashique a donc lieu avec toutes les garanties officielles.

Même dans ce cas, on ne veut pas substituer à la leçon reçue une autre plus correcte, comme ferait un commentateur moderne agissant selon des critères scientifiques. On change le texte mais en même temps on le conserve, dans sa texture originelle, que l'on cite avant la formule d'introduction: et cette citation n'est pas purement un moyen nécessaire pour souligner la variante que l'on introduit, mais elle semble pour ainsi dire avoir le but de rappeler au lecteur que, de toute façon, c'est bien la leçon authentique qui se trouve là, inamovible, et que la nouvelle lecture représente seulement, pour ainsi dire, une autre inflexion de voix qui permet de lire autrement le passage biblique. La nouvelle lecture se propose seulement, c'est bien clair, d'enrichir les possibilités d'expression du texte.

Voici, tiré de la Mishnah, un exemple fameux de ce type d'exégèse: — « Les tables étaient l'oeuvre de Dieu, et l'écriture était l'écriture de Dieu, gravée sur les tables » (Exode 32,16); ne lis pas: « gravée sur les tables «, mais « liberté sur les tables «. Il n'y a d'homme libre que celui qui s'occupe de l'étude de la Loi (Avot 6,2).

Le verset de l'Exode que commente le Midrash fait référence aux tables de la Loi: Moïse vient de les recevoir de Dieu et peu après il les mettra en pièces, à la vue des Hébreux en adoration devant le veau d'or. L'attention de l'interprète s'attache aux derniers mots du verset: « (écriture) gravée sur les tables »; c'est ici qu'il intervient pour changer la lecture. Au mot charut (gravée) il substitue le mot cherut (liberté). L'assonance est tellement sensible entre les deux mots que l'on peut à juste titre classer ce midrash parmi les jeux de mots; cependant, comme dans tous les jeux de mots réussis (dans toutes les langues et de tous les temps), ici avec une très grande économie de langage on atteint à une densité de pensée certainement enviable. On peut facilement s'amuser à dévider l'écheveau des enseignements superposés et concentrés dans cet imperceptible changement de lecture; nous verrons alors que la foi en l'autonomie spirituelle que l'on atteint dans l'étude des écrits sacrés, le lien paradoxal qui unit Loi et liberté (traduit en termes purement éthiques, ce problème sera l'objet, plusieurs siècles plus tard, de nombreuses et célèbres pages de Kant) une polémique implicite contre l'antinomisme de Paul qui voit dans la Loi juive seulement un joug imposé aux hommes — tous ces éléments sont condensés dans un jeu de mots qui n'est futile qu'en apparence, et ensuite résumés dans le jugement lapidaire émis aussitôt après: seul celui qui étudie la Loi est vraiment libre.

Dans cet exemple, toutefois, il ne s'agit pas d'un pur et simple changement graphique: la graphie de l'hébreu classique ne connaît pas l'usage des voyelles, introduit seulement à une époque relativement tardive, donc à charut et à cherut correspond le même symbole graphique.

L'interprète a donc pu changer la lecture sans rien changer, apparemment: manipuler les voyelles prononcées mais non écrites est un stratagème dont se sert souvent ce type de midrash.

Dans le passage midrashique que nous proposons maintenant le changement de lecture est au contraire graphique au sens propre du terme: — « La Loi que Moise nous a prescrite est l'héritage de l'assemblée de Jacob (Deutéronome 33,4); ne lis pas "héritage" mais "fiancée": la Loi est la fiancée d'Israël » (Exode Rabba, 33,8).

Le thème des noces mystiques d'Israël (« l'assemblée de Jacob ») et la personnification allégorique d'une idée ou d'une norme religieuse est un fait relativement habituel, nous l'avons vu, dans la culture talmudique; le lecteur se souvient des noces idéales que nous avons rencontrées au cours de notre étude: l'union de Sabbat et d'Israël. Dans ce Midrash c'est au contraire la Loi qui est la fiancée d'Israël.

L'interprète utilise un verset du Deutéronome, et il en change la lecture; le mot morashà (héritage) est transformé en meorasà (fiancée), et de cette manière, la Loi devient la promise en mariage de l'assemblée de Jacob ». Or, dans ce cas, la différence entre les deux leçons est sans aucun doute remarquable: la structure de la phrase reste syntaxiquement la même, et les sons des deux voyelles sont assez semblables, mais si nous passons aux graphies respectives la différence peut être perçue, avec un peu d'attention même de ceux qui ne connaissent pas l'alphabet hébraïque: morashà et meorasà.

L'interprète a donc réécrit le mot, il a dépassé les limites de son art (art de lecture par définition) et il a fait une nouvelle élaboration, même graphiquement, du texte: il s'est élevé au rang de co-auteur.

L'exégèse midrashique, forte de son aspiration inavouée à être une écriture créatrice avant même d'être une lecture riche en imagination, aborde au point extrême qui se trouve dans des régions où il ne lui serait sans doute plus permis de s'avancer. Ou bien si on le contemple sans se référer au manuel déontologique du bon exégète, elle est avec tant de hardiesse d'une inégalable fécondité sur le plan de l'invention linguistique et sur le plan d'une approche toujours nouvelle de l'expérience du divin.

Conclusion

Résumons, comme épilogue de ces brèves remarques, les points fondamentaux des opinions exposées dans les pages précédentes.

Le Midrash peut être défini comme une recherche linguistique, une interrogation à laquelle certains hommes soumettent certains termes douteux ou dont la clarté est seulement apparente. En ce qui concerne le code linguistique de la Bible, un midrash est toujours une infraction, mais une infraction qui préserve en elle-même la norme qu'elle viole: si l'interprète poussait jusqu'à l'extrême et ne se reportait plus en rien à la norme, la dérogation linguistique resterait limitée à elle-même, et serait improductive du point de vue de l'exégèse.

L'interprète midrashique entraîne les mots de la parole sacrée et écrite, parole cependant encore fluide et indéfinie, dans la sphère de sa créativité personnelle; s'éloignant du sens commun il part à la recherche d'un sens excentrique qui permette un élargissement du sens.

La Bible se présente donc, dans la conception rabbinique, comme un recueil inépuisable de signes aux contours pleins de nuances, de mots jamais complètement exprimés, même s'ils sont déjà prononcés, confiés à la stabilité du corps des symboles graphiques. Comme certaines lignes tirées dans l'imagination des géomètres, la ligne biblique aspire à un cheminement ininterrompu, invite le lecteur à jeter les yeux sur la procession des sens possibles, vers les alphabets cachés dans chacune des lettres en particulier. C'est à l'aide de ces alphabets que l'exégète midrashique compose, dans une liberté absolue et avec un absolu et amoureux respect pour le texte, ses propres gloses sacrées.

Tout ceci ne veut pas dire que l'on défende ici une conception exclusivement immanentiste de la linguistique du Midrash (lequel, on l'a répété plusieurs fois, ne serait autre qu'une recherche à l'intérieur du langage, une exploration du vocabulaire). L'auteur pense au contraire que l'exégèse midrashique transcende l'élément linguistique: comme la poésie, quand elle se détache du langage quotidien, se propose de redécouvrir certaines réalités qui, offusquées par la clarté exsangue de ce langage, gisent ensevelies et non exprimées, ainsi le Midrash tend lui aussi — en passant à travers le langage — vers quelque chose qui se trouve au-delà du langage. Et ce quelque chose c'est le contenu théologique, éthique, humain, évoqué et caché dans le livre qui est le compendium idéal de toute théologie, de toute éthique, de toute sagesse humaine.

Le Midrash est l'art de révéler les sous-entendus, de comprendre les inflexions de voix, d'atteindre à la partie la plus cachée du langage et de cueillir de cette manière ce qui nous échappe le plus de la réalité de Dieu et du monde.

 

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