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SIDIC Periodical XVII - 1984/1
Dieu et sa Présence (Pages 21 - 25)

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Juifs et non juifs: quelles différences? Une recherche importante en vue de la compréhension mutuelle
Fernando Terracina

 

Nous publions ici le résumé d'une conférence donnée au centre SIDIC de Rome le 4 novembre 1981. Mr Fernando Terracina est un ami de SIDIC depuis de longues années et il s'intéresse depuis longtemps à cette question des « différences ». Il a recueilli, entre autres, de nombreuses observations à ce sujet dans les oeuvres d'écrivains bien connus. Citons ici celle du psychologue anglais Eysenk: « Nous savons très peu de ce qui distingue les juifs des non juifs. Il y là certainement un champ de recherches impor¬tant et nécessaire, qui devrait conduire à des résultats d'un grand intérêt ».

Les Orientations et suggestions pour l'appli¬cation de la Déclaration Nostra Aetate, parues en 1974, recommandent (n. 4) que « les chrétiens apprennent par quels caractères essentiels les juifs se définissent eux-mêmes ». Nous n'avons pas la prétention de fournir la définition désirée, mais seulement de faciliter cet effort de connais¬sance en recherchant les différences qu'on peut observer dans le comportement, au sens le plus large du mot, des juifs et des non juifs, et ceci sans limites d'espace ni de temps. Nous allons suivre ainsi la voie qui caractérise depuis plus de 3 siècles nos progrès dans les divers champs de la connaissance: la voie de l'humble observation et de patientes recherches de synthèse, voie qui doit remplacer, ou du moins précéder, la recherche de l'essence, des définitions ou de l'identité.

On pourra nous reprocher d'avoir négligé, en suivant cette voie, certains éléments importants, mais on ne pourra nous reprocher d'avoir mis l'ac¬cent sur ce qui sépare plutôt que ce qui unit; je ne pense pas, en effet, qu'on puisse rechercher en toute sincérité ce qui est commun sans recon¬naître, en même temps, ce qui distingue.

La recherche des différences implique une atti¬tude respectueuse, fraternelle; elle semble donc un bon moyen de « promouvoir la connaissance et l'estime mutuelle » souhaitées dans la Déclaration Nostra Aetate. Elle permet aussi, dans la mesure où elle précise les vraies différences, de combattre de regrettables sentiments de mépris ou de haine. Pour préciser les différences, nous pouvons com¬parer les juifs à n'importe quel autre peuple ougroupe humain; pour nous, naturellement, il est plus intéressant de faire cette comparaison avec les civilisations qui ont gravité autour de la Médi¬terranée. Etant donné l'ampleur du sujet, plutôt que d'approfondir les divers points de compa¬raison, nous nous limiterons à quelques exemples, quelques points susceptibles d'évoquer souvenirs et réflexions; nous aurons l'occasion de faire réfé¬rence, de même, à certains juifs éminents.

Etant admis qu'il existe des différences, citons-en une qui se présente immédiatement à l'esprit: la durée, la permanence de ces différences. Unique, en effet, est le cas de ce peuple qui s'est conservé (et même, dans une certaine mesure, avec sa lan¬gue propre) pendant plus de 4000 ans. Dans l'an¬tique récit de ses pérégrinations entre l'Egypte et Canaan, nous le trouvons décrit par un prophète non juif comme « un peuple qui demeurera dis¬tinct et ne sera pas compté parmi les autres » (Nb 23,9), prophétie qui s'est avérée bien exacte dans la réalité.

Le monothéisme

La permanence de ce peuple est fondée sur le monothéisme, un monothéisme qui veut rester ce qu'il était autrefois: un principe, mais aussi un but à atteindre, et donc aussi une voie. Mais comment en est-on venu au monothéisme? Les théologiens sont à peu près d'accord pour dire qu'Abraham y serait arrivé par ses propres forces; il paraît évident, en effet, que l'idée d'un Dieu unique a dû précéder l'écoute de ses paroles et l'accueil de la révélation qu'elles comportent.
Si le monothéisme a été précédé par une re¬cherche d'unité, quelle est donc cette voie vers l'unité où Abraham se serait engagé de façon toute particulière? Comment passe-t-on du chaos à l'harmonie? Non pas, certes, en niant la diversité, mais en découvrant des lois, c'est-à-dire certaines relations parmi les différences: tout concept n'est que l'expression d'une loi expérimentale et, de même qu'on doit chercher à ce que les lois expé¬rimentales soient les plus générales et les moins nombreuses possible, de même le « nombre des concepts est à limiter au strict nécessaire », com¬me le recommande Ruggero Bacone, l'un des pères de la pensée moderne. Polythéisme et monothéis¬me pourraient alors être considérés comme répon¬dant à des nécessités subjectivement différentes. A l'unité de Dieu est liée l'unité d'origine et de fin de toute l'humanité, comme aussi de l'être humain en lui-même; dans le judaïsme, cet effort pour l'uni¬fication de la vie humaine est essentiel.

Le rencontre d'Abraham avec Dieu n'est pas d'abord une recherche de vérité; elle comporte plutôt des éléments affectifs: la confiance avec laquelle est accueillie l'invitation à quitter sa mai¬son et l'assurance de la « bénédiction de tous les peuples de la terre ». Abraham, loin de voir Dieu à la manière des philosophes, comme un moteur lointain et immobile, en fait une expérience per¬sonnelle, intérieure: c'est le Dieu vivant à l'oeuvre pour toute l'humanité. Le récit des origines, de la naissance du peuple juif, porte nettement le signe d'un détachement, et en même temps celui d'une unification, les deux signes du destin d'Israël. A la différence de ce qui est arrivé pour le chris¬tianisme et pour l'Islam, il ne s'agissait pas de s'ouvrir à un concept religieux élabore par d'autres. D'un côté, nous avons affaire à une conversion, de l'autre à une initiation et à une continuité. Au plan naturel, qui ne s'oppose pas d'ailleurs au plan scripturaire, on peut avancer l'hypothèse que ce fut le concept monothéiste, rejoint en quelque ma¬nière, peut-être même par un seul homme, qui en¬gendra pour ainsi dire le peuple juif; c'est peut-être ainsi que l'on pourrait expliquer la singulière per¬manence d'Israël à laquelle il est impossible de trouver, dans les origines et dans le développe¬ment historique, un fondement ethnique.

L'unicité de Dieu comporte nécessairement l'im¬possibilité d'en donner une quelconque définition, car cette dernière consiste toujours à ramener un concept à d'autres que l'on connait; de là vient aussi le rejet de tout symbole sensible, et particu¬lièrement visuel, de la part des juifs, parce qu'ils le jugent toujours inadéquat et donc trompeur, con¬formément à ce qu'ils ont coutume d'appeler la seconde « parole » du Décalogue: « Tu ne feras aucune sculpture ou image, et tu ne te proster¬neras pas devant elle » (Dt 5,8 - Is 20,5). Les en¬voyés de Dieu ont toujours un caractère passager, sans véritable identité. Comme le soulignent les Orientations et suggestions, un effort est néces¬saire « pour comprendre la difficulté que l'âme juive éprouve devant le mystère du Verbe Incarné, étant donné la notion très haute et très pure qu'elle a de la transcendance divine ». Un effort analogue doit être fait, naturellement, du côté juif vis-à-vis des chrétiens. Déjà aux yeux des Romains, le culte juif apparaissait comme « sans ornement » et ci re¬poussant », mais Tacite ajoutait, avec une perspica¬cité et une concision dignes de lui: « les juifs conçoivent la divinité par leur esprit seulement, et une divinité unique » (Hist. 5,6) (« Judaei sofa men¬te numen unumque intellegunt »). Le Dieu unique est, de par sa nature, un Dieu jaloux; toute dé¬viation de ce concept d'unicité a été combattue, punie même, aussi a-t-on pu affirmer que l'into¬lérance religieuse, en ce sens, est une invention juive; la tolérance des païens a favorisé, au con¬traire, l'affirmation du christianisme.

Les mythes et les rites

Mythes et rites représentent, sous forme syn¬thétique, les expériences historiques et ancestrales; dans le judaïsme, on a tendance à en refuser les aspects magiques et les fantasmes surhumains pour se limiter, en général, à la fonction du souve¬nir. Cela se manifeste déjà, par exemple, lorsque nous comparons l'ancien calendrier hébraïque au calendrier chrétien, si riche en concepts théolo¬giques et en personnalités miraculeuses.

On sait que selon la tradition juive, dans la ligne indiquée par la Bible (Dt 8,10), la vie du juif pieux est scandée de bénédictions par lesquelles il rend grâce à Dieu pour tout ce qui est bon; mais ces bénédictions ne s'adressent jamais aux choses elles-mêmes, qui restent inchangées. Ainsi, par exemple, quand la bénédiction adressée à « Dieu qui fait sortir le pain de la terre » est récitée par un seul des assistants, il est d'usage de partager en¬suite le pain entre tous les convives (Ac 27,35) pour signifier la communion de vie et de sentiments, mais non pas qu'on s'approprie un caractère acquis par le pain qui n'a pas même été béni.

La bénédiction des personnes, avec ses souhaits, n'est jamais en fait donnée par des hommes, mais demandée à Dieu, comme l'indique la formule de la bénédiction « sacerdotale », tant chez les chrétiens que chez les juifs. On peut voir clairement la différence d'orientation entre les autres bénédictions juives et les rites chrétiens: ainsi le rite pascal juif est tout imprégné d'un souvenir historique et d'un sens de la continuité du peuple, tandis que la liturgie de la Messe part du souvenir et de la répétition d'un repas et d'une fraction du pain pour s'élever à cette efficacité salvifique attribuée à la célébration du sacrifice du Christ. Bon nombre de théologiens de renom ont cependant exprimé l'opinion que les divergeances innombrables dans la manière d'interpréter l'Eucha¬ristie pourraient être éclairées si seulement on ap¬profondissait le sens des bénédictions juives.

Le Shabbat

L'observance du Shabbat imprime à la vie hu¬maine un rythme qui diffère de celui des cycles naturels. En ce jour, le juif fait mémoire de la création, se reconnaît créature, rappelle la toute-puissance et la transcendance divines en s'abste¬nant, dans une imitation très particulière de Dieu, de toute activité visant à s'approprier des ressour¬ces venant de l'extérieur.

Le Shabbat est un jour de paix entre l'homme et la nature, de l'homme avec lui-même et des hommes entre eux; il est une anticipation, autant que faire se peut, de « l'ère messianique ». Il célè¬bre aussi, en effet, et traduit en même temps dans la réalité, la liberté et la dignité de tous, l'abstention de tout travail devant être étendue à « ton servi¬teur et ton animal, afin qu'ils se reposent comme toi » (Dt 5,14). Cette idée d'un jour de repos n'a pas été acceptée par les chrétiens des premiers siècles, mais le shabbat a toujours été considéré par les juifs comme un don de Dieu, et on a pu dire de lui qu'il était le chef-d'oeuvre du judaïsme dans « l'art de vivre ».

On peut constater, en ce qui regarde le shab¬bat, l'absence de caractères sensibles spectacu¬laires; de là vient cette difficulté que l'on éprouve à le comprendre vraiment et, en même temps, ce charme qu'il exerce. Même s'il a été sujet à des interprétations erronées, comme celle de Tacite par exemple, qui parle à son sujet de « paresse », il ressort de maints témoignages que, dans le courant du dernier siècle av. J.C., il s'était répandu de plus en plus dans le monde méditerranéen. La halte sabbatique est devenue par la suite un signe oecuménique, si l'on peut dire, ayant été adopté par les musulmans et par les chrétiens, même s'il a été déplacé d'un jour et a acquis des caractères différents: chez les musulmans, il est essentielle¬ment un jour de prière; chez les chrétiens, il a pris une signification théologique au détriment d'une référence directe à la création; il est pratiquement respecté, mais partiellement seulement, chez bien des peuples dont la religion est éloignée de celle des juifs, cela sans doute en considération de ce qu'il permet d'imprimer au chaos des jours ce rythme simple et continu de travail et de repos, semblable au rythme cyclique de la physiologie ou de l'astronomie.

Les prophètes

Le prophète de la Bible n'est pas un homme exemplaire, ni un maître de la Thora; il est un homme qui s'est senti brutalement appelé, souvent contre sa volonté, à s'occuper des problèmes, même politiques, du moment; et cela toujours dans le cadre de la volonté divine qui dirige les hommes dans une voie commune pouvant seule leur obte¬nir la bienveillance céleste et qui consiste en ceci: agir avec justice, aimer la piété, marcher humble¬ment devant Dieu et, plutôt que le jeûner, briser les chaînes injustes. Il fait face à des problèmes occasionnels tout comme aux problèmes éternels: réconcilier les coeurs des fils avec les pères (MI 3,24), établir la justice entre les nations afin que
« l'une n'élève pas l'épée contre l'autre » et que
« des épées on puisse faire des socs » et que
« l'on n'apprenne plus l'art de la guerre » (Mi 4,3; Is 11,6).

Les prophètes sont considérés comme des in¬termédiaires entre Dieu et les hommes, mais cela seulement de par leur message; ils ne sont jamais devenus des intercesseurs à qui l'on adresse des prières, intercesseurs dont les juifs n'ont jamais senti le besoin.

L'ouïe et la vue

On sait que parmi tous les sens, de par son exceptionnelle finesse à percevoi les différences, la vue a une importance particulière pour le pro¬grès de la connaissance; de là vient aussi l'impor¬tance du souvenir des impressions visuelles et des « objets » qui en permettent le rappel synthétique précis, ce qui n'est pas possible, par exemple, dans le monde des sons. C'est sur la vue (outre le toucher) que se fondent les concepts élémentaires de la forme et du nombre; à mesure cependant que le développement de la connaissance oblige à for¬mer des concepts plus abstraits, le rappel de ces concepts par l'entremise de la parole prend plus d'importance. Un son fugitif ou un signe bref est capable d'évoquer n'importe quel concept dans toute sa pureté, même si ce n'est pas sans diffi¬culté et sans danger: de là le destin extraordinaire de la « parole ». Dieu crée le monde en parlant.
«II dit: que la lumière soit, et la lumière fut »; et le quatrième évangile débute par cette affirmation: « Au commencement était la Parole ».

Le souvenir visuel et sa concrétisation objective, un symbole visible, peuvent être déformants et fourvoyeurs quand il s'agit de concepts plus abs¬traits, en particulier de la notion du Dieu unique. A ce danger, les juifs ont toujours attaché une par¬ticulière importance: voir Dieu, c'est mourir (Ex 19,21; 20,19; 33,20); au Sinaï les signes lumineux sont rares et imprécis: « Vous avez entendu le son des paroles, mais vous n'avez vu aucune figure » (Dt 4,12). Dans bien d'autres cas aussi, ce qui se voit a toujours un caractère transitoire. Dans le christianisme, comme cela a été noté avec justesse, le Dieu audible est devenu visible: « Qui me voit, voit celui qui m'a envoyé » (Jn 12,45); « Le Christ est l'image du Dieu invisible » (Col 1,15); or, c'est justement cette vision dont les juifs ne ressentent pas le besoin et qu'ils trouvent même trompeuse, ce qui vaut à plus forte raison pour les images de l'image.
En se reportant aux considérations qui précè¬dent, on comprend que les juifs aient toujours pré¬féré les manifestations artistiques de caractère auditif à celles qui ont un caractère visuel, les premières étant soutenues par une réalité conti¬nue, un objet que l'on peut contempler, les autres suivant au contraire le fil du temps et dont seule la mémoire permet la synthèse.

On peut penser, contrairement à ce qui a été dit parfois, que cette préférence n'est pas une conséquence de la défense de faire des images, mais que l'une et l'autre sont à rattacher à une particularité unique, originale.

Le travail scientifique

En ce qui concerne le travail scientifique, on relève relativement peu de dispositions chez les juifs dans les domaines de la physique et de la chimie appliquée, de l'anatomie, de la chirurgie etc..., et de nettes dispositions au contraire pour les mathématiques, la physique théorique, la psy¬chologie, la physiologie, la psychiatrie, l'économie etc... Il nous semble que ces préférences peuvent être expliquées par les considérations ci-dessus. De façon générale, quand il s'agit du progrès des connaissances, on peut être enclin à conserver les lois acquises en essayant d'en développer le plus possible les applications; ou, au contraire, on peut être enclin à s'en détacher, pour leur substituer des lois et des concepts nouveaux lorsque c'est op¬portun; ces deux aptitudes ont autant d'importan¬ce et de valeur l'une que l'autre. Il me semble que les juifs ont été particulièrement actifs dans la deuxième direction; un examen historique de main¬tes oeuvres scientifiques, dont celles de Marx, Freud et Einstein, semble appuyer cette hypothèse. Pour le plus fameux de ces savants, Albert Eins¬tein, il est certain que c'est le fait d'avoir osé abandonner les concepts autonomes et absolus par lesquels on mesurait l'espace et le temps qui lui a permis de résoudre le problème de l'invariabilité de vitesse de la lumière, grâce à cette synthèse très originale qui s'est avérée par la suite extraor¬dinairement féconde.

L'autonomie et la tolérance

Fait certainement lié aux observations précé¬dentes, il semble que les juifs soient tolérants envers les diverses manifestations de la pensée, même religieuse, sauf bien entendu lorsqu'il s'agit des principes fondamentaux. Le fait qu'il n'existe pas, dans le juda.isme, d'organisation-mère et maî¬tresse, en est la conséquence et la preuve. Nous trouvons, dans le canon biblique, des manières di¬verses de se comporter, et parfois opposées.

Les Evangiles, du reste, témoignent de cette ouverture: à côté de l'adhésion des foules, ils no¬tent les critiques ou les commentaires plus ou moins hostiles de personnes ou de groupes; aucun indice, par contre, qu'on ait fait obstacle à ce que Jésus puisse parler partout librement, « honoré de tous », et cette règle est confirmée par l'exception de l'épisode de Nazareth (Lc 4,15-20), qui fait suite toutefois à une dure friction et non pas à un en¬seignement; cela devrait apparaître d'autant plus significatif, et en même temps providentiel, pour ceux qui attribuent aux paroles de Jésus une valeur suprême et novatrice.

La foi et l'acte

La Bible commence par le rappel d'un acte, et c'est par le souvenir d'un acte que commence le Décalogue; une quelconque affirmation de l'exis¬tence est jugée superflue. Le 4e Evangile, reflétant presqu'un siècle d'élaborations hellénistiques, com¬mence par l'affirmation de l'existence première du Logos.

Au pied du Sinaï, les Hébreux promettent de « faire » et « d'écouter ». Au coeur de la religion juive, nous trouvons la confiance en Dieu, la sancti¬fication du Nom, l'imitation de Dieu, l'accomplis¬sement des préceptes de justice et de miséricorde; les systèmes théologiques n'ont toujours eu que peu d'importance.

Les Évangiles synoptiques (Mt 22,36; Mc 12,34; Lc 10,25) témoignent de la parfaite entente entre Jésus et les maîtres de la Thora (les pharisiens) sur la valeur décisive de l'amour de Dieu et du prochain: « Fais cela et tu vivras » (Lc 10,28). Ni le Shema ni le Notre Père n'ont jamais séparé les juifs des chrétiens; ils les unissent plutôt dans le souhait commun exprimé dans le Pater comme dans le Kaddish 1: «Que ton règne vienne ». A cette espérance est venu s'ajouter, et même se subs¬tituer, l'espérance de pouvoir monter au ciel grâce aux mérites du Christ; et, au Pater, s'est ajouté le Credo. Déjà, cependant, il avait été annoncé que celui qui ne croirait pas serait condamné (Mc 16, 16), qu'il ne pourrait devenir fils de Dieu (Jn 1,12); bien mauvaise nouvelle pour beaucoup, inconci¬liable avec la religion juive, logique cependant pour qui voit dans le refus d'une foi donnée un aveugle¬ment diabolique (Jn 8,43-44).

La Thora contenait aussi, certes, des normes particulières que les juifs s'étaient engagés à observer, mais personne ne mettait en doute la persistance de sa validité, pas même lors de la rencontre à Jérusalem vers l'an 50. Si Paul avait dit alors que, du fait de la mort et de la résur¬rection de Jésus, la Thora avait perdu sa valeur, il aurait suscité, sinon un scandale, du moins de l'étonnement, particulièrement chez ceux qui, con¬trairement à lui, avaient écouté les paroles de Jésus; on discutait alors, au contraire, la question de savoir si l'on devait exiger des non-juifs l'accom¬plissement de la Thora et l'on conclut finalment par la négative (Ac 15). Ainsi se termina, provisoire¬ment, la première phase de la rupture. Ce ne fut que plus tard, quand il parla en grec dans les milieux hellénistiques, que Paul affirma l'antinomie entre « les oeuvres de la loi » et la foi, déclarant que la foi en Jésus Messie ressuscité était la con¬dition absolue du salut, que tous étaient libérés du joug de la Loi, que !a Thora, transformée en Nomos, en source de concupiscence, et donc de péché, était devenue « malédiction » (Ga 3,10). Il avait pourtant affirmé aussi: « Par la foi, privons-nous la Loi de sa valeur? Certes non! Nous la lui confirmons » (Rom 3,31).

On sait à quelles oppositions et à quels déchirements les théories subtiles et pleines de fougue de Paul ont donné lieu, et cela d'abord chez son contemporain, Jacques, dit le « frère du Seigneur », qui déclare « morte » une foi sans les oeuvres (Jc 2,17). Cependant, si foi et oeuvres sont mortes, chacune, l'une sans l'autre, cela signifierait qu'elles doivent aller de pair, ce qui aurait con¬firmé la valeur de la Thora et établi une distinction entre les chrétiens: il ne restait plus à Paul, dési¬reux d'éviter cela à tout prix, qu'à dire finalement que, tous étant libérés de la Loi, « tout leur est permis, mais tout ne convient pas, tout n'édifie pas » (1 Cor 10,23); pour le comportement à adop¬ter, il renvoyait ainsi à des critères pour une bonnepart personnels. Nous nous trouvons là devant une rupture, un fossé impossible à combler.

Facilité à changer et à s'adapter

Un caractère qui semble parfois pouvoir être attribué aux juifs, toujours bien entendu dans la ligne du général et du préférentiel, est cette faci¬lité qu'ils ont à changer dans le domaine de la connaissance, ou cette propension à cultiver simul¬tanément des disciplines diverses. Cet éparpille¬ment peut conduire à l'inefficacité, mais il peut aussi parfois faciliter la synthèse. En voici un exemple: la loi la plus générale de la physique, la conservation de l'énergie, a été formulée par un médecin, le juif Roberto Mayer.

On peut considérer comme un aspect de ce même caractère l'aptitude à s'immerger au sein de cultures très diverses au point de s'y assimiler, de s'en approprier les caractères les plus spécifiques. Les exemples en sont nombreux et bien connus. Rappelons seulement, parmi les plus connus, Hein¬rich Heine, et parmi les moins connus, Jacques Eberst (Offenbach) qui, s'inspirant de l'Opéra italien et du vaudeville parisien, créa un genre nouveau, l'opérette; il en écrivit une centaine, pro¬curant aux parisiens du second Empire des diver¬tissements qui allaient jusqu'à la frénésie. Dans le domaine du spectacle, citons encore le cas de Fritz Lang, metteur en scène des Nibelungen ainsi que d'autre films sur les mythes germaniques. Hitler en fut si enthousiasmé qu'après s'être emparé du pouvoir il fit appeler Lang par Goering, pour lui confier la direction du nouveau cinéma allemand, purgé des mystifications juives; le lendemain, l'ar¬tiste juif quittait l'Allemagne.

Cette faculté d'adaptation fut naturellement critiquée et jugée regrettable par les Nazis, qui y voyaient un danger pour la pureté de la culture germanique en même temps qu'un signe de man¬que de personnalité artistique (ce qu'avait déjà affirmé Richard Wagner), comme si aimer et com¬prendre les manifestations artistiques et culturel¬les d'un pays autre que le sien n'était pas un signe de richesse plutôt que d'incapacité.

 

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