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Étude sur la mission et le témoignage de l'Église
Tommaso Federici
Préface
Le présent essai sur « La mission et le témoignage de l'Église » a été présenté au Comité de liaison entre l'Église catholique et le judaïsme mondial, au cours de la sixième réunion, qui eut lieu à Venise, du 28 au 30 mars 1977. Il suit le programme de discussion établi en commun par les deux parties.
Il est d'usage dans chaque réunion de mener les discussions à partir d'un ou de plusieurs rapports non officiels, qui servent d'introduction au thème choisi en commun par les deux parties. En 1977, il revenait à la partie catholique de soumettre un texte à l'examen du Comité de liaison. L'essai que nous publions ici a été rédigé par M. Tommaso Federici, consulteur de la Commission romaine pour les relations religieuses avec le judaïsme. Après avoir soumis cet essai aux membres de cette Commission, l'auteur avait reçu d'eux des observations, dont il a tenu compte pour la rédaction finale qui fut présentée à la réunion de Venise. Mgr Pietro Rossano, secrétaire du Secrétariat pour les non-chrétiens et consulteur de la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme, a apporté une collaboration très appréciée à la rédaction de la troisième partie de cet essai.
L'auteur considère comme non authentique et par conséquent non autorisée toute autre version du présent essai qui aurait été déjà diffusée, sous forme de publication complète ou partielle, dans la presse quotidienne ou périodique, en quelque langue que ce soit.
Introduction
A. LE RENOUVEAU ACTUEL DANS L'ÉGLISE CATHOLIQUE
1. Nul n'ignore que l'Église catholique est entrée dans un mouvement irréversible de profond renouveau.
Ce moment de l'histoire a ses origines dans plusieurs facteurs, parmi lesquels on reconnaît un rôle providentiel à ce qu'on appelle « les mouvements modernes de renouveau ». On peut ainsi parler d'un véritable début de « retour aux sources ».
2. Parmi ces mouvements, il faut mentionner principalement: a) D'abord et avant tout, le mouvement biblique qui remet en valeur l'étude de l'Écriture, fondement de la vie et de l'action de l'Église dans le monde. b) En second lieu, le mouvement liturgique qui souligne que ce que vit la communauté de foi est l'« histoire biblique du salut ». Il met au centre le culte du Dieu unique, à la fois « mémorial » et action de grâce à propos de toutes les oeuvres merveilleuses réalisées par Lui, culte de louange et de glorification rendu à Dieu en tant que tel. c) Le mouvement patristique, qui fait retrouver la manière vitale, globale et pastorale dont les Pères de l'Église nourrissaient le peuple sans cesse de l'Écriture dans la liturgie communautaire et dans la vie. d) Le mouvement pastoral, qui se préoccupe de l'étude et de l'action en vue d'assurer la vie des communautés. e) Le mouvement catéchétique, qui vise particulièrement le contenu et la technique de l'enseignement permanent de l'Église, sur la base nécessaire de l'Écriture. f) Le mouvement missionnaire qui relance l'action évangélisatrice de l'Église parmi les peuples et les cultures de la terre, en s'appuyant sur une étude minutieuse des multiples questions connexes. g) Le mouvement spirituel qui approfondit et diffuse les contenus bibliques et vitaux de la foi vécue. h) Le mouvement oecuménique qui découvre les facteurs des divisions millénaires au milieu des groupes chrétiens. Il en étudie les causes et les remèdes, s'avance sur la route difficile de l'unité retrouvée, et fait redécouvrir qu'il n'y a pas d'oecuménisme sans renouveau réel et continu (Unitatis Redintegratio, n. 6-8). i) Le dialogue avec les religions et les idéologies occasionnelles, qui appelle les chrétiens à écouter les interrogations profondes des hommes de notre temps, à leur offrir l'expérience propre d'hommes et de croyants pour construire la « société de l'amour », illuminée par la « lumière de Dieu ». j) Il existe aussi un sens renouvelé de l'histoire, lue à la lumière de l'Écriture, qui permet aujourd'hui d'approfondir les origines et les vicissitudes de l'Église, son insertion dans le monde parmi les peuples et les cultures, le dessein biblique du salut et son actualisation à travers les événements relatifs aux hommes de tous les temps.
3. Le concile oecuménique Vatican II (1962-1965), par le fait qu'il a réussi à se trouver à l'heureux confluent de ces mouvements et d'autres complémentaires — inaugurés et poursuivis par des pionniers avec un succès toujours plus grand — a sanctionné les intuitions, les désirs, les études, les efforts des décennies passées. Il en a analysé et synthétisé les résultats provisoires et finalement il a donné un nouvel élan à tout ce qu'ils contenaient d'essentiel et de vital.
Pour sa part, le Concile, sollicité par les requêtes urgentes du renouveau, a fait un effort pondéré pour repenser et approfondir toute la vie de l'Église catholique, dans sa substance selon la mesure où cette vie se développe dans le monde au milieu des hommes et des cultures dans l'évolution de l'histoire concrète. Cela est consigné dans les seize documents officiels du Concile, qui doivent constituer le fondement de la pastorale de l'Église.
4. Il s'agit d'une base qui cependant n'est pas fermée, ainsi que l'ont déjà montré les nombreux « documents d'application ». Ces « documents » ont précisé plusieurs points urgents des documents conciliaires ou ont abordé des questions nouvelles du fait d'événements récents: ils prennent des dispositions pour que se réalise dans la plénitude et la cohérence souhaitable le projet du Concile oecuménique. Il y a aussi le magistère des papes qui ont dirigé les travaux du concile Vatican II et qui en orientent l'application, magistère où se révèle une irréversible volonté de renouveau. Ainsi, après plus de dix ans que le Concile est clos, on peut enregistrer les phases, non seulement de son exécution, mais encore des progrès réels acquis jusqu'ici. En même temps on mesure tout ce qui reste à faire soit dans le proche avenir, soit dans les générations futures.
5. Il s'agit donc d'acquisitions et de réacquisitions réelles et irréversibles, fruits de l'oeuvre pacifique de l'Église catholique en son sein et dans ses relations avec les autres Églises ou avec d'autres religions de la terre, en particulier avec le judaïsme, ou en général avec d'autres groupes humains.
6. Il ne faut pas se dissimuler que cette oeuvre, qui mérite la confiance, doit s'effectuer progressivement, sous la direction du pape et des évêques. Elle connaît de nombreuses difficultés aussi bien d'ordre interne que d'ordre externe, et cependant, forte de son espérance et de sa confiance en la volonté divine, sa marche est irréversible.
B. LE RETOUR AUX SOURCES BIBLIQUES
La phase actuelle de renouveau dans l'Église catholique est marquée par un retour aux sources bibliques. Ce retour aux sources doit se préciser et devenir toujours plus universel et quotidien.
1. Ce retour aux sources des chrétiens a commencé par l'oeuvre de pionniers, protestants d'abord, catholiques ensuite, puis il s'est amplifié, grâce à l'appui officiel de l'Église catholique, par la fondation d'Instituts spécialisés pour la formation biblique au niveau supérieur. Un aspect particulier de ce retour aux sources vient de l'actuelle réforme liturgique. Celle-ci a obligé et oblige à étudier sans cesse les origines bibliques et hébraïques de la liturgie chrétienne; d'autre part elle a remis en vigueur le principe inestimable de la lecture continue de l'ancien Testament qui se trouve dans le nouveau Lectionnaire romain de la messe et des autres célébrations. Le retour aux sources conduit ainsi à retrouver la dimension historique vivante du culte rendu au Dieu unique et du salut des hommes qui en est le fruit. En outre, il a donné lieu à de nombreux documents pontificaux qui sont tout un programme, les textes conciliaires (en particulier la Constitution sur la Sainte Liturgie et la Constitution sur la Révélation divine) et leurs textes d'application visent à ce que ce retour aux sources s'impose de façon générale en extension et en profondeur.
2. L'étude et le contact continuel avec les sources ont peu à peu intensifié le mouvement de redécouverte de la Révélation consignée dans l'Écriture comme « histoire sainte », c'est-à-dire comme histoire du salut divin toujours à l'oeuvre au milieu des hommes, comme dessein divin du salut universel dans le monde et dans l'aventure complexe des hommes et des peuples de la terre. Ce dessein se réalise, à titre d'exemple, dans un peuple historique, Israël. C'est à partir de lui qu'il s'étend et se diffuse dans l'univers.
On comprend ainsi toujours mieux la valeur salvifique définitive de la Parole de Dieu, qui, livrée aux Pères comme promesse exemplaire, irréversible et fidèle (cf. Gn. 12, 1-3, dans l'exemple-type d'Abraham), a été proclamée continuellement au peuple, dans le culte, afin d'être vécue dans la vie. Elle a été confirmée aux prophètes; en elle-même, elle « demeure éternellement » (Is. 40, 8). On comprend mieux aussi l'appel urgent adressé par le Christ à ses disciples de tous les temps, quand il enseigne personnellement et quand, presque dès le début, il invite ses disciples à scruter les Écritures (cf. par ex. Lc. 24, 25-27 et 44-47). (Ces versets sont repris par Dei Verbum, n. 14-17 consacrés à « L'ancien Testament dans la vie de l'Église d'aujourd'hui »). A cette époque, ces Écritures étaient l'ancien Testament reçu dans sa valeur permanente et devant inspirer toute la vie. C'est pourquoi, quand l'apôtre Paul veut établir le fondement historique de cet événement que fut la mort de Jésus Christ, il déclare sans hésiter que cette mort est « selon les Écritures » (I Co. 15, 3), de même qu'il déclara que la résurrection du Christ est « selon les Écritures » (v. 4), lesquelles comprenaient, à cette époque, le seul ancien Testament. Ainsi se posaient déjà et continuent à se poser de graves problèmes d'interprétation, de confrontation et d'actualisation: ce qui nous fait comprendre le pressant appel du concile Vatican II pour que l'Église entière s'évangélise elle-même avant tout par la Parole. (Cf. à ce sujet en particulier Sacrosanctum Concilium et Dei Verbum). De l'étude et de l'approfondissement de l'Écriture découle la veine pascale qui traverse l'histoire du salut de telle sorte que, tandis que l'Église se reconnaît « en pèlerinage sur la terre » (Cf. par ex. Sacrosanctum Concilium, n. 2; Lumen Gentium, n. 48, 68; Dei Verbum, n. 7; Unitatis Redintegratio, n. 2, 6; Ad Gentes, n. 2; Christus Dominus, n. 15), c'est-à-dire tandis qu'elle effectue son « exode pascal », elle se renouvelle et s'imprègne toujours plus, dans sa prière et dans son action, de la dimension pascale de l'existence.
De la sorte, quand nous regardons avec plus d'exactitude la vie de la foi, nous voyons que cette vie est la prolongation de l'événement pascal, elle en est le « mémorial » permanent, accompli en rendant au Seigneur bénédiction, action de grâce et louange permanente. C'est pourquoi des voix autorisées ont affirmé avec raison que la plus grande redécouverte chrétienne de notre temps est celle de la Pâque. Ainsi la vie des chrétiens sera àl'avenir toujours davantage caractérisée et marquée par une spiritualité nettement pascale. Dans les documents officiels eux-mêmes (c'est là une donnée à remarquer) la pensée de l'Église dans les différentes questions qu'elle aborde ne cesse de s'appuyer toujours plus fréquemment sur des citations bibliques plus nombreuses et plus topiques.
3. Dans un espace de temps relativement bref, mais surtout à partir du concile Vatican II, la mentalité, au sein de l'Église catholique, sur toutes ces questions, a progressé, tant chez les pasteurs que chez les fidèles, mais avec des retards pourtant et non sans résistances. Désormais on ne peut plus ignorer ce fait dans la pastorale de l'Église; on ne peut plus pratiquer une lecture « fermée » et donc réductive; les relations internes et externes de l'Église doivent désormais se baser sur des analyses inductives et objectives plus complètes, qui tiennent compte des situations et des autres hommes, de leurs exigences et de leurs rapports réciproques. C'est là faire preuve d'une adhésion plus grande à la volonté divine qui s'exprime dans la Révélation biblique adressée aux hommes dans la trame de l'histoire, dans la vie du peuple que Dieu s'est choisi.
4. Cela laisse facilement prévoir que, dans un avenir assez proche, les relations de l'Église catholique avec les autres groupes humains, culturels et religieux sont destinées à entrer dans une phase meilleure, plus ouverte, et que le résultat en sera un jour manifeste.
5. L'expérience oecuménique ancienne et récente est très utile pour tout ce que nous avons dit, parce qu'elle a enseigné et mis au point une méthode nouvelle pour analyser les réalités et les rapports qui en sont les conséquences.
6. Cette introduction a été rédigée afin que le thème de cette étude apparaisse dans la plénitude inaltérable de la foi catholique.
I. L'ordre biblique de la mission aux nations
L'Église catholique affirme que le fondement de sa mission dans le monde, dans l'histoire, parmi les nations de la terre, à travers les cultures, relève exclusivement d'un ordre divin révélé et doit exclure tout motif humain de pouvoir, de prééminence, de conquête: au contraire, elle revendique sa mission comme un service du Dieu unique et comme un service fraternel à l'égard des peuples de la terre.
C'est là un commandement exprimé dans l'un et l'autre Testament. L'Église se sait convoquée et appelée de façon directe et continuelle par l'ancien Testament tout autant que par le nouveau Testament. Avec l'ancien Testament, elle se reconnaît ainsi une parenté propre, non pas pour ainsi dire accidentelle et lointaine, et le principe d'interprétation de l'ancien Testament trouve pour elle son accomplissement dans le nouveau. Aussi l'Église a-t-elle sans cesse affirmé son lien avec le peuple juif.
A. LE PRÉCEPTE SPÉCIFIQUE DE LA MISSION
1. L'Église reçoit profondément comme sien le grand précepte adressé dans l'ancien Testament au peuple juif de faire connaître en tout temps le nom du Dieu unique parmi toutes les nations de la terre. (Cf. infra p. 51). Le Seigneur Dieu, dans sa majesté infinie et dans sa bonté, a manifesté son seul et vrai nom, le seul nom authentique (Ex. 3, 15), le seul nom adorable, qu'il faut invoquer avec crainte, avec foi mais aussi avec amour (Ex. 23, 13). C'est en vertu de ce nom que le peuple qu'Il s'est choisi a été mis à part de tous les autres peuples pour l'invocation du Nom, invocation qui est gloire rendue (doxologique), mémorial (anamnétique), supplication (épiclétique) et intercession. C'est un nom « terrible » (Dt. 28, 5), éternel (Ps. 135, 13), très-saint (Ps. 99, 3, 5, 9), sanctifié (Is. 28, 23), loué, béni et invoqué (Ps. 7, 18), aimé (Ps. 5,12). Invoquer (mais non en vain: Ex. 20, 7; Dt. 5, 11) le nom divin signifie obtenir le salut (Ji. 3, 5).
2. C'est pourquoi le peuple que Dieu s'est choisi en vue d'accomplir ses desseins de bonté a pour mission d'inviter les nations, par la seule grâce du Dieu unique, « à invoquer toutes ensemble le nom du Seigneur et à le servir d'un commun accord » (So. 3, 9). Cette ouverture universelle résonne dans l'ancien Testament, dans la Torah de Moïse (par exemple dans « l'alliance de fraternité » en Abraham le Père commun, Gn. 12, 1-3), dans le Prophètes (cf. par exemple Is. 2, 1-5; 10, 33; 11, 10; 19; 25, 6-12; 49, 1-6; 56, 1-8; 60; 66, 7-23; Jr. 16, 19-21; Jon. et autres) et dans les livres sapientiaux et les Psaumes.
3. Le Seigneur a averti son peuple, par des paroles prophétiques sévères et nettes, qu'Il ne saurait laisser « blasphémer son nom » parmi les nations (cf. par exemple Ez. 36, 16-32; de même, dans le nouveau Testament, Jésus, par exemple en Lc. 6, 17-49; Paul, par exemple dans Rm. 2, 24, qui cite Is. 52, 5; I Tm. 6, 1; Tt 2, 5; Pierre, I P. 4, 4 et Jacques, Jc. 2, 7).
4. C'est pourquoi la mission du peuple de Dieu, pendant toute durée du temps, sera toujours de « sanctifier le Nom » (qiddush ha-Shem) dans le monde parmi les nations (Ex. 9, 16; Is. 29, 23; cf. Nb. 20, 12; Is. 8, 13; Ez. 20, 41; 28, 22-25; 36, 23; 38, 16-23; Ml. 1, 11-14).
5. Dans le nouveau Testament, la confession de la personne du Christ comme Seigneur et Dieu (Jn. 20, 29) ne peut se comprendre que dans la ligne prophétique de l'ancien Testament et constitue par ailleurs une nouveauté, en vertu de quoi elle devient le centre et la source de toute l'économie divine, chargée de conséquences historiques et spirituelles. Jésus lui-même, selon l'héritage de l'ancien Testament, nous a transmis le précepte de « sanctifier le Nom ». Ce précepte s'accomplit en premier lieu dans la prière dominicale ou « Notre Père », qu'il a enseignée à ses disciples (Mt. 6, 9; Lc. 11, 2; cf. le parallèle synagogal du Qaddish liturgique). Ce précepte a été expliqué dans la suite par les écrits apostolique (ainsi par exemple Hb. 13, 15; cf. aussi Rm. 9, 17, dans le contexte difficile du « mystère d'Israël » et en citant Ex. 9, 16; cf. des textes comme Ep. 3). A ses disciples de tous les temps, le Christ a fait connaître de façon nouvelle la plénitude du nom de Dieu, qui est « le Dieu et Père de Notre Seigneur Jésus Christ », objet ineffable et redoutable de l'adoration d'amour (cf. par ex. Jn. 17 et les « incipit » des épîtres pauliniennes).
6. La personne de Jésus Christ, notre Seigneur et notre Maître, et l'enseignement qui dérive de son magistère, ainsi que celui des apôtres, engagent les chrétiens de tous les temps à se situer eux-mêmes dans la lignée historique et prophétique de l'alliance biblique. Ils s'y trouvent insérés selon une perspective supra-nationale, comme « race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple que Dieu s'est acquis pour proclamer ses merveilles » (I P. 2, 9, qui relit Ex. 19, 5-6 avec ses parallèles vétéro-testamentaires).
7. Avant et après sa résurrection, Jésus a ordonné à ses disciples fidèles de poursuivre ce qui avait été sa mission propre: annoncer le nom de Dieu qui est Père ainsi que toutes les réalités salutaires qui en découlent comme d'une source féconde, unique: sa justice et sa miséricorde, son règne de salut, manifestation de son amour (hessed), la fraternité entre tous les hommes, le retour à la Maison du Père commun en esprit de conversion du coeur (teshuvah, en grec épistrophè; ou bien noham, en grec metanoia), en recevant un présent ininterrompu de grâce divine, selon la promesse faite aux Pères (cf. Mc. 1, 14-15; Mt. 28, 16-20; Mc. 16, 15-20; Ac. 1, 8 et autres textes).
C'est pour cela que le Seigneur donne son Esprit (cf. Lc. 24, 49; Ac. 2, 1-11; Jn. 20, 22-23).
8. Sur la base des textes néo-testamentaires analysés selon la méthode moderne, on peut affirmer que l'attitude missionnaire primitive fut fondée sur le fait que le Christ lui-même et en conséquence les Apôtres avec lui, dans la conscience d'appartenir à leur peuple, l'unique peuple de Dieu, ont voulu au début engager et associer Israël dans la mission universelle de salut auprès des nations. Celle-ci était conçue avec force comme une mission unique dans le plan de Dieu. L'Église n'a jamais voulu travailler seule. Voilà pourquoi le Apôtres s'adressèrent d'abord à la maison d'Israël (Mt. 9, 35 - 11, 1 qui traite du ministère messianique de Jésus et constitue le « discours de mission » adressé aux Apôtres, cf. spécialement les versets 10, 5-10; voir en outre Ac. 2, 1340; 3, 16-26; 7, 1-53; 13, 14-41 et 44-47; 18, 4-9; 22, 1-21; 28, 17-28, et autres). C'est seulement après avoir adressé cette parole à la maison d'Israël, que les Apôtres se tournèrent vers les nations païennes jusque-là étrangères à l'alliance avec les Pères, ceci en vertu du renouvellement opéré par le Christ (cf. Mt. 28, 16-20; Ac.10, 34-48; 13, 46-52; 14, 15-17; 17, 16-37; 19; 20; 26, 1-23; 28, 30-31).
9. Quand l'expérience missionnaire néo-testamentaire fut mieux connue, celle de Paul a permis d'approfondir le difficile problème des relations entre la nouvelle communauté de fidèles: l'Église, et l'Israël historique. Ce problème s'est tout de suite posé en termes dramatiques. Exposé dans le texte fondamental de Rm. 9, 1-11, 36 (lequel doit être relu dans le contexte global d'autres textes nombreux du nouveau Testament), il n'a pas été suffisamment exploré dans ses promesses, dans sa réalité palpitante, dans ses suites ultimes. Le texte paulinien, pour qui en fait une recherche renouvelée, permet de conclure, avec respect et prudence à l'égard d'approfondissements et d'acquisitions ultérieurs, que la mission de l'Église à l'égard d'Israël consiste plutôt en une vie chrétienne vécue dans la fidélité totale au Dieu unique et à sa Parole révélée, afin que naisse entre juifs et chrétiens une salutaire émulation (cf., par ex. Rm. 11, 11-14). C'est en cela que consiste le salut universel des juifs et des nations.
En substance, Paul avertit ses Églises que les juifs, en vertu de l'élection divine irréversible certifiée par la Parole de Dieu, fidèle et vivante, adressée aux Pères (cf. Rm. 9, 4-5), sont les « bien-aimés » de Dieu (Rm. 11, 28), parce que - au contraire des hommes toujours pécheurs - Dieu demeure inaltérablement « fidèle » à lui-même et, en conséquence, à l'égard d'Israël et que « les dons et l'appel de Dieu sont sans repentance » (Rm. 11, 29). C'est pour cela que l'Église, toujours et aujourd'hui encore où se fait jour l'émergence de plusieurs principes et orientations de recherches, a compris et comprend, à l'égard des juifs, plusieurs réalités: le respect à l'endroit de sa mission, le désir de reconnaître qu'il existe des formes communes de témoignage du nom de Dieu dans le monde, en particulier dans le monde moderne, au moment où se perd tout sens du divin et du transcendant. Mais, à d'autres époques, la volonté a existé pendant longtemps de convertir Israël en masse. Aujourd'hui, l'Église a acquis une conscience renouvelée, de ce que le peuple que Dieu s'est choisi demeure, en tout état de cause, « le peuple de la louange divine ». (Cf. par ex. Ad Gentes 2, sur la mission aux peuples non chrétiens).
10. Il faut exprimer ici la conviction, affirmée en de nombreux contextes (cf. Lumen Gentium, n. 16; Dei Verbum, n. 14-16; Nostra Aetate, n. 4; Orientations et suggestions pour l'application de la déclaration conciliaire « Nostra Aetate » n. 4, surtout III), et toujours mieux étudiée par divers courants au sein de l'Église, selon laquelle aucune source chrétienne inspirée n'autorise à penser que l'alliance du Seigneur avec son peuple Israël ait été abrogée et pour ainsi dire rendue caduque
(cf. supra, p. 46 B 2). Ceci reste vrai, même si les événements de la Pâque et de la Pentecôte chrétiennes, tels qu'on les saisit par exemple à travers la puissante vision de Luc, ont donné à l'Église (qui pour Luc est toujours Israël) la conscience profonde de constituer la réalisation initiale, mais réelle selon le plan de Dieu, des promesses messianiques d'Israël.
B. LA MISSION À L'ÉGARD DES NATIONS ET DES CULTURES DANS L'HISTOIRE
1. L'Église a obéi à l'ordre absolu donné par son Seigneur à son peuple d'annoncer le nom du Dieu unique au monde et aux nations, jusqu'à aujourd'hui. Il s'agit d'un immense effort bimillénaire, lequel, nonobstant toutes les vicissitudes humaines contraires, n'a jamais été, pour l'essentiel, interrompu.
L'exhortation pontificale de Paul VI, du 8 décembre 1975, retrace aujourd'hui avec clarté les conditions de toujours de la mission de l'Église à partir de Jésus Christ Seigneur pour sa nécessaire actualisation aujourd'hui dans le monde.
2. L'Église a toujours annoncé au monde le Dieu qu'elle prie, le Dieu d'Israël, le « Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob », qui était le Dieu de Moïse (Ex. 3, 6; texte cité dans la bouche de Jésus, Mc. 12, 26-27 et parallèles); le Dieu de David, le Dieu du Serviteur souffrant, et qui est le Dieu de Jésus-Christ. Il est le Seigneur caché, le Seigneur d'Israël, le Sauveur (Is. 45- 15). Il est le Seigneur créateur, provident, père, « bon et miséricordieux » (Ex. 34, 5-8; Ps. 103, 8), « qui donne la nourriture à toute créature - parce que sa bonté dure éternellement » (Ps. 136, 25). (Ce psaume constitue le grand Hallel pascal), qui maintient la promesse faite aux Pères (Ps. 105, 42-45; 106, 45-47) dans un continuel « mémorial » divin, qui rend toujours actuelle cette promesse faite à son peuple et qui l'a étendue aux nations. Mais Il l'actualise particulièrement et la répand en Jésus Christ serviteur, pauvre, humble et doux (Ac. 10, 3443; 13, 16-41).
3. L'Église, au cours de siècles, a mené de nombreuses nations, des royaumes et des cultures à la foi et à l'amour envers le Seigneur, le Dieu unique et vivant, mettant toujours en lumière qu'Il a agi et agit au moyen de faits grands et redoutables dans l'histoire de son peuple, « par des actions efficaces et par ses paroles » (Dei V erbum, n. 2). Elle met en lumière que le Seigneur a aussi agi et agit encore éventuellement dans l'histoire des nations de la terre, dans le temps de l'ancien et du nouveau Testament et au cours des événements mondiaux, selon sa sagesse insondable. Il s'agit de façon générale d'actions efficaces de bonté et de miséricorde, de pardon et d'appel, afin de sauver ce qui était perdu et de conduire au règne messianique ce que Dieu a sauvé; il s'agit par conséquent aussi d'avertissements sévères, mais équitables, pour rappeler à la nécessaire conversion du coeur. Et l'Église aurait agi dans le monde avec plus d'ampleur, si des obstacles historiques divers et répétés, en particulier en Orient, et plus encore des schismes irréparables, des attitudes non dépourvues d'ambiguïté, des compromis, des erreurs de mise au point, des intempérances, des cruautés, n'avaient presque toujours ralenti son action et souvent anéanti tout à fait le souci et l'effort missionnaires, produisant des infidélités visibles à l'authentique manière d'annoncer le nom de Dieu.
4. On peut affirmer que, sans aucune tentation triomphaliste, mais seulement dans la conscience de sa mission propre, l'Église médite sur le mystère révélé mais ineffable de la Bonté divine: la force de ce mystère dans les siècles a non seulement amené de nombreuses nations à adorer et à sanctifier le Nom, mais a fait au moins connaître ce nom au monde entier. La substance du message biblique — dont le centre est dans le Christ Fils de Dieu, Fils de l'homme, mort et ressuscité par amour, message de justice, de bonté, d'humanité, de sagesse, de liberté, d'égalité, de fraternité, de paix intérieure, d'aspiration à la plénitude du développement de tous les hommes et de toutes les sociétés humaines — est devenue un patrimoine commun et universel, ce dont souvent beaucoup de cultures ou d'individus ne se rendent cependant pas compte.
5. Dans cette mission ininterrompue, au milieu de difficultés insurmontables, a été présentée aux hommes une vie difficile mais digne de confiance qui, dans l'annonce salvifique de la mort et de la résurrection du Christ, porte tous les frères, unis entre eux par une solidarité commune, vers l'unique Dieu et Seigneur, pour l'aimer, le reconnaître, lui rendre grâce, l'adorer. Et cette foi salvifique et dynamique a marqué et marque la libération plénière de l'homme avec des effets réels dans le champ aussi des relations sociales. Cela est réaffirmé encore par la récente exhortation apostolique de Paul VI Evangelii Nuntiandi, du 8 décembre 1975, qui est comme la « somme » de l'action missionnaire et du témoignage de l'Église catholique aujourd'hui dans le monde.
6. On peut encore affirmer que l'Église n'ignore pas non plus que, selon la totalité du plan divin révélé, Israël effectue une oeuvre importante, fondamentale, dont la raison d'être est la « sanctification du Nom » dans le monde.
7. L'Église sait avec certitude que l'honneur du Nom divin est conditionné par le salut du peuple juif, noyau originel du plan divin de salut.
8. Par sa fidélité à Jésus Christ Seigneur, à laquelle elle ne peut jamais faillir, l'Église doit proclamer au monde que le Christ, par sa vie, sa parole, ses oeuvres, sa mort et sa résurrection, n'a pas fait disparaître le plan divin, mais qu'au contraire, Il se présente, dans son humilité et sa douceur pauvre et servante, comme la synthèse vivante et efficace de la promesse divine pour donner aux hommes l'Esprit de Dieu.
C. LA VIE CHRÉTIENNE COMME TÉMOIGNAGE
1. Aujourd'hui dans l'Église catholique on perçoit mieux, contre toute tentation contraire, que la mission reçue de son Seigneur et Maître est avant tout vie vécue dans la fidélité à Dieu et aux hommes: elle est unité dans l'amour, elle est respect à l'égard de tous les frères, elle est service sans exclusion de personnes, elle est sacrifice, elle est bonté, comme il ressort de l'annonce biblique, confirmée par le Maître le soir même où Il acceptait de mourir pour tous les hommes (cf. Jn. 13, 1 - 17, 26).
2. Par le fait se trouve désavouée sévèrement et rejetée une manière inauthentique d'accomplir la mission qui n'exigerait pas de celui qui annonce aux hommes le Seigneur et son règne de vivre en conformité avec son message et son témoignage (cf. la sévère semonce de Paul en I Co. 9, 27). Une telle attitude conduirait à omettre de demander pardon au Père commun et aux hommes, chaque fois que l'on a pu faire du mal et nuire au prochain.
3. Il semble que le moment actuel, où se réaffirment en différents contextes chrétiens, sous une forme collective ou personnelle, une fidélité accrue au Seigneur et à sa parole révélée, une conscience plus aiguë de l'être et de l'agir dans le monde, où un renouveau est souhaité, fasse mieux comprendre aujourd'hui aux chrétiens la nécessité fondamentale de la vie vécue en plénitude.
4. Avec une égale conscience, il faut aujourd'hui informer tous les chrétiens et leur rappeler continuellement que précisément les juifs fidèles, qui « sanctifient le Nom » dans le monde en vivant dans la justice et la sainteté, en faisant fructifier ainsi les dons divins, sont un témoignage réel dans le monde de la vocation du peuple juif. C'est pourquoi il faut signaler la recherche qui se développe en profondeur aujourd'hui au sein de l'Église touchant la permanence du peuple juif selon le dessein de Dieu (cf. supra p. 51 n. 7, les textes conciliaires).
D. LE TÉMOIGNAGE COMME NÉCESSITÉ VITALE
1. A partir du plan divin de salut, contemplé avec les yeux de la foi et de l'amour et dans l'adoration de la sagesse et de la majesté divines insondables, l'Église prend conscience, avec la même angoisse qu'aux premiers temps (cf. I Co. 9, 16: « Malheur à moi si je n'annonce pas l'Évangile! »), de la nécessité absolue, constitutive, de sa mission dans le monde et parmi les nations, qui, jamais défaillante, a été réaffirmée nettement par le Concile Vatican II (cf. par ex. Lumen Gentium, Ad Gentes, Christus Dominus, Dei Verbum, Gaudium et Spes ainsi que d'autres textes tels que Evangelii Nuntiandi, par ex. n. 21, 26, 41, 76).
2. La mission de l'Église porte d'abord sur l'annonce messianique adressée à tous ceux qui n'ont pas encore reçu la parole divine de salut, ou à tous ceux qui ne lui ont malheureusement pas encore répondu pour différentes raisons, enfin à tant d'hommes qui, l'ayant reçue, ne la vivent pas vraiment et en arrivent à la mépriser et à la combattre. Mais il doit être clair que l'Église adresse cette annonce d'abord à elle-même, comme on l'a souligné souvent; elle annonce des réalités qu'elle doit vivre et qu'elle porte ensuite aux autres (cf. supra, p. 51, B 2; cf. Evangelii Nuntiandi, n. 15), afin que sa mission ne soit pas démentie par les faits.
3. La mission de l'Église, il ne faut pas se le dissimuler, bien que dérivée de la volonté divine, dotée de la grâce divine et guidée par elle, est accomplie par des hommes: elle ne sera donc jamais parfaite en raison du comportement éventuel des chrétiens, de leurs erreurs de jugement sur les faits, sur les hommes, sur les méthodes, en raison des actions posées au cours de siècles, qui manifestement ne répondaient pas à sa mission; en raison de leurs trahisons à la mission d'origine, de leur vision intéressée de la mission, du manque de respect pour les interlocuteurs, pour les cultures, de la négligence à repérer les valeurs portées par les autres religions (cf. supra, pp. 51-52, B, 3).
4. Le concile Vatican II a aussi examiné explicitement ces faits, il a reconnu les défaillances et les insuffisances, il a rejeté ce qui ne répondait pas à la mission biblique originelle, il a indiqué des méthodes et des comportements nouveaux et plus adaptés à la situation réelle de l'Église et des hommes d'aujourd'hui. Il a ensuite exprimé plusieurs fois, en particulier dans la déclaration Nostra Aetate, son estime consciente pour les valeurs des autres religions et l'urgence de les connaître et de dialoguer avec elles (cf. supra, p. 59).
II. Rejet d'un faux prosélytisme
A. LE FAUX PROSÉLYTISME
Pendant et après la dernière guerre, et ensuite lors de l'expérience conciliaire, beaucoup de chrétiens ont clairement compris que deux mille ans d'incompréhension, de mépris et de persécutions morales, spirituelles et même physiques, suivis de l'attentat à l'existence même du peuple juif en tant que tel et parce que tel, selon un plan satanique voulu et étudié — dans lequel les chrétiens ont leurs responsabilités qui ne peuvent être dissimulées —, ont créé l'urgence d'une réflexion à nouveaux frais non seulement sur la destinée, la permanence et la mission du peuple juif, mais sur l'anthropologie générale elle-même. Les contacts précédents avec les juifs et ceux qui ont lieu maintenant dans un climat renouvelé ainsi que les possibilités qui se sont fait jour de collaborer avec eux dans le domaine social ouvrent des perspectives nouvelles qu'on ne saurait négliger.
2. Le 28 octobre 1965, le concile Vatican II a promulgué la déclaration Nostra Aetate sur les rapports de l'Église catholique avec les religions non chrétiennes, qui réserve aux rapports avec les juifs tout le n° 4. Premier document de ce genre, le texte est de grande importance; son contenu, une fois ratifié définitivement, s'est par la suite révélé perfectible et a suscité un mouvement irréversible.
3. Le 1er décembre 1974, la Commission pour les relations religieuses avec le judaïsme publiait son premier document, comme mise en pratique de Nostra Aetate n° 4, sous le titre Orientations et suggestions pour l'application de la déclaration conciliaire Nostra Aetate n° 4. Après une introduction, ce document s'articule autour des points suivants: le dialogue, la liturgie, l'enseignement et l'éducation, l'action sociale et commune. C'est à ce document que nous renvoyons ici, de même qu'à Nostra Aetate n° 4, en un seul contexte global.
Avec ces textes, l'intention est donc d'ouvrir une phase nouvelle dans les rapports et dans l'action à l'égard des juifs, en vue surtout de dissiper, dans les limites de ce qui est possible aujourd'hui, les malentendus nombreux et tenaces qui subsistent dans ce domaine.
4. On voudrait donner ici en quelques points une présentation de la difficile question du prosélytisme qui a aliéné et aliène les esprits.
5. Déjà cependant, en mai 1970, le Groupe mixte de travail entre l'Église catholique romaine et le Conseil oecuménique des Églises avait publié le troisième rapport officiel, avec deux annexes: « 1 - Rapport sur l'activité du Groupe mixte de travail », et « 2 - Témoignage commun et faux prosélytisme ». La matière de l'annexe 2 intéresse notre réflexion; en effet, si elle traite des questions du prosélytisme parmi les divers groupes chrétiens, elle pose néammoins les bases nécessaires pour traiter toute autre espèce de prosélytisme et présente des analyses détaillées et une introduction à une nouvelle méthode de travail en la matière. Si nous rappelons ici ce document, c'est que, pour différentes raisons, il n'a pas eu la résonance que son importance méritait et n'a pas encore obtenu jusqu'ici la répercussion désirable (cf. Service d'information du Secrétariat pour l'unité des chrétiens, n° 14, avril 1971/11, pp. 14-24, spécialement les pages 19-20).
6. L'expérience oecuménique de ces dernières années a posé de nouveau parmi tant de problèmes celui, grave s'il en fut, du prosélytisme entre les Églises chrétiennes et aussi par rapport aux autres religions et groupes religieux.
7. Le concile Vatican II, en particulier dans la Déclaration sur la liberté religieuse, Dignitatis Humanae, le Décret sur l'oecuménisme, Unitatis Redintegratio, la Constitution pastorale sur l'Église dans le monde d'aujourd'hui, Gaudium et Spes, et dans d'autres documents, s'est occupé du problème du prosélytisme, qui ruine les relations avec les autres groupes religieux.
8. On doit faire tout d'abord une distinction précise entre la mission ou le témoignage chrétien (cf. supra, p. 52s.) et le « prosélytisme ».
9. « Témoignage » signifie en soi diverses réalités. Plusieurs termes proviennent de l'Écriture, qui mettent en lumière des aspects particuliers de l'annonce de l'Évangile en parole et en action, comme par exemple « évangélisation » « kérygme », « annonce », « message », « apostolat », « mission », « confession », « témoignage » et autres. Pour le « Groupe mixte » dont nous parlions plus haut, le terme le plus propre semble être « témoignage ». On entend par là l'action permanente grâce à laquelle un chrétien ou une communauté chrétienne proclame les actions de Dieu dans l'histoire et cherche à montrer comment, dans le Christ, est advenue « la vraie Lumière qui illumine tout homme » (Jn. 1, 9). Ainsi la vie entière: culte, responsabilité de service, proclamation de l'Évangile, tout ce qui en somme est fait par les chrétiens, sous l'impulsion du saint Esprit, pour le salut des hommes et pour les réunir dans le seul et unique Corps du Christ (cf. Col. 1, 8; Ep. 1, 22-23), tend seulement à obtenir la vie éternelle, qui consiste à connaître le vrai Dieu vivant et son envoyé Jésus Christ (cf. Jn. 17, 3). Mais aujourd'hui le témoignage entre les chrétiens ne s'oriente pas moins vers une action pouvant être commune dans le champ illimité du « social », avec des possibilités quasi infinies de collaboration, afin que les chrétiens montrent dans les faits le visage du Christ Serviteur (cf. par ex. Unitatis Redintegratio, n. 12; Orientations et suggestions..., IV).
10. Ce témoignage, que les chrétiens des diverses confessions tendent désormais à regarder comme « commun », rencontre cependant le problème de la liberté religieuse. Cette expression « liberté religieuse » n'est pas prise ici dans toute la portée de sa signification biblique (par ex. Rm. 8, 21; cf. aussi Ga. 5, 1). Elle envisage le droit premier et inaliénable des personnes physiques et des communautés de jouir de la liberté sociale et civile en matière religieuse. Toute personne et toute communauté a le droit de ne subir aucune contrainte de la part d'autres personnes et de groupes ou d'un pouvoir humain quel qu'il soit, culturel, économique, politique, religieux. Aucune personne ou communauté ne doit jamais être forcée, pour aucun motif, à agir contre ses convictions et sa conscience ou ne doit jamais être empêchée de manifester sa foi par l'enseignement, le culte, la publicité, l'action sociale. On se réfère ici également à la « Déclaration des droits de l'homme » des Nations Unies (1948), en particulier à l'art. 18.
11 Le terme « prosélytisme » a pris, en certains contextes linguistiques, culturels ou confessionnels et en l'absence de qualificatifs, un sens péjoratif. Quand le mot « prosélytisme » a conservé sa signification originelle de zèle pour la propagation de la foi, il doit donc toujours être précisé; quand il est pris dans sa signification inacceptable, il doit être spécifié au moyen d'expressions comme « faux prosélytisme » ou autres semblables, qui désignent nettement des tentatives et des actes répréhensibles qu'il faut rejeter.
12. Ici, par faux prosélytisme, on entend une attitude et une action qui n'ont rien à faire avec le témoignage chrétien. En substance il a la même extension que la contrainte et le viol du droit de toute personne ou communauté humaine à ne pas subir de contraintes externes et internes en matière religieuse, ou bien il comprend des façons d'annoncer l'Évangile qui ne sont pas conformes aux voies de Dieu, lequel invite l'homme à répondre librement à son appel et à le servir en esprit et en vérité (cf. ici Evangelii Nuntiandi, n. 39).
13. L'Église refuse donc clairement toute forme de faux prosélytisme. Sont exclues par là toutes espèces de témoignage et de prédication qui, de quelque façon, tendent à constituer une contrainte physique, morale, psychologique et culturelle à l'égard des juifs (personnes et communautés) qui pourrait chez ceux-ci détruire ou même seulement diminuer le jugement personnel, la volonté libre et la pleine autonomie de décision, au niveau personnel et communautaire.
14. On exclut aussi toute sorte de jugement défavorable, dépréciatif, toute prévention qui pourraient être portés contre le peuple juif en tant que tel et contre les juifs, pris individuellement, en tant que tels, ou à propos de leur foi, de leur culte, de leur culture en général et de leur culture religieuse en particulier, de leur histoire passée et présente, de leur existence et de la signification qu'ils donnent à leur existence. Sont exclues aussi les formes odieuses de comparaisons, en particulier celles, parmi toutes celles qui sont dommageables et déjà condamnées par Nostra Aetate 4 et ensuite par Orientations et suggestions..., qui, en vue d'exalter la religion ou le fait chrétien, jettent le discrédit sur la religion ou sur le fait juif soit dans le passé, soit dans le présent.
15. On rappelle aussi le fait que l'on rejette toute action qui tendrait à faire changer la foi religieuse des juifs, qu'il s'agisse de groupes, de minorités ou de personnes physiques, en leur offrant, plus ou moins ouvertement, une protection, des avantages légaux, matériels, culturels, politiques et autres, sous des prétextes d'éducation, d'assistance ou autres. En particulier, sont exclus toute action et tout comportement de ce genre à l'égard des enfants, des vieillards, des malades, des adolescents encore en quête d'une situation dans la société. A plus forte raison, est exclue toute forme de menace ou de contrainte, qu'elle soit indirecte ou larvée. La liberté de conscience, statut inaliénable de la personne humaine et des groupes humains, doit donc être garantie contre tout attentat et toute coercition possibles en toute sphère, externe et interne, physique et morale.
16. Certes, ils ont cessé de façon irréversible, ils sont même désavoués et honnis, les temps et les procédés de conversions forcées des juifs, des catéchèses imposées et des prédications rendues obligatoires de la part de la majorité chrétienne ambiante; mais le danger demeure pourtant toujours latent, dans la presse religieuse et le comportement des chrétiens, d'exercer une pression à l'égard des juifs, personnes et groupes, dont on attend, par une contradiction qui doit toujours être rejetée, la « conversion », alors que précisément on n'est pas prêt à faire sa propre « conversion du coeur » à Dieu et aux frères.
17. On reconnaît en effet aujourd'hui ouvertement dans l'Église, comme l'a confirmé de façon répétée et avec insistance le Concile Vatican II, que la conversion entendue comme le passage d'une foi ou dénomination religieuse à une autre s'insère dans le statut inaliénable de la liberté de conscience religieuse, processus intangible de l'interaction de la grâce divine et de la réponse de l'homme; on reconnaît qu'aucune « conversion » n'est jamais authentique si elle ne réalise pas un approfondissement spirituel dans la conscience religieuse de celui qui effectue un tel passage, presque toujours dans une déchirure.
18. C'est pour cela que des tentatives de créer des organismes de tout genre, en particulier des organismes d'éducation et d'assistance, pour « convertir » les juifs doivent être rejetées. Au contraire, on doit encourager tous les efforts pour faire connaître l'Israël historique, à partir de la Bible et en explorant en profondeur l'âme, l'existence, l'histoire, la mission d'Israël, sa survie dans l'histoire, son élection et son appel, ses privilèges reconnus dans le nouveau Testament (cf. encore Rm. 9, 4-5; 11, 29), à la lumière, si l'on est vraiment chrétien, du message d'amour et de bonté de Dieu porté par Jésus Christ dans l'Esprit de Dieu, et tout autant en écoutant ce que disent les juifs (cf. infra, p. 59; Orientations et suggestions..., introduction, alinéa 5).
19. Tout cela est exprimé ouvertement, sans restrictions mentales, ici à la suite des textes officiels de l'Église (cf. supra), de façon que les oeuvres soient visibles et rendent gloire au Père (cf. Mt. 5, 16) et que les hommes puissent finalement découvrir le visage du frère, qui porte l'image et ressemblance unique et commune avec le Seigneur Tout-Puissant, bon et rémunérateur (cf. Ga. 1, 26-27).
B. LA NOUVELLE ATTITUDE CHRÉTIENNE
1. On doit rappeler encore une fois la nécessité pour l'Église de témoigner, d'annoncer et de développer sa mission, comme on l'a esquissé plus haut. Cela doit être compris et réalisé par l'annonce chrétienne biblique explicite (cf. Evangelii Nuntiandi, n° 22, 29), sans jamais être tenté de réduire cette annonce (cf. ibid., n° 32) et sans aucune ambiguïté ni obscurité (cf. ibid., n° 32). Cette action s'accomplit en vue du seul but de l'Église, qui est la gloire du Dieu unique, laquelle à son tour est aussi l'unique salut des hommes. Lumen Gentium a exprimé en termes clairs pour tous les chrétiens la finalité théocentrique et salvatrice du peuple de Dieu dans le monde (cf. Lumen Gentium, chap. II en entier).
2. Le don de la foi, de la charité et de l'espérance chrétienne ne peut être tenu caché, mais les oeuvres doivent montrer à tous la Gloire divine; c'est ce qu'on peut affirmer si on a conscience que tout homme qui adore le Dieu unique est l'objet de la grâce de l'Esprit de Dieu et ne se soucie pas d'efficacité seulement humaine.
3. L'Église catholique, consciente de sa mission, se présente donc aujourd'hui renouvelée dans son esprit et son attitude. Elle est prête à faire entière confiance aux hommes, comme elle est prête à recevoir cette confiance à l'épreuve des faits. Ses fils veulent être « serviteurs de la vérité » (Evangelii Nuntiandi, n° 78) et accomplir leur mission chrétienne seulement par amour (ibid., n° 79).
4. Le renouveau en acte, déjà visible, est destiné à s'accroître et à devenir plus universel, plus profond et plus rapide dans les prochaines années. Au niveau des organismes préposés par l'Église aux relations avec les autres religions, il est possible aujourd'hui de voir les intentions réelles de l'Église elle-même. La base en sera toujours plus influente dans la vie.
III. Le dialogue de l'Église catholique
1. Parmi les « nouveautés » majeures de l'Église catholique, émergent clairement aujourd'hui la volonté et l'attitude de « dialogue », soit avec les autres Églises chrétiennes, soit avec les adorateurs du Dieu d'Abraham (juifs, musulmans), soit avec des adeptes des religions du monde, et en tenant compte des analogies voulues, avec les athées eux-mêmes. Cette intention de l'Église s'est définie avec netteté, après les pionniers, dans les assises du concile Vatican II et a été illustrée dans le programme qu'en a donné Paul VI dès sa première encyclique, Ecclesiam suam (1964); elle s'est poursuivie dans l'étude et dans l'action à un stade plus avancé. Plus particulièrement, les prémisses d'un début de dialogue étaient posés avec Nostra Aetate n° 4 et ensuite sous une forme plus analytique et plus pratique avec les Orientations et suggestions, en particulier l'introduction et le paragraphe I sur le dialogue.
2. Les présupposés fondamentaux du dialogue sont le respect et l'accueil de « l'autre » dans son intangible identité humaine réelle, culturelle, historique, spirituelle et religieuse.
3. L'apport substantiel des penseurs juifs (surtout de Martin Buber) a été décisif dans le développement du dialogue entre les chrétiens. Ces penseurs, grâce à leur fréquentation assidue de la Bible et de la spiritualité hassidique, ont mis en évidence et approfondi la signification et la portée de la foi dans le Dieu personnel, créateur et sauveur. C'est de cette foi là seulement que prennent leur origine la dignité du sujet humain et la réalité de sa relation ontologique avec « l'autre », avec la communauté et avec Dieu.
4. Ce souffle d'interpersonnalité qui imprègne la Bible hébraïque ne pénètre pas moins les parties chrétiennes de la Bible; au contraire il s'y développe et s'y universalise, déterminant toute relation entre les hommes en termes pressants de fraternité et de service. Respecter la conscience de l'autre, surtout s'il est faible, en porter le poids, se sentir débiteur à son égard, l'accepter dans sa condition existentielle, venir au-devant de ses désirs profonds, répondre à sa requête de croissance et d'affirmation sont des impératifs catégoriques de la morale néo-testamentaire; ils insèrent le dialogue dans l'ordre de l'existence et du comportement quotidiens.
5. Il est évident que de pareils impératifs impliquent une volonté de témoignage et de communication. Volonté non abstraite et doctrinale, mais concrète, qui se présente non pas sous la forme d'un diktat ou d'une conquête, mais comme une réponse et un partage, en offrant aux hommes sous forme d'expérience existentielle la contribution spécifique de l'être chrétien. On entend obéir ainsi à l'invitation du nouveau Testament: « Soyez toujours prêts à rendre compte de l'espérance qui est en vous, mais avec douceur et respect, en ayant une bonne conscience » (I P. 3, 15-16).
6. De cette façon, le dialogue entre aujourd'hui parmi les formes majeures de la communication de l'Église avec les hommes de notre temps. Il a été aussi noté avec autorité que le dialogue est le forme de communication par excellence dans une société adulte. Ce n'est pas là une trahison ni un camouflage de la mission essentielle qui est constitutive de l'Église et de tout le peuple de Dieu: rendre témoignage à la gloire de Dieu dans le monde, « par la sanctification du Nom ». Le dialogue existe en même temps que d'autres formes de communication de l'Église, telles que l'évangélisation elle-même, l'annonce de la Parole, la catéchèse, la pastorale (cf. supra) et la mission d'évangéliser au sens strict, destinées à faire surgir une nouvelle communauté d'adorateurs qui glorifient le Père en Esprit et en vérité.
Le dialogue se qualifie aussi essentiellement comme l'action de donner et de recevoir, comme une écoute attentive et une réponse directe, comme un respect et une offrande généreuse, le tout cependant déjà exprimé dans l'existence avant de l'être dans les mots (cf. supra). Il est clair qu'il se réalise et se développe à des degrés divers, qui vont du « dégel » des relations jusqu'à la sympathie, la connaissance approfondie, la collaboration en vue de buts et d'objectifs communs. Parmi ces derniers, beaucoup de questions pratiques, nécessaires sur le plan social et international, peuvent s'imposer utilement et se résoudre au moyen du dialogue. Un long chemin commence donc au cours duquel se produiront des échanges et une interaction assidue, dans une conscience lucide de réciprocité et de partage.
7. Pour que le dialogue puisse se réaliser avec sincérité, il exige de celui qui le pratique une authentique ascèse. Il faut se libérer de toute tentation d'exclusivisme, d'impérialisme et d'autosuffisance. Il exige d'autre part la fidélité et l'engagement dans une recherche religieuse personnelle, évitant toute forme de relativisme et de syncrétisme qui prétendrait unir ensemble artificiellement des éléments inconciliables. Une fois que l'identité spirituelle du « je » et de l'autre est garantie, le dialogue exige l'estime et le respect mutuel (même théologique) et la conviction que tout accroissement et toute amélioration sur le plan spirituel s'actualisent avec l'apport de l'autre. Il n'est pas rare que dans ce processus le dialogue avec l'autre aide à découvrir des dimensions et des valeurs nouvelles de sa propre foi, et surtout qu'on se prépare à la vivre dans l'humilité et la docilité d'esprit, attentif aux « richesses que Dieu a données aux hommes » (Ad Gentes, n° 11).
8. Une difficulté intrinsèque au dialogue a été exprimée par Paul VI dans son discours d'ouverture du synode des évêques, le 27 septembre 1974, lui demandant « de voir comment on peut concilier (le) respect des personnes et des civilisations ainsi que le dialogue sincère avec elles... avec l'universalisme de la mission que le Christ a confiée à son Église » (cf. La Documentation catholique, LXXI, 18 (20 octobre 1974), p. 860 N.D.L.R.). Sur ce point, l'existence et l'expérience nous sont ici une leçon de sincérité et de réalisme. Dans son principe même, le message évangélique ne saurait détruire ce qu'il y a de valable et de spécifique dans l'expérience religieuse des hommes, quelle que soit leur foi. Parmi les images bibliques qui servent à présenter le message, il y a ainsi celle de la greffe. Comme tel, il n'aliène pas, n'abolit pas la personnalité, mais il confère une dimension nouvelle qui restructure tout ce qui lui est antérieur. En outre, il exige des chrétiens conversion et rupture et il avertit qu'il est difficile de prévoir quels chocs pacifiques et quelles désaffections, quelles restructurations, qui ne sont pas du triomphalisme, surviendront, si ce n'est cette conscience que celui « qui voudra sauver sa vie la perdra, et qui la perdra la sauvera » (cf. Mc. 8, 35).
9. Les intuitions centrales des autres religions peuvent enrichir les chrétiens en leur donnant de nouvelles possibilités d'expression et en éveillant en eux le développement de valeurs et de virtualités jusque-là latentes. Un tel enrichissement est d'autant plus grand dans le contact avec la tradition juive, avec ses trésors d'exégèse, de liturgie, de mystique, de pensée religieuse et philosophique.
10. Si ce que l'on vient de lire est vrai des autres religions par rapport aux chrétiens, c'est plus vrai encore du judaïsme auquel les chrétiens sont et restent unis par tant de liens indestructibles. Aussi, parmi tous les dialogues, celui avec le judaïsme a et garde pour les chrétiens une valeur unique et exemplaire. Par lui les chrétiens entrent dans une nouvelle attitude, où il est essentiel de vouloir et de savoir écouter les juifs livrer eux-mêmes leur propre conception des choses et de se laisser enseigner par eux dans un esprit de reconnaissance. On évite ainsi l'erreur même involontaire d'interpréter le judaïsme, tout en voulant le comprendre, en projetant sur lui des catégories non originelles.