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La destruction du Temple dans la pensée juive
Augusto Segre
Selon un récit midrashique, Jérusalem fut créée par le Seigneur avant toute chose et devint ainsi « le noyau », la pierre fondamentale qui servit ensuite pour la création de tout l'Univers. Si, par ailleurs, nous rappelons que le Temple — Beth ha-Mikdash — était le cœur même de cette cité, et donc le centre spirituel et national de tout lepeuple juif, comme celui des colonies juives qui vivaient le long des rives de la Méditerranée depuis bien avant 70, nous avons de suite une idée précise de ce qu'ont représenté et Jérusalem et le Temple, avant et après leur destruction, dans la pensée et dans la tradition juives.
Le Temple était donc le centre de la vie spirituelle et religieuse; il était le Siège, choisi par Dieu pour « y faire demeurer Son Nom » (Dt 12,11; 14,23; 26,2; 16,6; etc.), il était le lieu où II se révélait au peuple. Le Temple était le lieu saint, duquel s'approchaient les pécheurs pour expier leurs fautes, ceux qui avaient reçu des bienfaits pour exprimer leur gratitude, ceux qui, frappés d'impunité, avaient ainsi le moyen de se purifier. Capitale de l'Etat, centre actif de vie politique et culturelle, Jérusalem était la cité qui, à travers le Temple, était consacrée à Dieu.
Quand le Temple fut détruit, le peuple juif se trouva dans une situation particulièrement difficile. Le retour devait être certain, car promis par Dieu; mais il fallait se rendre compte de la raison pour laquelle le peuple avait été si durement frappé, et essayer de réparer le mal accompli en faisant Teshouvah (retour), c'est-à-dire en revenant par l'esprit et les oeuvres sur la voie tracée par l'Eternel. En ces difficiles et tristes temps, quel écho durent avoir les sévères paroles de mise en garde des Prophètes enfin rendues clairement intelligibles! Il fallait revenir à l'observance de la Torah et de toute la tradition hébraïque. La parole du Seigneur devenait la défense spirituelle la plus puissante et la plus sûre. Les juifs se réunissaient pour étudier et pour prier.
La Synagogue, la Beth ha-Kenesseth, prenait naissance. L'étude de la Torah se substituait ainsi au Sanctuaire, la prière prenait la place du sacrifice.
Si, dans la vaste littérature rabbinique, nous voulons choisir des textes sur la destruction du Temple et sur sa reconstruction future, nous n'aurons que l'embarras du choix. On peut dire cependant que tous ces textes ont des idées communes: les péchés ont été la cause de la destruction de Jérusalem et du Temple; la Teshouvah, les mérites, seront les éléments de base pour leur reconstruction; l'honnêteté, l'étude, les bonnes oeuvres, l'action de l'homme, activement engagé dans la réalisation de l'enseignement divin, seront les bases sûres pour la rédemption politique et religieuse. La destruction du Temple provoqueen Dieu même un profond sentiment paternel de pitié et de bienveillance envers le peuple juif. Il pleure sur les malheurs qui ont frappé son peuple.
Le Midrash de Shir ha-Shirim dit: « Il reconstruira le Temple et y fera habiter Sa Shekhinah ».
Lorsque le Temple fut détruit, ses pierres furent éparpillées — toujours selon le Midrash —aux quatre coins de la terre et sur chacune d'elles, et même sur chacun de leurs morceaux, surgirent les Synagogues. La Shekhinah, l'immanence de Dieu après la destruction, suivit son Peuple dans l'exil, tout en n'abandonnant pas le mur occidental du Temple sur lequel elle demeure dans l'impatiente attente du retour et de la reconstruction. On dit aussi que, comme la colombe sortie de l'arche de Noé après le déluge universel, guida ceux qui avaient survécu, ainsi la Shekhinah dirige le peuple juif sur les chemins de l'exil, jusqu'à ce qu'il fasse retour à la Terre Promise.
La dispersion n'a donc jamais été considérée comme définitive, tant il est vrai que, dans la vie quotidienne même du juif, le souvenir de Jérusalem et du Temple revient en diverses occasions. Dans ses prières quotidiennes, le juif se tourne vers l'orient; il bénit le Seigneur qui rassemblera les dispersés des quatre coins de la Terre, et qui reconstruira Jérusalem.
Dans les prières quotidiennes du repas, Jérusalem et le Temple sont toujours rappelés. Dans la célébration des mariages, un verre brisé rappelle aux époux, dans le moment même de la plus grande joie, le deuil pour Jérusalem et le Tem. ple. « Si je t'oublie, o Jérusalem, que ma droite se dessèche! Que ma langue s'attache à mon palais, si je perds ton souvenir, si je ne mets Jérusalem au plus haut de ma joie » (Ps 137).
Chaque année, le 9 Av, rappel de la destruction du premier et du second Temples, les juifs jeûnent d'un crépuscule à l'autre, comme pour Kippour.
Le Troisième Temple sera, selon la tradition rabbinique, celui du Messie. Nous aurons alors une rédemption complète et définitive, pour Israël et pour l'humanité. Dieu lui-même, selon les textes traditionnels, pourvoira à l'oeuvre de reconstruction. Cette rédemption finale ne sera donnée qu'après de dures souffrances, par lesquelles le peuple d'Israël aura dû passer.
Un Midrash dit que « le Messie viendra le9 Av ». Car de même que le Seigneur a fixé cette date pour le deuil, de même, dans l'avenir, il en fera un jour de fête, ainsi qu'il est dit (Jr 31, 12): « Je changerai leur deuil en joie ».