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Le Cantique des Cantiques - Liminaires
A. Chouraqui
Le chant de l'amour absolu
Est-il possible de regarder un jour, face à face, le visage de l'Amour — et d'en éprouver un traumatisme si puissant que l'être, réalisé en soi dans sa plénitude nouvelle, soit métamorphosé à jamais?
Est-il possible que le choc d'une rencontre, semblable à celle du Buisson, convertisse l'homme en un être nouveau, annule son visage ancien — effacé tout à coup et remplacé par l'absolu de l'amour qui l'a découvert, qu'il a découvert et qui, — dans la pureté de l'élan qui le soulève — l'étreint avec tant de puissance qu'aucune autre étreinte ne puisse à jamais effacer en lui l'ineffable saveur?
Tout à coup, l'ombre s'efface, la lumière inonde l'être avec tant d'évidence que l'éblouissement, semble-t-il, ne puisse à jamais prendre fin. Une telle plénitude envahit la personne nouvelle, reconstituée et restituée à sa perfection originelle, qu'il semble que plus rien, jamais, ne puisse altérer son unité. La coïncidence est si totale que la chute devient inconcevable.
L'oeuvre que nous présentons ici ne se situe ni dans l'optique d'un récit, d'un drame, ni d'une création littéraire ou poétique ordinaires. Elle est avant tout attentive aux mutations de l'être, non pas à ses progrès, elle aspire à une métamorphose si absolue de l'amour, qu'elle puisse s'inscrire comme au seuil d'une rédemption, d'un salut. Pour cela elle pose un impératif: demeurer absolument fidèle à l'absolu de l'amour et, dans cette contemplation folle, aller jusqu'au bout d'une folie qui se réalise dans le siècle.
Je crois que le monde a été créé et progresse par l'incarnation de l'amour absolu. C'est à lui que nous devons — absolument — subordonner nos êtres pour permettre le libre fonctionnement et le triomphe de la vie. Si telle est la vérité, voici l'une de ses plus hautes illustrations, le Cantique des Cantiques qui est pour Salomon.
Huit courts chapitres: au total 117 vers. L'un des livres les plus courts de la Bible — et des plus nécessaires. Akiha le disait: le monde n'avait ni valeur ni sens avant que le Cantique des Cantiques ne fût donné à Israel. Voici en effet le poème sacral, par excellence, qui chante l'amour absolu dans des perspectives et sur des rythmes qui déroutent nos impuissances...
Un texte sacral, un chant transcendant
Je suis né dans une famille juive fidèle aux traditions d'Israéb dès ma naissance, j'ai entendu chanter le Cantique des Cantiques, sur les rythmes antiques qui ont inspiré le chant grégorien. Enfant, chaque vendredi, j'étais pénétré par la ferveur qui emplissait notre belle synagogue d'Aïn-Témouchent, à l'office du soir, lorsqu'il débouchait sur la récitation du Cantique, introductive des liturgies du Sabbat. Les hommes, les femmes, les enfants chantaient ce texte ou l'écoutaient comme dans une extase. Il s'agissait bien d'un texte sacral, d'un chant transcendant. Jamais personne n'imaginait qu'il pût y avoir là quoi que ce soit d'obscène, de trivial ou même de charnel. Les fidèles étaient des âmes simples, des artisans, des commerçants, des ouvriers, des agriculteurs, auxquels se mêlaient quelques « intellectuels » frais émoulus des Universités françaises. Tous chantaient avec amour ce poème d'amour, sens que personne ait jamais pensé à le censurer ou à l'expurger. Il s'agissait pour nous tous d'un texte saint à la lumière duquel nous devions nous éclairer et nous purifier. De ma vie entière, je n'ai jamais entendu, de la bouche de ceux qui vivent dans l'intimité du Cantique, une seule allusion complaisante relative à son contenu. Transparent, celui-ci était accueilli dans la transparence des coeurs purs. Il était compris par référence à la Bible, à l'amour d'Adonaï pour la création, pour son peuple, pour chacune de ses créatures.
Nous étions trop engagés dans le grand et puissant courant de la pensée hébraïque pour voir dans le Cantique autre chose que le chant de l'amour absolu — sur les cimes des plus hautes révélations. C'est étrange, mais c'est ainsi: pendant plus de deux millénaires les Juifs n'ont vu dans la Sulamite qu'un symbole, celui d'Israël, dans le Roi qu'une référence à Dieu: dans l'amour qui les unit, la révélation du mystère de l'amour divin.
Le Targum, le Midrash, les textes rabbiniques, des plus anciens aux plus modernes, ne voient dans le Cantique rien d'autre qu'un exposé de l'histoire d'Israël dans ses trois grands actes: la sortie d'Egypte et la période biblique jusqu'à la destruction du Temple; l'exil; et enfin la rédemption messianique. On peut s'étonner de ce paradoxe. Mais c'est ainsi: pendant des millénaires les Juifs n'ont pas su voir autre chose dans ce Cantique que le chant mystique de l'amour divin, dans ses révélations successives, au coeur de l'histoire d'Israël.
Les exégètes autorisés ne s'embarrassent pas du poids de chair et de sang de la Sulamite: il ne s'agit, pour eux, de rien d'autre que de l'union mystique d'Israël et de son Dieu. Les baisers, le visage, les seins, le giron, les cuisses, les jambes de la Sulamite ne sont que des allusions à l'épopée historique d'Israël. Les seins sont les tables de la Loi ou les habits sacerdotaux du grand prêtre. Les parfums sont ceux des vertus. Le vin celui du mystère de la vie mystique en Dieu. La délectation amoureuse est contemplation infinie, infiniment amoureuse du Créateur. Ceci et rien d'autre. Dans cet esprit, les rabbins ne reculent pas devant les inconséquences, les plus folles audaces exégétiques et bien entendu devant les anachronismes puisque ce livre est à leurs yeux celui de l'Apocalypse, je veux dire des Révélations des ultimes destinées d'Israël et du monde,
Rachi, le docteur commun, se situe tout entier dans ces perspectives...
Un poéme du genre sapientiel
C'est avec un esprit largement ouvert qu'il faut aborder la lecture et l'étude du Cantique. Quelques constatations de fait nous aideront, je l'espère, à mieux pénétrer son sens.
Le Cantique des Cantiques n'est pas un recueil de chants, mais un seul poème de 117 versets. Il fait partie des Ketuvim, des Ecrits (les Psaumes, les Proverbes, Job, Ruth, les Lamentations, l'Ecclésiaste, Esther, Daniel, Ezra, Néhémie, les Chroniques) qui, à la suite de la Torah et des Prophètes, constituent la Bible.
La Sagesse ne nie pas la Torah, ne contredit pas les Prophètes: elle se situe sur un autre plan où il n'est pas nécessaire de recourir à l'arsenal des lois ni aux leçons de l'histoire pour édifier. La littérature sapientielle frappe d'abord par son caractère transhistorique: le réel se reflète dans le réel, l'être contemple l'être hors du temps, et la foi fait entendre son appel au-delà du créé. Le concept le plus universel de la Torah, celui d'alliance, n'est pas mentionné dans la littérature sapientielle. Les Proverbes, Job, l'Ecclésiaste ne mentionnent nulle part le destin historique d'Israël. On peut dire qu'à peu près sans exception le nom même d'Israël ne figure pas dans cette littérature...
Le courant de la sagesse est, dans la littérature hébraïque, parallèle à celui de la Torah et des Prophètes, qu'il complète sans les contredire. L'idée centrale du prophétisme, la lutte contre les idoles, n'y apparaît pas '. Nous sommes en présence d'un enseignement antérieur donné non pas seulement à Israël, peuple élu, lié par les vertus de foi, de soumission, d'espérance, mais à l'homme, sujet et objet d'une connaissance qui se sait la plus haute et se veut la plus exhaustive. « Il l'a répan- due sur toutes ses oeuvres ainsi que sur toute chair à la mesure de son don »2. Elle est antérieure au créé:
L'abîme clame: « Je ne la contiens pas. » Et la met: « Elle n'est point chez moi»3.
Elle se fonde en Dieu et se réalise en l'Homme...
La littérature sapientielle, loin d'être tardive, semble bien être le courant le plus profond et le plus antique de la tradition hébraïque. Il sourd bien évidemment du fonds commun de la sagesse des peuples de l'Orient antique, mais il est formulé par le génie et à la lumière, en vérité nouvelle, du monothéisme d'Israël. Tôt, Râ, Chemesh, Dagon s'effacent, et les mythes s'estompent dans la lumière transhistorique, surnaturelle de l'Unique, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Cet universalisme se situe aux sources du réel, et, loin d'être le fruit du dépassement des limites tribales et des frontières nationales, il se présente à nous comme antérieur et premier.
La sagesse, connaissance et obligation morale, constitue la loi de l'univers entier: elle s'impose à l'homme parce qu'il est homme. Elle correspond aux structures organiques de son être et lui pose, en vérité, une question de vie ou de mort: tout aussi irrécusable pour lui que pour Israël, l'obligation née de l'Alliance sinaitique. Loin de nier la loi ou le culte cérémoniel, elle engage l'homme à honorer son Créateur, à lui offrir des sacrifices, à s'acquitter de ses voeux. Le juste, nous le verrons, se tourne vers un Dieu personnel qui est disposé à entendre et à exaucer sa prière. Dès lors, il est nécessaire d'aborder ces textes dans l'esprit où ils furent écrits, en Asie, dans une langue sémitique, voici plus de deux mille cinq cents ans. Chaque verset a été écrit dans un contexte qui nous est devenu à peu près totalement étranger, celui du paganisme de l'Orient ancien, chaque pensée a été formulée par des écrivains inspirés dont la vision et le discours surgissent d'une contemplation silencieuse dont notre temps semble bien avoir perdu le secret. Nous sommes plongés, nous le verrons, dans un univers de pleine signification où tout a un sens: livrés ainsi à l'impératif de la pensée sémitique, elle nous assaille par des faits, elle nous impose des images, et provoque dans notre conscience l'incendie du verbe et son triomphe...
C'est dans ces perspectives que le Cantique doit être situé. Il doit être lu par référence à la littérature hébraïque à laquelle il appartient, et dans la lumière des notions fondamentales des rapports de Dieu et de la création dans l'Alliance, de la théologie mystique du mariage qui apparaît avec tant de force chez les Prophètes, notamment chez Osée, Amos, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel. Il faut connaître les exigences du genre midrasbique et des traditions dont il s'inspire. Il faut souligner les idées forces qui sous-tendent notre poème. Les références permanentes aux thèmes bibliques fondamentaux de mariage, d'alliance, de recherche et de découverte, de séparation et d'exil, de lumière et de ténébres, de sommeil et de réveil, de guerre et de paix — d'angoisse et de joie, de chute et de joie. Les allusions plus subtiles aux cerfs (tsevaot) et aux biches (ayyalotb) ne pouvaient pas ignorer l'idée suprême de Dieu (Elobim Tsevaot).
Une histoire d'amour aux horizons cosmiques
Pour élargir leurs horizons, les partisans jaloux de la thèse naturaliste devraient prendre garde à un fait bien évident et indiscutable. Il est bien question d'un homme, d'une femme qui sont décrits avec une grande précision et avec beaucoup de ferveur, en eux-mêmes et dans différents états de leurs relations. Mais par référente à quoi? Au cosmos tout entier: au Soleil, à la Lune, à l'aurore, au jour, à la nuit, à la Terre, au ciel, aux montagnes: le Liban, le Cenir, l'Amana, l'Hermon; aux vallées, aux déserts, aux saisons, à l'hiver, au printemps, à la mer, aux fleuves, aux forêts, aux fleurs, aux encens, aux parfums, aux roses, aux lys, aux arbres: le cèdre, le palmier, le pommier, la vigne; aux boissons: le vin, le nectar; aux oiseaux: la colombe, le corbeau; è la ville et ses murs, ses tours, ses gardes, ses marchés grouillants de monde; aux tanières de lions, aux monts des panthères; le nard, le safran, l'acore, la cinnamone, la myrrhe, l'aloès; les grenadiers en fleurs, le lait, le miel, l'aquilon et l'autan, la rosée de la nuit et surtout ces étonnantes descriptions de l'amant et de l'amante en termes très précisément surréalistes: « Sa tête est d'or pur, ses boucles flottent comme un corbeau, ses yeux colombes, ses mains des globes d'or, son ventre d'ivoire vert serti de saphirs... ses jambes des colonnes de marbre posées sur des socles d'or... » L'amant est successivement semblable au Liban ou à un cèdre. L'amante est identique à deux villes, Tirtsa et Jérusalem', à la Lune, au Soleil, à l'aurore, au Carmel — à un mur, à une tour.
Une lecture attentive du Cantique montre bien les deux plans où la pensée de l'auteur chevauche: un plan humain, où il met en scène un homme et une femme, et un plan cosmique où il se réfère à la création entière. Les auteurs qui ne voient dans le poème qu'une histoire d'amour entre deux êtres humains éliminent, consciemment ou non, l'essentiel du Cantique, c'est-à-dire ses horizons cosmiques...
Une symphonie en trois mouvements
Oui, le Cantique est bien une symphonie en trois mouvements, en trois thèmes.
Le premier thème est celui de la genèse de l'amour. On doit lire le deuxième verset du poème — après le vers introductif qui l'attribue au roi Salomon — non seulement comme un voeu mais comme une certitude. L'amour est présent, l'amante est sûre que son amant la baisera des baisers de sa bouche. Le triomphe final de l'amour absolu est, en sa genèse même, un acte de foi. La femme exprime sa passion en termes brûlants: l'amant est digne d'amour, il est universellement aimé, l'amante brûle d'être à lui et le supplie de la prendre, elle se décrit dans sa noirceur et dans sa beauté: telle, elle aspire à être initiée. L'amant la renvoie sur les traces du troupeau et chante sa beauté. Le duo d'amour s'exalte de vers en vers jusqu'à la première adjuration faite aux filles de Jérusalem (II, 7). Le dialogue amoureux rebondit et s'approfondit encore (II, 8, 17). Les amants ne cessent de se contempler et d'exalter la beauté que dans l'amour ils contemplent l'un dans l'autre: il s'agit d'une révélation progressive du visage et du corps des amants qui s'affirmera et s'approfondira encore par la suite.
En contrepoint surgit le deuxième thème de la symphonie: celui de l'exil (III, 1, 5). L'amante recherche l'amant absent et tombe dans les épreuves que son exil et sa solitude lui valent (III, 5). Après avoir été esquissé, le thème de l'exil disparaît et revient celui des noces et de la contemplation amoureuse (III, 6-V); toute cette partie est consacrée au cortège sacral où le roi avance vers son aimée dans son palanquin: l'ayant retrouvée, il ne cesse de la chanter et d'exalter sa beauté.
La partie centrale du Cantique est aussi la plus importante: c'est elle qui donne toutes ses significations au poème (V, 2, VI, 2). Le thème de l'exil, de la solitude, et de la souffrance exposé en cinq versets au chapitre III (III, 1, 5) est repris à fond: l'amante, plongée dans un demi-sommeil, n'a pas répondu à l'appel de l'amant. Celui-ci renonce à elle et part, la laissant à sa solitude, à son exil. Elle y affronte de nouvelles et plus cruelles épreuves, y est frappée, blessée, dénudée. Sa quête fidèle de l'amour la sauve. Le couple se recherche à nouveau dans la joie de la contemplation d'amour: l'amante décrit l'amour tel qu'il vit dans sa mémoire (V, 10-VI, 3). Le couple se reforme: l'amant retrouve l'amante et la décrit en termes nouveaux. Le triomphe de l'amour est guetté dans le renouveau du printemps (VI, 11), mais déjà l'amant est métamorphosé dans l'allégresse de ses noces (VI, 12).
Le troisième thème — après ceux de la genèse et de l'exil de l'amour — explose enfin dans la joie des retrouvailles: l'exil a pris fin, la souffrance est rédimée. Les amants se revoient dans leur plus grande beauté et toute leur nudité. Ils se réunissent dans la suavité des noces éternelles, dans le printemps nouveau qui en passera pas. Au paroxysme de la passion assouvie, ils célèbrent l'amour réalisé dans la mutation de l'être, scellé è jamais — fort comme la mort.
Le simple énoncé des trois thèmes fondamentaux qui composent ce Cantique suffit à situer cette oeuvre par rapport à la Bible entière qui, elle aussi, de part en part, est traversée par les trois thèmes de Création, de chute ou d'exil, et de rédemption. Nous verrons que ces trois thèmes constituent la trame constante des Psaumes. Ainsi, malgré son caractère particulier, une analyse spectrale du Cantique le situe d'emblée dans l'ensemble des livres de la Bible, comme le plus complet, le plus universel et peut-être le plus parfait d'entre eux.
L'énigme de la petite soeur qui n'a pas de seins, les références géographiques au Liban, à l'Amana, au Cenir, à l'Hermon, les images étranges qui comparent le cou de la Sulamite à une forteresse, à une tour où sont accrochés des boucliers, son identification à la capitale du royaume du Nord, Tirtsa, et à Jérusalem, capitale du royaume du Sud, l'étrangeté constante des comparaisons, les allusions transparentes aux thèmes du réveil et du sommeil, les significations évidentes de la rencontre et de la séparation, tels sont les arguments des exégètes fidèles à l'interprétation traditionnelle. Mais davantage que dans le détail des métaphores, il faut saisir le Cantique des Cantiques comme un tout, le comprendre dans la plénitude de ses rythmes les plus profonds. Sa beauté est si compréhensive et si profonde qu'elle exprime en vérité les états multiples de l'être. Les trois grands moments de la Genèse, de l'Exil et du Retour célèbrent aussi bien le drame du couple humain que celui d'Israël et de la création tout entière. Chacun trouvera dans ce poème l'écho de ses propres préoccupations, mais ce n'est pas en vain que Rabbi Akiba déclarait que si tous les livres de la Bible sont saints, le Cantique des Cantiques l'est doublement. Nulle part ailleurs, le caractère le plus profond de la révélation biblique n'apparaît avec plus d'évidence: l'univers est le lieu d'un drame d'amour. A jamais l'Amant et l'Amante se désirent et s'appellent, se perdent et se recherchent, se retrouvent et s'étreignent. Ainsi, dans un monde vidé de ses idoles, purgé de ses mythes, délivré de la sorcellerie, libéré des pouvoirs de la magie, l'homme est seul en face de l'amour. La relation de l'homme en face de Dieu est relation d'amour: l'un et l'autre se désirent et s'appellent, se perdent et se recherchent, se retrouvent et s'étreignent, car ils s'aiment d'un amour qui ne passera pas: « Je t'aime d'un amour éternel»`. Le Cantique des Cantiques nous convie ainsi à la jubilation des noces annoncées par la voix du Prophète.
* * *
La généralité des thèmes traités par le Cantique des Cantiques, la genèse, l'exil et le triomphe de l'amour, permet par elle-même, ou du moins supporte, les multiples interprétations que les exégètes ont données de ce texte. Il a été lu en tant que chant de l'amour humain selon son sens obvie; il a été interprété comme une allégorie de Dieu et de la création, d'Israël ou de l'Eglise; enfin, il a été commenté en tant qu'hymne mystique des noces de l'âme et du Créateur.
Ces trois voies d'interprétation restent ouvertes aujourd'hui encore: bien fol celui qui prétendrait interdire l'une ou l'autre. Mais bien fol aussi celui qui lirait le Cantique sans réaliser en lui-même — à quelque niveau de conscience qu'il puisse se situer — l'image que ce poème donne de l'amour réalisé dans ses dimensions cosmiques et dans la suavité éternelle de son essence divine.
* André Chouraqui réside depuis plus de 20 ans à Jérusalem. Bien connu comme écrivain, historien, poète, oeuvrant pour le rapprochement entre les hommes et les religions, il est avant tout celui qui « habite la Bible ». Il a traduit l'Ancien et le Nouveau Testament, et a réussi à redonner au texte l'âpre beauté du texte original. Il lait paraître actuellement cette traduction nouvelle et originale, accompagnée de commentaires juifs, chrétiens et musulmans, dans une oeuvre magnifique en 10 vol. éditée chez Brépols-Lidis (rue Baron du Fourstraat 8, B- 2300 Turnhout, Belgique) et intitulée: L'univers de la Bible.
Nous reproduisons ici une partie de sa magnifique introduction au Cantique des Cantiques parue dans l'édition de 1970 (P.U.F. Paris).
1. Sauf à l'époque la plus tardive, dans la Sagesse ou l'Ecclésiastique de Salomon qui ne figurent pas dans le canon hébraïque.
2. Ecclésiastique I, 9.
3. Job IV, 28, 14.
4. On voit mal un auteur de chansons d'amour comparer sa belle à Paris ou à Genève.
5. Jérémie, XXXI, 3.