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Tora et témoignage: échange au niveau de l'ètude de textes
Garder, Zev
A travers le dialogue, nous percevons la mentalité de notre époque et la diversité de nos traditions. Dans le domaine des études scripturaires, cela signifie qu’il faut aller au-delà des bribes d’information vers un échange d’idées et d’expériences. Cela suppose de prendre au sérieux les quatre démarches successives d’un échange au niveau de l’étude:
1. confrontation: le participant prend connaissance du texte superficiellement
2. analyse: le participant explore le texte sérieusement à la lumière de connaissances préalables
3. interaction: la communication réciproque du participant avec les autres l’aide à tirer profit de leurs points de vue
4. intériorisation: en référant le partage d’idées à lui-même, le participant repense le texte comme s’il se rapportait à lui, en tant qu’individu et en tant que membre d’une communauté religieuse.
L’exégèse biblique – sous couvert de dialogue – présente toutes les chances et dangers inhérents à n’importe quelle sorte de communication. D’une part, elle peut étendre sa propre expérience au domaine le plus profond de notre sensibilité religieuse. D’autre part, elle peut ébranler attitudes et idées antérieures et développer une nouvelle orientation de l’enseignement scripturaire. Les comparaisons sont inévitables et cela peut entraîner une crise dans l’interprétation au niveau de la foi – autrement dit, une orientation ancienne peut arriver à s’effriter tandis qu’une nouvelle surgit. En clair, la vision de l’autre est changée quand chrétiens et juifs lisent les Ecritures en dialogue.
Tora rabbinique
Différents versets bibliques désignent le Pentateuque comme Tora distincte du reste des Ecritures. Le verset: « C’est pour nous qu’il dicta une doctrine à Moïse: elle restera l’héritage de la communauté de Jacob », Dt 33, 4, suggère l’importance capitale de la Tora pour Israël. Elle doit se transmettre d’âge en âge et cette transmission est devenue l’élément majeur d’unité pour le peuple juif à travers ses pérégrinations.
Les Sages du Talmud ont gardé la Tora vivante et adapté son message à des époques et en des pays différents. Cela a été fait au moyen de l’herméneutique d’une Tora double, qui a été interprétée d’après des versets du livre de l’Exode. En ce qui concerne les paroles de Dieu à Moïse sur la relation d’alliance entre lui-même et Israël, il est dit dans l’Exode: « Consigne par écrit ces paroles car c’est à ces conditions que j’ai conclu une alliance avec toi et avec Israël » Ex 34, 27 et en Ex 24, 12 : « Je vais te donner les tables de pierre, la doctrine et les préceptes que j’ai écrits pour leur instruction ».
Les Sages voient les mots: « écrits – conformité – instruction » comme garants de la Tora écrite et de la Tora orale. A leurs yeux, la Tora écrite de Moïse est éternelle et la Tora orale, application de la Tora écrite à des situations historiques changeantes, continue de dévoiler des niveaux de sens très profonds et ainsi rend visibles et pleins de significations de nouveaux aspects du judaïsme à chaque génération. Prenons par ex. les prescriptions sur la dîme.
Maaserot [« les dîmes »] et Maaser Sheni [« la 2e dîme »], 7e et 8e traités dans Zeraïm [« Les Semences »] de la Mishnah, la Tosefta et le Talmud de Jérusalem (manquent dans le Talmud de Babylone) contiennent les règles et instructions rabbiniques pour obéir aux demandes de l’Ecriture à propos de la dîme agraire – c’est-à-dire quand et à quelles conditions les redevances sont dues – par qui – pour qui – et comment l’Israélite moyen peut s’organiser pour se nourrir de sa propre récolte après avoir payé les taxes sur les produits agricoles.
Précisément, la dîme (dans le Talmud) se rapporte aux lois à propos des espèces de fruits et de légumes de la Terre d’Israël – dîme levée au bénéfice des Lévites sans terre: « Car la dîme que les enfants d’Israël prélèveront pour le Seigneur comme tribut, je la donne aux Lévites comme patrimoine » Nb 18, 24. A leur tour, les Lévites pourvoiront pour les prêtres et veilleront aux règlements qui protègent les produits contre les détournements.
Ma’aser Sheni [2e dîme] donne des précisions :
1. la dîme sur les produits précoces est mise à part au bénéfice du propriétaire et de sa maisonnée – après avoir mis de côté le premier prélèvement du produit annuel donné aux prêtres et celui qui est destiné aux Lévites –, apporté à Jérusalem, à la première, seconde, troisième, quatrième et cinquième année du cycle de 7 ans, et consommé sur place. (Dt 14, 22-26) ;
2. la législation sur le rachat financier de la 2e dîme par un tiers ou par le propriétaire lui-même – à qui l’on demande d’ajouter 20 % de la valeur de la récolte (Lv 27, 30-31) « Toute dîme de la terre prélevée sur la semence du sol ou sur le fruit des arbres appartient à l’ Eternel : elle lui est consacrée. Et si quelqu’un veut racheter une partie de sa dîme, il y joindra le cinquième en sus » et dans les deux cas, le capital doit être dépensé dans la capitale (Jérusalem) ;
3. les réglementations sur la récolte de la quatrième année – arbres et produits de la vigne sanctifiés par la Tora: « Dans la quatrième année, tous ces fruits seront consacrés à des réjouissances en l’honneur de l’Eternel » (Lv 19, 24), dont le produit ou l’argent qui l’a racheté peut être utilisé par le propriétaire et sa maisonnée, mais seulement à Jérusalem,
4. sont notées et expliquées les instructions qui concernent la suppression des premières dîmes: Dt l4, 28-29 « A la fin de la troisième année, tu extrairas la dîme entière de tes produits de cette année et tu la déposeras dans tes murs pour que le Lévite, qui n’a point de part ni de patrimoine comme toi, l’étranger, l’orphelin et la veuve qui sont dans tes murs, puissent venir manger et se rassasier ... » et Dt 26, 12-15 par lesquelles se terminent la troisième et la sixième année du cycle de la shemitah, et la deuxième dîme entièrement attribuée aux pauvres et déshérités.
A lire ce qui concerne les dîmes [Ma’aserot] et la deuxième dîme [Ma’aser sheni] dans le Talmud de Jérusalem on voit:
∙ comment les lois agraires basées sur la Tora – écrite et orale –, sont comprises par les Sages comme ayant force de loi et d’enseignement ;
∙ comment les rédacteurs du Talmud de Jérusalem augmentent les exigences de l’Ecriture et celle-ci, à son tour, devient le modèle de la Tradition, par ex. Dt 4, 12 : « Tu devras prélever la dîme de ta semence … » compris par le Talmud de Jérusalem comme s’appliquant à tout ce qu’on trouve – garde – et récolte du sol- ce que Maïmonide interprétait ainsi: toute nourriture de l’homme provenant du sol. La Tora ne mentionne que les céréales, le vin et l’huile – astreints à la deuxième dîme ;
∙ comment le Sugya (unité de rhétorique) du Talmud est compris comme une interprétation vivante – elle reflète époques et évènements changeants, ajoute et retranche et ainsi modifie la Tora du Sinaï qui devient Tora des rabbins.
Indubitablement l’œuvre suprême des Sages fut la sauvegarde du judaïsme qui suivit le désastre du second Temple et de Jérusalem en 70 de notre ère. La guerre des juifs contre les Romains se termina en désastre – le centre religieux et la vie nationale en marasme. Néanmoins les Sages transférèrent les rites du Temple à la vie de la communauté et les actes rituels ordinaires aux activités sacrées. Ainsi, les lois agraires, la solidarité à table et les dîmes furent considérées comme des devoirs religieux suprêmes et comme marques distinctives de la Weltanschauung des rabbins. Enfin, les Tannaïm de la Mishna et Baraïta et les Amoraïm de la Gemara sauvèrent le judaïsme du saccage des Romains en terre d’Israël en le plaçant au-delà de l’espace et du temps. Ils firent passer les valeurs et la pensée juives des événements quotidiens catastrophiques à une sagesse dépassant le temps, implantant une manière qui leur est propre, capable de féconder intelligence et esprit. Ceci, est, en très bref résumé, la théologie de l’esprit rabbinique.
Témoignage de Jésus (1)
Il y a une continuité fondamentale entre les croyances et les attitudes de Jésus et celles des pharisiens, entre les raisons qui amenèrent Jésus au conflit avec la religion officielle de son époque et ceux qui conduisirent ses disciples au conflit avec la Synagogue. Deux des questions fondamentales furent le rôle de la Tora et l’autorité de Jésus. Le judaïsme rabbinique n’a jamais pu accepter la christologie du Nouveau Testament puisque l’Homme-Dieu de l’union hypostatique est étranger à l’enseignement de la Tora sur le monothéisme absolu. En tant que Messie promis, (2)Jésus n’a pas rempli les conditions que la tradition rabbinique et prophétique associe à la venue du Messie – par ex. il n’y a eu ni harmonie – ni liberté – ni paix – ni concorde à Jérusalem mais inimitié et dispute sur cette terre. Ceci anéantit la validité de la proclamation chrétienne que Jésus a accompli la Tora et qu’à sa deuxième venue la paix de l’ère messianique se réalisera. En tant que rabbi, Jésus a enseigné l’autorité divine de la Tora et des prophètes (3)et il en a respecté les commentateurs et gardiens (4)mais il a cependant affirmé que son autorité était également divine, et qu’elle était au-dessus de l’autorité de la Tora. Nous sommes d’accord avec ceux qui considèrent ce témoignage comme le point principal de la contestation entre Jésus et les autorités religieuses qui finalement ont conduit à la séparation des adeptes de Jésus d’avec la Synagogue. Cependant nous maintenons que la querelle a commencé avec les paroles de Jésus, interprétation de la Tora.
Par ex. la distinction dans l’interprétation de la Règle d’or exprimée de façon positive par Jésus (5)et de façon négative par Hillel.(6) L’éthique de Jésus considère le christianisme comme altruiste, refuse la valeur morale objective de l’individu et rabaisse le moi au profit de l’autre. Le code moral de Hillel, comme compris dans le judaïsme, élimine complètement l’attitude subjective. Objectivement elle se rapproche de la notion de justice abstraite qui attache la valeur morale à la personne en tant que telle sans favoriser le moi ou l’autre.
L’argument de Hillel: personne n’a le droit de nuire à la vie d’une autre personne sous prétexte de préserver la sienne et de même on n’a pas le droit de nuire à sa propre vie pour préserver celle de l’autre. Tous deux sont des êtres humains et leur vie a la même valeur devant le trône céleste de justice. La parole de la Tora « Aime ton prochain comme toi-même » (7) veut exprimer cette attitude- ni plus ni moins – c’est à dire que les plateaux de la balance de la justice doivent être en équilibre sans pencher favorablement vers la personne ou son prochain. (8)L’amour de soi-même ne doit pas être le contre-poids qui fasse basculer le plateau à son avantage et le souci de l’autre ne doit pas faire basculer le plateau en sa faveur.
La position de Hillel est en contradiction avec celle de Jésus que la foi des chrétiens place au-dessus de la Tora (écrite et orale). La disparité entre moi et l’autre dans la foi de Jésus héritée des ancêtres est abolie dans la nouvelle foi en Jésus: « Il n’y a ni juif, ni grec – ni esclave ni homme libre – ni homme ni femme, car tous vous n’êtes qu’un en Jésus Christ ». (9) Ceci peut très bien expliquer les paroles de Jésus sur la loi du talion, (10)sur l’amour des ennemis (11)et sur le pardon au moment où lui-même est crucifié.(12)
La différence entre Hillel et Jésus, la Synagogue et l’Eglise, à propos de la Tora et de la personne de Jésus, s’est accrue après le mort de Jésus et le succès du christianisme prêché par Paul.
« Ani Hu » Je SUIS Lui
Quelque composite que soit la physionomie du Jésus historique et rudimentaire la conception de l’événement-Christ dans le Second Testament, il n’y a aucun doute que les fidèles juifs et païens ont accordé puissance et attributs divins à Jésus et l’ont vénéré au-dessus de toute créature. Une telle attitude envers la personne de Jésus comme Dieu incarné a provoqué le conflit avec les Sages qui ne révèrent que la Tora venue du ciel. Ceci est illustré par la différence (dissemblance) exégétique entre l’Eglise et la Synagogue à propos de la façon dont il faut obéir aux exigences de Dieu. En déchiffrant le sens du commandement de Dieu (Dt 30, 11-14) l’Apôtre Paul affirme que le Christ est le sujet de « Qui montera au ciel? … Qui descendra dans l’abîme? » et « confesser – de sa bouche et dans son cœur (13)– que Jésus est Seigneur » est le salut assuré pour tous. Cependant, pour les Sages, le salut est dans la foi et l’obéissance aux commandements: « car cette loi que je t’impose aujourd’hui n’est pas trop ardue pour toi .... elle n’est pas au ciel »(14) est la raison d’être du judaïsme rabbinique c’est à dire la Tora n’est pas dans le ciel, elle est ici, proche, si bien qu’Israël peut entendre « bénédiction ou malédiction » et accomplir les 613 commandements (15)et ainsi « choisir la vie »(16) et vivre.
Des arguments aussi persuasifs à propos de la foi en Christ ou observance de la Loi peuvent être des différends parmi les judéo-chrétiens pour savoir comment atteindre les Gentils;(17) la conséquence est décisive et sème la division dans les controverses entre l’Eglise et la Synagogue, en commençant par la chrétienté naissante – comme Jean 8 semble le suggérer. La destruction de Jérusalem et du second Temple est une preuve suffisante pour les fidèles du Christ: Dieu a prononcé un jugement sévère sur ce peuple à la nuque raide et le Dieu des promesses a accordé son soutien à ceux qui acceptaient Jésus comme Messie. Donc « le Christ est l’accomplissement de la Loi »(18) … « dans sa chair, la Loi avec ses commandements et observances est abolie ».(19) Mais la Tora et ses commandements sont la matrice dans laquelle le judaïsme rabbinique est né, forteresse puissante pour écarter les dangers d’un anéantissement, danger venu de l’extérieur (Rome) ou du dedans (philosophies non pharisiennes, y compris le judéo-christianisme). Car dans la tradition rabbinique, rejeter un seul précepte de la Tora équivaut à rejeter la Tora tout entière – ceci explique les mesures prises par la Synagogue: au 2e siècle la prière de Birqat-ha-Minim (contre les hérétiques juifs, insérée dans la prière des Dix-huit bénédictions) pour sauvegarder le caractère religieux et national, face à l’adversité et la catastrophe.
Les points cruciaux de la polémique entre Jésus et les juifs en Jean 8 (et même dans tout le quatrième évangile) mettent en relief leurs vues divergentes sur le joug de la Tora (temporaire ou éternel) et – à la fin du 1er siècle – la séparation d’une communauté spécifique judéo-chrétienne face à la société juive à laquelle les chrétiens avaient appartenu et d’où ils étaient maintenant exclus par la volonté formelle de la Synagogue. D’une part, remarquer les paroles de Jésus à la Samaritaine près du puits: « Le salut vient des juifs – mais l’heure vient et maintenant elle est là – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (20) D’autre part, remarquer l’intensité du conflit entre la communauté judéo-chrétienne pour laquelle Jean a composé son évangile et les autorités religieuses régnantes, conflit décrit en un langage hostile et vindicatif – placé dans la bouche de Jésus qui accuse ses adversaires juifs de ne pas accepter la vérité, de chercher à le tuer et d’être les enfants du Diable. (21)
Dans la longue histoire du christianisme, il n’existe pas de développement plus tragique que le traitement infligé au peuple juif par les chrétiens, s’inspirant en partie de l’anti-judaïsme de l’évangile de Jean. La pierre angulaire de la christologie est la croyance qu’Israël a été rejeté par la volonté divine pour avoir d’abord refusé Jésus et ensuite l’avoir tué. Ceci a permis aux écrivains apostoliques et patristiques de condamner les juifs d’après la théorie de Jean 8 et, en plus, de leur assigner la pire des punitions au jour du jugement. Ce ne sont pas de simples paroles – mais des éléments qui s’enchaînent de façon ininterrompue d’attaques antisémites qui ont abouti au massacre des juifs au cœur de la chrétienté et cela existe encore au sein de nombreux cercles chrétiens aujourd’hui. Comment réparer ce cycle de souffrance et l’héritage de la honte? La solution se trouve dans le midrash exprimé dans un dialogue chaleureux et vigoureux entre frères de sang, les chrétiens et les juifs, individuellement et collectivement.
Expliquons-nous. C’est un fait que les relations Eglise-Synagogue se sont améliorées depuis que le Concile Vatican II (1963-1965) a promulgué le document Nostra Aetate (« De notre temps »), premier document romain refusant la responsabilité collective des juifs dans la mort de Jésus. Dans le monde catholique-romain, ce document a inspiré maints diocèses ou archidiocèses à mettre en œuvre Nostra Aetate et à débarrasser l’enseignement chrétien de préjugés anti-juifs. En guise d’illustration, reportons-nous à l’attitude des évêques italiens envers la communauté juive d’Italie (mars 1998). « Avec le Second Concile du Vatican et grâce à la rencontre de deux hommes de foi, Jules Isaac et Jean XXIII – dont la mémoire est bénédiction – l’Eglise catholique s’est tournée résolument dans une autre direction (refusant l’enseignement de la punition des juifs par sanction divine) faisant disparaître toute justification pseudo-théologique de l’accusation de ‘déicide’ et de ‘perfidie’ et, aussi la théorie de la substitution avec son corollaire: ‘l’enseignement du mépris’(22) , fondement de tout antisémitisme. L’Eglise reconnaît avec St Paul que les « dons de Dieu sont irrévocables » et que même aujourd’hui Israël a une mission qui lui est propre: témoigner de la souveraineté absolue du Très-Haut devant lequel doit s’ouvrir tout cœur humain ».
Qui peut rivaliser avec Jean Paul II au long pontificat de 23 ans. Il a débarrassé l’Eglise catholique-romaine de tout antisémitisme. Plus qu’aucun de ses prédécesseurs, il a condamné « la haine, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme dirigés contre les juifs par les chrétiens à n’importe quelle époque et dans n’importe quel pays (Yad-VaShem – 23 mars 2000). Il a épinglé la haine des juifs comme péché contre Dieu, s’est référé aux juifs comme « frères aînés » (23)avec lesquels l’alliance de Dieu est irrévocable, il a rétabli des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël (1994). Les documents du Vatican « Nous nous souvenons » (1998) et « Confessions des péchés contre le peuple d’Israël » (Basilique St Pierre – 12 mars 2000) sont les jalons principaux des efforts de l’Eglise catholique-romaine pour une réconciliation avec le peuple juif. Et nous pourrions ajouter que la plus grande partie des protestants des diverses dénominations du Conseil œcuméniques des Eglises a fait de même – à différents degrés.
Nous accueillons ces gestes affirmés et confessés dans l’esprit de la teshuvah (repentance) par la plus grande Eglise membre du « Corps du Christ » et i1 est de bon augure pour les juifs d’offrir la teshuvah comme réponse. Les juifs doivent être fidèles à la Tora, distincte d’autres religions et écrits sacrés. En même temps, ils doivent accomplir leur tâche et purifier le peuple d’Israël de tout parti-pris anti-chrétien. Les juifs doivent apprécier de la part de l’Eglise catholique-romaine attitudes et actions transformées comme de bons présages accomplis dans un esprit d’humilité et de contrition. Les juifs ont besoin qu’on leur rappelle que l’Eglise catholique-romaine recherche un rapprochement avec le judaïsme et le peuple juif – ce qu’expriment les paroles de Rabbi Joachim-Prinz à propos du travail d’avant-garde du savant catholique suisse Clemens Thoma: « Une théologie chrétienne du judaïsme » (1980), le judaïsme « qui n’a pas seulement une importance historique, mais qui est partie intégrante de l’unité chrétienne ». Le christianisme, partenaire d’un dialogue légitime, tikkun ‘olam, qui apporte au monde paix – entente – unité.
De l’aveu général, le dialogue crée parfois des frictions, inattendues, du genre de ce que l’on trouve dans les faits et les débats séculaires, s’ils ont lieu de façon agressive. Progresser et non régresser dans le dialogue entre juifs et chrétiens n’est possible que si les vieux préjugés sont mis à nu et l’enseignement réciproque du respect encouragé. Ainsi un dialogue juste sur Jean 8 ne laisse passer aucune parole dure contre les juifs et les explique dans le contexte de vie de cette époque, ni n’autorise des jugements erronés d’herméneutique mesquine sinon incontestée, ni ne permet qu’une pensée traditionnelle – quoique controversée – s’étende sans être vérifiée. Le « Je suis » de Jn 8,24, en est un exemple. Cette expression dévoile une aura divine de Jésus par ses propres paroles: « Je suis celui que je déclare être »- elle peut être mise en équation avec l’identité de Dieu à Moïse « Je suis celui qui suis ». (24) Pour le théologien chrétien cette affirmation peut être interprétée comme « Je suis » (Dieu) révélé en « Je suis » (Jésus)25. (25)Mais le texte continue: Ex 3, 14 « Lui (Dieu) dit: Tu parleras ainsi aux enfants d’Israël: Je suis m’a envoyé (Moïse) vers vous ». Cette parole traduit que Dieu – en tant que Dieu, et non Dieu – en tant que Jésus – est la révélation absolue et suffisante de la personne de Dieu pour le peuple juif.
La signification attachée au Nom de Dieu dans la discussion midrashique citée plus haut chasse l’illusion par l’illustration. La sainteté et la puissance de l’appel de Dieu sont entendues également et nécessairement de façon différente par l’Eglise et la Synagogue – l’une par le Christ et l’autre par la Tora. Cependant la pleine mesure du Nom de Dieu signifiant son essence et son dessein est cachée à jamais26 (26)dans le monde – mais à la plénitude des temps elle se fera connaître : « C’est pourquoi mon peuple connaîtra mon Nom; c’est pourquoi – ce jour-là – le Nom de Dieu sera: Me voici! »27. (27)
Il appartient aux juifs et aux chrétiens ensemble – en dialogue – de faire venir ce jour rapidement, de notre vivant.
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* Texte traduit de l’américain par I. Jacquet.
[NDT. Les citations des textes de la Bible hébraïque sont faites d’après : La Bible – édition bilingue, Texte hébraïque d’après la version massorétique. Paris, éd. Colbo, 1990.]
1. Cf. Zev Garber, « Know Sodom, Know Shoah », dans Z. Garder et R. Libowitz, (éd). Peace, In Deed, Atlanta GA, Scholars Press, 1998, pp. 83-98, et particulièrement pp. 89-93.
2. Cf. parmi d’autres, Mt 26, 62-64; Mc 14, 60-62; Lc 22, 60-70.
3. Cf. Mt 5, 17-20.
4. Mt 23, 1-3a.
5. Cf. Mt 7, 12 et Lc 6, 31.
6. L’origine de la Règle d’or est en Lv 19, 18. Qu’elle est l’essence de la vie morale, on le trouve dans la tradition juive longtemps avant la période de Hillel et de Jésus. Ainsi, elle est exprimée dans les livres de Ben Sira (« Honore ton prochain comme toi-même ») et de Tobie (« ce qui n’est t’est pas agréable, ne le fais pas à autrui »), (tous les deux sont du 2e s. avant l’ère). De même dans les Testaments des douze patriarches. « Un homme ne devrait pas faire à son prochain ce qu’il ne souhaite pas qu’on lui fasse ».
7. Lv 19, 18.
8. Cf. la Baraïta en B. Mes. 62a qui tend un piège au sujet de l’opinion de l’altruiste Petura contre R. Akiba, et en Pesah 25b où quelqu’un demande à Raba (280-352) ce qu’il devrait faire dans le cas où quelqu’un qui a autorité menaçait de le tuer s’il n’a pas tué un autre.
9. Gal 3, 28. Aussi 1 Cor 12, 13; Col 3, 11.
10. Mt 5, 38; Lc 6, 29-30.
11. Mt 5, 43-48; Lc 6, 27-28. 32-36.
12. Lc 23, 34.
13. Rm 10, 6 commentant Dt 30, 13-14.
14. Dt 30, 11-12a
15. Le Talmud dit: « 613 commandements ont été révélé à Moïse au Sinaï, 365 sont des commandements négatifs corespondant au calendrier solaire, 248 sont positifs correspondants aux membres du corps humain. » (…) La classification classique et l’énumération du TaRYaG Mitzvot [613 commandements] suivent l’ordre de Maïmonide (1135-1205) dans son Sefer ha Mitzvot écrit en arabe et maintes fois traduit en hébreu.
16. Dt 30, 19.
17. Les Galates par ex. C’est ce que j’ai discuté dans mon texte « How Believable Is the Allegory of Hagar and Sarah (Ga 4, 21 – 5, 1) », donné lors de la conférence annuelle de la National Association of Professors of Hebrew (NAPH), à Nashville, Tennessee, 18-21 novembre 2000.
18. Ro 10, 4a.
19. Ep 2, 5.
20. Jn 4, 22b-23.
21. Jn 8, 31-59.
22. L’expression est associée à Jules Isaac (1877-1963), une autorité juive française, qui dans une audience avec le Pape Jean XXIII l’a persuadé de redresser les erreurs de l’enseignement de l’Eglise catholique sur les juifs. Son livre L’enseignement du mépris a joué un rôle décisif dans l’élaboration de la Déclaration Nostra Aetate.
23. Expression introduite par le Pape Jean XXIII.
24. Ex 3, 14.
25. Ibid.
26. Dans l’hébreu non vocalisé de la Tora, « ceci est mon Nom l’lm » peut être lu non par: « toujours » mais: « pour être caché ».
27. Is 52, 6.