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Quelques experiences de dialogue
Plusieurs auteurs
Le Trialogue annuel d'experts internationaux (ISAT)
Le ISAT (International Scholars'Annual Trialogue) est un dialogue à long terme entre experts juifs, musulmans et chrétiens. 11 a eu sa première conférence au printemps 1989 à Philadelphie (Pensylvanie) et des experts étaient venus des Etats-Unis, d'Angleterre, d'Israël, d'Allemagne, Yougoslavie, Grèce, Autriche, Maroc, Pakistan, France, Algérie, Espagne, Tunisie, Egypte, Tanzanie et Turquie. Les rencontres de l'ISAT sont organisées à l'initiative du Journal of Ecumenical Studies et du National Conference of Christians and Jews.
Les premières rencontres ont eu lieu, après Philadelphie, à Atlanta, Orlando et Graz (Autriche) en 1992, et l'on projette actuellement de publier les 4 textes de cette dernière conférence en anglais et en allemand. Le thème choisi pour 1994 est: "Les femmes dans les trois traditions", et l'on continuera aussi l'étude du thème de 1993: "Vers la Déclaration uuniverselle d'une éthique mondiale".
EUROPE
La Conférence permanente des juifs, chrétiens et musulmans en Europe
Les débuts de la "Conférence permanente" sont liés aux efforts de réconciliation entre Juifs et Allemands vers les années 1960. Les Synagogues d'Angleterre et les Eglises allemandes luthériennes avaient déjà organisé des programmes d'échanges; les communautés musulmanes commençaient à s'établir en Europe, et des tensions se manifestaient en certaines villes; le conflit du Moyen-Orient avait aussi son influence. La nécessité que l'on ressentait d'apprendre à se connaître et de développer confiance et amitié fut à l'origine de la première conférence, organisée à Wannsee vers la fin de 1967. A la suite d'autres conférences qui eurent lieu en Angleterre, en Hollande et en Allemagne, la "Conférence permanente" fut créée, et des branches locales furent établies en divers pays d'Europe. Cette initiative a rencontré des hauts et des bas et ne s'est pas développée sans peine; cependant des rencontres au niveau de l'Europe ont eu lieu régulièrement au Hedwig Dransfeld Haus, en Allemagne, organisées à la fois par Londres et par Bendorf, et nous donnons ici le témoignage de deux participantes.
Allemagne
A Bendorf, en Allemagne la maison Hedwig-Dransfeld
Bendorf est une petite ville d'Allemagne sans importance, à quelques kilomètres au Nord de Koblenz; elle est devenue cependant, pour bon nombre de personnes engagées dans le dialogue interreligieux, un lieu important dans leur vie. Depuis 25 ans déjà, la HedwigDransfeld - Haus accueille les participants (juifs et chrétiens) aux semaines bibliques, et depuis environ 20 ans des sessions communes pour juifs, chrétiens et musulmans.
La maison a été fondée par une importante organisation de femmes allemandes catholiques, et elle appartient encore à ce groupe. Vers la fin des années 60, quelques rabbins d'Angleterre vinrent là en visite et, avec la directrice de l'époque, Anneliese Debray, ils eurent l'idée d'organiser dans la maison des Semaines d'étude de la Bible pour juifs et chrétiens. Un peu moins de 25 ans après la fin de la guerre, la chose n'était pas évidente; mais l'idée se concrétisa peu à peu et elle a continué à se développer jusqu'à nos jours. Trois semaines interreligieuses sont organisées actuellement à Bendorf, et aussi des week-ends, et ces rencontres sont ouvertes non seulement aux juifs et aux chrétiens, mais aussi aux musulmans.
Chaque été, juifs et chrétiens se retrouvent pour une semaine d'étude de la Bible, qui se présente sous la forme d'une lecture continue. Ayant commencé par la Genèse, les participants ont étudié lors de la dernière session le prophète Jérémie... Certains participants disent que lorsqu'on aura fini l'étude de toute la Bible, on pourra revenir à la Genèse et recommencer... Mais sans doute les participants des premiers jours ne seront plus là!
Les semaines interreligieuses de Bendorf ont quelque chose de très spécial, elles sont un peu comme un virus: si l'on y va une fois, on y revient encore et encore. Ces semaines sont l'occasion de retrouver des amis que l'on n'a pas vus depuis un an ou plus, des amis de religions différentes, mais aussi de pays divers, car les sessions sont internationales. Pour bien des participants, c'est la première fois qu'ils viennent en Allemagne, et pour les juifs, spécialement, cela ajoute une dimension particulière aux rencontres...
Au cours des dernières années, d'autres formes de sessions ont été organisées: art, musique, expression corporelle, danse etc..., mais les sessions sont toujours des occasions de rencontre avec des personnes de religions différentes et de connaissance mutuelle dans une vie commune, et elles comportent toujours des moments d'échange importants... Les heures libres entre le déjeuner et la réunion de l'après-midi, les soirées aussi, permettent des sorties et des échanges. Chacun découvre et comprend mieux l'autre, et l'identité personnelle s'en trouve à la fois transformée et affermie. Une semaine passée à Bendorf vous laisse avec plus de questions que de réponses... mais cela signifie aussi que la vie devient plus large, plus riche et plus digne d'être vécue.
Katherine E. Wolff N.D.S.
A Bendorf: la conférence des femmes
L'idée d'une conférence de femmes juives, chrétiennes et musulmanes est née il y a plus de 18 ans à Bendorf. Anneliese Debray, alors directrice de la maison, souhaitait que davantage de femmes participent aux rencontres et qu'elles puissent y apporter leur note propre dans le dialogue. Elle eut l'idée d'inviter des femmes du Moyen-Orient, de bords différents, que leur environnement habituel empêchait de se rencontrer, et de joindre à elles des femmes catholiques et protestantes de l'Irlande du Nord. Juives, chrétiennes et musulmanes d'Europe, elles pourraient partager leurs expériences, anxiétés, espérances et aspirations à la paix, par-delà les barrières qui les séparaient. Et cela put se réaliser.
En octobre de l'année suivante, eut lieu la première Conférence JCM (juive - chrétienne - musulmane) des femmes. Il y avait là des femmes palestiniennes et juives d'Israël, chrétiennes et musulmanes du Liban et d'Egypte, des femmes juives, chrétiennes et musulmanes d'Allemagne, Angleterre, France, Tchécoslovaquie, Suisse et Hollande. Anneliese ne put cependant persuader les femmes catholiques et protestantes d'Irlande du Nord de se joindre au groupe, car elles ne croyaient pas alors à la possibilité de dialoguer. L'atmosphère fut, au début, très lourde, pleine d'appréhension, d'anxiété; on était dans l'expectative; mais quand arriva la fin de la semaine, lorsqu'on eut partagé à la fois sa colère, sa douleur, ses larmes et son espérance, de nouvelles amitiés s'étaient créées entre femmes palestiniennes et juives d'Israël, et entre juives, chrétiennes et musulmanes de pays différents, des amitiés qui durèrent des années et qui furent à l'origine de nombreuses démarches en vue de la paix, entreprises par des femmes seules en Israël. La conférence des femmes est devenue l'une des activités régulières de Bendorf.
Un des moments importants des conférence JCM est la célébration de la liturgie. C'est dans ce domaine justement que bien des femmes se sentent dans l'impossibilité de créer des liturgies qui leur soient propres, ayant la même validité que les autres, mais sans qu'un prêtre doive venir pour célébrer la Messe. Jusqu'à maintenant, la question des liturgies chrétiennes reste pourbeaucoup un aspect problématique du programme, et cela non seulement du fait de l'absence d'un prêtre qui célébrerait une "véritable" liturgie, mais pour d'autres raisons aussi: Devons-nous, par exemple, organiser deux cérémonies chrétiennes, l'une protestante et l'autre catholique, ou est-il possible de participer pleinement à une liturgie oecuménique créée par des femmes et pour des femmes? Ces recherches donnent lieu à bien des confrontations et des insécurités, mais elles commencent à être prises en considération. Les femmes commencent à se libérer des limites imposées par la tradition et l'autorité masculine et à prendre leur responsabilité dans la création d'une forme de prière qui leur soit propre. Il est clair que ce genre de problèmes ne reflète pas uniquement la rupture entre les générations: il est dans la nature même de toutes les religions de restreindre le rôle des femmes.
Ce souci n'est pas seulement celui des femmes chrétiennes. Rachida Charif, dans sa conférence sur "les femmes en Islam", a bien montré comment les recommandations et instructions du Coran à propos de la conduite des femmes n'avaient pas originellement pour but de restreindre la liberté de celles-ci, mais de les protéger contre un environnement non-musulman; mais "on a attribué par la suite à ces versets une autorité religieuse, y attachant des sanctions, et on les a utilisés pour rétrécir l'image de la femme, dans sa mobilité et ses obligations, pour la réduire au simple rôle de domestique, sans éducation et dépendant psychologiquement, économiquement et socialement des mâles de leurs familles". (European Judaism: 87,1). Rachida a été étonnée de voir tant de femmes juives l'approuver d'un signe de tête avec sympathie. Le fait de refuser les limites traditionnelles marginalise souvent les femmes, et les femmes musulmanes ne trouvent guère de support, au sein de leur propre communauté, dans la recherche qu'elles font d'un rôle nouveau à jouer dans l'Islam. Le support qu'elles trouvent, au cours des Conférences, auprès de femmes d'autres religions est précieux et très encourageant.
Mais le dialogue interreligieux nous rend aussi conscientes de la nécessité urgente de revoir notre enseignement religieux; il nous révèle combien les stéréotypes et les préjugés peuvent influencer la connaissance que nous avons les uns des autres. En examinant les problèmes féministes au sein du christianisme, nous avons dû faire face à certaines conceptions que l'on a du judaïsme reflétant d'anciens et inconscients préjugés anti-juifs...
Le déjeuner du vendredi marque un moment différent de la semaine. Nous passons de la prière du vendredi, commune aux musulmanes, à une session d'étude ou à un moment d'échanges tout simples; puis vient le temps d'allumer les bougies du shabbat et d'entrer dans ce jour de repos, avec une alternance de prières et de sessions d'étude, pour terminer par la liturgie chrétienne du dimanche. Les groupes de discussion et les autres activités se poursuivent, et cependant l'atmosphère est différente: cela en partie du fait des célébration religieuses, et en partie parce que la semaine touche à sa fin et que la séparation approche...
Dorot heu Magonet
Extrait de la revue anglaise Manna, été 1989
France
La Fraternité d'Abraham
Cette association française, née à Paris en 1967, a pour but de "réunir tous ceux qui, à des titres divers, sont attachés aux valeurs spirituelles, morales et culturelles issues de la tradition d'Abraham" et qui souhaitent que la fraternité de tous ceux qui partagent la foi d'Abraham le croyant apparaisse au coeur des masses d'aujourd'hui comme un ferment de paix et d'entr'aide, capable de susciter l'enthousiasme et la générosité au service de toutes les causes vraiment humaines.
Dans ce but, des juifs, des chrétiens et des musulmans ont décidé de s'unir pour prendre conscience de tout ce qui, depuis Abraham, constitue leur commun patrimoine spirituel et culturel, mais aussi pour travailler ensemble à la réconciliation effective de tous ceux qui, de quelque manière, constituent aujourd'hui la descendance d'Abraham et, pour autant, libérer le monde des méfaits de la haine, des violences fanatiques, des orgueils de la race et du sang, en lui révélant les sources authentiques et divines d'un humanisme fraternel.
L'essentiel de leurs activités consiste dans:
— l'organisation de conférences mensuelles (octobre à juin) sur un thème annuel traité tour à tour par des conférenciers juifs, chrétiens et musulmans;
— la publication d'une revue trimestrielle donnant le compte-rendu détaillé de ces conférences, ainsi que des articles ou notices bibliographiques concernant les trois monothéismes,
— l'organisation parfois de pèlerinages monothéistes en Terre Sainte, tel celui qui a eu lieu en janvier 1993 sous le titre: "Sur les pas d'Abraham".
Pour tous renseignements, s'adresser à: Fraternité d'Abraham, B.P. 23108, 75364 Paris Cedex 08.
Un espace interreligieux à la gare de Lyon-Perrache
A Lyon-Perrache, chaque jour des milliers de personnes empruntent la longue galerie qui relie la gare SNCF au centre commercial et aux transports urbains. Dans ce lieu où les gens, anonymes, se hâtent sans porter attention les uns aux autres, derrière les vitres fumées qui le bordent des deux côtés, un promeneur moins pressé peut cependant découvrir une antenne médicale, un accueil social... et un centre d'informations religieuses.
Passée la porte de ce dernier, le regard tombe sur une grande affiche: "Un seul Dieu, tous fils d'Abraham". Sous cette inscription, trois symboles: les tables de la Loi, la croix et le poisson, la mosquée. Au pied de l'affiche sur une modeste table, les livres des religions juive, chrétienne, musulmane: le Pentateuque, la Bible, le Coran.
Dans un angle de la pièce, un grand paravent blanc. Par derrière, un petit oratoire très dépouillé: quelques sièges, des tapis de prière. Au mur un vaste tableau de feu et de lumière. Dehors, la bousculade, le bruit, le va-et-vient incessant. Derrière ce paravent, le silence, la paix et la prière.
Ouvert en 1976, ce centre était destiné à renseigner sur les différents cultes de la région lyonnaise, mais très vite il est devenu un lieu de recueillement, de discussion, d'échange. Il est dirigé par le P. Peyrilleux et le pasteur Bindschedler. Une présence quasi permanente est assurée 7 jours sur 7, de 9h. à 18h. par une vingtaine de bénévoles.
D'après Fraternité d'Abraham N° 59 – 1988
Déclaration commune des grandes familles religieuses de France sur les conflits en ex-Yougoslavie
7 septembre 1992
Nos communautés ne peuvent pas rester insensibles aux conflits qui ensanglantent aujourd'hui l'ancienne Yougoslavie. Ces massacres au coeur de l'Europe, devant une communauté internationale impuissante nous emplissent de douleur et de honte. Nous le ressentons d'autant plus que, de plusieurs côtés, des volontés de "purification ethnique" et les comportements qui en résultent semblent resurgir des horreurs du passé.
Dans ce conflit où communautés ethniques et appartenance religieuse ont tendance à se superposer, nous tenons ensemble à affirmer qu'aucune religion ne peut être invoquée pour justifier de tels actes. Ils sont en opposition totale avec les valeurs d'amour du prochain et de respect de la personne humaine qui sont au coeur de notre foi. Ils accumulent jour après jour les raisons de conflits et de drames futurs. Nous appelons à un sursaut de conscience et nous voulons mobiliser nos forces, notre prière et nos actions pour que la paix et un long processus de réconciliation puissent remplacer les actuelles clameurs de la guerre. Nous ne pouvons qu'approuver les efforts des instances internationales, mais il nous faut être attentifs aussi à être des artisans de paix là où nous sommes. Il en va de notre fidélité, de la survie des peuples et de notre capacité à vivre tous ensemble dans notre vieux continent.
Signé:
Docteur Datil BOUBAKEUR, Recteur de l'Institut musulman de la Mosquée de Paris.
Monseigneur Joseph DUVAL, Président de la Conférence des Evêques de France.
Monseigneur JEREMIE, Président du Comité inter-épiscopal orthodoxe.
Monsieur Joseph SITRUK, Grand Rabbin de France.
Pasteur Jacques STEWART, Président de la Fédération protestante de France.
Italie
La communauté de San Egidio et le trialogue
La communauté de San Egidio, qui plonge ses racines dans le monde étudiant et dans le climat culturel et théologique du concile Vatican II et de la fin des années 60, a célébré cette année son 25e anniversaire.
Certaines des motivations initiales sont devenues avec le temps des caractéristiques stables et spécifiques de la communauté: la centralité de la Parole de Dieu; le sens du primat de la liturgie dans la vie des chrétiens qui se considèrent comme des gens normaux, comme tout le monde; le choix d'une forme d'Eglise pratiquant l'amitié et le fraternité envers tous; l'ouverture et le désir profond d'une rencontre humaine et religieuse avec les chrétiens d'autres confessions et avec les croyants d'autres religions, qui s'exprime par un engagement croissant dans le dialogue oecuménique et interreligieux.
Cet engagement pour le dialogue, se développant au long des années, a vu dans la rencontre de prière d'Assise de 1986 un événement particulièrement significatif et prophétique. Les grandes religions, retrouvant les énergies propres de la paix, ont joué un rôle dansles changements intervenus sur la scène internationale: elles ne sont pas restées passives devant les problèmes de la liberté humaine, de la paix et de la justice. Ce rôle des religions, non seulement n'a pas été totalement rempli, mais nous croyons qu'il n'a pas encore développé toutes ses possibilités.
Rencontres internationales entre religions
Depuis 1987 la communauté, voulant en un certain sens recueillir l'héritage d'Assise — comme le suggérait le St Père dans le discours final de cette journée — a organisé des rencontres annuelles entre représentants des Eglises chrétiennes et des grandes religions mondiales, afin de poursuivre dans le même esprit. De telles initiatives trouvent leur place dans cette action pour le dialogue entre croyants que nous avons entreprise, depuis un certain temps déjà, à travers des visites, rencontres, échanges, sessions d'hommes et de femmes de traditions religieuses différentes de plus de 70 pays.
En tant que Communauté San Egidio, avec l'aide de tant d'hommes et de femmes de fois religieuses différentes, nous avons instauré des rencontres annuelles: les rencontres internationales "Hommes et Religions".
Un an après Assise, en octobre 1987, se sont réunis à Rome, dans un climat d'amitié grandissante, bon nombre de représentants de diverses religions. Sur cette rencontre planait une interrogation sur le rapport entre religion et guerre: de là est venue l'orientation, sanctionnée par l'appel final de l'assemblée de 1987, invitant les traditions religieuses à se désolidariser d'une attitude justificatrice devant les conflits. Cette orientation s'est renforcée au cours des rencontres successives, mettant en lumière le rôle des hommes et femmes de religion: Que chacun, là où il travaille, prie ou enseigne, devienne un artisan de paix, soit dans l'éducation, soit par un travail de réconciliation.
La rencontre de Varsovie, le 1.9.1989, alors que la situation internationale était encore incertaine mais déjà nouvelle, a été comme un pèlerinage à la mémoire de la Seconde guerre mondiale, d'où a jailli l'appel: "Plus jamais la guerre!" Lors du pèlerinage silencieux aux camps d'extermination de Auschwitz-Birkenau, face au souvenir des victimes du fascisme nazi, s'est exprimé l'engagement des hommes et des religions à cheminer plus résolument vers la paix et la solidarité mutuelle.
... Nous ne sommes certes pas insensibles aux droits bafoués, aux peuples souffrant de la discrimination, de l'exil de leur propre terre, et à tant de situations douloureuses que nous portons dans nos coeurs; mais nous savons aussi que la guerre a ajouté de nouveaux préjudices, de nouvelles douleurs à ce qu'ils souffrent déjà... Nous demandons à tous, et d'abord aux responsables politiques, à ceux qui peuvent décider d'un renouveau de paix et de justice, de s'engager pour que la guerre soit exclue des relations internationales et comme solution des conflits. Que s'instaure parmi les peuples une culture du dialogue! Dans l'esprit d'Assise, qui est recherche de la paix et du dialogue entre les religions, offrons notre sincère collaboration et les ressources humaines et spirituelles de nos patrimoines religieux en vue d'un tel but".
Ce cheminement s'est poursuivi a Bari (1990), à Malte (1991) et à Bruxelles (1992), et il s'oriente vers la prochaine rencontre qui aura lieu à Milan du 19 au 22 septembre 1993.
Du climat d'amitié de ces rencontres, dont le but premier était la prière pour la paix, est née une solidarité humaine spontanée, religieuse, qui a obtenu des résultats bien plus importants qu'on ne s'y attendait. De la rencontre sincère entre croyants sont nées des formes d'engagement commun pour la paix. C'est le cas de Malte, où le Grand rabbin de Haïfa, Shear Yashuv Cohen, le Grand mufti du Caire, Tantawy et d'éminents représentants des Eglises chrétiennes d'Orient ont signé un appel commun pour la paix en Terre Sainte. De telles rencontres ont aidé à promouvoir des initiatives particulières de dialogue avec d'illustres représentants des diverses religions.
Relations avec le monde juif
Pour ce qui est de nos relations avec le monde juif, qui ont pour origine des contacts fréquents avec le Grand rabbin de Rome, Elio Toaff, et avec la Présidente des communautés juives d'Italie, Tullia Zevi, il nous faut rappeler le Colloque méditerranéen trilatéral: "Paix entre les religions, paix dans la société", qui a eu lieu à Rome, au Capitole, le 29 avril 1991. Ce fut la première rencontre entre les trois grandes religions abrahamiques depuis la fin de la guerre du Golfe. La présence, significative, du prof. Shlomo Goren, Grand rabbin émérite d'Israël, ainsi que d'importants représentants musulmans et chrétiens, a contribué à marquer l'importance de l'événement, dans une relation riche en références bibliques, historiques et personnelles.
De nombreuses conférences, organisées par notre communauté en diverses régions d'Italie, ont contribué à une meilleure connaissance réciproque en même temps qu'à la diffusion d'une sensibilité nouvelle. Je voudrais seulement rappeler ici les précieuses conférences du prof. Jacob Neusner, de l'Université de Floride du Sud et celle du rabbin Leon Klenicki, directeur du département de l'A.D.L. de New York pour les affaires interreligieuses. Ce dernier a donné des causeries en diverses villes d'Italie sur le thème. "Spiritualité juive après Auschwitz". Nos relations avec l'Anti-Defamation Leaguese sont encore développées ces dernières années, grâce à l'amitié et à la collaboration étroite établies avec le Rabbin Rosen de Jérusalem et avec Lisa Palmieri, responsable de l'A.D.L. en Italie.
Le travail que nous faisons ne veut être qu'un service en vue de la rencontre, de la compréhension, de l'amitié. Au cours des années, nous avons vu croître peu à peu, en diverses parties du monde, l'intérêt et même l'attente àpropos de ces rencontres ou initiatives; c'est pour nous à la fois la confirmation que nous sommes sur le bon chemin et un encouragement à continuer dans cette voie.
Dans un monde devenu plus petit, où les gens de religions et de cultures diverses, autrefois éloignées, vivent maintenant côte à côte, il y a peut-être là un signe de cette unité et cette entente entre tous les peuples à laquelle Dieu nous convie depuis des temps immémoriaux; et cela même si nous avons dû constater, ces derniers temps, de tristes résurgences de racisme et d'antisémitisme. Nous croyons malgré tout que le fait de ces nouvelles et anciennes cohabitations, si les croyants renouvellent leur engagement commun, peut être l'occasion d'éduquer à une conscience forte et vraie du destin commun de l'humanité.
Prof. Ambrogio Spreafico De la communauté San Egidio
ISRAEL ET TERRITOIRES
Les relations interreligieuses en Israël et dans les territoires administrés
Le Comité de coordination interreligieux en Israël est un organisme de base rassemblant quarante organisations et institutions qui jouent un rôle dans les relations interreligieuses en Israël. Ceux qui travaillent dans ces organisations et institutions sont en grande majorité d'origine occidentale et y importent une sorte de pluralisme, dans la culture et le dialogue, qui n'est pas caractéristique de la région. Ce qui renforce encore cette impression, c'est le nombre infime des musulmans présents dans ces rencontres. Toutefois, on se tromperait totalement en croyant que ces faits recouvrent toute la réalité.
La liste des organisations cherchant à promouvoir les relations entre juifs et arabes en Israël, telle que l'a publiée le Abraham Fund, mentionne plus de deux cent cinquante organismes qui réunissent juifs, chrétiens et musulmans et cherchent à promouvoir compréhension, responsabilité et coopération mutuelles! Ces organisations pour la coopération entre juifs et arabes sont, pour la plupart, situées dans les centres géographiques où vit la population israélo-arabe, et elles donnent une image des relations qui ont pu se développer en Israél entre juifs et arabes depuis 1948, relations que le conflit politique n'a relativement pas entamées. Même si cette liste comporte un grand nombre d'organisations très peu importantes et limitées, elle constitue cependant un témoignage impressionnant des efforts considérables et variés qui ont été faits dans ce domaine.
On peut remarquer néamoins que cet engagement des deux communautés, juive et arabe, n'intervient que rarement dans les milieux les plus engagés au plan religieux; ces derniers ont en effet, tous, trop souvent tendance à se préoccuper exclusivement de renforcer l'identité religieuse de leurs communautés propres, spécialement dans le contexte socio-politique du Moyen-Orient.
Il existe cependant un certain nombre de structures et d'institutions éducatives importantes, telles que l'Ulpan Akiba, près de Netanya, où juifs, musulmans, chrétiens et Druses rencontrent les membres des autres communautés religieuses et beaucoup de leurs leaders, et apprennent aussi à connaître leur culture et leurs pratiques religieuses.
Naturellement la situation est très différente en Cisjordanie et à Gaza où tout contact interreligieux est inévitablement compromis par le contexte politique et le conflit national. Si l'on a pu quand même établir certaines structures permanentes, bien que limitées, pour le dialogue religieux entre les Israéliens juifs et les Palestiniens chrétiens, cela n'a pas été possible pour le dialogue entre les premiers et les Palestiniens musulmans, à l'exception de cas individuels, à titre privé. En fait, pour des représentants musulmans vivant dans les territoires administrés, dialoguer ouvertement avec des juifs israéliens, c'est risquer d'être victimes de l'opprobre, souvent violent, de voisins extrémistes. D'où le rôle très important joué, pour atteindre la communauté musulmane de ces régions, par les organisations israéliennes pour les Droits de l'homme et, si on considère à ce point de vue les organismes religieux, il nous faut mentionner spécialement l'Association des rabbins pour les Droits de l'homme. Cette organisation, qui compte quelques cent rabbins provenant de divers courants du judaïsme, parmi ses multiples activités, a organisé un certain nombre de réunions avec des leaders religieux musulmans. Cependant, il faut le dire encore, les rassemblements de ce genre sont sporadiques et non sans danger.
Pour ceux qui cherchent à promouvoir les relations entre juifs et musulmans au Moyen-Orient dans son ensemble, parce qu'ils y voient à la fois une nécessité politique et un impératif religieux, les diverses réunions internationales entre représentants et spécialistes des différentes religions jouent toujours un rôle très important. A ce point de vue le travail de la communauté San Egidio, dont le centre est à Rome, a été remarquable. Des rencontres de ce genre aident à faire tomber les stéréotypes et préjugés négatifs et donnent ce témoignage essentiel que l'harmonie, le respect mutuel et la compréhension entre les religions de la région sont possibles. En fait, il arrive souvent que les leaders religieux palestiniens ne se sentent en mesure de participer au dialogue avec les juifs, et spécialement avec les Israéliens, qu'au-delà des frontières du Moyen-Orient. Des rassemblements internationaux de ce genre ont même facilité certaines visites historiques de leaders musulmans ou arabes en Israël et dans les territoires.
Le processus de paix en cours au Moyen-Orient a certainement stimulé les efforts, qui se sont multipliés dans ce domaine. Même s'il est peu probable que les relations interreligieuses aboutissent par elles-mêmes une solution politique, elles assurent cependant ce ciment spirituel et psychologique qui permettra au processus de paix de s'appuyer rapidement sur des fondations solides.
Rabbi David Roser,
Responsable des relations interreligieuses de l'ADL à Jérusalem
Les rabbins des Droits de l'homme en Israël
Juifs, chrétiens et musulmans partagent avant tout une même condition humaine
Au premier siècle de notre ère, un païen alla trouver le Rabbin Hillel. 1/ était prêt à se convertir à la condition que le rabbin lui enseigne toute la Tora "tandis qu'il se tiendrait sur un pied". Hillel répondit: "Ce que tu n'aimes pas, ne le fais à personne. C'est là toute la Tora, le reste n'est que commentaire". Aujourd'hui, des rabbins qui vivent en Israël, dans l'état de tension que connaît le pays, voient dans l'enseignement d'Hillel le coeur de la Tora et du judaïsme. Au nom de la tradition rabbinique, mus par le désir d'accomplir le commandement biblique de l'amour de l'étranger (Lev. 19,33), 150 rabbins — toutes tendances religieuses confondues — prennent position en faveur de la sainteté et de la dignité de toute vie humaine. Rabbins pour "ies Droits de l'homme", ils interviennent auprès des autorités israéliennes chaque fois que dans leur politique à l'encontre des Palestiniens elles violent les droits élémentaires et inaliénables de la personne humaine.
Qu'ils soient orthodoxes, libéraux ou conservateurs, nés en Israel ou venus dans le pays au terme d'un ministère en Angleterre ou en Alsace, au-delà de toute divergence d'ordre théologique en matière de loi juive, ils sont tous convaincus "qu'il est de leur devoir de chefs religieux de faire entendre une voix discordante, qui fasse prendre conscience de ce que sont véritablement la tradition et les sources juives", précise le rabbin Ehud Bandel, secrétaire de l'Association. S'appuyant sur l'histoire de son peuple, il en tire les leçons pour aujourd'hui: "Nous avons été persécutés à travers l'histoire; en tant que peuple nous sommes nés de l'esclavage, et c'est pour cela que la Tora nous commande de ne pas opprimer l'étranger qui vit au milieu de nous". Pour le Rabbin Max Warschawski, ancien Grand rabbin de Strasbourg, c'est une question de "Credo": "cette terre — Eretz Israël — a été promise à nos pères, mais à certaines conditions; l'une d'entre elles stipule que nous devons être humains, en menant une vie humaine et en permenttant à notre prochain de vivre pareillement".
Du judaïsme à la judéité
L'Association est née à la fin de 1988. Alors que, dans les Territoires occupés par Israél, la révolte des Palestiniens — l'Intifada — entrait dans sa deuxième année, Israël se dotait d'un Parlement où nombre de sièges tombaient entre les mains des partis "religieux". Une question hantait les esprits et courait à longueur de colonnes de journaux: "Qui est Juif?". Question importante pour un Etat où règne la "loi du retour", mais qui en masquait une autre tout aussi importante aux yeux de certains rabbins: "Qu'est-ce qu'un juif?" ou encore: "Quelle attitude est vraiment juive?" Le déplacement du judaïsme à la judéité décida une quinzaine de rabbins à lancer un appel à tous ceux de leurs collègues qui se sentaient concernés par la question morale que leur posait l'intifada. Une question que les autorités du pays, pas plus civiles que militaires, ne semblaient décidées à considérer. "Lorsque les autorités religieuses ont réagi devant la montée de l'intifada, a déclaré Ehud Bandel, nous avons trouvé que c'était de façon nationaliste, chauvine et étroite en même temps que limitée aux questions de rites, alors que la dimension morale de la Tora était négligée". Parmi les rabbins qui ont reconnu l'incompatibilité entre le judaïsme dans sa dimension morale et les réactions des autorités, près de 80 ont rejoint le groupe des "Rabbins fondateurs".
Le Noé des rabbins
Dès le début de son action en faveur des Palestiniens, ce groupe, qui dit "poursuivre des buts moraux et religieux" en dehors de "toute préoccupation politique", a envoyé des missions d'étude dans les Territoires occupés par Israel pour y appréhender la situation: "Nous étions concernés par les profanations de lieux saints, les punitions collectives, type couvre-feu, et les punitions individuelles: arrestations, internements, destruction de maisons, etc... Ces visites donnaient lieu à des rapports envoyés aux autorités etla presse. En décembre 1991, afin que les chrétiens de Ramallah (à 15 km au nord de Jérusalem) puissent préparer et fêter Noël, les rabbins pour les Droits de l'homme sont intervenus auprès du ministre de la Défense afin que soit levé le couvre-feu imposé après l'assassinat d'un colon juif originaire d'une ville voisine. Ne recevant aucune réponse, ils ont envoyé une pétition co-signée par les trois clergés — juif, chrétien et musulman — à la Haute Cour de Justice. Ils ont finalement obtenu gain de cause. Ainsi que le soulignait Ehud Bande!, "c'était la première fois que des rabbins intervenaient pour que des chrétiens puissent célébrer Noël". Aucun triomphalisme de sa part. Simplement une espérance en l'avenir en cas d'un renversement de la situation et peut-être une petite pointe de regret qu'au temps où les juifs étaient sous l'oppression peu de voix se soient élevées pour les soutenir.
On pourrait citer beaucoup d'autres interventions en faveur de familles dont les maisons ont été détruites par l'armée. Une famille qui vivait dans un camp de réfugiés près de Naplouse a vu sa maison détruite "par erreur". En fait, la charge de plastique destinée à faire sauter la maison du voisin était si forte qu'elle a démoli la leur en même temps, les réduisant à vivre sous la tente en plein mois de décembre. Après l'intervention des Rabbins pour les Droits de l'homme, le ministère de la Défense a indemnisé la famille et "nous sommes allés leur apporter des fleurs le jour de l'inauguration de leur nouvelle maison", a conclu Ehud Bande!.
Depuis quelques semaines, les rabbins ont entrepris des actions en faveur des 415 Palestiniens expulsés au sud Liban. Le rabbin Isaac Newmann, président de l'Association, appartient au Comité ad hoc formé par le groupe pour "ramener ces hommes et faire en sorte qu'ils soient jugés s'ils sont coupables". Pour l'instant, la lettre envoyée au premier Ministre pour dénoncer cette mesure contraire aux droits de la personne humaine n'a pas encore porté de fruits... Il y a quelques semaines, les rabbins ont reçu un soutien aussi inattendu qu'officiel: le Prix du Secrétaire de la Knesset. Le rabbin Isaac Newmann n'a pas caché sa stupéfaction devant cette récompense arrivée "alors qu'il y a deux mois, nous avions violemment critiqué l'expulsion des Palestiniens". Il y voit entre autres choses, le signe de la "santé démocratique" d'un Etat dont certains représentants se révèlent concernés par les Droits de l'homme.
Ni naïfs ni pacifistes
Engagés dans la lutte en faveur du respect des Droits des Palestiniens, les rabbins ne sont pas pour autant des naïfs ni des pacifistes. Même s'il sait que de "l'autre côté", la sainteté de la vie humaine n'est pas première, Ehud Bande! pense qu'en tant que juif, il ne peut prendre Saddam Hussein comme standard de morale. Il ne s'agit pas de s'aligner sur la conduite des autres, mais de "vivre en accord avec nos propres standards de morale, ceux que la Tora nous donne".
La Tora demande le respect de la vie humaine et des droits de la personne humaine. Ces derniers, pour !e rabbin Isaac Newmann, "ne sont, pas plus que le droit à un procès équitable, une récompense pour bonne conduite". Il sont un "en soi" qui, dans les situations extrêmes peut amener à défendre son ennemi. C'est la lecture que font les rabbins de l'expulsion des 415 Palestiniens accusés d'être membres du Hamas. "Nous savons que !e Hamas veut nous détruire. Ils ne représentent pas toute la population, mais nous savons que s'ils viennent au pouvoir nous ne devons rien attendre de bon. Mais, pour le moment, nous sommes !es occupants et nous sommes les plus forts, nous devons donc nous conduire en accord avec les principes moraux du judaïsme. Ceux qui ne les prennent pas en compte ne sont pas crédibles", a précisé Max Warschawski.
Nous sommes des patriotes
Aux accusations de collaboration avec l'ennemi, les rabbins répondent: "Nous sommes des patriotes. Nous croyons que le futur du peuple juif dépend de notre survivance dans ce pays". Mais, que deviendra le pays, que deviendront ses habitants s'ils continuent à se laisser corrompre par l'occupation, demandent les rabbins? A les croire, la majorité de la population serait en train de mesurer les dangers que l'occupation fait courir aux occupants: "Nous, les juifs, nous avons le Parlement, le gouvernement, les services secrets, la police, l'armée, la force... Nous devons combler le fossé d'injustice qui crie pour être comblé".
Le message des Prophètes affleure dans les paroles d'Isaac Newmann.
Il est plus que jamais urgent de trouver une solution qui permette aux Palestiniens de vivre dans leur propre Etat et non pas en citoyens de seconde zone, sans droits civiques ni politiques. Faute de quoi, les extrémistes auront beau jeu d'appeler à toutes sortes de guerres saintes au nom d'un père commun, Abraham, tandis que le souhait d'Isaac Newmann concernant son petit-fils de 15 ans: "J'espère que dans trois ans, il ne sera pas obligé de servir dans une armée d'occupation", demeurera de l'ordre du rêve ou du voeu pieux.
Edith Castel, N.D.S.
Nevé Shalom - Une oasis de paix en Israël
Le petit village de Neve Shalom (ou Wahat Al Salam) est un bel exemple, probablement unique en son genre, de relations entre chrétiens, juifs et musulmans. Le P. Bruno Hussar, dominicain, fondateur de ce "village de la paix", a vu se concrétiser là un rêve qu'il caressait depuis de longues années: que se réalise quelque part dans le pays, la promesse du prophète Isaïe (32,18): "Mon peuple habitera un séjour de paix".
Installé sur un terrain d'environ 4 hectares appartenant aux Trappistes de Latroun, au sommet d'une colline entre Jérusalem et Tel Aviv, qui domine la vallée d'Ayalon ; en un lieu qui, depuis l'Antiquité, a été marqué par les guerres et qui était devenu, en 1948, un "no man's land", le petit village est devenu, après de difficiles années de travail et de recherches, une réelle oasis de paix. Nous avons là un rare exemple de juifs et d'arabes (chrétiens et musulmans) vivant et travaillant ensemble dans l'égalité et l'amitié, dans le respect de l'identité de chacun. Neve Shalom est une lumière et une source d'encouragement pour tous ceux qui cherchent à améliorer les relations entre juifs, musulmans et chrétiens et à travailler ensemble pour la paix au Moyen-Orient.
Ce qui a pu se réaliser en une vingtaine d'années (depuis 1969) est vraiment remarquable : la communauté humaine d'abord, rassemblant quelques vingt familles, arabes et juives et 5 célibataires, juifs et palestiniens en nombre égal, tous israéliens. En 1992, il y avait 40 adultes et 40 enfants environ ... et le nombre des membres du village pourrait doubler si l'on avait les moyens financiers pour construire d'autres bâtiments! Vivant ensemble, indépendants de tout contrôle extérieur et de toute affiliation politique, les membres de cette communauté sont témoins que les deux peuples frères, devenus ennemis, peuvent vivre ensemble dans la paix, s'ils le veulent.
L'école de la paix
Du village, est née "l'Ecole pour la Paix" en 1978. Elle s'adresse aux jeunes arabes et juifs vivant dans le pays. L'Ecole organise des stages, séminaires et camps d'été pour des jeunes de 15 à 18 ans ou pour des étudiants. Elle a inventé ses méthodes propres pour permettre aux juifs et aux arabes de se rencontrer, de se reconnaître différents, leur apprendre à se respecter et à s'aimer. Cette Ecole est de plus en plus connue et appréciée dans le pays. Elle collabore avec d'autres institutions éducatives et avec des groupes travaillant pour la paix dans le domaine des relations judéo-arabes, en Israel. En 10 ans, plus de 15.000 jeunes et plus de 1.000 adultes ont suivi les programmes éducatifs de cette Ecole de la paix.
Doumia
Les hommes et les femmes réunis à Nevé Shalom croient en l'homme et à la force de l'amour. Ils sont tous en recherche et croient en une paix possible. Certains expriment une foi plus explicite, d'autres non. Chaque famille vit dans sa propre maison et y conserve ses coutumes et ses traditions; mais chacun participe aussi à la joie des fêtes de ses voisins.
Le plan originel du village prévoyait une "Maison de prière"; mais la réalité vécue depuis une quinzaine d'années a amené à préférer une "Maison de silence" où tous les membres de la communauté, dans le respect des convictions de l'autre, peuvent se retrouver au-delà des frontières créées par les religions et les idées. "Doumia", c'est ce silence ténu dans lequel Dieu communique 'avec Elie sur le mont Horeb (1 Rois 19,12); c'est aussi ce bâtiment blanc, lumineux, en forme de globe, où chacun peut venir se recueillir et prier.
L'étude commune des Ecritures
Au cours des années de vie commune à Nevé Shalom, une question s'est fait jour peu à peu: "Comment est-il possible que sur cette terre dite sainte, les adeptes des trois religions monothéistes se haïssent et se battent, dressent leurs droits contre ceux des autres et, s'appuyant sur leurs Ecritures, prétendent accomplir la volonté de Dieu? Peu à peu nous avons pris conscience de l'immense responsabilité qu'ont ceux qui enseignent les Ecritures. Elles sont une part de notre patrimoine commun, culturel et spirituel, et elles sont enseignées à tous les niveaux de l'éducation, religieuse ou laïque. Nous avons un besoin urgent de les lire dans un contexte éducatif qui soit pour la paix, afin qu'elles orientent vers l'amour et favorisent la vie".
De cette conviction est née, à Nevé Shalom, une nouvelle initiative: des rencontres d'études régulières sur la Bible, le Nouveau Testament et le Coran. La première rencontre a eu lieu en mai 1990 et elle réunissait environ 30 personnes (juives, chrétiennes et musulmanes) autour du thème: "Place et importance des Ecritures dans l'éducation". Y ont pris la parole un juif, secrétaire du mouvement religieux orthodoxe pour la paix (Yéheskel), une chrétienne israélienne (Myriam), psychologue et professeur d'Écriture Sainte, et un musulman (Mohammed), enseignant dans un collège d'instituteurs arabes à Jérusalem. Chacun souleva des problèmes différents.
Pour Yéheskel, juif orthodoxe, "la Tora a soixante-dix visages" et le judaïsme est fondamentalement pluraliste. Le dogmatisme et l'absolutisme lui sont totalement étrangers. La position dialectique est sa position authentique. "Ainsi parle Dieu" est une affirmation dangereuse, tant pour l'éducation de nos enfants que pour notre vie. L'Ecriture peut et doit être interprétée.
Myriam, donnant un point de vue chrétien, a assuré, au contraire, la nécessité de respecter l'intégrité des Ecritures. Certes, si certains textes, merveilleux, enseignent le respect et l'amour du prochain etc..., d'autres, séparés de leur contexte, peuvent être déformés de façon terrible, et entraîner ainsi le mépris, la haine, la guerre... l'Histoire montre le rôle néfaste qu'elles ont pu jouer. Mais tout dépend de notre relation avec les Ecritures, car la parole de Dieu ne saurait être l'objet d'une appréciation sélective. Elle a autorité sur nous. Nous ne pouvons la rejeter, ni la fuir, mais nous devons nous efforcer d'en faire une lecture approfondie qui nous permettra de reconnaître sa valeur absolue.
Mohammed, musulman, nous a tout d'abord cité cet appel du Coran: "Venez, gens du Livre, et parlons de choses qui nous sont communes, qui assurent que nous croyons en un seul Dieu, et que vous accomplissez le bien et vous gardez du mal". Beaucoup de croyants musulmans s'appuient sur ce texte comme sur un sceau attestant que Mohammed appelle à la rencontre avec les adeptes des autres religions.
Aujourd'hui trois positions différentes se trouvent dans l'Islam: la fondamentaliste, la nationaliste et la scientifique. Cette dernière, position critique et influencée par l'Occident, n'est pas acceptée par l'Islam officiel. Elle permettrait cependant de se mesurer avec le fondamentalisme. Beaucoup de pratiquants musulmans, tout en refusant de l'adopter, font appel à elle pour leurs travaux.
Ce séminaire fut suivi, bien entendu, d'une ample discussion, tant sur le plan théologique que moral et historique. Des points de vue différents s'affrontent. Mais nous reconnaissons tous la valeur de notre travail; ces Ecritures tiennent une place importante dans notre vie et surtout dans l'éducation de nos enfants, et elles doivent devenir des facteurs de paix.
Un deuxième séminaire a eu lieu le 30 juin, dans lequel a été repris le sujet de la réunion précédente, mais cette fois du point de vue d'un juif d'Israël non religieux, Arié Simon. Celui-ci a donné, sous le titre "Humanisme et Ecriture", une conférence qui nous a fortement impressionnés. Selon la pensée humaniste, la mesure de toute chose est l'homme en tant qu'homme. Or, dans la Bible, coexistent les commandements d'amour et de justice avec des faits de violence et de guerre ordonnés "au nom de Dieu". Cela entraîne le très grave problème de l'interprétation des textes et de leur enseignement. Dans l'éducation religieuse juive orthodoxe, PEcriture Sainte est "parole du Dieu vivant", et elle doit être acceptée dans sa littéralité; mais l'enseignant non religieux se trouve devant un grave dilemne: fuira-t-il la réalité de faits qui lui paraissent inacceptables, ou osera-t-il porter sur eux un jugement moral? Quelle sera son autorité pour choisir entre des valeurs en contradiction, quand un enseignement radical orthodoxe est formulé depuis des générations? Le critère fondamental est fourni par Rabbi Akiva (2ème siècle):
"Tu aimeras ton prochain comme toi-même: là est l'essentiel de la loi".
C'est ainsi que nous avons choisi comme sujet d'étude pour l'année 1990-1991, "Les valeurs humaines universelles, telles qu'elles apparaissent dans nos Ecritures". Et la 3ème rencontre a été centrée sur "la Justice dans le Nouveau Testament".
Ce bref compte-rendu nous donne une idée des sessions d'étude entre juifs, chrétiens et musulmans qui ont lieu à Neve Shalom. Il serait souhaitable que ce genre d'activités se développe de plus en plus dans les groupes inter-religieux qui vont se multipliant en notre monde pluraliste, et que nos Ecritures contribuent véritablement à "une éducation pour la paix".
D'après les Lettres de la Colline 1991-1992
André Chouraqui, traducteur de la Bible, de l'Evangile et du Coran
Remettant à André Chouraqui, citoyen israélien d'origine française et maghrébine, le 3 février 1992, le diplôme de Docteur Honoris Causa de l'universitécatholique de Louvain, le Père Jean-Marie Sevrin disait entre autres, à propos des traductions de l'auteur ("Ancien et Nouveau Testament" chez Desclée de Brouwer, 1974-1979 - "L'Univers de la Bible" chez Brépois, 1982-1985 - le "Coran" chez Laffont, 1991):
Sa traduction de la Bible va jusqu'au bout de la Bible chrétienne et inclut le Nouveau Testament, traduit du grec, mais en mettant en évidence ses soubassements sémitiques. Puis ce sera le Coran. Le même amour, le même respect de la chair du texte et de la Parole qui l'habite confèrent à ces traductions les même mérites. Nombre de chrétiens et de musulmans s'y reconnaissent.
Lorsqu'il cherche à faire passer aux lecteurs francophones l'infranchissable frontière de langue qui les sépare des textes saints des trois religions monothéistes, André Chouraqui s'attaque à une autre frontière: celle qui sépare et oppose juifs, chrétiens et musulmans, enfants de la même promesse que l'Unique fit à Abraham. Revenir, s'il se peut, à la pureté première de la Parole, c'est revenir sur et se libérer des trahisons, des méprises et des infidélités d'où naissent nos guerres.
C'est dire que la quête de communion qui sous-tend ces traductions procède d'une démarche mystique, d'une histoire d'amour pour Celui qui sur le Sinaï s'est offert aux hommes en leur révélant son Nom ineffable, et a conclu avec eux un pacte... La passion de traduire se révèle ainsi comme l'acte d'engagement d'un mystique en quête de l'Unique et au service de l'unité des croyants. Il se prolonge dans d'autres actes, qui lui consonnent et le vérifient, depuis l'amitié et le dialogue avec des chrétiens et des hommes d'Eglise de diverses confessions, jusqu'aux efforts pour engager la conversation, chercher la paix et établir une reconnaissance mutuelle avec les Arabes palestiniens qui sont, désormais, l'inséparable et crucial vis-à-vis d'Israël.
Et dans sa réponse, André Chouraqui disait entre autres:
Je me présente ici devant vous avec trois de mes plus pénétrants, de mes plus intrépides, de mes plus lumineux amis: ils accompagnent mon cheminement terrestre depuis ma naissance, ils ne se détacheront jamais de moi, fût-ce au-delà de ma mort. Ces compagnons privilégiés de mon existence s'appellent la Bible, les Evangiles, le Coran.Issus de l'idée inarrachable d'un Dieu unique, personnel et transcendant, le pardon, la reconnaissance, la réconciliation entre les hommes qui se réclament de la filiation abrahamique, et de ceux-ci avec le reste de l'humanité, n'est plus seulement un voeu pieux, mais devient une urgence politique inéluctable, qui conditionne à bien des égards la survie de nos civilisations.
Extrait de Sens 4-1992
AMERIQUE
Le dialogue juifs - chrétiens - musulmans aux Etats-Unis
Le dialogue entre les 3 religions (juive, chrétienne, musulmane) n'est pas un phénomène commun aux Etats-Unis, et cela pour diverses raisons. Disons aussi qu'il existe bien des endroits, en ce pays, où il n'y a guère ou pas du tout de musulmans ou de juifs. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de dialogues ou de relations entre les trois communautés: il existe en réalité beaucoup de rencontres entre les "religions abrahamiques", mais il est rare qu'elles se présentent sous forme d'un dialogue trilatéral ou de ce que l'on qualifie souvent du terme pas très heureux de "trialogue".
Aux Etats-Unis, juifs, chrétiens et musulmans se rencontrent plutôt dans des dialogues bilatéraux, et cela sur une base régulière. Pour l'Eglise catholique romaine, le Secrétariat pour les affaires oecuméniques et interreligieuses (SEIA) au sein de la Conférence nationale des évêques catholiques (NCCB) a établi au cours des dernières années un Dialogue catholicomusulman au niveau national. Le même Secrétariat maintient, depuis une période déjà plus longue, un dialogue entre juifs et catholiques romains au plan national. Bon nombre de diocèses — là où la situation démographique le permet — ont engagé au niveau local des dialogues bilatéraux entre juifs et musulmans.
Le Conseil national des Eglises du Christ aux Etats Unis (NCCCUSA) a organisé depuis plusieurs années des Secrétariats pour les relations judéo-chrétiennes et islamo-chrétiennes. Même si ce Conseil national (NCCCUSA) a dû procéder parfois à des changements de structures radicaux au cours des dernières années, son engagement dans les dialogues judéo-chrétien et islamo-chrétien n'en est pas moins demeuré clair et ferme. Lors de sa récente restructuration, le NCCCUSA a tenté de coordonner davantage les dialogues bilatéraux avec les juifs et les musulmans tels qu'ils existent actuellement.
Même si ce n'est pas sur une base trilatérale, les rencontres entre les 3 religions se multiplient aux Etats-Unis dans le cadre général du mouvement interreligieux. Des célébrations comme celle de la Journée mondiale du Sida ou du jour anniversaire de la signature de la Déclaration des Droits de l'homme sont accompagnées souvent de services religieux auxquels participent juifs, chrétiens et musulmans, ainsi que des adeptes d'autres grandes religions du monde. Des initiatives interreligieuses telles que les Interfaith Council of Southern California, Buffalo Area Metropolitan Ministries, Wichita Interfaith Ministries, Thanksgiving Square (Dallas, Texas) etc ... se multiplient dans le pays, sousdes formes diverses selon les besoins et les circonstances. Elles offrent aux juifs, musulmans et chrétiens la possibilité d'exercer certaines activités ensemble ainsi qu'avec les adeptes d'autres religions. Ce réseau varié d'initiatives religieuses aux Etats-Unis prouve que de telles structures multilatérales répondent mieux à la situation religieuse actuelle dans le pays que des structures purement trilatérales; et je pense que les structures multi-latérales, au plan religieux comme au plan gouvernemental, ne feront que se multiplier dans l'avenir.
Cela ne signifie nullement qu'il n'y ait pas certains cas de dialogue trilatéral aux U.S.A. Le dialogue et la coopération entre juifs, musulmans et chrétiens ont été établis sur une base permanente dans la ville de New York, par exemple. Sous les auspices du National Conference of Christians and Jews, les adeptes des 3 religions (de toutes dénominations et variétés) se réunissent tous les mois pour discuter de problèmes locaux, régionaux, mondiaux et religieux. Ce genre de "trialogue" existe depuis plusieurs années, et il a suscité un grand enthousiasme et un engagement sérieux de la part des participants.
A Detroit (Michigan), le Greater Detroit Interfaith Round Table (NCCJ) offre diverses possibilités de dialogue entre juifs, chrétiens et musulmans. Le trialogue y existe au niveau des clercs, des théologiens et des laïcs. Une fois par an, le Round Table organise une conférence plus importqnte où des savants des 3 religions discutent d'un thème spécifique: ainsi le thème pour l'année 1992 était-il: "Juifs, chrétiens et musulmans en Espagne avant 1992". Le Round Table s'est engagé aussi dans des projets expérimentaux concernant les livres utilisés dans les écoles locales.
Le panorama religieux des Etats-Unis change rapidement. Juifs et chrétiens se trouvent de plus en plus en contact avec des musulmans, bouddhistes, Bahai, Siks, bidons, etc ... Cette situation extraordinairement riche et complexe, ne favorise guère le plus souvent les initiatives strictement "trilatérales". Il existe cependant de telles initiatives en certains lieux, même si les contacts les plus fréquents entre religions sont en général bilatéraux ou multilatéraux. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un mal, car une ambiance religieuse multilatérale peut permettre de découvrir des horizons nouveaux qu'un dialogue seulement trilatéral pourrait laisser dans l'ombre. En tout cas, les relations entre juifs, chrétiens et musulmans (ainsi qu'entre adeptes des autres religions) sont bien vivantes aux Etats-Unis.
Plias D. Mallon, S.A.
Graymoor Ecumenical and Interreligious Institute - New York