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Réflections sur le millénaire: déclaration du Conseil national des synagogues et du Comité épiscopal pour les affaires oecuméniques et interreligieuses, USA, 5 maiI 1998
Conseil national des synagogues (USA)
L’approche du millénaire de l’an 2000 polarise de plus en plus l’ensemble des courants sociaux et religieux à propos de presque tous les aspects de la culture contemporaine. Du plus séculier au plus grave sur le plan religieux, les thèmes de l’introspection, de la réconciliation entre les groupes, des aspirations idéalistes à la paix et à la justice et du souci de l’environnement suscitent un intérêt manifeste qu’il faut encourager.
Nous parlons en notre qualité de juifs et de chrétiens ayant tiré profit du dialogue qui a marqué les trente dernières années depuis le Concile Vatican II. Nous nous exprimons à la fin d’un siècle que le pape Jean-Paul II a qualifié de “siècle de la Shoa”. C’est précisément notre dialogue et notre détermination à le poursuivre qui nous permettent d’aborder le siècle à venir avec une espérance et une confiance plus grandes que ce que l’on aurait pu croire possible voici une génération.
C’est en tant que responsables religieux de nos communautés, rabbins, évêques, prêtres et laïcs, engagés sur le chemin de la réconciliation entre nos peuples, que nous nous exprimons. Nous relevons les expressions de teshuvah (repentance) prononcées par les Conférences des évêques catholiques d’Europe à propos de l’Holocauste et des siècles souvent tragiques qui l’ont précédé, ainsi que la déclaration récente du Saint-Siège intitulée: Nous nous souvenons: Réflexions sur la Shoa.
>br> Nous notons aussi l’enseignement constant du Saint Siège depuis le Concile Vatican II, reconnaissant la validité permanente de l’alliance de Dieu avec le peuple juif. Au lieu de poursuivre les efforts de prosélytisme accomplis dans le passé par les familles religieuses les unes envers les autres, nous respectons nos deux traditions spirituelles qui, pour reprendre les mots du pape Jean-Paul II, “répercutent chacune l’écho de milliers d’années de recherche de Dieu”. Nous sommes unis dans notre volonté d’enrayer l’expansion de l’indifférence religieuse. Tel est “l’un des phénomènes les plus frappants de notre temps, surtout dans la culture euro-américaine. Bien des gens vivent comme si Dieu n’existait pas”.
Nous restons conscients du caractère spécifique de chacune de nos traditions spirituelles. Nous nous efforçons d’éviter l’inauthenticité du syncrétisme. Nous sommes engagés dans une oeuvre commune qui consiste à donner au public américain une image collective positive de l’appartenance religieuse. A cet effet, nous voulons parfaire la description du monde religieux dans les médias séculiers et les autres modes de communication contemporains.
Dans notre pays, qui a la grâce de voir catholiques et juifs entretenir en permanence un dialogue profond et substantiel, nous pouvons appliquer nos ressources institutionnelles et intellectuelles à la tâche que requiert ce dialogue, afin de porter un nouveau regard sur la longue histoire que partagent nos peuples et de trouver, au travers d’études communes, le moyen de guérir notre mémoire afin de parvenir à une compréhension mutuelle pouvant servir de base à des programmes de formation destinés aux générations à venir. S’il reste beaucoup à faire dans ce domaine, nous notons néanmoins que de solides jalons ont été posés depuis le Concile Vatican II et que cet acquis permet d’espérer de nouvelles avancées vers la compréhension mutuelle.
Au terme d’un siècle qui a vu dans la Shoa la forme suprême de déshumanisation de tout un peuple, nous tenons à affirmer et à proclamer ensemble le caractère sacré de la personne humaine. La réflexion que nous menons de concert sur nos Ecritures communes et, en particulier, le récit de la Création du Livre de la Genèse, nous enseigne que l’homme est fait à l’image de Dieu. A ce propos, nous recommandons aux groupes de dialogue de l’ensemble du pays deux documents émanant du Comité international de liaison entre catholiques et juifs. Ces documents proposent à la réflexion divers thèmes découlant de notre compréhension commune de la Création. Le premier, intitulé “De la sainteté du mariage et de la famille”, a été publié à Jérusalem en 1994. Le second, “La sauvegarde de l’environnement: un acte religieux”, a paru à Rome en 1998. Ces textes peuvent tous deux enrichir les manifestations locales liées au millénaire.
L’Eglise catholique a proclamé l’an 2000 année jubilaire. Le texte biblique de Lv 25 définit le sens du jubilé. Ce chapitre de la Bible aussi bien que les analyses du pape sur ce thème attribuent au peuple de Dieu une triple obligation appelant une réflexion nationale. Selon nous, ces obligations n’interpellent pas seulement les catholiques et les juifs, ni les catholiques et les juifs engagés dans une étude et une action communes: elles exigent une rénovation de l’ensemble de notre société américaine.
1. La libération des esclaves - une libération de l’homme. L’examen de ce thème (Lv 25, 39) peut amener les collectivités locales à regarder en face les conditions inhumaines de sectarisme, d’exploitation et de violence qui tiennent en esclavage tant de ressortissants américains jusqu’à ce jour, à élaborer et à mettre en oeuvre des problèmes d’enseignement et des activités sociales visant à résoudre les problèmes conjointement étudiés.
2. La restitution des biens - une libération économique. Cette législation (Lv 25,13) était révolutionnaire en ce qu’elle introduisait dans l’économie des principes moraux. Elle cherchait à éviter l’accumulation constante de terres entre les mains de quelques-uns, à soulager la pauvreté et à donner à chacun une autre chance de réussite économique. Les principes qui la sous-tendent sollicitent nos débats d’aujourd’hui sur la protection sociale, la réforme fiscale et d’autres questions dans notre pays.
3. Le repos de la terre - une libération écologique. On peut souligner ici le respect dû à la terre (Lv 25,11) et à la mer, ainsi que le rôle de gestionnaire confié à l’homme (Gn 2,15), responsable devant Dieu de la croissance et du maintien de toutes les formes de vie.
Enfin, à l’approche du millénaire, nous pouvons créer des réseaux de coopération, en témoignage des valeurs communes à nos patrimoines spirituels respectifs. Ainsi, non seulement nous apportons aux graves problèmes de l’heure les ressources de nos traditions différentes et pourtant liées, mais nous collaborons à l’avènement du règne (royaume) de Dieu que nous appelons de nos prières et que nous considérons comme une tâche de Tikkoun Olam (consistant à perfectionner ou à restaurer le monde).
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*[Traduit de l’anglais par C. Le Paire ]