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La dèsassimilation juive en Pologne: Perspectives personelles
Krajewski, Stanislaw
La désassimilation
On me demande constamment: “Combien y a-t-il de juifs en Pologne ?” Franchement, je n’en sais rien. Le très petit nombre de juifs recensés comme tels (de 3 000 à 5 000) ne représente qu’une partie du nombre total. Le nombre total de qui ? La réponse dépend de la manière dont on définit le juif. S’agit-il seulement des personnes nées d’une mère juive ou également de celles qui ont un père juif ? De ceux qui ne professent pas d’autre religion ou également de ceux qui n’en ont jamais professé d’autre ? Même avec ces clarifications, il reste difficile d’estimer le nombre des juifs qui ne révèlent jamais leur origine. Et leurs enfants?
La plupart de ceux qui sont nés après la deuxième guerre mondiale ne savent même pas qu’ils ont des ancêtres juifs. Le total des membres de toutes ces catégories se compte en dizaines de milliers. Si l’estimation ne peut être plus précise, une chose est sûre: le nombre des juifs recensés et des juifs que nous venons à connaître augmente chaque année. Ce phénomène n’est dû ni à l’immigration ni à une forte natalité: il tient au fait que les juifs ne se cachent plus.
La décision de ne plus se cacher ne peut être prise, à proprement parler, que par ceux qui se sont effectivement cachés pendant la seconde guerre mondiale. Dissimuler son identité était à l’époque une question de vie ou de mort. La plupart de ceux qui ont réussi à le faire ont quitté la Pologne après la guerre. Toutefois, d’autres sont restés et beaucoup ont continué à cacher leur judéité. Ils ont été rejoints par des juifs qui sont revenus après avoir passé les années de guerre en Russie. Certains d’entre eux, devenus communistes, ont abandonné leur judéité. On sait qu’environ 250 000 juifs ont émigré, mais on ignore le nombre des survivants restés sur place ou revenus en Pologne. Si de nombreux juifs/ves marié(e)s à des non juifs/ves ont donné à leurs enfants une éducation totalement déjudaïsée, ils leur ont néanmoins communiqué la peur et l’insécurité attachées à la judéité. Les parents ont transmis à leurs enfants le sentiment qu’il est inopportun et dépassé d’être juif et que l’antisémitisme est le seul critère réel d’une présence juive.
Seules quelques dizaines de ces enfants et petits-enfants de survivants recherchent aujourd’hui leurs origines. Tous y ont été incités par le choc de la campagne antisémite officielle de 1968 qui a provoqué l’émigration de 15.000 juifs, remplis d’amertume et de ressentiment. Ceux qui sont restés ont participé aux étapes ultérieures de la vie polonaise qui ont peu à peu neutralisé le choc de 1968. Certains ont commencé à réfléchir à la notion de judéité, après avoir compris que, contrairement à ce que croyaient les juifs communistes et/ou assimilés avant le choc, il était important d’être juif. J’ai personnellement participé à l’une de ces premières initiatives, à savoir la formation, à la fin des années 70, d’un groupe d’étude clandestin appelé par dérision “l’université juive volante”. A l’heure actuelle, dans la nouvelle Pologne libre des années 1990 où il est plus facile de reconquérir sa judéité perdue, le nombre des juifs “récemment judaïsés” est en augmentation. L’éducation juive officielle, principalement organisée par la fondation Ronald S. Lauder dont le siège est à New York, leur apporte une importante et très utile contribution. L’école primaire juive Lauder-Morasha de Varsovie et une autre école semblable, récemment ouverte à Wroclaw par la fondation Lauder, sont les premières écoles juives à avoir été créées en Pologne depuis 1968. Bien que ces initiatives soient à l’origine d’un nouveau mode de présence juive, il reste très nécessaire de venir en aide à ceux qui par choix, inertie, peur ou honte demeurent à l’écart des institutions juives et, en particulier de l’éducation juive officielle.
L’avenir des communautés juives de Pologne dépend de la mesure dans laquelle leur évolution et leur image dans le public permettra aux “nouveaux juifs” de se sentir à l’aise au sein des organisations juives. Si nul ne songe à diminuer les exigences proposées aux membres nouveaux et potentiels, il importe néanmoins de tenir compte de leur passé et d’éléments tels que l’insuffisance de leur hébreu et leur ignorance relative des prières juives. Les organisations admettent les personnes d’origine juive, même si ces dernières n’ont aucun lien avec le judaïsme religieux. La seule condition requise est qu’elles n’appartiennent pas à une autre confession religieuse. L’année dernière, la communauté religieuse juive de Varsovie a accueilli 70 nouveaux venus, pour la plupart des professionnels d’âge moyen. Depuis 1997, plusieurs communautés, ainsi que l’Union des communautés religieuses juives, ont institué de nouveaux conseils au sein desquels des juifs “nouveaux” et non traditionnels exercent d’importantes fonctions. Si les offices demeurent conformes au judaïsme orthodoxe en ce sens que seuls les hommes y jouent un rôle actif, les femmes ont acquis une totale égalité dans la vie administrative. Les membres d’un certain âge et parfois les jeunes ont quelque peine à accepter cet état de fait, car l’ancienne constitution n’accordait pas le droit de vote aux femmes. Aujourd’hui, des femmes sont membres des conseils communautaires locaux et, depuis novembre 1998, Helena Dartner préside la communauté juive de Varsovie.
La communauté juive qui renaît est profondément polonaise. On le voit à la langue, à la culture et à la présence chrétienne dans nos familles. L’identité polonaise est notre point de départ. Ce n’est plus une aspiration ou un but à atteindre par l’assimilation comme ce l’était pour les générations antérieures. Notre identité polonaise est un fait. La Pologne n’est pas seulement notre lieu de naissance, comme elle l’est pour des centaines de milliers de juifs dans le monde. Notre identité, qui consiste à être juif et polonais à la fois, est la résultante d’un choix fait par nos ancêtres. Sur le plan historique, nous nous trouvons dans une situation nouvelle. L’assimilation ayant atteint son apogée, un processus inverse s’est enclenché depuis les 25 dernières années. Cette désassimilation, particulièrement visible depuis 1990, suppose une réappropriation des traditions juives. Il est essentiel que ce processus se développe sans nous faire rompre nos relations avec nos amis non juifs ni renoncer à notre enracinement dans la société polonaise. Pour des personnes comme moi qui sont pleinement polonaises et pleinement juives, la Shoa revêt un sens infiniment plus personnel que pour nos compatriotes polonais. Mes parents, par exemple, n’ont absolument aucune famille en Pologne. Le fait que la religion juive soit le pivot de ma vie est moins automatique mais, pour moi, non moins important. Certes, ma vie professionnelle et politique est rythmée par le calendrier chrétien, mais je suis aussi le calendrier juif. De plus, je me sens en lien avec les autres juifs et avec les Israéliens, même si je ne suis pas d’accord avec eux sur des questions telles que la valeur de la Pologne. A leurs yeux, la Pologne est avant tout le cimetière des juifs. A mes yeux, elle est aussi un lieu de vie ordinaire.
La reconquête de leur judéité par certains Polonais d’origine juive me paraît être un facteur d’optimisme dans la nouvelle Pologne. C’est un processus qui se caractérise par l’aide directe, l’impact de la culture et l’influence de l’Eglise.
L’aide directe: les numéros verts et les groupes de soutien juifs
Le Forum juif se compose de professionnels juifs polonais, âgés pour la plupart d’une quarantaine d’années; presque tous ont grandi sans recevoir la moindre éducation juive ni même, pour certains, la conscience d’être juifs. Aujourd’hui, nous sommes tous des juifs engagés et, depuis 1997, nos membres sont nombreux à exercer une fonction dans la communauté juive de Varsovie. Pour la plupart d’entre nous, l’acquisition de l’identité juive s’est faite au terme d’un long cheminement. Certains ont participé à “l’université juive volante”, dont j’ai parlé, et dont les premières réunions tenaient plus de la thérapie de groupe que de l’enseignement. La découverte des racines et de l’identité juive a été une évolution complexe où se mêlaient fascination et souffrance. Il m’a fallu des mois pour pouvoir dire sur un ton normal “Je suis juif”. Dans notre effort pour aider les autres, nous avons été amenés à créer un numéro vert confidentiel, (1) accessible à tous ceux qui veulent discuter anonymement de problèmes liés à leurs racines juives, qu’il s’agisse de problèmes d’identité personnelle ou de problèmes de relation avec épouse, enfants, parents ou collègues. Nous fournissons aussi des renseignements sur les institutions juives. Certains appelants ont ainsi l’occasion de parler de leurs racines juives pour la première fois de leur vie. Les volontaires qui reçoivent les appels y sont préparés au cours de stages de formation intensifs. Le fait de figurer parmi d’autres numéros verts dans certains grands journaux a valu au numéro vert juif l’ironie de certains critiques. Etre cité en même temps que les numéros verts mis à la disposition des homosexuels, des femmes battues ou des séropositifs a conduit nos critiques à demander: “La judéité est-elle une maladie” ? Naturellement, la judéité n’est pas une maladie mais, lorsqu’elle constitue un aspect caché et enfoui de la personnalité, elle peut causer des problèmes psychologiques analogues à ceux dont souffrent les homosexuels ou les malades du SIDA. Notre intention est de contribuer à faire la clarté et à dissiper les tensions sociales autour de la judéité et à rendre inutile tout numéro vert juif, mais il est vraisemblable que nous ne parviendrons jamais à faire disparaître toutes les tensions. S’il en est ainsi, ce n’est pas seulement à cause de l’héritage polonais, c’est aussi parce que c’est surtout dans des sociétés à dominante chrétienne que les juifs sont présents.
Parmi ceux qui appellent le numéro vert, on trouve des personnes âgées qui aimeraient participer aux manifestations juives, des personnes d’âge moyen qui ne savent trop que dire à leurs enfants et des jeunes qui croient avoir des ancêtres juifs mais craignent que ce lien soit trop ténu pour justifier un engagement significatif. Nous affirmons à ces derniers que leur situation est plus typique qu’exceptionnelle dans la Pologne d’aujourd’hui et que les communautés juives sont heureuses d’accueillir ces juifs marginaux. Nous n’essayons jamais d’imposer la judéité aux personnes de racine juive. Sans doute aidons-nous les appelants à faire face à cette réalité, mais nous ne pesons pas sur leurs décisions. Nous proposons aussi des groupes de soutien où les gens peuvent en toute sécurité exprimer leurs peurs, leurs espoirs, leurs inhibitions et leurs passions et s’y sentent encouragés en s’apercevant que d’autres les comprennent. A l’automne 1998, les activités de groupe ont été élargies, avec l’aide d’un psychologue américain qui a animé à New York des groupes de soutien destinés aux survivants de l’Holocauste de la deuxième génération. En Pologne, presque tous les juifs sont des survivants, qu’ils aient eux-mêmes survécu ou qu’ils soient des rescapés de la deuxième ou troisième génération. Ce qui varie c’est la mesure dans laquelle chacun a caché sa judéité ou en a fait un tabou. Le processus qui conduit à dépasser “l’héritage de la dissimulation” est long. Certains refusent de s’y prêter. Ceux qui le font ont souvent besoin de plusieurs mois, voire d’années pour réussir à affronter directement leur passé ou leur ascendance juive. Les réactions recueillies dans le cadre du numéro vert ou des groupes de soutien montrent que l’on répond aux aspirations profondes de certains juifs non reconnus comme tels. A mon sens, ils représentent un potentiel beaucoup plus important que ce que nous en voyons actuellement. Il se peut que de nombreux individus d’origine juive soient perdus pour le monde juif, mais d’autres continueront de revenir à la vie juive.
L’impact de la culture et de l’ambiance générale
Les juifs assimilés sont profondément influencés pas l’atmosphère générale qui entoure ce qui est juif. Il est difficile de manifester sa judéité lorsque l’ambiance est défavorable; il est plus facile d’assumer son ascendance juive si la culture juive est considérée comme un élément de la culture dominante qui mérite le respect. Dans la Pologne d’aujourd’hui, les deux attitudes sont présentes.
Presque tous les juifs polonais pensent que l’antisémitisme est répandu et que l’opinion n’est guère sensible aux préoccupations juives. Malgré la présence d’individus et de groupes de bonne volonté, ouverts aux différents aspects de l’existence juive et opposés à l’antisémitisme, et malgré les efforts accomplis par la plupart des autorités politiques et ecclésiales pour être en bons termes avec les juifs, il ne s’est guère produit de changement visible. En fait, l’an dernier, le nombre d’incidents antisémites a augmenté. Si l’extrémisme antisémite n’a jamais cessé d’exister, l’affaire des croix d’Auschwitz a rendu plus visibles les courants extrêmes d’antisémitisme et les principaux médias citent les propos de leurs dirigeants. Auparavant, la plupart des tensions associées aux juifs concernaient l’interprétation de l’histoire et des symboles. Le problème récent et très concret de la restitution des biens perdus au cours de la seconde guerre mondiale ou des confiscations communistes a soulevé de nouvelles émotions. Ce problème d’après-guerre et de post-communisme concerne des millions de Polonais et même les réclamations de l’Eglise ont suscité des protestations, mais celles des juifs ont en général été accueillies avec une suspicion particulière. La restitution des anciens biens collectifs juifs est la clé du développement des communautés juives et de leur émancipation progressive de l’aide juive occidentale. Sur l’ensemble des procédures engagées en application de la loi votée au printemps de 1997 (2) et prévoyant un délai de 5 ans pour le dépôt des requêtes émanant des communautés juives ou de leur Union, seules quelques-unes ont abouti à la récupération des biens ou à l’octroi d’une indemnité. Certains membres de l’Organisation mondiale des recouvrements juifs, qui prétend représenter d’innombrables juifs d’origine polonaise vivant hors de Pologne, ont, il est vrai, mis en doute le fait que nos petites communautés juives polonaises soient les légitimes héritières des juifs de Pologne, mais nous soutenons que nous représentons la continuité. Ces menaces et expressions nouvelles de l’antisémitisme sont des forces importantes qui empêchent les juifs assimilés d’adhérer aux organisations juives officielles.
En même temps, l’intérêt positif porté à l’histoire et à la culture juives fait aussi partie intégrante de la réalité polonaise. L’étude de l’histoire juive dans les universités, les écoles ou dans le cadre des musées (3) est beaucoup plus fréquente que dans les dernières décennies. Le nouveau musée prévu pour Varsovie est destiné à devenir un centre d’enseignement général et d’initiation aux activités communautaires juives pour les juifs et les non-juifs. On espère que son caractère scientifique, sa neutralité et sa respectabilité en feront un nouveau pôle d’attraction pour les juifs assimilés en permettant à ces derniers de s’intéresser à l’histoire et à la culture juives sans manifester ouvertement d’implication personnelle. En 1989, l’Amitié polono-israélienne a constitué une phénomène comparable, au moment où une évolution politique se dessinait en Pologne. Dès le début, cette organisation polonaise a attiré des Polonais d’ascendance juive qui ne voulaient pas participer à la vie des associations juives mais étaient prêts à mener une action les rattachant à la communauté juive dans le cadre d’une grande organisation suscitant le respect. Cette tendance illustre la nécessité de remodeler les organisations juives existantes. Aujourd’hui, la plupart des Polonais d’origine juive considèrent les communautés religieuses comme anachroniques ou trop traditionalistes; les jeunes juifs ne se sentent nullement attirés par des organisations comme l’Association socio-culturelle laïque des juifs de Pologne, en raison du passé communiste fervent de celle-ci; les nouveaux groupes tels que l’Union des étudiants juifs sont trop restreints et les institutions telles que l’Association des anciens combattants juifs et l’Association des enfants cachés de l’holocauste concernent des catégories précises de personnes, dont le nombre diminue avec le temps.
L’une des manifestations les plus remarquables, qui attire un grand nombre de juifs assimilés, bien qu’elle ne soit pas spécialement organisée pour eux, est le festival international annuel de la culture juive, créé à Cracovie par Janusz Makuch. Cette manifestation comprend des expositions d’art de grande qualité, parfois d’oeuvres de réputation mondiale, des représentations théâtrales, des films, des conférences, des ateliers d’artisanat, des concerts lyriques et philharmoniques, des concerts d’orchestres ou de chanteurs populaires. Ce festival est devenu une partie importante de la vie de Cracovie et de toute la Pologne et donne lieu à d’intéressants débats entre juifs. Bien des juifs étrangers se déclarent opposés à un festival organisé par des non-juifs pour des non-juifs, dans une ville qui possédait jadis une communauté juive florissante. Sans doute y a-t-il là quelque chose de triste et sans doute serait-il préférable qu’il existe une communauté vivante qui participe à la vie culturelle mais, en l’absence d’une communauté juive de quelque importance, le festival a une certaine valeur. Il prouve que la culture juive, ou plutôt une culture inspirée par les traditions et les thèmes juifs, éveille l’intérêt. Il n’entend pas remplacer la vie juive, mais rend la culture juive accessible à tous les Polonais qui le souhaitent, qu’ils soient juifs ou non-juifs. Si l’avantage du point de vue de la désassimilation est évident, le festival sert néanmoins à présenter la culture juive non pas comme un folklore ou une page du passé, mais comme un élément respectable d’une culture raffinée. En augmentant leur sentiment d’appartenance et leur fierté, cette manifestation conduit indiscutablement les juifs assimilés à s’affirmer davantage comme juifs.
Le rôle du christianisme et du dialogue judéo-chrétien
Si les juifs polonais nés après la guerre n’ont reçu aucune éducation juive, presque tous les juifs vivant dans la société polonaise, en revanche, sont assez proches de l’Eglise. Aller à des mariages et à d’autres célébrations chrétiennes fait partie de la vie sociale polonaise. Malgré l’opposition des communistes à toute religion, le christianisme est resté, en fait, l’un des principaux éléments de l’environnement, tandis que l’on s’est appliqué à détruire la pratique juive, jugée inadaptée au monde moderne - et ce, avec la participation des communistes juifs. Un émigrant de 1968, se rappelant comment les dirigeants juifs avaient ridiculisé l’observance juive de sa famille, a dit combien il avait été choqué, à son arrivée en Suède, en voyant pour la première fois d’éminents citoyens assister à un office à la synagogue.
Les juifs polonais assimilés sont souvent devenus catholiques - certains avant la guerre, par conviction ou par calcul, d’autres plus tard, pour survivre à la guerre. De nombreux juifs polonais nés après la guerre sont eux aussi passés au catholicisme, entraînés dans une mouvance particulièrement sensible dans les années 1980, au moment où le syndicat clandestin “Solidarité” se réclamait de l’Eglise qui en assurait l’encadrement spirituel et la logistique. Pour ceux qui étaient à la recherche d’un idéal exaltant, l’Eglise, dans son opposition au régime totalitaire, représentait l’option à choisir. Aujourd’hui, le rôle de l’Eglise a changé et les juifs (d’origine) ne se convertissent sans doute plus au catholicisme. Pourtant, de nombreux juifs restent dans l’Eglise et certains d’entre eux comptent parmi les fidèles les plus fervents. Dans quelques cas (sans doute très peu), les juifs se sont ralliés avec enthousiasme à des mouvements catholiques, avant de quitter l’Eglise pour y avoir rencontré des responsables prêchant l’antisémitisme. Ce qui semble plus caractéristique, c’est l’influence exercée par le nouvel enseignement de l’Eglise sur les juifs et le judaïsme, instauré par le Concile Vatican II. De plus en plus de “juifs catholiques” et de “juifs juifs” prennent conscience du fait que la doctrine catholique officielle implique le respect des juifs - changement d’attitude positif que j’ai observé à plusieurs reprises en rencontrant des séminaristes, dont un bon nombre aspirent ardemment à en apprendre davantage sur le judaïsme de la bouche de juifs pratiquants, jouissant d’une certaine autorité.
Les “juifs juifs” ont de la peine à comprendre l’un des effets secondaires qu’expérimentent les juifs convertis en découvrant ce nouvel enseignement catholique. Dans le passé, l’Eglise a le plus souvent été à l’origine de troubles, de conversions ou de persécutions. Or, certains des juifs qui se sont convertis au catholicisme sans avoir reçu de culture ou d’éducation juive se mettent à s’intéresser au judaïsme et découvrent la tradition juive par le biais de leur formation chrétienne. Le fait que certains juifs assimilés apprennent à connaître et à aimer le judaïsme par l’intermédiaire de l’Eglise est nouveau dans l’histoire. Ce processus paradoxal de désassimilation présente un défi que n’ont pas encore repéré et encore moins relevé les communautés juives de Pologne et d’ailleurs.
L’activité des juifs convertis pose un problème caractéristique dans le dialogue judéo-chrétien en Pologne. Etant d’origine juive, certains participants catholiques se croient particulièrement qualifiés pour le dialogue. Qui plus est, certains responsables d’Eglise sont du même avis. Les juifs qui jouent un rôle actif dans le dialogue, eux, y sont farouchement opposés. Le problème demeure, même lorsque les juifs convertis n’ont pas la moindre intention de présenter leur point de vue comme la norme. Or, l’expérience que j’ai acquise au Conseil polonais des chrétiens et des juifs me donne à penser qu’aborder cet épineux problème en termes abstraits n’est peut-être pas la seule méthode possible. L’un de mes amis, qui est profondément et officiellement engagé dans le dialogue, est devenu pour moi, non pas l’un des membres de la catégorie des “juifs baptisés”, mais une personne dont la valeur est unique et les intuitions personnelles précieuses.
Il est clair que le dialogue judéo-chrétien n’est pas pour ceux qui sont à la recherche de leur identité religieuse. Si l’ouverture et le profond respect de “l’autre” sont nécessaires, les participants au dialogue doivent avoir une optique religieuse stable et un lien incontesté avec leur propre communauté. Ce n’est qu’alors que le dialogue pourra être profitable. C’est grâce au dialogue que je suis devenu un juif plus fervent et d’autres ont été amenés, eux aussi, à approfondir leur engagement dans le judaïsme. Si le dialogue judéo-chrétien fait des chrétiens de meilleurs chrétiens et des juifs de meilleurs juifs, c’est un dialogue réussi, qui favorise par ailleurs fortement la désassimilation juive.
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* M. Stanislaw Krajewski est membre du Conseil de l’Union des communautés juives religieuses de Pologne, président du Forum juif de Pologne, co-président du Conseil polonais des Chrétiens et des Juifs et consultant polonais auprès du Comité juif américain.
[Traduit de l’Anglais par C. Le Paire]
1, A Varsovie, le 652 21 44.
2. La loi du printemps 1997 s’applique aux communautés religieuses juives qui sont au nombre de neuf. Elle concerne les biens communautaires et non privés, à condition que ceux-ci soient toujours entre les mains de l’Etat et non d’un tiers. Le destin des propriétés foncières fait l’objet, dans chaque cas, d’une procédure particulière.
3. Un grand musée narratif moderne est en projet pour Varsovie. Plusieurs commissions internationales, formées avec la participation de personnalités de haut rang comme le Président allemand Roman Herzog, s’emploient actuellement à soutenir ce projet; le musée sera érigé en face du mémorial du ghetto de Varsovie