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Quelques reactions dans la presse
P. Jean Dujardin / Tribune Juive
Du point de vue chrétien
Plus qu'une théologie très élaborée, très construite, du rapport au peuple juif, encore qu'elle ne soit pas absente, c'est donc un climat que le document suscite peu à peu, en toute occasion. Il influencera grandement le peuple chrétien s'il est judicieusement utilisé.
Deux questions délicates méritent d'être traitées à part
Première question: qu'en est-il d'une éventuelle théologie de la substitution?
Trouve-t-on encore l'expression « verus Israël »? L'expression n'existe pas dans le Nouveau Testament et le Catéchisme ne la reprend pas. Cependant, on rencontre une autre expression qui fera problème aux juifs sous la forme d'une citation d'un texte conciliaire, c'est l'expression « nouvel Israël » (n° 877).
Faut-il conclure de cela qu'il n'y a eu qu'un demi progrès? Pour être tout à fait juste, il faut mettre en parallèle un autre passage du Catéchisme beaucoup plus remarquable dans sa positivité. C'est l'expression Israelitica dignitas (n° 528). Pour en saisir la signification, resituons-la dans son contexte. La fête chrétienne de l'Epiphanie est ainsi décrite dans le Catéchisme: « Dans ces mages, représentants des religions païennes environnantes, l'Evangile voit les prémices des nations qui accueillent la bonne nouvelle du salut par l'Incarnation... Leur venue signifie que les païens ne peuvent découvrir Jésus et l'adorer comme Fils de Dieu et Sauveur du monde qu'en se tournant vers les juifs et en recevant d'eux leur promesse messianique telle qu'elle est contenue dans l'Ancien Testament. L'Epiphanie manifeste que la plénitude des païens entredans la famille des patriarches et acquiert la Israelitica dignitas ». Ainsi, l'ouverture aux nations, c'est-à-dire à cette portion de l'Eglise qui deviendra peu à peu la plus importante, est présentée ici non comme une substitution à la mission du peu-pie d'Israël, mais comme une inclusion dans sa vocation. C'est une approche tout à fait différente de celle du verus Israël.
Seconde question: quelle lecture le Catéchisme fait-il de l'Ancien Testament?
Un examen attentif nous montre l'usage abondant des textes par le Catéchisme. C'est une nouveauté qui porte la marque du concile et du renouveau biblique. Mais quelle lecture en est faite? La question est importante pour le rapport entre juifs et chrétiens. Essayons d'y voir clair. Tout d'abord, l'unité de l'Ecriture est fortement affirmée. L'Ancien Testament est une partie « inamissible de l'Ecriture Sainte. Ces livres sont divinement inspirés et conservent une valeur permanente car l'Ancienne Alliance n'a jamais été révoquée », « en eux, (les livres de l'Ancien Testament) se tiennent cachés les mystères de notre salut » (n° 121 et suivants qui renvoient à Dei Verbum n° 15).
Si les chrétiens lisent nécessairement l'Ancien Testament à la lumière du Christ mort et ressuscité, et en un sens il ne peut pas en être autrement, car le Christ est pour eux non seulement te maître de l'interprétation, mais il exprime par sa vie la plénitude du sens, cela ne doit pas faire oublier, le texte le dit, que l'Ancien Testament garde sa valeur propre, « réaffirmée », dit même le Catéchisme, par Jésus lui-même, et il cite Marc 12, 29-31. Bien plus, le document précise que le Nouveau Testament demande d'être lu à la lumière de l'Ancien. Tout cela est positif. Ce qui fera certainement problème, c'est la forte référence à la lecture « typologique » de l'Ecriture. Cette lecture, déjà présente dans l'Ancien Testament, est tout à fait justifiée et compréhensible du point de vue chrétien, mais elle comporte un risque auquel la tradition, sous l'influence de la pensée grecque, n'a pas totalement échappé: celui d'une dévalorisation des personnes et des événements, présentés d'une façon si symbolique qu'ils en deviennent inconsistants. Ils perdent alors leur valeur propre et permanente. On fera bien de ne pas oublier les avertissements préliminaires des paragraphes 121 à 128. Cette façon de lire, que l'on rencontre trop souvent dans les commentaires bibliques, de catéchèse ou de prédication, peut conduire à nouveau à une forme subtile de théologie de la substitution ou même a une certaine récupération.
Les « Notes pour la prédication et la catéchèse », publiées à Rome en 1985, avaient souligné « le malaise » suscité par une telle lecture. Elles l'avaient même présenté comme « l'indice d'un problème mal résolu ». Le Catéchisme ne reprend pas cette interrogation. Il s'efforce quant à lui de donner une consistance propre aux événements et aux personnages de l'Ancien Testament. Y est-il totalement parvenu? On peut en discuter, et certainement pas totalement du point de vue juif. Des progrès peuvent probablement être faits. Au-delà du travail demandé aux exégètes, aux théologiens, reconnaissons aussi qu'il y a là l'indice d'une divergence profonde dont il ne faut pas cependant s'étonner. La lecture juive et la lecture chrétienne peuvent certainement se rapprocher, souvent converger, mais jamais totalement puisqu'à l'origine même de la séparation, il y a entre nous un problème herméneutique. Cela ne veut pas dire, mais le texte ne le dit pas, qu'une lecture juive de l'Ecriture est sans importance pour les chrétiens, afin précisément de saisir la valeur propre de ce qui nous est dit dans l'Ancien Testament.
Faire le constat de cette difficulté, est-ce conclure cette présentation du Catéchisme par une remarque négative? Non, c'est tout simplement prendre la mesure d'un des problèmes les plus considérables entre judaïsme et christianisme. C'est aussi penser que le Catéchisme dont la visée, répétons-k, est essentiellementpastorale ne pouvait pas aborder et résoudre une question aussi complexe. Il ne l'a pas fermée. Le champ d'investigation ouvert par le dialogue entre juifs et chrétiens est trop récent pour offrir à toutes les difficultés rencontrées des voies de réflexion satisfaisantes. En définitive la question qui se pose est plutôt celle-ci: Le Catéchisme sert-il le nouveau regard voulu par le concile sur le peuple juif? Avec les limites que nous avons indiquées, il faut répondre nettement par l'affirmative. Mais il reste à en faire passer l'enseignement dans le peuple chrétien, ce n'est pas une tâche facile. Aux théologiens, aux exégètes, aux historiens, mais surtout aux pasteurs, à tous ceux qui sont passionnés par le dialogue judéo-chrétien, la tâche de poursuivre la réflexion afin que la catéchèse elle-même en soit fécondée.
Jean Dujardin, prêtre de l'Oratoire, Secrétaire du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme. Extrait d'un article paru dans la «Revue du diocèse de Paris », 1993 et dans le n° 9/10 - 1993 de la revue «Sens », consacré entièrement au Nouveau Catéchisme.
Du point de vue juif: Michaël de Saint Chéron
Ouvrons ce catéchisme.
Celui qui s'attendrait à une évolution de la doctrine de l'Eglise relative notamment à la Loi, à la question du Messie, et à celle de la vocation d'Israël, sera déçu. S'il est vrai que sur les questions morales proprement dites, les positions catholiques sont souvent similaires aux positions rabbiniques, il faut, en tant que juif, dénoncer la prétention de l'Eglise à détenir l'apanage de la Révélation et de la Vérité théologique.
Franz Rosenzweig qui marqua tant de penseurs juifs jusqu'à Levinas, dit après Maimonide et le Gaon de Vilna: « De Dieu nous ne savons rien ». C'est peut-être ce qui nous sépare le plus radicalement des théologiens chrétiens.
Ce nouveau catéchisme s'efforce d'approfondir les liens entre Jésus et les juifs, pour bien montrer aux catholiques que leur religion est totalement enracinée dans le judaïsme. Mais pour nous, cette volonté d'enracinement pose une autre question: quelle justification de leur élection et de leur « Alliance » les chrétiens pourraient-ils apporter, s'ils n'avaient derrière ou à côté d'eux les juifs, pour être les témoin simplicités — et à notre corps défendant — de la vérité de leur religion, qui sans cela leur serait inconcevable à eux-mêmes?
Au chapitre « L'Eglise et le peuple juif », les auteurs, après avoir reconnu les nombreux mérites des juifs, à savoir l'Alliance, les Patriarches, les Prophètes, la Thora... n'en évoquent pas moins le « drame de l'ignorance ou de la méconnaissance du Christ Jésus » (p. 185). Il est clair pour eux que le Nazaréen accomplit la Loi de Moïse, en « allant plus loin » qu'elle. « La Loi ancienne est une préparation à l'Evangile », lisons-nous, ce qui veut dire en d'autres termes, qu'hormis cela, elle n'a pas ou plus de sens, qu'elle est devenue caduque.
Vers la fin du nouveau catéchisme, on peut lire: « La Loi confiée à Israël n'a jamais suffi à justifier ceux qui lui étaient soumis » (p. 512). Une telle assurance théologique a de quoi surprendre, quand elle ne révolte. Nous nous attendions à ne plus trouver de telles formules dépréciatives éculées, et qui surtout ne trouvent aucune justification théologique. Les chrétiens, les catholiques, sont-ils si sûrs que cela d'être justifiés par leurpropre christianité? Leur morale n'est-elle pas devenue une autre loi, même si par leur volonté originelle d'annuler les lois sur la pureté et l'impureté, ils se sont, en fait, coupés du Sinaï et par là de l'Alliance avec le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob?
Plus loin encore: la Thora « reste une loi de servitude » et plus grave: nous, juifs, n'avons pas « la grâce de l'esprit pour l'accomplir ». Est-ce là l'enseignement renouvelé de l'Eglise sur les juifs et le judaïsme? Si oui, c'est sans espoir. Une vérité théologique ne peut-elle se justifier qu'au prix d'une injustice, d'une usurpation et d'une captation d'héritage?
En revanche, pour les questions de morale et en particulier de morale sexuelle, ce catéchisme concorde avec la Loi juive, qui cette fois n'est ni dépassée ni en retard par rapport à l'enseignement de l'Eglise...
En définitive, ce catéchisme est, sur bien des plans, un enseignement plus ouvert que les précédents, mais il prouve une fois de plus les limites théologiques du dialogue.
Extrait d'un article paru dans la «Tribune Juive» du 17.12.1992 et intitulé: « Les limites du dialogue ».