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SIDIC Periodical VI - 1973/1
Liturgie juive, liturgie chrétienne (Pages 38 - 39)

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Art juif - art chrétien : Présence juive dans l'iconographie paléo-chrétienne
J. M. des Rochettes

 

Ceci est le titre d'un article fort intéressant écrit, dans le numéro 189 de novembre-décembre 1972 de l'Arche, par Elisabeth Revel-Neher. La question qu'elle se pose est la suivante: « Existait-il, au début du premier millénaire, une Bible juive illustrée qui aurait servi de modèle aux premiers artistes chrétiens? » Pour y répondre, elle part de l'expérience de la synagogue de Doura-Europos où les recherches récentes ont montré que les fresques ont été élaborées à partir de modèles manuscrits juifs. En effet ces fresques ne sont compréhensibles que pour ceux qui peuvent y reconnaître les références à des commentaires midrashiques. Il s'agirait donc de copies d'enluminures de manuscrits réalisés dans la Diaspora.

Ce premier fait permet tout d'abord à Elisabeth Revel-Neher de relativiser le fameux interdit biblique concernant les images et l'art figuré dans la tradition juive. Ne voit-on pas d'anciennes synagogues en Israël dont les mosaïques ont été martelées par endroits, sans doute au cours de périodes de réaction après les périodes plus libérales de leur élaboration?

Il y a donc lieu de croire qu'une première illustration biblique aurait été entreprise, même « avant la naissance du christianisme, parmi les Juifs de la Diaspora, très tôt après la traduction de la Bible de l'hébreu en grec, traduction dite des septante, au IIIème siècle avant l'ère civile ».

« Ainsi, continue l'auteur, lorsque les artistes paléo-chrétiens décidèrent d'illustrer les Ecritures au cours du IIIème et du IVème siècle, ils trouvèrent, selon toute vraisemblance, l'Ancien Testament muni d'images et n'eurent qu'à les copier. Ils copièrent en même temps certaines des particularités iconographiques de ces manuscrits qui, dans le texte, donnaient une grande part aux midrashim — commentaires rabbiniques — selon la tradition juive qui veut que le texte sacré ne se suffise pas à lui-même, mais prenne sa dimension véritable à travers les commentaires, qui sont explication, extension, dépassement ».

S'appuyant alors sur les conclusions de travaux comme ceux de K. Weitzmann (elle cite notamment l'explication qu'il donne du serpent-chameau tentateur d'Eve dans l'Octateuque, conservé à la bibliothèque du sérail de Constantinople et datant du Vlème siècle: ce serait l'illustration directe d'un passage des « Pirké » de Rabbi Eliézer qui dit que 'le serpent ressemblait au chameau et le Satan l'enfourcha'), Elisabeth Revel-Neher fait sienne l'hypothèse de l'explication midrashique pour l'intelligence de l'iconographie chrétienne.

Sur cette base et à partir de ses recherches personnelles, elle expose deux exemples saisissants qu'elle a pu observer en étudiant le manuscrit grec de la Genèse conservé à la Bibliothèque Nationale de Vienne sous la cote Cod. Théol. gr. 31 et attribué au Vlème siècle. Il s'agit d'une part de l'épisode de l'ivresse de Noé et d'autre part de l'histoire de Joseph et de la femme de Putiphar. Dans les deux cas une étude minutieuse de l'image — pour la joie du lecteur, l'article s'accompagne des reproductions photographiques de quelques très belles miniatures tirées du manuscrit en question — permet à l'auteur d'expliquer certains détails insolites à la lumière des récits midrashiques.

Ainsi nous apprenons à lire l'image de la scène de l'ivresse de Noé, de droite à gauche, comme s'il s'agissait d'un manuscrit en langue hébraïque. Nous comprenons la présence de l'enfant Canaan dont le texte biblique dit qu'il fut maudit sans plus de précision, mais dont le commentaire du Midrash (Bereshit Rabba 36,7) souligne que « c'est Canaan qui avait vu Noé et était allé le raconter à son père Cham ». De même dans le cas de la femme de Putiphar nous découvrons que ses intentions étaient pures d'après l'interprétation midrashique qui « éclaire cette miniature d'un sens nouveau. Le Midrash (Bereshit Rabba 85,2) rapproche l'histoire de Tamar de celle de la femme de Putiphar. Leurs intentions à toutes deux étaient pures. La femme de Putiphar désirait un enfant, car son mari était eunuque. 'Elle avait su par l'étude des astres que par Joseph, il y aurait un fils dans sa maison, mais elle ne savait pas si c'était elle-même ou sa fille qui lui donnerait naissance'... » Quant à Joseph il apparaît selon cette tradition midrashique comme un homme vulnérable partagé entre la séduction de la femme de Putiphar et son amour pour sa propre femme Osnath, à peine mentionnée dans la Bible, et au contraire mise en relief à plusieurs reprises dans les miniatures, ceci de nouveau en accord avec la merveilleuse présentation qui est faite d'elle dans la tradition orale midrashique.

Ces constatations conduisent donc Elisabeth Revel-Neher a soutenir la thèse de l'existence de manuscrits juifs enluminés antérieurs à l'imagerie chrétienne, en précisant que dans la tradition juive le texte était toujours premier et l'image une simple illustration soit du texte biblique lui-même, soit des commentaires qui l'accompagnaient (targoumim ou midrashim). Or, les premiers manuscrits chrétiens visaient au contraire à substituer l'image au texte à l'usage de ceux qui ne lisaient la Bible qu'à travers ces images. On comprend dès lors que se soient produits ces glissements du texte à l'image et que l'on ait perdu la trace des sources targoumiques ou midrashiques accompagnant le texte biblique et seuls suceptibles de donner la clé de certains détails de l'iconographie.

Nous ne pouvons que nous réjouir de semblables recherches qui devraient rapprocher la conscience chrétienne de ses sources bibliques par la voie de la tradition juive.



Recension, SR J.M. DES ROCHETTES
D'après ELISABETH REVEL-NEHER dans un article de l'Arche 1972

 

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