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Avenir des relations juifs-chrétiens en Israël
Conseil de coordination interreligieux en Israël (ICCI)
Le 5 juin 2000 se sont réunis les membres du Conseil de coordination interreligieux en Israël (ICCI) dont les noms suivent : Dr Sidney DeWaal, Président, Jewish University College ; Rabbin Naama Kelman, Directeur des Initiatives en Education, Hebrew Union College, Jérusalem ; Mr Yehezkiel Landau , codirecteur, Open House, Ramle ; P. Michael McGarry, Institut oecuménique de Tantur ; Sr Trudy Nabuurs, Soeur de Notre Dame de Sion, Ecce Homo ; Rabbin David Rosen, Directeur général de l’ADL (Anti-Defamation League) en Israël ; modérateur Dr Ron Kronish, Directeur, ICCI. Il s’agissait d’échanger sur les problèmes qui affectent l’avenir des relations juifs-chrétiens en Israël. Voici des extraits de la discussion. *
KRONISH : Nous allons parler de deux choses qui concernent les relations juifs-chrétiens en Israël et dans la région :1) Où nous a menés le dialogue des trente dernières années ? Quels développements positifs, quels problèmes avons-nous rencontrés ? 2) A l’avenir, quels sont les défis auxquels devra faire face le dialogue juifs-chrétiens dans ce pays, Israël, et sur cette terre, Israël/Palestine ? En quels sens devons-nous aller ? Quelles étapes sont à préparer ?
Résultats atteints
DEWAAL : Je suis un chrétien protestant qui a grandi dans une grande Eglise, l’Eglise réformée des Pays-Bas. J’ai émigré aux USA quand j’avais un peu plus de vingt ans. Peu à peu j’ai commencé à travailler davantage au plan interconfessionnel, mais dans le milieu évangélique. Un des progrès que j’ai constaté pendant les sept ans que je viens de passer à Jérusalem est que beaucoup de mes collègues juifs commencent à faire une distinction entre fondamentalisme et évangélisme. Les fondamentalistes diront : « Israël ne peut pas commettre de faute, ils sont la prunelle de l’œil de Dieu. Nous sommes ici pour faciliter leur retour en Israël. Qui sommes-nous pour critiquer ce qu’ils disent ou font ? ». J’appartiens à la grande Eglise évangélique qui a beaucoup changé sa manière de percevoir Israël. Dans les années 1940-1960 elle a beaucoup soutenu Israël en ce sens qu’elle voulait échanger en vue d’une compréhension mutuelle, et creuser la question de la continuité entre judaïsme et christianisme. Cette ouverture et cette absence de jugement ont cessé pendant l’Intifada (1987-1992) pour faire place à une attitude plus critique à l’égard du judaïsme – surtout à cause de la dimension politique, puisque politique et religion sont inséparables. Il est devenu très difficile de parler à l’autre de ce qui nous lie comme croyants.
J’en suis venu aussi à réaliser que l’Holocauste est très important dans l’histoire d’Israël, peut-être l’événement le plus important, pour ne pas dire celui qui définit les juifs et le judaïsme aujourd’hui. Je réalise qu’il faudra du temps pour dépasser ce point. Si nous devons avancer dans notre conversation et considérer ce qui nous lie comme croyants, le moment doit venir où juifs et chrétiens pourront regarder l’Holocauste comme l’horrible tragédie qu’il a été, sans élaborer indéfiniment là-dessus. Aussi longtemps que l’Holocauste demeurera ce qui définit la judéité, le judaïsme et la nation juive, il ne sera pas possible que les juifs parlent aux chrétiens, spécialement si les chrétiens sont perçus comme les auteurs de l’Holocauste. J’espère que par le dialogue, en apprenant davantage les uns des autres, en écoutant les confessions venant du côté catholique et du côté protestant, nous parlerons plus de la signification du pardon. Le christianisme peut à mon avis apporter sa contribution en présentant une conception du pardon qui nous aide tous à repartir.
ROSEN : Il faut distinguer deux ordres de choses très différents : les organisations et activités situées à l’intérieur même d’Israël et concernant les relations juifs-chrétiens et un élargissement dont font partie ou non les relations interreligieuses. En Israël est venu s’ajouter au dialogue un événement à l’évidence unique, à savoir l’établissement de l’Etat d’Israël. Pour la première fois, le christianisme comme religion a eu affaire au judaïsme comme à une majorité et à une entité souveraine dans sa terre. A mon avis, beaucoup de chrétiens ont encore du mal à accepter cette situation, qui représente un nouveau genre de défi pour le christianisme contemporain. La plupart des chrétiens préféreraient sans doute ne pas avoir à affronter l’histoire de l’antisémitisme chrétien. Ils aimeraient échapper aux conséquences théologiques du retour du peuple juif sur sa terre ancestrale et de l’établissement de sa souveraineté sur cette terre. En Israël un des aspects uniques du dialogue est le dialogue avec les chrétiens qui vivent sur cette terre et qui maintenant sont affrontés aux défis théologiques que pose la renaissance d’une vie juive indépendante, dans notre patrie, sur la toile de fond de l’histoire. Qu’est-ce que cela implique de s’engager dans cette relation nouvelle ?
Le dialogue israélo-palestinien est affecté par le fait que la Palestine est une société qui lutte pour se déterminer elle-même au plan national. Tout ce qui est perçu comme ne servant pas cette cause omniprésente est perçu soit comme périphérique soit comme un luxe dangereux. Nous avons eu d’autres rencontres avec des chrétiens qui, à des degrés différents, ont été exposés à la société occidentale. Ils jouent un rôle très important quand il s’agit de bâtir un pont entre des situations si différentes.
NABUURS : Je suis une Sœur de Sion arrivée d’Australie il y a environ trois ans et demi. Je vis et je travaille au Couvent de l’Ecce Homo situé dans le quartier musulman de la Vieille Ville. Cet emplacement ainsi que notre intérêt pour les relations juifs-chrétiens et interreligieuses, nous permettent de favoriser le dialogue par différents moyens. Depuis 20 ans nous proposons un programme d’études pour des « enseignants et prédicateurs » chrétiens (catholiques en majorité) venus de différentes parties du monde. Beaucoup ont une conception limitée ou étroite de la Parole. Notre but est de les aider à comprendre la Parole aussi dans une perspective juive. Nous les encourageons aussi à rencontrer des juifs, à visiter des synagogues et à avoir une idée de la foi et de la prière juives. Cela contribue à diminuer les stéréotypes et les préjugés. Comme nous vivons dans le quartier musulman, ils rencontrent aussi des Palestiniens, tant musulmans que chrétiens.
LANDAU : Je suis venu ici il y a 22 ans, pour que mon corps soit là où étaient mes prières et pour contribuer, dans une perspective de foi, à guérir les relations humaines dans cette terre sainte. Mes convictions m’ont conduit à m’engager pour la paix sur le terrain interreligieux et au niveau politique inter-comunautés. Pour moi les relations entre juifs et arabes et le travail interreligueux sont les faces d’une même pièce de monnaie. Ils ne sont pas séparables. Mon rebbe à Harvard Divinity School disait que juifs et chrétiens ont violé le 9e commandement ; surtout par ignorance ils ont porté de faux témoignages les uns contre les autres depuis 2000 ans. Il y a dix ans, dans un effort pour traduire mes convictions et mes aspirations au plan pratique, un laboratoire impliquant les habitants de cette terre, « Open House », a vu le jour – pour favoriser la coexistence entre juifs, musulmans et chrétiens au ras des pâquerettes, là où on n’aborde la théologie que de façon très indirecte. Aux camps d’été, en créant des ateliers de travail, des classes d’informatique et des réunions interculturelles, on partage sa religion et on en parle comme d’un élément ordinaire de la vie. En ce qui concerne l’avenir, si nous juifs voulons engager davantage de Palestiniens chrétiens, comme nous le devons, il nous faut être surtout sensibles à leurs préoccupations théologiques et politiques. Cela nécessite beaucoup d’empathie et d’écoute. C’est un lent processus de découverte et de soutien mutuels.
Il n’y en a pas trop d’entre nous qui sont identifiés comme juifs observants et sionistes tout en étant aussi universalistes et pluralistes. Ma plus grande inquiétude est celle d’être perçu comme une exception à la règle et d’être utilisé pour l’agenda théologique ou politique de quelqu’un d’autre.
Défis pour l’avenir
KRONISH : Au cours des dernières années, il y a eu quantité d’organisations actives, de dialogues et de trialogues. Je pense cependant qu’une grande partie de cela reste une expérience « tour d’ivoire », qui évite tout ce qui a trait à la vie réelle, afin de se tenir à distance de la politique. Certes, il y a de la valeur dans un dialogue purement inter-religieux au sujet de la religion, de la prière, de la spiritualité, de l’histoire et de la théologie. Mais en nous détachant de la politique par peur de salir nos mains ou nos esprits, nous n’avons pas réellement réfléchi sur la manière de relier la religion au monde réel. Pendant trois à cinq ans nous avons eu un certain nombre de dialogues basés sur une étude de textes. Trois séries ont eu lieu dans le cadre de l’ICCI : avec des juifs et des chrétiens du pays, avec des juifs et des chrétiens occidentaux et avec des étudiants venus de l’étranger. Approcher les Ecritures avec nos différentes perceptions nous donne une base commune et nous permet en même temps de relier la discussion aux problèmes contemporains. Un bon commencement.
Je pense que la visite faite en mars par le pape Jean Paul II a été à bien des points de vue historique. Ce qui m’a fait le plus d’impression, c’est ce que nous appelons « la grande occasion en or pour l’éducation ». Pendant le mois qui a précédé la visite du Pape et pendant la visite on a parlé du Pape et du christianisme à la télévision et dans les journaux plus que pendant les trente dernières années ! Beaucoup de tabous n’ont pas été respectés. Il y a eu réellement une croix sur la télévision israélienne et la TV n’a pas explosé ! Tout à coup il est devenu casher de parler du christianisme et de ne pas avoir peur. Pour l’avenir nous devrions voir quelle suite donner à ce qui a été une réalité.
Pour moi le principal problème a été d’impliquer des chrétiens locaux et des juifs nés en Israël. Mais le fait que nous ayons eu quelques modestes débuts nous donne de l’espérance pour l’avenir. Il y a naturellement le problème des langues qui nous limite. Notre dialogue est tellement en anglais. Peut-être sera-t-il nécessaire d’employer davantage l’hébreu et l’arabe à l’avenir. La question que je vous pose maintenant est celle-ci : quels sont les principaux défis à relever pour le dialogue juifs-chrétiens en Israël et dans la région ?
DEWAAL : Je vais commencer par les progrès que nous avons faits dans nos échanges sur des questions théologiques, psychologiques, sociologiques et bibliques. Un exemple en est que les étudiants de l’Hebrew Union College et ceux de la Jerusalem University College continuent à échanger. La première fois, il s’agissait du Messie, les étudiants du JUC ont demandé : « Comment allons-nous parler de cela ? » tandis que ceux de HUC demandaient : « Qu’est-ce que cela veut dire de toute façon ? ». Mais ils ont parlé, ils ont réalisé qu’ils devaient passer à un sujet préalable, celui de la rédemption, et ils ont trouvé que ce terme signifiait des choses totalement différentes pour les juifs et pour les chrétiens. En parlant de la rédemption ils ont découverts qu’ils devaient parler du péché – et c’est là que la conversation est devenue vraiment impossible. Mais ils ont commencé à comprendre des concepts qui ont été utilisés par les deux communautés en faisant parfois double emploi, mais aussi avec des différences très importantes. J’espère pouvoir développer ce genre de discussion, ainsi qu’une autre sorte de discussion que nous avons dans d’autres groupes tels que le groupe de Dialogue d’Ein Karem. Nous y avons parlé des textes juifs et chrétiens relatifs à Noël et à Hanoukka, et de la signification de la terre. Vous commencez à voir qu’il existe différentes compréhensions et perspectives.
Par rapport à la nécessité de bâtir des ponts : Venant de la principale tradition évangélique, j’ai à faire à des fondamentalistes et à d’autres évangéliques qui sont aussi « dispensationalistes » (1). C’est un terme fondamentaliste signifiant que Dieu opère dans les « dispensations » variées qui se succèdent dans l’histoire. Ils voient l’époque présente comme la fin de la dispensation de l’Eglise. Nous sommes revenus à la dispensation des juifs, laquelle dans le premier Testament, a précédé la dispensation de l’Eglise. Nous sommes revenus à la suite de l’accomplissement des promesses faites par Dieu à Israël par l’intermédiaire des prophètes de l’Ancien Testament. Selon leur théologie, toutes les politiques dans cette partie du monde sont la suite de cet accomplissement. Ainsi, tous les juifs doivent retourner en Israël pour que le retour de Jésus puisse avoir lieu. La terre appartient au peuple juif parce que Dieu la leur a promise, un point c’est tout ! Quand des « non-dispensationalistes » demandent : « Puisque Dieu a écrit l’histoire et qu’Il est le Seigneur de l’histoire, ne pourrait-on pas imaginer que les mouvements historiques actuels dans cette région du monde font aussi partie de l’histoire que Dieu a écrite ? » alors les voilà qui s’immobilisent, les dents serrées, figés ! Un bon nombre cependant ont appris à dire « oui » et sont arrivés à la conclusion que la terre doit être partagée. Israël a un droit de retour, mais d’autres peuples aussi sont des partenaires et des possesseurs légitimes de cette terre. Cette ligne de démarcation théologique entre protestants est sous-jacente ici à toutes les activités et rend très difficile le genre de discussion dont nous parlons.
LANDAU : Maintenant et à l’avenir il nous faut travailler bien davantage au sein de nos propres communautés de foi pour les presser d’ouvrir plus encore leurs esprits et leurs coeurs. Comme juif, je pense qu’après la récente visite du Pape, il sera plus facile de comprendre que le christianisme n’est pas seulement dans l’histoire un phénomène négatif, mais qu’il est une force rédemptrice positive, comme l’avait déjà vu Maïmonide. Au-delà du désaccord théologique, l’identité et la vocation des autres communautés de foi ont un poids et une valeur spirituels. Rien qu’une affirmation comme celle-ci représente une étape importante dans la voie d’une théologie pluraliste. Le plus grand défi auquel nous soyons affrontés est que soit dépassé l’attitude schizophrénique tendant à dissocier dimension politique et dimension spirituelle : beaucoup, spécialement ceux qui travaillent pour la paix, tiennent à les séparer. « Théologie et religion ne font que barrer le passage et alimenter le fanatisme. Parlons des déclarations universelles des droits de l’homme, prenons l’autodétermination ou un autre paradigme humanitaire quelconque comme dénominateur commun. » Des amis chrétiens disent cela et les Eglises font des déclarations de ce genre. On parle théologie seulement pour dresser les prophètes contre Israël. Pour moi, il y a là une difficulté car j’estime que le sionisme fait partie de la spiritualité juive et qu’il apporte une contribution valide à l’écologie de Dieu dans le monde. Vous n’avez pas à vous convertir au sionisme pour laisser les juifs être sionistes. Dieu merci, il y a encore des juifs sous le ciel. Comme les chrétiens et les musulmans, ils ont une vocation spéciale dont fait partie, selon l’histoire de Dieu, l’aspect politique national appelé sionisme qui est cristallisé maintenant dans l’Etat d’Israël. Concilier cette conviction avec les prétentions territoriales ou autres des Palestiniens n’est pour aucun d’entre nous une chose facile. Ici, les chrétiens, à commencer par les Palestiniens chrétiens, apportent, entre juifs et musulmans, un témoignage important. Comme ils sont, au double sens du terme, politique et religieux, une minorité, ils représentent le test décisif de la manière dont Israël et la Palestine traiteront les communautés de foi minoritaires.
NABUURS : Nous l’avons dit, la visite du pape a en quelque sorte fait que le christianisme est casher pour les juifs. Mais c’est dans le monde entier que sa visite a eu un incroyable impact sur les chrétiens. Nous pouvons espérer que l’enseignement profond du pape amènera les gens à lire avec une plus grande attention certains de nos documents contenant un enseignement nouveau sur les juifs et sur le judaïsme.
Il est important aussi de réunir les gens pour qu’ils puissent écouter en vérité l’histoire des uns et des autres. Il n’y a pas longtemps deux d’entre nous ont amené une jeune Palestinienne dans un groupe pratiquant une écoute inspirée par la compassion. Elle avait déjà rencontré des juifs dans un bureau où elle avait travaillé, mais sa douleur, sa souffrance personnelles l’avaient empêchée même de leur serrer la main. « Je voyais le sang de mes compatriotes sur leurs mains. » Cette fois, pour la première fois, elle rencontrait réellement des juifs et cela a été pour elle une extraordinaire expérience. Elle a pu écouter l’histoire de l’autre côté, et elle a été écoutée. Cela m’a fait réaliser que le projet de réunir des gens pour qu’ils s’écoutent mutuellement est terriblement important. L’ICCI a récemment pris l’initiative d’un projet « Environnement ». Il y a quelques semaines j’ai pris part à une randonnée juifs-chrétiens de nettoyage. Tout en marchant nous avons étudié des textes et appris les uns des autres de façon très profonde. Je vois le besoin dans l’avenir de poursuivre ces efforts pour que les gens participent ensemble à des projets tels que ceux-ci.
KELMAN : Au sujet de la visite du pape : voir un leader vraiment ému et compatissant atteindre ainsi et littéralement toucher des êtres humains était quelque chose de tout à fait remarquable. On pouvait s’en rendre compte rien qu’à la manière dont les bulletins d’information en ont parlé. En un sens, comme juive, c’était pour moi une souffrance d’avoir besoin de voir cela. Je pense que les Israéliens, et certainement les Palestiniens, peuvent être émus par ces gestes symboliques. Peut-être que nous avons besoin à l’avenir de davantage de gestes symboliques. Il est bien évident que nous ne voulons pas exagérer en ce sens, mais comme Jérusalem maintenant est un enjeu crucial pour nous tous, peut-être devrions-nous réfléchir attentivement sur la manière dont les leaders religieux de par le monde peuvent nous aider ici par des gestes symboliques, soit qu’ils visitent avec un groupe, soit individuellement, soit dans toute autre circonstance. Certes cela ne va pas sans risque dans une terre sainte si hautement symbolique par elle-même. J’hésite un peu en suggérant davantage de gestes symboliques, mais je vois aussi quelle importance ils peuvent avoir.
D’après mon expérience, le dialogue le plus significatif est celui qui arrive quand les gens rencontrent leurs pairs. Pour moi le dialogue entre femmes a été une occasion incroyable d’abattre les murailles entre nous. Bien que je sois partisan de l’égalité, j’encouragerais volontiers les rencontres entre pairs – entre enfants, entre collègues – afin que les conversations aident à humaniser chaque côté.
Peut-être nous faut-il recourir à une autre métaphore que celle de bâtir des ponts, puisque nous avons des gens qui viennent de toutes les directions pour se diriger les uns vers les autres. Un pont relie deux rives. Nous avons parfois dans notre mentalité occidentale des équivalences si rigides entre le linéaire et un pont, que nous pouvons penser seulement à une seule direction. Peut-être pourrions-nous penser à une percée de soleil, ou à une étoile ? Même si le Rabbin Rosen a évoqué la circonférence ! et dans ce pays nous aurions des problèmes aussi avec les étoiles ! Mais il nous faut un autre genre de dialogue qui puisse réunir beaucoup de gens différents.
MCGARRY : Les efforts faits au début pour donner un enseignement au sujet de l’autre sont importants pour l’avenir. Pendant la visite du pape, quelques-uns des discours les plus éloquents ont été ceux du premier ministre Barak. On connaît la référence qu’il a faite au nouveau Comité Interreligieux. Le seul fait que ce Comité ait pu même être incorporé est significatif de la maturité politique de l’Etat d’Israël. Quand ce genre d’effort est entrepris par un Etat, il comporte un risque, mais il n’est pas forcément marginal. Si l’Etat, au jugement de vrais hommes d’état, voit que l’entreprise sert la société, on peut espérer qu’elle sera encouragée et non détournée par d’autres soucis politiques. Cela pourrait être l’occasion de donner plus d’ampleur à l’histoire et même de mettre en valeur quelques-uns des moments rares, mais significatifs, où il y a eu de bons rapports entre juifs et chrétiens. On pourrait citer certains efforts de la papauté pour sauver les juifs ou les protéger contre les pires de nos catholiques. Je ne pense pas qu’on aille du premier siècle à l’Holocauste en tirant une ligne uniformément noire. Il y a des distinctions à faire. Une histoire plus nuancée de certaines dimensions de notre histoire peut aider. On devrait mettre en valeur la façon dont certains théologiens chrétiens du Moyen Age ont été inspirés par la méthode de grands maîtres juifs, de même que ce que les chrétiens des troisième et quatrième siècles ont gagné au contact de leurs frères et soeurs juifs. Même s’ils n’effacent ni n’annulent les expériences négatives de l’histoire que nous avons en commun, il reste qu’il y a des moments sur lesquels j’aimerais insister. Nous n’avons pas à partir de zéro dans l’année 2000.
ROSEN : Si nous considérons que, d’une façon générale, nous avons affaire ici à une population traumatisée, je pense que nous devons une fière chandelle aux relations juifs-chrétiens des 30 ou 40 dernières années. La grande majorité des habitants de ce pays vivent dans la peur de quelqu’un quelque part, si incroyable que cela puisse paraître à d’autres. Yeshaya Leibowitz a raison de dire que la politique influence la théologie plus que l’inverse. Notre contexte socio-politique va jouer un rôle déterminant. Un des derniers lieux où l’on trouve encore la théologie de la substitution est probablement le christianisme palestinien. Cette attitude s’explique par un contexte traumatisant, et pour la même raison la grande majorité des juifs vivant ici ne croient pas, même après la visite du pape, que le monde chrétien ait vraiment changé. Il y a encore beaucoup de prosélytisme – soutenu efficacement par certains milieux des Etats-Unis – et cela peut encore rappeler tout le passé. Nous devons donc ne pas trop attendre et reconnaître aussi que les relations juifs-chrétiens se situent à la périphérie des intérêts du monde. Cependant, là où cette rencontre existe, comme ici, c’est une rencontre très spéciale, non seulement à cause du contexte, mais aussi à cause du texte. Nous devons reconnaître les mérites d’activités de tout genre, l’étude de textes faite ensemble, l’Institut Elijah, et nous savoir gré de pouvoir nous rencontrer à ce niveau. On ne trouve pas facilement ailleurs des rencontres atteignant une telle profondeur de dialogue. Si nous continuons à être le levain, il faut espérer que dans un contexte plus large la pâte lèvera. Mais nous serons toujours une composante minoritaire.
KRONISH : Comme partisan de l’éducation, je cherche toujours des moyens de mettre l’éducation en lien avec la réalité politique. Dans notre pays il y a quelque chose de nouveau, le mouvement appelé Education pour la Paix. C’est encore un phénomène bien petit, mais il grandit. La communauté interreligieuse peut jouer un rôle dans l’éducation à la paix, pas seulement dans les écoles mais aussi dans les églises, les mosquées et les synagogues. Cela nous mettra davantage en lien avec le contexte politique. Je veux souligner qu’il nous faut de plus en plus ajouter le dialogue avec les musulmans. Il y a eu dans les dernières années des expériences en ce sens et le trialogue est né. Je pense qu’il faut faire davantage en ce sens.
DEWAAL : Je me souviens de la pièce que Ron Kronish a écrite sur ‘L’autre processus de paix’. Je crois que le dialogue interreligieux/interculturel est une part très importante de « l’autre processus de paix », parce qu’il se trouve que je donne ma foi à Jésus-Christ, Prince de la Paix, qui cherche à promouvoir cette paix. Aussi suis-je très encouragé par le fait qu’il y a, au premier plan de toutes les discussions, beaucoup plus de modération que ce qu’on imagine quelquefois.
KRONISH : Merci à tous, pour être venus et pour vos importantes contributions.
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* Sidic est très reconnaissant au Rabbin Ron Kronish, Directeur du Conseil de Coordination Interreligieux en Israël, d’avoir organisé et modéré cette discussion et de l’avoir mise à notre disposition en vue de sa publication. [Traduit de l’anglais par B. Brumelot]
1. NDLR : le dispensationalisme est une interprétation de la Bible mise au point par John Nelson Darby (1800-1882) qui divise l’histoire du salut en sept périodes ou « dispensations », correspondant à des attitudes différentes de Dieu face à l’humanité, selon que l’on est, par exemple, avant ou après le Christ. Le dispensationalisme marque profondément le courant fondamentaliste américain depuis ses origines. En 1909, une Bible a été éditée par C. I. Scofield avec notes et commentaires dispensationalistes. Elle est rééditée régulièrement depuis même en français (1975).