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Aussi papistes que le Pape
Carlos Eroles
Jean Paul II a exercé son pontificat avec courage et intuition. Il a su être l’artisan d’événements ecclésiaux significatifs et de faits politiques transcendants.
Ses nombreux voyages pastoraux dans des « zones difficiles », soit pour porter la parole de l’Église, soit à cause d’événements qui y sont survenus, en sont un échantillon, ainsi que ses encycliques sociales, avisées dans le diagnostic et audacieuses dans la proposition.
Dans ce cadre d’audaces et de cohérences, le lancement de l’Année sainte, il y a quelques années déjà, pour accompagner pastoralement le début du troisième millénaire, faisait présager des moments de grande résonance historique.
Le jubilé est arrivé et avec lui, les attitudes fermes du vieux pape, affaibli dans ses forces physiques mais extraordinairement dynamisant dans sa vigueur spirituelle : celles-ci nous parlent de pardon, de purification de la mémoire, de la nécessité de substituer la dette extérieure et la dette intérieure à une économie mondiale solidaire et d’une attitude ferme pour affronter les causes profondes de la pauvreté, de l’exclusion et de l’injustice sociale.
En ces jours, nous sommes les témoins émus de l’exemple du pape, demandant pardon face au peuple juif pour les fautes de l’Église dans la Shoa et dans tant de faits douloureux d’un monde plongé dans la violence.
Jean Paul II a dit dans son message de Carême :
« L’esclavage du péché et de la mort que l’homme expérimente chaque jour en découvrant les racines dans son propre cœur se manifeste sous des formes dramatiques et inhabituelles, comme il est arrivé au cours des grandes tragédies du XXe siècle aux incidences si profondes dans la vie de tant de communautés et de personnes, victimes d’une violence cruelle. Les déportations forcées, l’élimination systématique de populations, et le mépris des droits fondamentaux de la personne sont des tragédies qui malheureusement humilient, aujourd’hui encore, l’humanité ». (8 mars 2000).
Ensuite dans la Maison du Souvenir des victimes de la Shoa en Israël :
« Nous nous souvenons, mais sans aucun désir de vengeance, sans incitation à la haine. Pour nous, se souvenir signifie prier pour la paix et la justice et nous engager pour leur cause. Seul un monde en paix, avec la justice pour tous, pourra éviter la répétition des erreurs et des terribles crimes du passé.
En tant qu’Evêque de Rome et successeur de l’apôtre Pierre, j’assure le peuple juif que l’Église catholique, motivée par la loi de vérité et d’amour de l’Evangile, et non par des considérations politiques, est profondément attristée par la haine, les actes de persécution et les manifestations d’antisémitisme dirigées contre les juifs par des chrétiens en tout temps et en tout lieu. L’Église rejette toute forme de racisme comme une négation de l’image du créateur, inhérente à tout être humain ».
Pas une parole de moins. C’est un pardon net, précis, ressenti, assumé en tant qu’Église universelle pour les crimes d’action ou d’omission commis par des chrétiens contre les juifs.
Une attitude digne d’être imitée dans notre propre patrie, dans le cadre du jubilé.
C’est pour cette raison que nous exhortons, dans l’en-tête de l’article, à être simplement « aussi papistes que le pape ».
Nous avons besoin, comme chrétiens argentins et latino-américains que notre Église, comme communauté dans son ensemble et sous la direction de ses évêques, accompagne avec énergie et courage l’attitude de Jean Paul II. Comme « Signe de Réconciliation », qu’elle demande pardon aux frères victimes des injustices, des oppressions, des exclusions et des violences subies au cours de notre histoire. Non pas que nous ne connaissions pas beaucoup de témoignages de chrétiens solidaires et promoteurs des droits de l’homme, mais parce que nous avons la certitude que d’autres ont violé, au nom de Dieu, la dignité humaine et ont offensé le droit à la vie.
Nous voulons nous sentir partie prenante d’une Église qui demande pardon pour les oppressions et les douleurs historiques des communautés indigènes de notre patrie, décimées en Patagonie, dans le Nord argentin et dans le Gran Chaco, par les balles, par la faim ou l’exploitation par le travail. D’une Église qui, bien que se sachant présente et active au service des pauvres demande pardon parce qu’il y a dans notre patrie une concentration extrême de la richesse, ce qui nous amène à dire avec douleur que n’ont jamais coexisté une telle accumulation de biens dans les mains de quelques-uns avec tant de faim et d’inemploi en Argentine.
Nous voulons nous sentir partie prenante d’une Église meurtrie par les péchés de ses fils, commis dans le cadre de la doctrine de la Sûreté nationale et du terrorisme d’Etat ; d’une Église qui accompagne les familles ayant des morts et des disparus dans leur lutte pour la Vérité et la Justice et pour la restitution de ces jeunes d’aujourd’hui, nés hier dans la captivité.
Nous voulons nous sentir partie prenante d’une Église qui condamne les crimes d’attentats contre l’Ambassade d’Israël et l’AMIA1 et les persistantes attaques contre des cimetières juifs, et qui se demande, imitant Jean Paul II, dans quelle mesure nos attitudes n’ont pas favorisé le climat culturel permettant l’accumulation de ces faits qui nous remplissent d’effroi.
Nous voulons, enfin, nous sentir partie prenante d’une Église qui rejette fermement tout acte de xénophobie et de discrimination, de machisme, de toute-puissance ou d’abus de pouvoir en tout domaine et qui se sent responsable de beaucoup d’omissions dans la tâche de favoriser la paix et la justice dans notre société pluraliste.
Pour résumer : en beaucoup de moments de notre histoire y compris dans l’Église, on a cautionné l’homicide, la torture, la disparition forcée de personnes, l’emprisonnement, le vol d’enfants, l’extermination d’ethnies, l’injustice sociale, la discrimination, l’abus de pouvoir. Ce furent des faits réalisés avec la participation de chrétiens, en contradiction avec l’Evangile.
Nous voulons que se réalise une solennelle demande de pardon pour nous sentir partie prenante d’une Église historiquement honnête, active dans la charité et ferme dans l’espérance.
En Argentine aussi, nous devons imiter Jean Paul II et, « aussi papistes que le pape », faire « notre purification de la mémoire » qui nous porte à « admettre honnêtement les fautes passées…comme un engagement renouvelé d’obéissance à la Vérité et par conséquent de respect de la dignité et du droit des
autres, spécialement des plus faibles » (Cf. Mémoire et réconciliation : V, 2, l’Église et les fautes du passé, la division des chrétiens, Commission théologique internationale).(2)
L’émouvant article de Mario Rojzman, rabbin de Beth-El, qui suivant l’exemple de Jean Paul II, demande pardon pour les fautes du judaïsme à l’intérieur et hors de notre pays, nous montre le chemin.
Et les pages de « Église et communauté nationale », document de la conférence épiscopale d’Argentine de 1981, sont le meilleur témoignage que cette vocation de l’Église pour assumer avec honnêteté l’histoire connaît de précieux antécédents qui, c’est notre avis, doivent être repris dans cette Année sainte.
Carlos Eroles est licencié en travail social et professeur aux universités nationales de Buenos Aires et du General San Martin. Il collabore à des tâches de pastorale sociale avec l’archidiocèse de Buenos Aires, et est l’auteur de divers livres sur des thèmes de doctrine sociale de l’Église, de travail social avec des familles et de droits de l’homme. [Traduit de l’espagnol par M. Th. Croville].
Ce texte, que nous avons eu l’aimable autorisation de publier, a paru dans la revue Criterio (Argentine) au mois de mai 2000.
1. AMIA: Asociacion de Mutuales Israelitas Argentinas.
Le bâtiment de l’AMIA fut détruit par une bombe, le 18 juillet 1994, un an après l’attentat contre l’Ambassade d’Israël. NDLR.
2. Paris, Editions du Cerf, 2000. NDLR.