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SIDIC Periodical XXV - 1992/1
Prier ensemble, juifs et chrétiens? (Pages 09 - 15)

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La prière de l'etranger: réalité évidente selon la tradition biblique
Lawrence Frizzell

 

Dans l'Antiquité, les nations et les cultures du Proche Orient ont exprimé leurs croyances religieuses de manières diverses. Se montraient-elles tolérantes envers des pratiques différentes des leurs? Quelle était la situation des minorités? La plupart du temps, la question ne se posait sans doute pas: il était naturel pour un hôte étranger d'adopter le panthéon de la nation qui l'accueillait. L'intéressé estimait que, la religion et l'Etat ne faisant qu'un, il était de son devoir d'épouser les pratiques cultuelles de ceux avec qui il était appelé à vivre pour longtemps (I).

Il est possible que certains Israélites aient agi ainsi eux aussi, mais la tradition insiste sur la nécessité d'un engagement exclusif au service du Dieu qui s'est relevé à Abraham. Des millénaires plus tard, la situation des juifs, des chrétiens et des musulmans est de nos jours tout à fait différente. Malgré certaines contestations à propos de telle ou telle question, les fidèles de ces 3 religions monothéistes adorent tous le même Dieu et enracinent leur foi dans l'expérience d'Abraham. Les arguments pour ou contre une prière ou une liturgie en commun ne sauraient être appréciés uniquement en fonction du témoignage biblique. Bien d'autres facteurs entrent en jeu. Il me paraît cependant intéressant de présenter une réflexion sur le patrimoine biblique en tant que tel.

Les relations entre Israël et ses voisins

Ce n'est qu'au cours de l'exil babylonien (587-538 avant J.C.), semble-t-il, que les maîtres d'Israël commencent à traiter dans leur enseignement de questions philosophiques concernant le culte.

Avant d'avoir fait cette expérience purificatrice, loin de la Terre et du Temple, le peuple admettait bien, apparemment, le fait que les autres nations adorent de multiples divinités. Toutefois, la nation qui entrait en conflit avec Israël était amenée à découvrir que Dieu protégeait son peuple! Ainsi, alors qu'Israël était esclave en Egypte, le peuple se lamentait; et « Dieu entendit leur plainte; il se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob » (Ex 2, 23-24). Le Pharaon d'Egypte prétendant être le fils du dieu-soleil, il ne s'agissait pas simplement d'une contestation entre Moïse et Aaron d'une part, le Pharaon et ses magiciens de l'autre. La confrontation opposait en fait le Dieu d'Israël aux dieux d'Egypte. Quelque chose d'inouï venait de se produire dans le monde antique: le Dieu d'Israël était intervenu dans un pays où l'on honorait d'autres puissances divines! Cela est clair dès le début dans la perspective du narrateur. Ainsi, par exemple, lorsque Moïse jette son bâton à terre, dans le désert, celui-ci se transforme en serpent (nahash - Ex 4, 3) alors que, dans la confrontation avec les magiciens, chacun des bâtons se transforme en « serpent de mer » ou « dragon » (tanin - Ex 7, 9-10-12); et le bâton d'Aaron engloutit les « dragons » des sages de Pharaon! Dans le deuxième Isaïe (51, 9), le mot tanin est le nom symbolique de l'Egypte: ainsi ce prophète, lors de l'exil à Babylone, présente l'Exode comme un acte divin par lequel le Dieu d'Israël l'emporte sur les forces du mal. Le symbolisme du combat, essentiel dans la religion babylonienne selon laquelle le dieu Marduk tue le monstre marin Tiamat, a été poétiquement transposé sur le plan historique. Plutôt que d'exhorter les Israélites à ignorer les mythes de leurs voisins, les grands maîtres adaptent audacieusement les récits afin de canaliser dans une bonne direction la puissance qu'ils ont sur l'imagination humaine.

Malgré le dur fardeau de l'esclavage, le texte biblique conserve la trace de relations affables entre les Israélites et leurs voisins. Dieu ordonne, en effet: « Quand vous partirez, vous n'aurez pas les mains vides: chaque femme demandera à sa voisine et à celle qui séjourne dans sa maison des objets d'argent, des objets d'or et des vêtements » (Ex 3, 21-22; Cf. 11, 2-3; 12, 35-36) (2). Il n'est pas nécessaire d'étudier en détail ces passages pour remarquer qu'un certain nombre de non Israélites firent preuve alors de générosité, sans doute parce que déjà dans le passé le peuple avait fait un pèlerinage dans le désert (au-delà du territoire des dieux égyptiens) et avait utilisé pour le culte cette vaisselle et ces vêtements précieux (3).

Ceux qui quittent l'Egypte sont décrits comme « une foule nombreuse et composite » (Ex 12,37-38), celle-là même qui, plus tard, se verra reprocher ses récriminations et sa rébellion contre Moïse. La législation relative à la Pâque, en Ex 12, 43-49, va établir des normes concernant la présence des étrangers en Israël. Seuls ceux qui sont circoncis peuvent participer au repas pascal: parce qu'elle symbolise la délivrance d'Israël du joug égyptien, cette expérience n'est ouverte qu'aux membres de la communauté (Cf. Gn 17, 12-13). La tradition sacerdotale, naturellement intéressée à l'établissement de règles liturgiques précises, témoigne du fait qu'il était possible aux étrangers ayant eu de longues relations avec une famille israélite d'entrer par conversion dans l'Alliance d'Abraham. On ne peut s'attendre à ce que des textes normatifs fassent référence à ce qui touche la foi ou une décision de la conscience, même si cette réponse intérieure des Israélites aux obliga: fions de leur Alliance est rappelée avec insistance à la fois par la Torah et par les Prophètes. 11 est possible que de telles instructions aient fait partie de la préparation à l'entrée dans l'Alliance.

Il est arrivé parfois que les voisins les plus proches d'Israël aient constitué une menace pour le peuple, soit du fait de persécutions, soit par une sorte d'attraction. C'est à cause des attaques des Amalécites contre le peuple affaibli errant dans le désert qu'on a justifie la guerre implacable menée contre cette tribu au long des siècles (cf. Ex 17,16; Dt 25, 17-19). Lorsque Israël traverse le Jourdain, la guerre est déclarée aux sept nations qui habitent la terre de Canaan « de peur qu'elles ne te fassent pécher contre moi: tu servirais leurs dieux et cela deviendrait pour toi un piège » (Ex 23, 33; cf. Dt 20, 17-18). C'est un argument historique qui est avancé pour exclure l'Ammonite ou le Moabite du qahal (assemblée) convoqué par Dieu: c'est parce que « ils ne sont pas venus au-devant de vous avec du pain et de l'eau sur votre route, à la sortie d'Egypte, et que Moab a soudoyé contre toi, pour te maudire, Balaam... » (Dt 23, 4-6). En dépit de cette loi, la femme nommée Ruth sera accueillie dans la communauté d'Israël et deviendra l'aïeule dû roi David (Ruth 4, 21-22). Quant aux descendants des Edomites et des Egyptiens, ils seront admis dans le qahal « à la troisième génération » (Dt 23, 7-8).

La prière dans le Temple

L'assemblée solennelle convoquée par Dieu au mont Sinaï fit d'Israël un peuple destiné à posséder une terre. C'est cette orientation vers la terre promise qui a constitué Israël en nation (goy - Ex 19,6). On ne pouvait servir Dieu que dans un « no man's land » comme la péninsule du Sinaï, ou dans une terre purifiée des faux dieux. C'est pourquoi Dieu va chasser les sept nations du pays de Canaan (Lv 18, 24-30).

Cette conception théologique est à la base de l'interprétation que les historiens ayant élaboré le livre de Josué ont donnée de la conquête de la Terre. D'autres indices suggèrent, toutefois, que l'implantation dans le pays fut progressive et qu'elle comporta bien des déconvenues pour ceux qui préconisaient une fidélité exclusive envers Dieu: « Ils n'ont pas supprimé les peuples, ceux que leseigneur leur avait dits. Ils ont eu commerce avec les païens et se sont initiés à leurs pratiques... » (Ps 106, 34-39).

Idéalement, il aurait dû n'y avoir qu'un seul lieu de culte pour les douze tribus; ce fut tout d'abord la « tente de la rencontre » (le tabernacle) dans le désert et à Silo. Moïse l'aménagea selon le plan divin (Ex 25, 40; 26,30). Par la suite, après avoir conquis Jérusalem (2 Sam 5, 6-12), David en fit le centre politique et spirituel de la vie d'Israël (4).

Le premier Livre des Rois, qui décrit la construction du Premier Temple à Jérusalem, contient aussi une longue prière (1 R 8, 22-53) que le roi Salomon aurait dite après avoir consacré l'édifice à Dieu (1 R 8, 12-21). Un rappel de la promesse faite à la dynastie davidique par l'entremise de Nathan (8, 23-26 qui renvoie à 2 Sam 7, 8-18), puis une requête de caractère général (8, 27-30) sont suivis d'un entrelacs serré de sept prières d'intercession concernant l'avenir (8, 31-51). « Salomon implore Dieu à l'avance pour toutes les éventualités, toutes les situations que le peuple pourra rencontrer, plaçant ainsi l'avenir illimité sous les auspices de ce moment inaugural où le Temple s'ouvre pour la première fois à la puissance divine et où Salomon, le roi juste, se tient debout au nom de son peuple, à l'apogée de sa puissance royale et sacerdotale » (5). La première de ces prières s'applique aux conflits de la vie ordinaire, lorsqu'un membre du peuple viendra exposer son cas au Temple et solliciter un jugement (8, 31-32). Sont évoqués ensuite les malheurs pouvant affecter l'ensemble de la communauté: revers militaire, sécheresse, épidémies et famines (8, 33-40). La cinquième demande concerne l'étranger (8, 41-43), puis vient la prière que doit dire l'armée lorsqu' elle part en guerre (8, 44-45; cf. Dt 20, 1-9), ainsi que celle du peuple réduit en captivité (8, 46-51).

La mention du Temple revient sept fois et l'expression « écoute depuis le ciel, de ta demeure céleste », qui figure dans chaque demande, indique la plénitude symbolique de la prière (6).

« Même l'étranger, lui qui n'appartient pas à Israël, ton peuple ('am), s'il vient d'un pays lointain à cause de ton Nom - car on entendra parler de ton grand Nom, de ta main puissante et de ton bras étendu - s'il vient prier vers cette Maison, toi, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites » (8, 41-43). Cette prière parle non pas du ger ou étranger résident, mais de l'étranger (nokhri) n'ayant aucun lien juridique avec le peuple Cam signifiant « les membres de la communauté », sans référence à la terre). C'est surtout ou cours de l'exil à Babylone que les Gentils ont appris, dans une expérience concrète, à connaître Dieu et ses hauts faits (cf. Ezéchiel 36, 22-23). Les orants des trois premières prières sont décrits comme se tenant dans la Maison de Dieu (8, 31, 33 et 35), alors qu'en 8, 38 et 42, il est dit de l'homme qu'il prie vers cette Maison. L'orientation vers Jérusalem durant la prière (cf. Tobit 3, 11; Daniel 6, 11) pourrait suggérer que la personne ne pouvait pas accomplir le pèlerinage. La prière était évidemment adressée à Dieu dans son Temple céleste, mais l'attitude de l'étranger implique que celui-ci a compris et accepte la relation particulière de Dieu avec Israël et aussi avec sa terre, même si on ne peut y avoir accès.

« Exauce toutes les demandes de l'étranger, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton Nom et que, comme Israël ton peuple, ils te craignent et qu'ils sachent que ton Nom est invoqué sur cette Maison que j'ai bâtie » (8, 43). La prière est remarquable dans sa générosité, car elle suppose que les demandes de l'étranger ne seront pas contraires aux intérêts d'Israël. Reconnaître le Nom divin, c'est reconnaître la présence du Dieu d'Israël (cf. Jr 16, 21). La connaissance du Nom de Dieu suppose une expérience profonde de Dieu dans la prière et, en définitive, les actions bienveillantes de Dieu en faveur des Israélites ou des étrangers ont pour but ultime de les amener à une union intime avec lui.

Les prophètes Isaïe (2, 2-4) et Michée (4, 1-4) annoncent tous deux, dans un oracle concernant la fin des temps, l'affluence des nations vers le Temple et une recherche des voies de Dieu dans l'ensemble de l'humanité (7). L'enseignement divin de la Torah s'accompagnera d'un arbitrage de tous les litiges, de sorte que personne ne pourra trouver d'excuse pour entrer en guerre. L'un des bienfaits dont on jouira par suite de ce culte rendu dans le monde entier au Dieu d'Israël sera celui de la paix universelle, qui accompagnera un ordre social nouveau.

Peu après le retour d'exil, le prophète Aggée exhorte le peuple à reconstruire le Temple; il promet que Dieu amènera les nations à contribuer par leurs richesses à la décoration de la demeure divine (2, 6-9). Les Gentils n'en viendront pas pour autant à une appréciation positive de Dieu et de son peuple. Au contraire! Les dernières prophéties d'Aggée prédisent le renversement des royaumes étrangers (2, 20-23).

Les six premiers chapitres de Zacharie décrivent une série de visions dont on a montré qu'elles formaient un ensemble, affirmant d'abord la souveraineté de Dieu sur l'univers et ses empires, pour insister ensuite sur la bienveillance divine à l'égard du pays de Juda, de Jérusalem et du Temple (8). Les nations qui ont pillé Jérusalem seront punies, et Dieu promet de revenir demeurer au milieu de son peuple (2, 12-14 M.T.) « Des peuples nombreux s'attacheront au Seigneur, en ce jour-là. Ils deviendront mon propre peuple et je demeurerai au milieu de toi ... » (2, 15). Lorsque le Temple sera reconstruit, Dieu y demeurera en tant que « Maître de toute la terre » (cf. 4, 14; 6,5). Certains termes de l'Alliance, comme « tu seras mon peuple » (cf. Jr 31, 33; 32, 38; Ez 36, 28) sont appliqués ici aux nations qui reconnaissent que le Dieu d'Israël est leur Seigneur. Le texte semble indiquer qu'il n'y aura plus qu'un seul peuple, avec une place spéciale réservée aux tribus survivantes d'Israël (cf. 2, 16).

«Silence, toute chair, devant le Seigneur, car il se réveille et sort de sa demeure sainte » (2, 17). Cet appel à l'attention et à la crainte face à la Présence divine provient sans doute de célébrations liturgiques (cf. Ha 2,20; So 1,7). « Toute chair » chez Zacharie a la portée universelle de « Terre entière » chez Habaquq; jadis, certains ont pu ne pas connaître Dieu, mais aujourd'hui son pouvoir va se manifester aux yeux de tous. Comme sortant du sommeil, Dieu quittera les parvis célestes pour venir demeurer parmi les humains, et le nouveau Temple de Jérusalem sera rebâti suivant le modèle du sanctuaire céleste. La crainte silencieuse éprouvée devant la majesté divine devrait conduire à la louange et à l'action de grâce, et les adorateurs devraient ainsi être amenés à voir dans chaque être humain le reflet de l'image divine. Cette perspective de foi devrait inciter tous les êtres à relever le défi d'une perfection morale et à respecter l'oeuvre de Dieu dans les autres. Un maitre comme Zacharie aurait-il élaboré une telle synthèse théologique, enracinée dans le culte rendu au Dieu d'Israël en tant que Créateur et Maître de l'univers? On ne peut être sûr des termes qu'il aurait employés, mais il est certain que l'on trouve chez lui un résumé très idéalisé du message des prophètes antérieurs: « Ainsi parle le Seigneur, le tout-puissant: Prononcez des jugements véridiques et que chacun use de loyauté et de miséricorde à l'égard de son frère. La veuve et l'orphelin, l'émigré et le pauvre, ne les exploitez pas; que personne de vous ne prémédite de faire du mal à son frère » (7, 9-10; cf. 8, 16-17).

A la fin de son oeuvre, Zacharie prévoit une adhésion grandissante au plan divin chez les Gentils. «Ainsi parle le Seigneur Sabaot: Oui, il viendra encore des peuples... les habitants d'une ville iront vers l'autre en disant: Allons implorer la face du Seigneur, rechercher le Seigneur Sabaot; j'y vais moi aussi » (8, 20-21). La destination de ce pèlerinage sera Jérusalem (cf. 8, 22). Il est intéressant de noter que c'est le tétragramme qui est employé ici pour désigner Dieu, tandis que l'expression « Seigneur Sabaot » est le rappel d'un titre exclusivement associé à l'Arche d'Alliance et au Temple (cf. 1 S 4,4; Ps 24, 7-10; Is 6,3). Aller « implorer » Dieu suppose une prière de demande, alors que « rechercher le Seigneur Sabaot » suppose ouverture et docilité. Le rapprochement de ces termes témoigne du degré de maturité de la prière, à la fois consciente de son indigence et désireuse de connaître la volonté de Dieu. Après l'oracle, Zacharie commente: « Des peuples nombreux et des nations puissantes viendront à Jérusalem rechercher le Seigneur Sabaot et implorer la face du Seigneur » (8, 22).

Le rôle actif de la communauté juive dans la conversion des nations est signalé dans le dernier verset du premier Zacharie. « Ainsi parle le Seigneur des armées: En ces jours-là, dix hommes de toutes les langues que parlent les nations saisiront un juif par le pan de son vêtement en déclarant: Nous voulons aller avec vous, car nous l'avons appris: Dieu est avec vous » (8, 23). Le pèlerinage dont Isaïe et Michée ont la vision vient de l'initiative divine, essentielle à toute expérience d'Alliance. Cependant, de même qu'Abraham devait être une bénédiction pour toutes les familles de la terre, de même le peuple juif a un rôle concret à jouer pour amener l'humanité à percevoir le dessein de Dieu. L'idée que Dieu est avec son peuple implique que la parole de Dieu est proclamée pour que les Gentils l'entendent. S'agit-il d'une proclamation de l'histoire d'Israël semblable à celle qu'entendit Rabat, (Josué 2, 10) ou d'un message analogue à celui d'Akhior à Holopherne (Judith 5, 5-21)? Ou plutôt de l'expression liturgique de la foi dans la vie quotidienne? Ce qui est important, c'est que Zacharie espère une réponse des nations manifestant leur bonne volonté et s'ouvrant au mystère de la sainteté divine dans le monde, dans le cadre précisément d'une Alliance, partout où se trouvera le peuple d'Israël (9).

Les Psaumes

Le Psautier renferme des textes provenant de sources diverses s'échelonnant sur un très long espace de temps. Plutôt que de tenter d'analyser chaque passage pertinent en essayant de le situer dans le temps et l'espace, nous étudierons ici simplement ce qu'impliquait l'utilisation des psaumes dans la liturgie du Temple. C'est là que s'exprimait la prière communautaire, consistant surtout en actes d'adoration et de louange et en actions de grâce. La liturgie antique comportait aussi la confession des péchés et des suppliques pour des besoins divers, mais il s'agissait là d'aspects secondaires. Une même attitude se retrouve dans l'utilisation des psaumes à la synagogue, au cours des offices du shabbat et pendant la semaine.

Le pèlerinage au Temple de Jérusalem était un aspect important de la piété israélite sous la monarchie (Dt 16, 1-7), et il servit tout naturellement de cadre à un grand nombre de psaumes, notamment les psaumes 120 à 13410. Le psaume 87 célèbre l'admission de convertis issus de diverses nations. Parmi ces convertis, les psaumes mentionnent des ennemis traditionnels d'Israël, comme l'Egypte (désignée sous le nom du monstre marin Rahab) et Babylone, ainsi que d'autres peuples, proches et lointains. La conversion était déjà considérée comme une nouvelle naissance, Sion étant une mère pour tous.

« Le Seigneur a fait connaître son salut; aux yeux des nations (ha-goyim) il a révélé sa justice (tsedaqah) » (Ps 98, 2). Comment le salut et la justice se manifestent-ils? En général, les prophètes ne conçoivent pas qu'une révélation puisse être faite directement aux Gentils; ils voient en Israël l'instrument de l'enseignement divin. Il se peut que le même concept soit ici sous-jacent. « Il s'est rappelé sa bonté (hesed), sa loyauté ('emunah) en faveur de la maison d'Israël » (98, 3). Ces attributs divins impliquant une activité favorable à Israël sont toujours associés à l'Alliance. « Jusqu'au bout de la terre, on a vu le salut (la victoire) de notre Dieu » (98, 3). Comment cela se fera-t-il? C'est l'avènement du Seigneur qui produira ces effets. « Il gouvernera le monde avec justice (tsedeq) et les peuples avec droiture » (98, 9). Vécue en relation avec l'Alliance, l'expérience plénière de la souveraineté divine transformera dans les derniers jours l'ensemble de l'humanité. Il est question là cependant d'un « chant nouveau » (98, 1) qui est chanté dans le Temple, ce qui indique que le cantique de Moïse lors de l'Exode (Ex 15, 1-18) reste le paradigme pour comprendre les nouvelles expériences de libération et de révélation ménagées par la puissance divine. A la musique du culte rendu au Temple fait harmonieusement écho la joie des montagnes, des mers et des fleuves, dans l'ensemble de l'univers (98, 4-8).

La redoutable présence de Dieu se manifeste dans la tempête, les volcans et les tremblements de terre (97, 1-4); le résultat est que « les cieux pro-dament sa justice (tsedeq) et tous les peuples voient sa gloire » (97, 6) (11). Le peuple d'Israël, lui aussi, est tenu d'« annoncer sa gloire parmi les nations, ses merveilles parmi tous les peuples » (96, 3). Lorsque ceux qui connurent l'exil à Babylone parvinrent à surmonter leur désolation première, leurs maîtres commercèrent à souligner la valeur que prenait leur témoignage dans ces rapports plus étroits qu'il fallait entretenir avec des nations étrangères (Cf. Isaïe 43, 1-13). Les psaumes ont intégré la sens de la mission dans le culte rendu au Dieu d'Israël (145, 10-13). La polémique même de certains prophètes (comme le deuxième Isaïe 44, 9-20) contre les divinités des nations se trouve incorporée dans le Psaume 115, 4-8. Par ailleurs, les nations sont encouragées à louer le Seigneur (désigné par le tétragramme): « Nations, louez toutes le Seigneur, peuples, glorifiez-le tous; car sa bonté (hesed) a été grande envers nous, et la loyauté ('emet) du Seigneur demeure pour toujours » (117, 1-2). A la vue des bienfaits accordés à Israël grâce à l'Alliance, les nations sont appelées à glorifier Dieu. Toutefois, comme l'indique le Psaume 87, elles ne doivent pas nécessairement rester en dehors de l'Alliance. Elles peuvent en bénéficier par révélation « Les nations révéreront le nom du Seigneur, et tous les rois de la terre, ta gloire; car le Seigneur rebâtira Sion et deviendra visible dans sa gloire » (102, 16-17). Ainsi, « un peuple à naître louera le Seigneur (...) On publiera le nom du Seigneur dans Sion et sa louange dans Jérusalem, quand se réuniront peuples et royaumes pour servir le Seigneur » (102, 19 et 22-23).

La louange d'Israël se fond dans le grand orchestre de toute la création, depuis les anges et les corps célestes jusqu'aux créatures terrestres de toutes sortes. « Rois de la terre et tous les peuples, princes et tous les chefs de la terre, jeunes gens, vous aussi jeunes filles, vieillards et enfants! Qu'ils louent le nom du Seigneur... » (148, 11-13; cf. Daniel 3, 35-68) (12). Comme nous l'avons signalé à propos de la liturgie d'Israël, les références des psaumes à ce privilège des humains de pouvoir prier mettent au premier plan l'adoration et la louange. Les prières de demande et d'intercession sont secondaires, au service de la vocation propre aux êtres humains qui est de refléter l'image de Dieu et d'honorer le Créateur.

Conclusion

Cette étude de la Bible hébraïque est loin d'être exhaustive, mais elle peut éclairer un aspect important des relations entre juifs et chrétiens. Tous les êtres humains sont créés à l'image de Dieu, selon sa ressemblance (Gn 1, 26-28) et doivent rendre grâce (c'est la bénédiction « ascendante ») pour le don de la vie. Ils doivent adorer leur Créateur et, spontanément, solliciter son aide à l'heure du danger, de la tentation et dans tous les cas où la faiblesse humaine n'est que trop évidente. Les prophètes et les psalmistes ont inauguré l'espérance de voir le bien l'emporter sur le mal parmi les créatures de Dieu. Dans l'avenir, selon le prophète Sophonie, Dieu aura raison du mal et unira toutes les nations dans son service: « Alors je ferai que les peuples aient les lèvres pures, afin qu'ils invoquent tous le nom du Seigneur, et qu'ils le servent épaule contre épaule ». (So 3,9).



* Lawrence E. Frizzell, prêtre de l'archidiocèse d'Edmonton (Canada), est docteur en philosophie et professeur à l'Université de Seton Hall, South Orange, U.S.A., au département des Etudes judéo-chrétiennes. Son article est traduit de l'anglais.

(1) Cf. H. Francfort (ed.) The Intellectual Adventure of Ancien( Man (Chicago: University of Chicago Press, 1977)
(2) Cf. Y. Radday, « The Spoils of Egypt », Annual of the Swedish Theological lnstitute 12 (1983), pp. 127-147, et mon article: « Spoils from Egypt in early Christian literature » in Actes de la Deuxième Conférence de Toronto « Christianity and the Classics », édité chez Wendy Helleman (à paraître).
(3) Un tel usage rendrait raisonnable la demande de Moïse d'emmener le peuple à trois jours de marche dans le désert pour offrir un sacrifice à Dieu (Ex 3, 18; 5, 1-13; 7, 26; 8, 16; 9, 13; 10, 3-8; 12, 31).
(4) Voir mon article: « Jerusalem, City of God and of Hie People », The Bible today 97 (octobre 78), p. 1670-75.
(5) Cf. Burke O. Long, I Kings with an Introduction to Historical Literature (Grand Rapids: Eerdmans, 1984), pp. 90-104.
11
(6) Voir l'analyse détaillée de A. Gamper, « Die heilsgeschichtliche Bedeutung des salomonischen Tempel Weihgebets », Zeitschrift für Katholische Theologie 85 (1963), pp. 55-61. Une claire allusion à l'exil et au retour d'exil a conduit les chercheurs à supposer que cette section avait été composée après la destruction de Jérusalem et du Temple en 587. Les questions relatives au « parvis des Gentils » du Second Temple dépassent la portée de mon essai.
(7) Cf. J.G. Strydom, « Micah 4, 1-5 and Isaiah 2, 2-5: Who said it first? », Old Testament Essays (Old Testament Society of South Africa) 2 (1989), pp. 15-28.
(8) Cf. Carol and Eric Meyers, Haggai, Zechariah 1-8 (Garden City: Doubleday, 1987), p. Ivii.
(9) La deuxième partie du Livre de Zacharie, oeuvre d'un auteur plus tardif, complète ce tableau en décrivant les pèlerinages annuels des nations à Jérusalem pour la fête des Tentes (14, 16-21). A la fin de cette fête, les prêtres entonnaient une prière pour la pluie d'hiver. Quiconque omettait de monter en pèlerinage à Jérusalem pour adorer le Roi des Rois, Dieu des Armées, ne recevrait pas de pluie!
(10) Voir mon schéma dans « Pilgrimage: A study of the Biblical experience », Jeevadhara 71 (1982), pp. 358-367.
(11) Le mot « gloire » recouvre deux notions: celle de la présence impressionante et lumineuse de Dieu et, en second lieu, la réponse « ascendante » des êtres sensibles à la présence de Dieu au milieu d'eux.
(12) Cf. Terence E. Freitheim, « Nature's omise of God in the psalms, Ex Auditu 3 (1988) pp. 16-30 et mon article « Une prière du livre de Daniel », in Sidic XII-2 (1979) pp. 9-15. Le psaume apocryphe 154 est aussi un psaume de portée universelle.

 

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