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Les documents : Signes d'une évolution
C. A. Rijk
Dans cet article, je voudrais offrir une brève réflexion sur l'importance des déclarations et des documents, récemment publiés par l'Eglise universelle et par plusieurs Eglises locales, qui concernent les relations entre les chrétiens et les juifs. De tels documents ont toujours une double valeur. Ils veulent être des directives pour la pensée et le comportement des fidèles. De cette façon ils visent directement l'avenir, ils sont des moyens pour former une mentalité et une attitude intérieure qui doit s'exprimer en actes concrets. Mais ces documents ont encore une autre signification. Ils révèlent aussi ce qui vit dans la conscience de foi de l'Eglise, et expriment ainsi le présent. Par la voix des représentants de l'Eglise universelle ou de l'Eglise locale, ils montrent comment la communauté chrétienne voit ses relations avec le judaïsme.
C'est surtout le deuxième aspect de la question qui nous intéresse dans cet article. Avant de continuer, deux remarques doivent encore être faites. D'abord, il est évident, qu'un document promulgué par l'Eglise universelle, comme c'était le cas pour la Déclaration Nostra Aetate, a une plus grande valeur qu'une déclaration ou des directives issues d'une Eglise locale. Mais si d'autre part, on prend au sérieux la collégialité, une certaine décentralisation et l'engagement de tous les fidèles dans la vie de l'Eglise, la voix de chaque Eglise locale devient importante pour l'Eglise universelle. Et cela d'autant plus, quand il ne s'agit pas de la voix d'un diocèse, mais d'une conférence épiscopale d'un pays ou d'une région. Deuxièmement, si on compare les documents successifs, on constate facilement une certaine évolution de la pensée. Cela ne doit pas étonner, si l'on considère la Déclaration du Concile comme l'inauguration d'une nouvelle époque, dans laquelle les dialogues et les études aideront à mieux voir et à mieux formuler certains aspects des relations entre l'Eglise et le judaïsme. C'est d'ailleurs un signe du dynamisme vivant de la foi, qui profondément enracinée dans la Révélation divine du passé, se sait guidée par le même Dieu à mieux voir les dimensions de Son histoire mystérieuse avec les hommes.
Voyons donc maintenant, comment dans les documents rassemblés dans ce numéro de Sidic s'exprime la foi de l'Eglise ou d'une partie de l'Eglise, et comment une évolution de la pensée et de la conscience religieuse s'y fait jour.
Il n'est pas nécessaire de nous arrêter longuement sur la Déclaration du Concile Nostra Aetate, elle nous est connue. Résumons pourtant en quelques lignes les points saillants de ce document. L'Eglise universelle réprouve toute forme de persécution et d'antisémitisme, ainsi que l'accusation d'une culpabilité collective ou d'une punition ou malédiction des juifs. Conscient du lien qui l'unit spirituellement avec la descendance d'Abraham, le Concile rappelle les paroles de Saint Paul sur la permanence des dons et de l'appel de Dieu; et en conséquence, il parle du riche patrimoine spirituel commun aux chrétiens et aux juifs. Pour cette raison, la connaissance et l'estime mutuelles, naissant surtout d'études bibliques et théologiques ainsi que de dialogues fraternels, sont encouragées et recommandées.
Comparant les documents ultérieurs avec la Déclaration du Concile, on constate qu'en général ces textes élaborent les grands thèmes de
Nostra Aetate, et donnent des directives concrètes pour leur réalisation dans la vie de l'Eglise. Mais on s'aperçoit ensuite qu'en plusieurs points ces documents développent la pensée de la Déclaration conciliaire.
On a reproché au Concile qu'il s'exprimait exclusivement en catégories chrétiennes quand il parlait du judaïsme, et qu'ainsi il ne se rendait pas compte de l'identité propre du judaïsme, ni de ses valeurs permanentes. Presque tous les documents apparus depuis le Concile soulignent l'importance de la réciprocité, condition fondamentale du respect mutuel, qui reconnaît l'autre tel qu'il est. On considère le dialogue comme un moyen privilégié pour se connaître mutuellement, et pour apprendre l'un de l'autre. Mais dans toutes les autres activités également, la réciprocité est considérée comme essentielle. Dans ce contexte, il est important de noter que la grande majorité des textes publiés exclut explicitement toute forme de prosélytisme, ce qui veut dire que l'on respecte sincèrement la foi et les convictions religieuses de l'autre. Cela est bien dans la ligne de la Déclaration conciliaire qui, parlant de l'avenir des relations entre juifs et chrétiens, rappelle la perspective eschatologique et dit: « l'Eglise attend le jour connu de Dieu seul, où tous les peuples invoqueront le Seigneur d'une seule voix (So 3, 9) ».
En développant le début de la Déclaration conciliaire, un des documents fait remarquer que le problème des rapports entre juifs et chrétiens concerne l'Eglise en tant que telle, et non seulement un petit groupe qui par hasard s'y intéresserait: « Ces rapports touchent donc la conscience et la vie chrétienne dans toutés ses manifestations, dans tous les pays où l'Eglise est implantée, et non seulement ceux où elle a contact avec des juifs ». On voit l'importance d'une telle affirmation, basée sur Nostra Aetate, pour toute la théologie, entre autres pour la théologie du Peuple de Dieu prenant conscience plus clairement de sa propre nature et cherchant à mieux réaliser dans l'histoire sa vocation universelle. Il est bien évident, que dans ce domaine presque tout doit encore être fait. Mais le document mentionné est pertinent: « les recherches récentes des exégètes comme des liturgistes ont abouti à la conclusion qu'il est indispensable, pour comprendre pleinement la tradition et les institutions chrétiennes, d'approfondir la connaissance des institutions juives elles-mêmes »; « sur le plan de la recherche théologique, le même fait s'est vérifié ».
La reconnaissance de la permanence des valeurs du judaïsme s'exprime dans les documents de différentes manières. On met l'accent sur le fait que juifs et chrétiens peuvent apprendre les uns des autres pour mieux approfondir et vivre leur propre foi et tradition. La collaboration entre juifs et chrétiens sur le plan social est encouragée; elle est considérée comme une tâche de première importance, car le judaïsme et le christianisme, tous les deux basés sur la Révélation divine, ont une conception de la dignité de la personne humaine et du monde, qui peut considérablement contribuer à la création d'une société de liberté, de paix et de justice. En outre, une telle collaboration engage juifs et chrétiens en commun dans la réalité de l'histoire; engagement qui, dans le service des autres, peut en même temps aider beaucoup à se découvrir, à se respecter mutuellement et à surmonter les préjugés existants.
Un autre point à noter est que tous ces documents soulignent d'une manière ou d'une autre le lien entre les relations judéo-chrétiennes et le mouvement oecuménique. Parce que les rapports avec le judaïsme sont liés à l'Eglise comme telle (Nostra Aetate n. 4), toutes les Eglises et communautés chrétiennes se trouvent de facto concernées: Cette conviction, affirmée par le Pape Paul VI et par des théologiens comme Karl Barth, est partagée par les évêques et les conférences épiscopales qui ont publié des directives pour les relations entre juifs et chrétiens; et elle s'exprime dans l'esprit ainsi que dans la structure et l'organisation de ce travail. Et « l'expérience montre en fait que partout où s'est développé le dialogue entre juifs et chrétiens, le dialogue oecuménique lui-même a gagné en profondeur et en vitalité ». Dans le même esprit, le Vatican Office for Catholic-Jewish Relations, à Rome, est rattaché au Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens.
Toutes ces indications qu'une étude approfondie pourrait multiplier, montrent qu'il y a dans l'Eglise une prise de conscience plus claire de ce que signifient les relations entre l'Eglise et le judaïsme. Le Concile Vatican II a ouvert la porte et fait un premier pas très important. Une nouvelle réflexion sur les origines de l'Eglise, sur la permanence du peuple juif et sur ses relations avec l'Eglise a commencé. Elle continue; beaucoup d'études, beaucoup de prière et beaucoup de travail sont encore nécessaires. Mais il y a des signes prometteurs qui annoncent une nouvelle époque de relations plus humaines et plus bibliques, d'une compréhension plus profonde de l'histoire de Dieu avec le monde, d'une Eidelité plus grande à la totalité de la Révélation divine.
Les documents publiés, témoins d'une application sérieuse de la Déclaration conciliaire au sujet des relations entre juifs et chrétiens, et d'une évolution fructueuse de la pensée et de la vie chrétiennes, doivent encourager et stimuler tous ceux qui sont préoccupés du bien de l'Eglise, des rapports entre juifs et chrétiens et de la réalisation finale du Royaume de Dieu.