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SIDIC Periodical XIV - 1981/3
Le pèlerinage en Terre sainte (Pages 04 - 07)

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Les pèlerinages au temple de Jérusalem
Joseph Cohen

 

Trois fois par an, tous les hommes iront voir la face du Seigneur, ton Dieu, au lieu qu'il aura choisi; pour la fête de Pessah (Pâque), de Chavou'ot (Semaines), et celle de Soukkot (Tentes). On n'ira pas voir la face du Seigneur les mains vides, chacun fera une offrande de ses mains suivant la bénédiction que t'a donnée le Seigneur ton Dieu ». (Deutéronome 16, 16-17)1

C'est en accomplissant un pèlerinage que le précepte biblique ordonne d'observer les trois plus importantes solennités juives de l'année: Pessah, Chavou'ot et Soukkot. C'est la raison pour laquelle ces fêtes sont appelées aussi « fêtes de pèlerinage ».

Ces pèlerinages consistaient essentiellement en la visite du lieu sacré, le Temple de Jérusalem, pour y célébrer la fête et y offrir des sacrifices en l'honneur du Seigneur. Le devoir d'accomplir ces pèlerinages, selon le Talmud, incombait à tout le monde, sauf aux esclaves, aux femmes et aux enfants non valides.

La plupart des témoignages sur ces pèlerinages nous parviennent de l'époque du deuxième Temple et ils sont souvent pittoresques dans leurs descriptions.

L'accueil des pèlerins

Lorsque le Temple existait, des milliers et même des dizaines de milliers de pèlerins 2 se préparaient à se rendre à Jérusalem pour « se présenter » au Temple. Ils se rassemblaient de tous les coins du pays et de la diaspora, surtout de celle de Babylone où se trouvait une importante communauté juive.

Avant chaque pèlerinage, les habitants de Jérusalem s'apprêtaient à accueillir ces milliers de pèlerins: ils réparaient les chemins et les routes,' restauraient les puits, et cela dès la fin de l'hiver.

Certaines sources d'eau étaient considérées comme la propriété de certains riches pèlerins de Babylone." Selon le Talmud, il y avait aussi des pèlerins qui possédaient des synagogues. Celles-ci leur servaient de centres de réunions et d'auberges pendant leur séjour à Jérusalem5

De tels centres étaient construits par différentes communautés de la Diaspora pour leurs membres. C'était le cas, par exemple, des synagogues qui appartenaient aux Alexandrins ou aux Tarsiens' Ceci est confirmé par une inscription grecque retrouvée dans une synagogue à Jérusalem et qui date de l'époque du deuxième Temple. Cette inscription est connue sous le nom de Théodotus (fils) de Votanus, celui qui avait construit la synagogue, une auberge et des chambres pour accueillir les pèlerins de la diaspora.

Pour se protéger des bandits et des autres dangers de la route, les pèlerins se rassemblaient dans certaines villes-fortes telles que Néhardéa et Nétzivim par exemple. C'est pour cette raison aussi qu'Hérode avait fondé la colonie juive babylonienne de Batira.7

A l'occasion de la montée à Jérusalem, on transportait sous une importante escorte, composée de milliers de pèlerins, les fonds provenant de la collecte babylonienne et madéenne destinés au Temple et à ses prêtres.8

L'arrivée de ces pèlerins éveillait un sentiment de fraternité nationale et de solidarité patriotique à travers tout le pays, et plus particulièrement à Jérusalem. Les périodes de pèlerinage étaient, politiquement, les moments les plus favorables pour exciter la population, et des révoltes contre les Romains ont effectivement éclaté lors des pèlerinages de la fête de Pàque ou de celle des Tentes 9

La venue des pèlerins ne suscitait pas seulement un réveil national, mais elle apportait aussi une certaine prospérité et une richesse économique, car ils dépensaient de l'argent et faisaient des dons importants.

Pour encourager les pèlerins à venir nombreux, on mettait, gracieusement, à leur disposition des chambres, des logements et aussi des couvertures et des lits.'° Les pèlerins, eux, offraient à ceux qui les hébergeaient les peaux des bêtes qu'ils venaient de sacrifier au Temple.11

Pour faciliter le séjour des pèlerins, on avait même statué que les cordonniers de Jérusalem étaient autorisés à travailler les jours mi-fériés de la fête afin que les pèlerins puissent réparer leurs sandales abîmées par un long chemin!' Les rabbins qui s'opposaient à cette ordonnance donnaient comme argument que la grande majorité des pèlerins étaient, le plus souvent, aisés et montaient à Jérusalem sur leurs bêtes.13

Le pèlerinage de Pâque (Pessah)

Le pèlerinage de la fête de Pessah, — pain sans levain — était un des plus confortables et agréables, car il avait lieu au début du printemps. A cette époque de l'année, le climat en Israël est doux et tempéré, Peau se trouve encore partout et les chemins étaient déjà réparés. En outre, les pèlerins étaient très nombreux car ils voulaient manger leur part du sacrifice de l'agneau pascal offert à Jérusalem.

Pendant la fête de Pâque, on célébrait également la moisson de l'Omet — gerbe —.1" Cette cérémonie attirait beaucoup de monde et surtout des paysans qui apportaient les prémices de la moisson au Temple.15

Au soir du deuxième jour de la Pàque, on compte sept semaines et, au cinquantième jour, on célèbre la deuxième fête de pèlerinage, celle de Chavou'ot ou Pentecôte.16

Le pèlerinage de Pentecôte (Chavou'ot)

« Tu apporteras à la maison du Seigneur ton Dieu les prémices des premiers fruits de la terre ».17

Malgré la courte durée de la Pentecôte, un jour seulement, les pèlerins n'étaient pas moins nombreux qu'aux autres solennités. Plusieurs témoignages, notamment ceux de Josèphe, le confirment.

Comme les autres fêtes juives, celle-ci aussi comporte un aspect à là fois religieux et agricole: don de la Torah sur le Sinaï et fête de la moisson et des prémices. A l'époque du deuxième Temple, c'est ce dernier aspect de la fête qui était souligné. La Mishna nous a conservé un des plus beaux récits décrivant la cérémonie de l'offrande des prémices par les pèlerins.18

Comment apportait-on les prémices?

Tous les habitants des villages du district se Lassen. braient dans la ville principale. Ils dormaient sur la place publique et ne rentraient pas dans les habitations pour ne pas se souilla (par exemple au contact des morts ou pour d'autres raisons).

Au lever du jour, le responsable disait: a Allons, montons à Sion, à la Maison du Seigneur notre Dieu ».

Ceux qui habitaient à proximité apportaient des figues et des raisins frais, ceux qui habitaient loin apportaient des figues et des raisins secs.

Le taureau, aux cornes dorées, marchait en avant, et une couronne d'olivier ornait sa tête. La flûte accompagnait les pèlerins jusqu'à leur arrivée à Jérusalem. Dès qu'ils s'approchaient de la ville, ils décoraient leurs prémices et envoyaient des émissaires pour s'annoncer.

Les satrapes, les gouverneurs et les trésoriers sortaient pour les accueillir. Ils recevaient chacun selon sa dignité.

En ville, tous les artisans et boutiquiers se mettaient debout et leur adressaient le salut: « Nos frères habitant tel lieu, soyez les bienvenus ». Et la flûte continuait à résonner jusqu'à ce qu'ils soient arrivés au Mont du Temple ».18

La Mishna raconte encore que même les rois participaient à ces processions joyeuses. Le roi Agrippa, par exemple, portait lui-même, sur ses épaules, sa corbeille des prémices, jusqu'au parvis du Temple.

Ce récit, selon certains historiens, remonte au temps même du roi Agrippa (41-44 après J.-C.), car celui-ci y est explicitement mentionné. Selon d'autres," il date du début du deuxième Temple, vers le Ve siècle avant J.-C., ce qui pourrait être confirmé par la mention de « Satrapes, gouverneurs et trèsories », titres qui étaient en usage à cette époque.20

Le Pèlerinage de la fête des Tentes (Soukkot)

Cette troisième fête de pèlerinage commémore les pérégrinations des Issaëlites dans le désert de Sinaï après la sortie d'Egypte. Du point de vue agricole, elle célèbre la fin de la récolte des fruits de la terre.

Cette fête a été probablement établie à l'époque du deuxième Temple, comme fête d'actions de grâces. Elle se trouve à une place décisive dans le cycle agraire car, après Soukkot, commencent les pluies d'hiver de la nouvelle année, pour lesquelles, lorsqu'existait le Temple, on faisait des offrandes d'eau. A ce sacrifice correspond aujourd'hui la prière pour la pluie du Moussaf.21

En dehors donc de la célébration du premier jour de Soukkot, la cérémonie du puisage de l'eau pour les libations constituait la manifestation la plus marquante de la fête. En effet, les prêtres marchaient en procession jusqu'à la source de Siloé, près de Jérusalem, y puisaient l'eau, puis remontaient en chantant et arrosaient l'autel du Temple.

C'était un acte de prière pour les pluies qui allaient bientôt tomber. Cette cérémonie, additionnelle à la fête même de Soukkot, était célébrée tous les jours de la fête à partir du deuxième jour. Elle est connue en Hébreu sous le nom de Simhat Beit ha-Shoéva, ou Shéouva, x les réjouissances de la libation d'eau », ou « des illuminations ».

La Mishna raconte que « celui qui n'a pas vu les réjouissances de Beit ha-Shoéva, n'a pas vu de réjouissances de sa vie ».22

A la tombée de la nuit, on plaçait, au Parvis des Femmes, d'immenses candélabres surmontés de grands récipients d'or pleins d'huile qui éclairaient tout Jérusalem.

« Il n'y avait pas une cour qui ne fût éclairée par la lumière de Beit ha-Shoéva ».23 La joie régnait partout, grands et petits, vieux et jeunes, notables et gens du peuple, tous mêlés dansaient et chantaient dans l'allégresse populaire.

Les Lévites se tenaient sur les marches du Parvis et jouaient de la trompette, de la lyre et des cymbales. On présentait aussi des acrobaties et des jeux sportifs.24

On raconte même que losque Rabban Shiméon ben Gamliel participait aux réjouissances de la fête, il jonglait avec huit torches enflammées, il les jetait en l'air et aucune ne touchait l'autre." Les festivités étaient très joyeuses et duraient toute la nuit." Elles attiraient tant de pèlerins que des villages entiers se vidaient de leurs habitants.

Autres pèlerinages

Outre ces trois pèlerinages populaires à l'occasion des trois grandes solennités juives, il y avait aussi des pèlerinages individuels. Ceux-ci étaient motivés par des raisons personnelles.

Les pèlerins montaient au Temple soit pour apporter des offrandes, soit pour offrir des sacrifices, tels que les sacrifices de charité, de remerciements ou d'expiation. Il y avait aussi les sacrifices des lépreux, des premiers-nés, des naziréens, de ceux qui voulaient se délier des voeux qu'ils avaient prononcés, etc.28

Ces pèlerinages isolés n'avaient pas le même caractère solennel ou populaire que les autres. Leur importance résidait dans le fait qu'ils resserraient les liens de l'individu avec le Temple, lequel occupait une place centrale aux yeux de tout Juif, dans sa vie personnelle même.

Après la destruction du Temple

La destruction du Temple, en 70 après J.-C., plongea le peuple juif dans une immense désolation et causa une extrême affliction.

« Celui qui voit le Temple dans sa destruction doit déchirer ses habits » dit le Talmud.29

Les sacrifices avaient forcément cessé, mais pas les pèlerinages. Ceux-ci continuaient à avoir lieu, mais ne revêtaient plus le caractère d'autrefois. La joie de jadis avait été remplacée par le deuil et la tristesse. On montait pleurer la ruine du Temple et la détresse du pays et du peuple. Les gouverneurs romains, voulant arrêter ce flot continuel de pèlerins endeuillés et craignant une insurrection éventuelle, avaient posté des gardes pour empêcher les Juifs de rentrer à Jérusalem.

C'est ce qu'Hadrien, par exemple, fit dans trois importants carrefours: Hamata, Laquitia et Beit-El.20

Néanmoins, en dépit de ces restrictions, des pèlerins continuaient à monter à Jérusalem. L'interdiction fut alors très sévèrement appliquée, surtout après la révolte de Bar-Kokba et la destruction de Beitar, dernier îlot de résistance juive contre les Romains.

Le Midrach fait l'éloge de ces pèlerins tenaces, disant qu'ils sont comme « cette colombe à qui on a enlevé ses petits et qui, malgré tout, n'abandonne pas son nid ».31

Un récit de la Mishna illustre cette affirmation. Il raconte comment, immédiatement après la destruction du Temple, un groupe de naziréens de la diaspora était monté à Jérusalem pour annuler leur voeu d'abstinence. Ces pèlerins n'étaient pas informés de la destruction du Temple et c'est le Rabbin Nahoum le Madéen qui les délia de leur engagement. Il leur dit: « si vous aviez su que le Temple était détruit, auriez-vous fait ce voeu? » Ils lui répondirent: non. Alors, il annula leur voeu. Lorsque les Maîtres apprirent cela, ils déclarérent: « celui qui a formulé le voeu de naziréat avant la destruction du Temple est naziréen, mais s'il l'a formulé après, il ne l'est pas ».32

Les pèlerinages n'ont jamais cessé. L'histoire du peuple juif est jalonnée de récits témoignant que cette coutume de se rendre en pèlerinage à Jérusalem s'est maintenue et qu'elle est presque comme un devoir que le Juif doit accomplir dès que possible.

De nos jours encore, de nombreux pèlerins arrivent à Jérusalem pendant les trois fêtes pour se souvenir des pèlerinages d'antan et pour prier devant le mur des lamentations, vestige de l'époque où le Temple était encore debout.



Nous reproduisons cet article, paru dans la revue: « Le Monde de la Bible » No. 13, de mars-avril 1980, avec l'aimable autorisation de l'Editeur.
1. Cf. aussi Exode 23, 17; 34, 23 et II Chroniques 8, 13.
2. Philon d'Alexandrie « Sur les Lois » I 69.
3. Tossefta, Cheqalim I, 1.
4. Mishna, Nedarim 5, 5.
5. Yerushalmi, Ketubot 13, 1.
6. Tossefta, Meguila 3, 6; Talmud bavli, idem 26, p. 1.
7. J. Josèphe, Antiquités juives 17, 2, 2 et 18, 12, 1.
8. Cheqalim 3, 4 et F. Josèphe, Antiquités 18, 12, 2.
9. F. Josèphe, Les guerres des Juifs 1, 4, 3.
10. Yoma 12, 1.
11. Tossefta, Ma'asser Chéni 1, 12 et 13.
12. Tossefta, Pessahim 2 (3), 18.
13. Pessahim 4, 7.
14. Mishna, Menahot 10, 1, 4 et Tossefta Bavli, idem.
15. Lévitique 23, 9.
16. Idem 23, 15.
17. Exode 23, 16 et 19.
18. Mishna, Biccourim 3, 1-9.
19. Par exemple J. Ber, Sion, 17` année, p. 23.
20. Jérémie 51, 23; Néhémie 5, 15; Esther 8, 9, etc.
21. Prière additionnelle que l'on récite les samedis, les jours de fête, et le premier jour de chaque mois, après l'office principal.
22. Mishna - Soukha 5, 2, 4.
23. Idem 5, 3.
24. Talmud Bavli, Soukka, 53, p. 1.
25. Talmud Yerushalmi, Soukka 5, 4.
26. T.B. Soukka, idem.
27. F. Josèphe, Les guerres des Juifs II, 19, 1.
28. Lévitique 27, 2-23; Nombres 30, 3-6 etc.
29. T.B. Mo'ed Qatan 26, p. 1.
30. Eickha Rahba 1, 48 et 59.
31. Chie ha-Chirim Rabba I, 63.
32. Mishna, Nazir 5, 4.

 

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