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SIDIC Periodical XXIV - 1991/2-3
Le peuple de Dieu de l’Ancienne alliance qui n’a jamais été révoquée (Pages 17 - 23)

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La relation entre Torah et Alliance dans le Judaïsme
Marcel Marcus

 

Ce n'est pas un sujet simple que vous me demandez de traiter: La relation entre Torah et alliance dans le judaïsme. Nous rencontrons ici trois termes qui sont tous trois à définir: Torah, Alliance et judaïsme. Ce n'est pas un hasard, je le devine, si vous avez gardé le premier terme sans le traduire... et si vous n'avez pas précisé de quelle alliance (ou alliances) il s'agissait; de plus, nous savons tous que pour trois juifs, il existe déjà quatre définitions du judaïsme!

Laissez-moi, selon une bonne tradition juive, commencer par la fin, c'est-à-dire par le mot « judaïsme », et supposer que nous sommes tous plus ou moins d'accord sur ce qu'est le judaïsme, disons: l'ensemble des enseignements et des traditions, tels qu'ils se sont développés et ont été enseignés et vécus par la majorité des juifs au long des âges — ce qui pourrait bien être aussi (signe d'une confusion possible) l'une des significations du terme Torah.

Torah

En ce qui concerne la Torah, vous en avez proposé une bonne définition, celle de Jonathan Magonet, dans votre feuillet d'invitation à cette conférence:
C'est un mot qui signifie « enseignement » ou « direction »... qui s'applique, dans un sens limité, aux cinq livres de Moïse mais qui, plus tard, en est venu à désigner l'ensemble de la Bible hébraïque et, finalement, tout l'enseignement juif qui en découle... Mais bien plus que tout cela, l'étude de la Torah est devenue dans la tradition juive l'une des voies privilégiées conduisant à Dieu.

A cette définition, je voudrais faire deux réserves: la première, c'est que la Torah me semble être non pas l'une des grandes voies qui, dans la tradition juive, conduit à Dieu (comme le voudrait Jonathan) mais la voie essentielle; et la seconde, c'est que l'étude seule de la Torah ne conduit pas à Dieu, il faut encore l'observer.

Pour nous, juifs, la Torah n'est pas une voie parmi d'autres conduisant à Dieu. On pourrait dire que c'est l'unique grande voie, même si l'on peut user de véhicules divers pour la parcourir (rationalisme, mysticisme, prière, méditation, étude, chant et danse, bonnes oeuvres). La voie de la mystique n'est pas indépendante de la Torah: le Zohar, qui est l'oeuvre principale du mysticisme juif, se présente sous forme d'un commentaire des cinq livres de Moïse. Mais les mouvements qui, avec leurs véhicules, ont abandonné la grande voie de la Torah et essayé d'aller à Dieu sans elle, ont soit cessé d'être juifs, comme les Caraïtes et les Sabbatéens, soit fait retour à la Torah, comme les Hassidim.

Et cette Torah, il ne s'agit pas seulement de l'étudier, il faut l'observer. Nous citons, il est vrai, dans notre prière du matin la sentence rabbinique: « L'étude de la Torah est plus importante que tout », mais si, dans le fameux débat talmudique sur ce qui est plus important, de l'étude ou des actes, l'étude a été décrétée plus importante, c'est parce que celle-ci conduit à l'acte (T.B. Kid. 40b); et il existe même un texte midrashique affirmant que l'observance est plus importante, car c'est par les actes que l'homme accomplit l'expiation (Num. R., Naso 14:10).

C'est clair, la Torah doit non seulement être étudiée, mais aussi observée (cf. les textes cités in Montefiore/Loewe: A Rabbinic Anthology, chap. VI). C'est pour cela que Norman Solomon peut la définir comme (je cite encore le texte d'invitation) « l'ensemble de la révélation de Dieu dans ses répercussions sur la vie humaine », ce qui se rapproche beaucoup de la définition que nous donnons du judaïsme.

Nous pouvons cependant, dans le contexte de notre conférence, limiter le sens du mot Torah; car si l'on parle de « la Torah dans le judaïsme », le terme de Torah signifie clairement le Pentateuque, ou « l'enseignement juif » dirait la tradition rabbinique qui met l'accent sur la Halakha. C'est dans ce dernier sens que j'utiliserai ce mot aujourd'hui, c'est-à-dire la révélation divine telle qu'elle est comprise par la tradition rabbinique.

Reste à définir l'(les) « alliance » (s), sujet que Norman Solomon a traité avec finesse ici même il y a quelques années (« l'Alliance dans les relations entre chrétiens et juifs »). La Bible mentionne plusieurs alliances: on peut soit les regrouper, soit les classer en fonction des personnes à qui elles s'adressent, de leur contenu ou des circonstances qui les ont motivées.

Les Alliances

Il y a d'abord l'alliance entre Dieu et l'humanité, conclue avec Noé et ses enfants. Puis viennent les alliances entre Dieu et Israël, qui débutent avec celle d'Abraham. Il y a l'alliance conclue avec Pinhas et ses descendants, qui concerne la succession sacerdotale, et il y en a une autre similaire, avec la Maison de David.

Il n'y a cependant aucune raison de croire que la liste des alliances mentionnées dans la Bible hébraïque soit exhaustive. Le Tanakh (Bible hébraïque) parle des alliances qui nous concernent nous, juifs. Il me paraît non seulement possible, mais tout aussi bien vraisemblable que Dieu ait conclu d'autres alliances avec d'autres peuples, même si celles-ci ne sont pas mentionnées dans nos Ecritures. Il n'y avait, en fait, nul besoin de les mentionner. Ce qui nous importe, à nous juifs, c'est l'alliance globale entre Dieu et l'humanité (à laquelle nous participons) et, à un moindre degré, les alliances avec Pinhas et avec David (qui sont une partie de nous-mêmes). Ce qui est le plus important, bien sûr, c'est l'alliance ou les alliances conclues avec nous, avec le peuple d'Israël.

Vous connaissez tous l'alliance avec Noé, l'engagement pris par Dieu envers l'humanité, qu'il n'y aurait plus de déluge capable d'anéantir la civilisation. L'arc-en-ciel est là pour nous le rappeler, et le juif pieux récite une bénédiction particulière: « Souviens-toi de ton alliance... », lorsque celui-ci apparaît dans le ciel. L'alliance avec Pinhas se trouve à la fin du 4ème livre de Moïse: « Je lui accorde mon alliance de paix » (Nb 25,12), alliance qui est élargie au verset suivant (25,13) en « une alliance assurant le sacerdoce à perpétuité » pour lui et pour sa descendance.

Il y a trois couronnes: celle du sacerdoce conférée à Pinhas et à sa descendance, celle de la royauté et celle de la Torah (Pirkei Avot 4:13). La couronne de la royauté a été conférée à David dans une autre alliance; c'est du moins ce que celui-ci pensait quand il déclarait: « Ma maison n'est-elle pas stable auprès de Dieu? Il a fait avec moi une alliance éternelle, réglée en tout et bien assurée » (2 S 23,5); et cela est confirmé par Jérémie qui reconnaît clairement que l'alliance avec David consiste dans la promesse faite que ses descendants régneront à Jérusalem (Jr 31, 21). Il nous reste la troisième couronne, celle de la Torah. Celle-ci nous a été donnée par l'intermédiaire de Moïse, notre maître, et elle est liée à l'alliance conclue sur le Mont Sinaï; mais avant d'en arriver au 2ème livre de Moïse, nous lisons le premier, et là nous découvrons l'alliance avec Abraham.

L'alliance avec Abraham

Il semble en fait y en avoir plusieurs. La première est conclue avec Abraham lorsqu'il est encore Abram: c'est « l'alliance entre les animaux partagés » (Gn 15) dont le nom est à rattacher un rite étrange: Abram partage par le milieu une génisse, une chèvre, un bélier et une tourterelle. Dans la vision qui suit, Dieu découvre à Abram l'avenir de ses descendants, de son peuple, et particulièrement ce qui concerne l'esclavage en Egypte. « Ce jour-là, YHWH conclut une alliance avec Abram en ces termes: A ta postérité, je donne ce pays... » (Gn 15, 18). La terre d'Israël est un élément important dans la relation d'alliance entre le peuple d'Israël et Dieu; et, dans ce passage, elle semble représenter la seule fin de la Berith, même si elle est liée à la promesse d'une nombreuse postérité. Notons que Dieu n'exige aucune condition pour cette alliance: il semble qu'Abram en soit jugé digne à cause de sa foi (émanai), sa confiance en Dieu: « Il crut en YHWH qui le lui compta comme justice » (Gn 15,6).

Cette alliance est renouvelée deux chapitres plus loin. Abram devient Abraham, et l'alliance est marquée par un signe, la circoncision, qui devient « le signe de l'alliance » ou plutôt l'un d'entre eux:
J'établirai mon alliance entre moi et toi, et je te multiplierai extrêmement... J'instituerai mon alliance entre moi et toi, et ta postérité après toi, de génération en génération, une alliance perpétuelle, pour être ton Dieu et celui de ta postérité après toi. A toi et à ta postérité après toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays de Canaan, en possession à perpétuité, et je serai leur Dieu (Gn 17, 2-7).

Le fait que la postérité d'Abraham est incluse dans cette alliance est bien souligné, la promesse que celle-ci sera nombreuse est répétée, ainsi que la promesse de la Terre et, ce qui est plus important: l'alliance est perpétuelle, Isaac va en hériter (v. 19) et celle-ci n'est liée à aucune condition. Tout ce qui est demandé aux juifs, c'est la circoncision: ceux-ci n'ont qu'à respecter le signe de l'alliance, et Dieu les rendra nombreux, leur donnera la terre d'Israël et sera leur Dieu. Cette dernière expression manifeste sans doute l'essentiel de l'alliance: la promesse des biens à venir étant la conséquence du fait que Dieu est « notre » Dieu.

Le terme de Berith (alliance) n'est pas mis directement en rapport avec les patriarches Isaac et Jacob, même si la bénédiction d'Isaac fait référence au « serment » fait par Dieu à Abraham en ce qui concerne la possession de la Terre (Gn 26,3). Quand Isaac bénit Jacob, il se réfère (et de nouveau en relation avec la Terre) à la « bénédiction d'Abraham » (Gn 28,4). Dans la bénédiction de Dieu à Jacob, on ne trouve aucun mot comparable à celui de Berith, mais il y est fait de nouveau mention de la promesse d'une postérité nombreuse et de la possession de la Terre, et le changement du nom de Jacob en celui d'Israël peut être considéré comme manifestant l'incessante proximité de Dieu (Gn 25, 9-13). En tout cas, lorsque Dieu s'adresse à Moïse, il mentionne la « Berith » conclue avec les trois Patriarches, comme nous le lisons en Ex 6, 2-4:
J'ai apparu à Abraham, à Isaac, et à Jacob... et j'avais aussi établi mon alliance avec eux en leur faisant don du pays de Canaan...

Je considère donc ces diverses bénédictions patriarcales accordées à Isaac et à Jacob comme des renouvellements de l'alliance faite avec Abraham, et je passe au livre de l'Exode.

L'alliance avec le peuple

Le livre de l'Exode nous propose une nouvelle alliance (qu'il s'agisse d'une alliance renouvelée ou encore une fois amplifiée). C'est l'alliance du Sinaï, fondée sur l'acceptation par Israël des paroles de Dieu telles que les rapporte le Livre de l'Alliance (Ex 24,7) qui, selon la tradition juive, ne peut être rien d'autre que la Torah, (ou du moins la première partie de celle-ci). Nous trouvons là un nouvel élément: l'acceptation des lois établies par Dieu. Torah et Alliance se trouvent définitivement liées.

Cette alliance est renouvelée plusieurs fois, et chacun de ces renouvellements vient apporter quelques précisions ou clarifications supplémentaires, même si le mot Berith n'est pas toujours employé, comme par exemple dans cet important passage du Deutéronome où la réciprocité des relations est fortement affirmée:
Tu as déclaré aujourd'hui que YHWH est ton Dieu, que tu marcheras dans Ses voies, que lu observeras Ses préceptes, Ses statuts, et que tu écouteras Sa voix; et YHWH a déclaré aujourd'hui que tu es comme Il te l'a annoncé, Son peuple privilégié qui observera tous Ses préceptes. (Dt 26, 17-18)

La réciprocité est clairement indiquée ici: les deux parties affirment, pour ainsi dire, leur appartenance réciproque, Israël affirmant que Dieu est « notre » Dieu, Dieu affirmant que nous sommes Son peuple. Nous trouvons ici l'expression de « peuple privilégié » (ou « peuple-trésor ») mise en relation avec l'alliance. Et l'accent est même nettement mis maintenant sur ce qu'Israël doit faire: l'alliance semble être non seulement réciproque, mais aussi conditionnelle. Tandis que Dieu ne fait que renouveler Sa promesse, Israël s'engage à Lui obéir, à marcher dans Ses voies et à observer Ses commandements. Mais si l'une des parties n'observe pas les clauses du contrat, celui-ci n'est pas pour autant annulé, il reste seulement en suspens; car, comme « l'alliance des pères » est pour toujours, l'alliance avec le peuple sera toujours renouvelée, comme il est dit:
Et je me souviendrai de mon alliance avec Jacob; je me souviendrai de mon alliance avec Isaac et de mon alliance avec Abraham; et je me souvien- - drai aussi de la Terre. (Lv 26,42).

De nouveau la Terre est mentionnée comme faisant partie intégrante de l'alliance, et nous avonsà faire cette fois comme à une triple réalité. Plus important pour nous, cependant, est ce principe que la promesse faite à Abraham reste en vigueur: l'alliance est une alliance éternelle, et telle elle a été avec les Patriarches, telle elle demeurera avec leurs descendants:
Je me rappellerai en leur faveur l'alliance conclue avec les premières générations que j'ai fait sortir du pays d'Égypte, sous les yeux des nations, afin d'être, moi, leur Dieu. (Ibid, v. 45).

Dieu ne nous abandonnera pas pour toujours. Son alliance avec Israël n'est jamais totalement annulée. Cela signifie aussi, bien sûr, que nos obligations envers l'alliance demeurent toujours, comme le déclare solennellement Moïse en Dt 29,9-11-13:
Vous voici tous aujourd'hui debout devant YHWH votre Dieu: ...afin d'entrer dans l'alliance de YHWH ton Dieu... dans le but de faire aujourd'hui de toi un peuple et d'être Lui-même ton Dieu, comme Il te l'a dit et comme Il l'a juré à tes pères Abraham, Isaac et Jacob. Et ce n'est pas avec vous seulement que je conclus cette alliance, avec ses sanctions, mais avec ceux qui se tiennent aujourd'hui avec nous devant YHWH notre Dieu et avec nous.

Nous trouvons dans ce passage des éléments importants qui nous sont familiers: la réciprocité de l'alliance, l'élection d'Israël et, dans les versets qui suivent cette citation, le devoir qui incombe à Israël d'obéir aux enseignements divins. Il y a là aussi une claire affirmation de ce que la Berith n'est rien d'autre qu'un renouvellement de la « Berith Avoth », l'alliance avec les Patriarches. Nous trouvons là cependant une nouvelle manière de décrire l'éternelle validité de l'alliance: elle est conclue avec tout Israël, avec ceux qui sont déjà en vie et ceux qui sont encore à naître.

Nouvelle alliance

C'est à cette lumière que nous avons à considérer la « nouvelle alliance » promise par les Prophètes. Elle n'est qu'un renouvellement de l'alliance déjà existante, un renouvellement qui, comme les précédents, peut comporter de nouvelles précisions ou clarifications, spécialement du fait qu'il se produit non seulement grâce au « mérite des pères » mais, cette fois aussi et tout particulièrement, en tant que réponse divine à un acte de teshuva (repentir) d'Israël.

Il me semble donc qu'on peut dire que, parmi les multiples alliances conclues par Dieu avec l'ensemble ou une partie de l'humanité, il existe une alliance avec le peuple juif qui a passé déjà par diverses étapes et pourrait bien continuer à le faire dans l'avenir — ce qui nous permet de parler de « l'Alliance ». On peut, bien sûr, voir les choses différemment et considérer chacun des cas de conclusion d'alliance comme une alliance séparée. Nous mentionnons encore dans notre liturgie les différentes alliances (Souviens-toi de l'alliance...), mais il me semble que nous avons généralement tendance à englober toutes les alliances dans une seule: elles ne sont que des aspects différents de l'Alliance entre Dieu et son peuple.

En d'autres mots, je dirais qu'il n'existe pas « l'Alliance » conclue à une occasion donnée, mais qu'il existe l'Alliance en tant que somme totale de toutes les alliances déjà conclues ou qui se concluront entre Dieu et Israël.

Cette définition peut manquer de clarté ou de précision — ce qui est un trait constant propre au judaïsme: il refuse toute systématisation, catégorisation on définition trop précise des concepts abstraits. Et il y a plus que cela. Comme l'a fait remarquer Norman Solomon, il n'est qu'à peine fait mention de l'Alliance dans le Moreh Nevukhim, et pas du tout dans l'ensemble des Treize Principes de Maimonide — et il en est de même, remarquons-le, pour l'élection d'Israël. Que la notion d'alliance ne mérite pas d'être discutée, cela est vrai, et pas seulement pour les philosophes juifs du Moyen-Age. Dans son livre intitulé: A Jewish Theology, mon maître Louis Jacobs ne fait qu'une seule fois référence à « l'Alliance », et plus de 50 fois à la Torah (du moins d'après l'Index qui, jele reconnais, n'est guère digne de confiance!). La chose est claire: l'Alliance n'est pas un sujet de débat pour les savants juifs.

Alliance et Torah

Cela signifie-t-il que l'Alliance n'existe pas? Ce serait une conclusion fausse. Il peut ne pas y avoir de définition de l'Alliance qui fasse autorité, mais la plupart des juifs savent exactement ce qu'elle est: c'est pour eux une relation d'alliance entre nous et Dieu, une relation qui trouve son expression dans la Bénédiction que nous récitons lorsque nous sommes appelés à la lecture de la Torah: « (Lui) qui nous a choisis parmi tous les peuples et nous a donné Sa Torah ». Cela signifie que l'Alliance et l'élection d'Israël se trouvent imbriquées, et aussi que non seulement les clauses de l'Alliance exigent d'Israël qu'il observe la Torah, mais que cette dernière fait elle-même partie intégrante de l'Alliance; elle est l'une des réalités, ou la réalité essentielle que Dieu nous offre en vertu de Son Alliance ou, pour le dire avec les mots employés par la traduction du Siddour du judaïsme réformé (de Grande Bretagne): « Lui qui nous a choisis parmi tous les peuples pour nous donner Son enseignement » (cf. Forms of Prayer, RSGB, London, 1977). La traduction n'est peut-être pas exacte, mais elle a le grand avantage de s'adapter magnifiquement à mon interprétation de ce passage.

Ma réflexion deviendra peut-être plus claire si nous considérons une autre expression de la liturgie, encore une fois bien familière à la plupart des juifs. Avant d'accomplir une mitzva, un commandement donné par Dieu par l'intermédiaire de sa Torah, nous récitons une Berakha, une bénédiction qui comporte une affirmation théologique d'importance: (Lui) « qui nous a sanctifiés par Ses commandements » ou, selon la traduction du Siddour du judaïsme réformé de Grande Bretagne: « qui nous a rendus saints par l'accomplissement de Ses commandements ».
Cette dernière traduction, de nouveau, est moins exacte mais plus vraie. Elle explique très clairement, me semble-t-il, le lien entre Alliance et Torah: les premiers mots: « qui nous a rendus saints » se réfèrent à l'Alliance: ils décrivent l'élection d'Israël comme une mise à part, mais ils disent en même temps comment cela doit s'accomplir: « en nous sanctifiant ». Et quelle est la méthode de cette sanctification? — « Ses commandements ». Nous voilà ramenés à la Torah: Dieu nous a choisis pour conclure une Alliance avec nous, et cette Alliance est la Torah; ou, pour le dire autrement, ce que nous recueillons, nous juifs, de l'Alliance est le mathan Torah, le don de la Torah, ce que nous pouvons bien aussi appeler le mitzvot, le joug des commandements, mais que nous reconnaissons en même temps comme le plus grand don que Dieu nous ait fait.

Je voudrais citer ici un autre texte liturgique, un passage que nous récitons à chacune de nos prières du soir, juste avant le Shema:
D'un amour éternel Tu as aimé la maison d'Israël, ton peuple. Tu nous as enseigné la Torah et les commandements, les préceptes et les jugements.

Ce passage est précédé par une louange au Dieu Créateur qui a créé, en particulier, le jour et la nuit et qui gouverne les astres et les saisons — le Dieu universel que l'humanité toute entière peut reconnaître et adorer. Ensuite seulement vient ce passage concernant la relation particulière qui existe entre Dieu et Israël, relation qui trouve son expression dans le mathan Torah (le don de la Torah), et particulièrement dans l'aspect légaliste de celle-ci: l'enseignement de la Torah et des commandements, des préceptes et des jugements. La réflexion qui suit ce passage est alors naturelle: « C'est pourquoi nous méditerons tes lois et nous nous réjouirons dans les paroles de ta Torah et dans tes commandements à tout jamais », ou si nous traduisons de manière inexacte mais vraie: « Nousnous réjouirons et trouverons nos délices dans ton enseignement et dans la mise en pratique de celui-ci », car il n'est pas seulement la clause pour nous de l'Alliance, mais il est aussi notre récompense: « Ces préceptes sont en effet notre vie et la mesure de nos jours ».

Pour ceux qui réalisent cela, la conséquence est le talmud Torah (l'étude de la Torah): « Nous la méditerons et nous en garderons le souvenir jour et nuit »; et pour qui est tant soit peu familier avec la vie juive, il est clair qu'il ne s'agit pas là de paroles vaines.

En d'autres mots, nous avons à faire à un développement qui est, en réalité, une transformation: Ce qui conditionne l'Alliance n'est plus uniquement son but, mais aussi sa récompense, ce qu'on peut rapprocher de l'ancien adage talmudique: « La récompense des bonnes actions, ce sont les bonnes actions elles-mêmes ». L'Alliance dépend de l'observation de la Torah par Israël, mais elle consiste aussi dans cette observation et c'est en celle-ci qu'elle trouve sa récompense. Nous avons affaire à un système clos, si bien que la Torah devient plus importante que la Berith. Cette dernière ne constitue que le cadre du don de la Torah, tandis que l'étude de celle-ci et l'observance des commandements sont les réalités concrètes qui donnent valeur à l'ensemble.

Quelques conclusions

Qu'est-ce que cela nous enseigne sur « la relation entre Torah et Alliance dans la tradition juive »?.

— Avant tout, que dans la pensée juive classique ces deux notions sont qualitativement beaucoup trop différentes pour qu'on puisse établir un lien véritable entre elles. Tout ce que nous pouvons dire à ce sujet, c'est que l'Alliance est le cadre extérieur et que la Torah en est la coeur.

— Deuxièmement, il me semble que l'Alliance, tout comme l'élection d'Israël, a pris dans le christianisme paulinien une importance bien plus grande qu'elle n'en a dans le judaïsme; mais ce n'est pas à moi de juger de cela, car je ne suis qu'un rabbin et non pas un exégète du Nouveau Testament. Je crois cependant que Paul a été un juif bien plus chauvin que la plupart des juifs de son temps; c'est pourquoi il ne peut renoncer à l'élection d'Israël, et cela a eu finalement des conséquences négatives pour nous autres, juifs. Il me semble de même que, pour bien marquer la légitimité de la Nouvelle Alliance, le christianisme attribue à l'« Ancienne Alliance » une importance théologique bien plus grande que nous ne l'avons jamais fait, nous, juifs. Ainsi je trouve onze pages concernant la Berith dans le Theologisches Wdrterbuch en deux volumes (Jenni et Westermann, München 1971), tandis qu'il n'existe pas même une entrée pour ce terme dans l'Enziklopedyah Telmudit (qui compte déjà actuellement 17 volumes) et qu'on ne trouve dans l'Enziklopedyah ha-Ivrit (qui compte plus de 40 volumes) qu'à peine 25 lignes (je crois) sur ce mot de Berith, mais aucune d'elles ne se rapporte à l'Alliance entre Israël et Dieu.

Je ne peux prolonger cette réflexion, mais revenant au sujet qu'il m'a été demandé de traiter, je pourrais la résumer ainsi: l'Alliance entre Dieu et Israël est ce qui encadre extérieurement le don et l'observance de la Torah. En d'autres mots, elle est le cadre du judaïsme, mais c'est la Torah qui en est l'essence. L'Alliance établit des relations mutuelles entre Israël et Dieu; la Torah lui donne son sens, sa direction et son accomplissement. Il n'y a pas de vraie « relation entre Torah et Alliance dans le judaïsme », car c'est seulement en vue de la Torah que l'Alliance existe.

 

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