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SIDIC Periodical XXXV - 2002/2-3
« Une lampe sur mes pas, ta parole, une lumière sur ma route » (Ps 119, 105) (Pages 42-50)

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Documentation

 


ÉGYPTE – RENCONTRE DE CHEFS RELIGIEUX JUIFS, CHRÉTIENS ET MUSULMANS
Alexandrie, 21 et 22 janvier 2002


Réunis les 21 et 22 janvier 2002 à Alexandrie, à l’initiative du Dr George Carey, primat de l’Eglise anglicane, des responsables des trois religions monothéistes ont publié la déclaration suivante qui comporte sept points.


« Première déclaration d’Alexandrie » par les responsables religieux de Terre sainte

Au nom de Dieu qui est tout-puissant, miséricordieux et compatissant, nous étant réunis en tant que leaders des communautés musulmanes, chrétiennes et juives, nous prions pour une paix juste à Jérusalem et en Terre sainte, et nous affirmons notre engagement à faire cesser la violence et l’effusion de sang qui sont contraires au droit à la vie et à la dignité de celle-ci.

Selon nos traditions religieuses, tuer un innocent au nom de Dieu, c’est profaner son saint Nom et discréditer la religion dans le monde. La violence (qui sévit) en Terre sainte est un mal auquel doivent s’opposer toutes les personnes de bonne foi. Nous aspirons à vivre ensemble comme des voisins qui respectent en toute autre personne son patrimoine historique et religieux. Nous demandons à tous de résister à la provocation, à la haine et aux fausses représentations (qu’on se fait) de l’autre.


1. La Terre sainte est sacrée pour nos trois religions : aussi les fidèles de ces religions divines doivent-ils respecter sa sainteté et il ne peut être permis de la polluer en faisant couler le sang. La sainteté et l’intégrité des Lieux saints doivent être préservés, et la liberté du culte religieux doit être assurée à tous.

2. Palestiniens et Israéliens doivent respecter les desseins divins du Créateur par la grâce duquel ils vivent sur une même terre appelée terre « sainte ».

3. Nous appelons les leaders politiques des deux peuples à œuvrer en vue d’une solution juste, sûre et durable selon l’intention des paroles du Tout-puissant et des Prophètes.

4. Comme premier pas, nous appelons maintenant à un cessez-le-feu ratifié religieusement, respecté et observé par toutes les parties, et à la mise en œuvre des recommandations de Mitchell et Tenet, y compris la levée des restrictions et le retour aux négociations.

5. Nous désirons contribuer à la création d’une atmosphère qui permette aux générations actuelles et futures de coexister dans le respect mutuel et la confiance réciproque. Nous demandons à tous de s’abstenir de provoquer ou de diaboliser, et d’éduquer en conséquence nos futures générations.

6. En tant que leaders religieux, nous nous engageons à poursuivre la recherche commune d’une paix juste qui conduise à la réconciliation à Jérusalem et en Terre Sainte, pour le bien commun de toutes nos populations.

7. Nous annonçons la création d’un Comité conjoint permanent appelé à appliquer les recommandations (faites) dans cette déclaration, et à s’engager en conséquence auprès de nos autorités politiques respectives.



Délégués à cette rencontre :

Sa Grâce, Dr George Carey, Archevêque de Canterbury
Son Eminence le Sheikh Mohammed Sayed Tantawi, Université Al-Azhar, le Caire
Le Grand rabbin sephardi Bakshi Doron
Le vice-ministre des Affaires étrangères d’Israël, Rabbi Michael Melchior
Le rabbin de Tekoa, Rabbi Menachem Froman
Le Directeur international des Affaires interreligieuses de l’American Jewish Committee, Rabbi David Rosen
Le rabbin de Savyon, Rabbi David Brodman
Le rabbin de Maalot Dafna, Rabbi Ytzak Ralbag
Le Chef de la Cour de Justice [palestinienne] (Sharia), Sheikh Taisir Tamini
Le Ministre d’Etat de l’Autorité palestinienne, le Sheikh Tal El Sider
Le Mufti des forces armées, le Sheikh Abdelsalam Abu Schkedem
Le Mufti de Bethléem, le Sheikh Mohammed Taweel
Le représentant du Patriarcat grec, Mgr Aristichos
Le patriarche latin, Sa Béatitude Mgr Michel Sabbah
L’archevêque melkite, Mgr Boutros Mu’alem
Le représentant du patriarche arménien, Mgr Chinchinian
L’évêque anglican de Jérusalem, le Très Rvd Riah Abu El Assal

(Texte traduit de l’anglais pour Sidic par M. Gilles)


ASSISE – JOURNÉE DE PRIÈRE POUR LA PAIX DANS LE MONDE
24 janvier 2002


A la fin de la journée de prière pour la paix qui eut lieu à Assise, le 24 janvier 2002, à l’initiative de Jean Paul II, à laquelle participaient, les « chefs religieux de nombreuses nations », le texte suivant a été proclamé.

Le Décalogue d’Assise pour la paix


1. Nous nous engageons à proclamer notre ferme conviction que la violence et le terrorisme s’opposent au véritable esprit religieux et, en condamnant tout recours à la violence et à la guerre au nom de Dieu ou de la religion, nous nous engageons à faire tout ce qui est possible pour éradiquer les causes du terrorisme.

2. Nous nous engageons à éduquer les personnes au respect et à l’estime mutuels, afin que l’on puisse parvenir à une coexistence pacifique et solidaire entre les membres d’ethnies, de cultures et de religions différentes.

3. Nous nous engageons à promouvoir la culture du dialogue, afin que se développent la compréhension et la confiance réciproques entre les individus et entre les peuples, car telles sont les conditions d’une paix authentique.

4. Nous nous engageons à défendre le droit de toute personne humaine à mener une existence digne, conforme à son identité culturelle, et à fonder librement une famille qui lui soit propre.

5. Nous nous engageons à dialoguer avec sincérité et patience, ne considérant pas ce qui nous sépare comme un mur insurmontable, mais, au contraire, reconnaissant que la confrontation avec la diversité des autres peut devenir une occasion de plus grande compréhension réciproque.

6. Nous nous engageons à nous pardonner mutuellement les erreurs et les préjudices du passé et du présent, et à nous soutenir dans l’effort commun pour vaincre l’égoïsme et l’abus, la haine et la violence, et pour apprendre du passé que la paix sans la justice n’est pas une paix véritable.

7. Nous nous engageons à être du côté de ceux qui souffrent de la misère et de l’abandon, nous faisant la voix des sans-voix et œuvrant concrètement pour surmonter de telles situations, convaincus que personne ne peut être heureux seul.

8. Nous nous engageons à faire nôtre le cri de ceux qui ne se résignent pas à la violence et au mal, et nous désirons contribuer de toutes nos forces à donner à l’humanité de notre temps une réelle espérance de justice et de paix.

9. Nous nous engageons à encourager toute initiative qui promeut l’amitié entre les peuples, convaincus que, s’il manque une entente solide entre les peuples, le progrès technologique expose le monde à des risques croissants de destruction et de mort.

10. Nous nous engageons à demander aux responsables des nations de faire tous les efforts possibles pour que, aux niveaux national et international, soit édifié et consolidé un monde de solidarité et de paix fondé sur la justice.




RENCONTRES EUROPÉENNES ENTRE JUIFS ET CATHOLIQUES, ORGANISÉES PAR LE CONGRÈS JUIF EUROPÉEN
Paris, 28-29 janvier 2002

A l’initiative du Congrès juif européen, des journées de rencontre entre juifs et catholiques ont eu lieu les 28, 29 janvier 2002 à Paris. On en lira plus loin un compte-rendu.
La soirée du 28 janvier était consacrée au thème suivant : « Après Vatican II et Nostra Aetate : l’approfondissement des relations entre juifs et catholiques en Europe sous le pontificat de Jean Paul II ». Nous publions ci-dessous le message du pape, ainsi que les exposés du prof. J. Halpérin et du cardinal J.M. Lustiger. Nous remercions ces derniers de nous avoir aimablement autorisés à les publier dans Sidic. Les sous-titres sont de notre rédaction.


MESSAGE DU PAPE JEAN PAUL II **


Shalom, paix !

Par cette expression biblique, je voudrais adresser mes salutations cordiales à tous les participants à la rencontre. Celle-ci est particulièrement opportune dans le prolongement de la récente Journée de prière pour la Paix dans le monde qui s’est tenue à Assise le 24 janvier. Toutes les religions se sont engagées à œuvrer pour la paix, offrant ainsi un signe d’espérance pour le monde et rappelant que la démarche spirituelle et transcendante de l’homme l’invite à promouvoir la paix et le respect de la dignité de tout homme. Juifs et chrétiens entretiennent des relations particulières. Le message qui nous vient du Dieu de l’Alliance avec Moïse, les patriarches et les prophètes appartient à notre patrimoine commun et nous invite à collaborer ensemble à la vie du monde, car le Très-Haut nous appelle à la fois à être saints comme Lui-même est saint et à aimer notre prochain comme nous-mêmes.

Depuis la Déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II, de nombreux progrès ont été réalisés – et je m’en réjouis – en faveur d’une meilleure compréhension mutuelle et d’une réconciliation entre nos deux communautés. Un tel texte constitue un point de départ, une base et une boussole pour les relations futures. Après les douloureux événements qui ont marqué l’histoire de l’Europe, notamment au cours du vingtième siècle, il convient de donner un élan nouveau à nos relations, pour que la tradition religieuse, qui a inspiré la culture et la vie du continent, continue à faire partie de son âme, lui permettant ainsi de se mettre au service de la croissance de tout l’homme et de tout homme.

De part leur identité respective, les juifs et les chrétiens sont liés les uns aux autres et ont à poursuivre la culture du dialogue tel que pouvait l’envisager le philosophe Martin Buber. Il nous appartient de transmettre aux générations nouvelles nos richesses et nos valeurs communes, pour que plus jamais l’homme ne méprise son frère en humanité et que plus jamais des guerres ou des conflits ne soient menés au nom d’une idéologie qui méprise une culture ou une religion ; au contraire, les différentes traditions religieuses sont appelées à mettre leur patrimoine au service de tous, en vue d’édifier ensemble la maison commune européenne, unie dans la justice, la paix, l’équité et la solidarité. Alors commencera à se réaliser la parole de Dieu donnée par le prophète (cf. Is 11, 6-9). La jeunesse a besoin de notre témoignage et de notre engagement communs pour croire, pour sanctifier le nom de Dieu par toute la vie et pour espérer en un avenir du monde riche en promesses. Ainsi, elle s’attachera à affermir les liens de fraternité, pour constituer une humanité renouvelée. …




« HISTORIQUE DES RELATIONS ENTRE JUIFS ET CATHOLIQUES DEPUIS LE PONTIFICAT DU PAPE JEAN PAUL II »
par le prof. Jean Halpérin


Après avoir rendu hommage au Dr Riegner qui, « pendant un demi-siècle, a été, du côté juif, le principal artisan et architecte du renouveau du dialogue entre juifs et chrétiens », le prof. Halpérin a poursuivi :
Nous sommes ici réunis pour analyser ensemble, aussi lucidement que possible, l’histoire qui s’écrit et qui se vit sous nos yeux, avec le bénéfice du recul, car nous savons d’où nous venons, même s’il nous arrive de vouloir l’oublier. Au demeurant, plus que d’un « approfondissement » ou d’un « rapprochement » de nos relations, comme l’annonce le programme de ces rencontres, nous sommes, je crois, en présence d’une véritable mutation.
Nous avons tous présents à l’esprit, on l’a déjà dit, des événements phares qui ont marqué jusqu’ici le pontificat du pape Jean Paul II : sa visite à la grande synagogue de Rome le 13 avril 1986 et le discours capital qu’il a adressé à cette occasion simultanément au peuple juif et aux fidèles de l’Eglise romaine et apostolique partout dans le monde. Et cet autre sommet que fut le pèlerinage du pape en Terre sainte en mars 2000, avec les moments particulièrement forts à Yad Vashem et devant le Mur occidental. Comme l’a écrit le cardinal Martini : « Rien n’est plus comme avant, une page nouvelle a été ouverte ».


Préludes décisifs …

En vérité, il n’est pas pensable de ne pas évoquer d’abord ici, la personne et l’action du cardinal Roncalli, qui deviendra le pape Jean XXIII, de mémoire bénie, qui, avec le concours du cardinal Bea, a été l’initiateur du tournant historique de Vatican II et de Nostra Aetate. Il faut le savoir, tout commence dans les lendemains de la Shoa, c’est-à-dire après dix-huit siècles d’enseignement du mépris, pour reprendre la formule de l’historien Jules Isaac. Et je pense, en évoquant cette période, à l’époque proche et qui paraît presque lointaine aujourd’hui, de la réunion de Seelisberg, en 1947, graine modeste qui germera petit à petit grâce à Jules Isaac et à Jacques Maritain, parmi d’autres, pour faire passer les Eglises de l’enseignement du mépris à celui du respect. Il n’est pas inutile de rappeler que la conférence de Seelisberg et les Dix points qu’elle a adoptés, étaient un épisode extra-ecclésial que la hiérarchie catholique observait avec méfiance. Et nous savons que, jusqu’en 1964, un an avant Nostra Aetate, les amitiés judéo-chrétiennes n’étaient pas encouragées ni bénies par la hiérarchie, qui craignait le relativisme religieux. Il a fallu Paul VI pour annuler cette prudence à l’égard de l’amitié judéo-chrétienne. Sans ces préludes décisifs, rien de ce qui est venu après n’aurait pu avoir lieu.


L’action de Jean Paul II …
une lumineuse cohérence …

L’action de Jean Paul II, nous le savons aujourd’hui, n’a pas été épisodique, mais répétée et presque toujours d’une lumineuse cohérence, et on est impressionné de voir avec quelle continuité il insiste sur les thèmes qui lui paraissent les plus fondamentaux. Si bien que, quelquefois, les signes contraires ou contradictoires n’en prennent que plus de relief.
Il ne suffit pas d’évoquer la visite de Jean Paul II à la synagogue de Rome de façon emblématique, il faut que nous apprenions ou que nous réapprenions à écouter ce qu’il a dit ce jour-là. La visite du pape doit, comme il l’a dit lui-même, être appréciée à la fois comme une réalité et comme un symbole. Il aurait pu ne s’agir que d’une manifestation protocolaire. Or, la façon dont cette rencontre s’est déroulée, la chaleur qui l’a marquée et les propos qui se sont échangés, confèrent à l’événement une portée bien plus grande. Comme l’ont fait remarquer plusieurs commentaires, de tous les déplacements accomplis par Jean Paul II jusqu’aux antipodes, le kilomètre qui lui a fait franchir la distance qui sépare le Vatican de la synagogue de Rome constitue à certains égards son périple le plus long, puisqu’il s’est agi d’un voyage à travers près de deux mille ans d’histoire, et quelle histoire !


La rencontre de la synagogue de Rome…
de parfaite égalité …
Trop de souffrances, trop d’avanies, d’injustices, sont inscrites dans la conscience et dans la mémoire juives face à l’Eglise catholique, au plan existentiel et théologique, pour qu’il ne faille pas d’abord insister sur le caractère de parfaite égalité qui a marqué la rencontre de la synagogue de Rome. Ce climat d’égalité est en soi sans précédent, comme la visite elle-même d’un pape dans une synagogue. Il est très significatif aussi que Jean Paul II ait tenu d’emblée à affirmer avec force qu’il se trouvait l’héritier fidèle de Jean XXIII, de mémoire bénie, qui symbolise en effet, dans la sensibilité juive, l’acte de repentance et d’ouverture de l’Eglise catholique. Le discours du pape a le mérite, en outre, de confirmer, et cela n’est pas inutile, le caractère irréversible de Nostra Aetate n 4 et des Observations et Suggestions de 1974, et souligne avec éclat la volonté de l’Eglise de substituer définitivement l’enseignement du respect à celui du mépris. Le message du pape nous permet d’espérer que la voie est maintenant irrévocablement barrée au risque d’un retour en arrière. Il réaffirme en termes clairs la volonté de surmonter, malgré les difficultés, les préjugés millénaires. Plus encore et de façon peut-être inédite, il écarte explicitement la théologie de substitution et celle de l’appropriation.
Il était encourageant d’entendre le pape dire que cette rencontre met un terme, après le pontificat de Jean XXIII et le Concile Vatican II, à une longue période sur laquelle on ne réfléchira jamais assez pour en tirer toutes les leçons qui s’imposent. Le dialogue fraternel, franc et sincère, entre l’Eglise et le peuple juif gagne à être éclairé par la confirmation qu’avec le judaïsme, l’Eglise a des liens quelle n’a avec aucune autre religion. Nous avons pris acte du fait que nous sommes « des frères de prédilection, d’une certaine manière, des frères aînés ».
Nous notons également avec intérêt que toute justification prétendument théologique des mesures discriminatoires, ou, pis encore des persécutions, n’est pas fondée. Je cite Jean Paul II : « Il n’est pas légitime de dire que les juifs sont répudiés ou maudits, comme si cela pouvait être déduit des Saintes Ecritures, tant il est vrai que la promesse divine est irrévocable ». Pour les deux communautés, il est important de s’entendre rappeler que les différences qui existent entre elles n’ont pas disparu. Je cite encore Jean Paul II : « En pleine conscience des liens qui les unissent, chacune d’elles entend être reconnue et respectée dans sa propre identité, en dehors de tout syncrétisme et de toute appropriation ambiguë ». Dans la mesure où le pape prenait soin de préciser que nous ne sommes encore qu’au début du chemin et qu’il reste énormément à faire pour dissiper les préjugés et les malentendus accumulés au long des siècles, une voie est annoncée qui est porteuse d’espoir créateur. C’est en effet à partir du dialogue conduit dans la loyauté et l’amitié, dans le respect rigoureux des convictions intimes des uns et des autres, que nous pouvons envisager d’œuvrer, ensemble, pour le bien de l’humanité entière.
Il n’est pas indifférent qu’à cette occasion, l’accent ait été mis par le pape sur la nécessité de redécouvrir les valeurs éthiques inscrites dans le Décalogue et que soit explicitement rappelée la source biblique hébraïque de l’amour du prochain et de l’étranger, comme du devoir d’aider la veuve et l’orphelin.
On le voit, tout ce qui a été dit par Jean Paul II à la grande synagogue de Rome le 13 avril 1986 est d’une réelle importance. Cette méditation audacieuse sur les relations entre l’Eglise et le judaïsme restera longtemps, à n’en point douter, le texte de référence. A maints égards, on peut y trouver des paroles de reconnaissance et de restitution. Puissent-elles être pleinement entendues par l’ensemble de l’Eglise et de ses fidèles.


Le parcours du pape polonais …

Mais il ne faut pas se limiter au discours de la synagogue. Il faut aussi évoquer l’allocution aux représentants de la communauté juive de Mayence dès le 17 novembre 1980, le discours de Rome, le 6 mars 1982, devant les délégués des conférences épiscopales et d’autres experts des relations judéo-chrétiennes, y compris non-catholiques, les paroles dites devant les représentants de la communauté juive de Varsovie, en 1987. Et je voudrais ici rendre hommage au travail courageux de pionnier du regretté Jerzy Turowicz, de mémoire bénie, et saluer la présence ici de Stefan Wilkanowicz, qui continue à tenir le flambeau éclatant qui avait éclairé notre histoire avec le mouvement Znak. Je voudrais vous faire entendre une phrase du pape Jean Paul II à Varsovie : « Je pense que la nation d’Israël, aujourd’hui, peut-être plus que jamais auparavant, se trouve au centre de l’attention des nations de ce monde. A travers elle, vous êtes devenus une grande voix de mise en garde pour toute l’humanité, toutes les nations, toutes les puissance de ce monde, tous les systèmes et chaque homme ».
Il faut rappeler aussi le discours que le pape Jean Paul II a adressé au Comité international de liaison entre les catholiques et les juifs, à Rome, en octobre 1985, pour les vingt ans de Nostra Aetate, et la lettre qu’il a adressée au cardinal Cassidy pour présenter le document pontifical : « Nous nous souvenons », du 16 mars 1998.
Et nous ne pouvons pas oublier de passer sous silence le colloque intra-ecclésial tenu en 1997 au Vatican sur « Les racines de l’anti-judaïsme en milieu chrétien », préparé par le P. Cottier. Autant de faits saillants qui balisent lumineusement le parcours du pape polonais.
Sûrement faut-il également, par souci de mémoire, rappeler l’intervention, à l’époque inédite, du cardinal Etchegaray au Synode des évêques de 1983, où il demandait à l’Eglise d’exécuter sa mission de réconciliation et de repentance à l’égard du peuple juif. Mais il y a plus encore. Non seulement les trente-cinq interventions dénombrées en vingt-et-un ans de pontificat par le P. Michel Remaud dans son livre : « Chrétiens et juifs entre le passé et l’avenir », mais toutes les impulsions données par le pape aux conférences épiscopales nationales et à plusieurs synodes d’évêques, et la place qu’il fait aux références et aux sources vétero-testamentaires, notamment dans les prédications et à l’occasion des audiences générales. Je n’en veux pour preuve que les toutes récentes, qu’il a prononcées le 14 et le 28 novembre derniers, en commentant le psaume 117 et le psaume 119. Ceci par conséquent indique un fil conducteur qui marque toute la théologie, toute la doctrine, du pape Jean Paul II.


…et d’autres …

Saisissons aussi l’occasion d’évoquer le rôle de plusieurs dignitaires de l’Eglise, comme le cardinal Decourtray et Mgr Rossano, de mémoire bénie, ou les cardinaux König et Martini, et d’autres encore. Et puisque nous sommes à Paris, comment ne pas rappeler avec autant d’émotion que de gratitude ce grand texte fondateur, par sa vigueur et sa clarté, que restent Les orientations pastorales de Pâques 1973 du Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme, que le Grand rabbin Jacob Kaplan, de mémoire bénie, avait sur le champ salué avec tant de justesse. Ce texte a été publié par la Conférence épiscopale française, le 16 avril 1973.


Une phase radicalement nouvelle …

Nous le voyons, le pontificat de Jean Paul II n’est pas simplement un cadre chronologique, mais un chapitre particulièrement riche et signifiant des relations entre l’Eglise catholique et les juifs. Si j’ai voulu mettre en relief quelques-unes des étapes majeures de ce pontificat, ce n’est pas pour nous faire plaisir, mais pour nous permettre d’en apprécier lucidement la portée historique. Encore faut-il préciser clairement qu’il ne faut pas commettre l’erreur d’y voir un aboutissement, mais bien l’ouverture et le début d’une phase radicalement nouvelle, inédite. Comme nous le disait en octobre 1985 le cardinal Willebrands, ce n’est pas en vingt ans que l’on peut réparer, éliminer, près de vingt siècles d’erreurs, de manquements et de malentendus.
J’ai fait plus haut, dans l’historique de nos relations depuis le début du pontificat de Jean Paul II, allusion à ce que j’ai appelé « les signes contraires ou contradictoires ». Pour éviter toute confusion et par souci de vérité, je crois devoir citer, à titre d’exemples, la crise du Carmel d’Auschwitz, la béatification surprenante de Pie IX, ou encore les réactions suscitées au Vatican par le « Rapport préliminaire » de la Commission paritaire des six historiens catholiques et juifs et par les quarante-sept questions pertinentes que cette commission, unanime, a posées pour pouvoir poursuivre le travail qui lui avait été confié.
Comme le dit le Talmud, tous les débuts sont difficiles. Veillons à ce que la dynamique fasse que ce début s’étende et s’approfondisse de manière irréversible. Beaucoup déjà a été fait. Enormément encore reste à accomplir. Il y faudra, de part et d’autre, beaucoup de volonté, de persévérance, de vigilance, de mémoire et d’espérance. Pour qu’ensemble, nous puissions, après avoir surmonté nos habitudes mentales, nos préjugés, nos méfiances et nos suspicions, enseigner aux générations montantes comment elles devront, ensemble, assumer les responsabilités communes que nous imposent nos sources et notre commune vocation.




« QUEL AVENIR A OUVERT LE PAPE JEAN PAUL II ? »
par le cardinal Jean Marie Lustiger


Les signataires de Seelisberg ont espéré.
Jules Isaac a frappé à la porte.
Le Concile Vatican II l’a ouverte par la déclaration Nostra Aetate.
Il fallait dès lors avancer sur le chemin de la reconnaissance mutuelle des juifs et des chrétiens. Mais il était impossible de passer par profits et pertes deux millénaires ensanglantés. Il fallait, pour tracer les chemins de l’avenir, clarifier et assumer le passé.
Le pape Jean Paul II a entrepris cette tâche avec audace, amour et respect, en dépit des incompréhensions et des contradictions. Il y était préparé. Il connaissait la condition juive. Des juifs étaient ses voisins, ses condisciples et ses amis. Leurs coutumes lui étaient familières ainsi que leur mémoire des persécutions. Il a vu leur anéantissement dans sa patrie broyée. Après la guerre, c’est dans l’ancienne culture de l’Europe centrale, à laquelle tant d’intellectuels et d’artistes juifs ont contribué, que s’est déployée son intelligence du monde et de l’histoire. Il est le premier pape à avoir connu par expérience directe le monde aujourd’hui disparu de communautés juives d’Europe centrale.

Au moment où Karol Wojtyla inaugurait son pontificat, la génération des contemporains de la Shoa, ceux d’Europe du moins, avait commencé à sortir de son silence. Alors ceux qui « ne savaient pas » perçurent le sentiment du néant qui marque cette génération, néant des vies exterminées, néant des croyances et des espérances, néant de la mémoire. Désormais, Auschwitz est devenu pour tous le symbole d’une mémoire calcinée. Auschwitz renvoie tout ce qui l’a précédé, l’ancienne Europe, au néant. Entre juifs et chrétiens, depuis vingt ans, des incidents aussitôt médiatisés ravivaient les polémiques, nourrissaient les soupçons, rouvraient les plaies, celles de la Shoa et celles des siècles où les juifs ont été périodiquement persécutés dans l’Europe chrétienne. Qui n’éprouverait le sentiment amer que ces relations fragiles risquent sans cesse de se rompre ? Cependant, il s’est trouvé en ces circonstances assez d’hommes de cœur et de vérité pour apaiser les conflits renaissants, dissiper les incompréhensions et rétablir la confiance.


Des initiatives d’une éclatante portée symbolique…

Jean Paul II, pour sa part, a pris des initiatives d’une éclatante portée symbolique. Il n’a pu les faire que grâce à la volonté et au courage des responsables juifs.
Je laisse de côté l’accord diplomatique conclu entre l’Etat d’Israël et le Vatican. Le texte en est surprenant par son contenu religieux et historique.
Je mentionne ici deux gestes, parmi beaucoup d’autres, qui ont donné à voir ce que veut l’Eglise ainsi engagée aux yeux de l’opinion mondiale.
La visite du pape à la grande synagogue de Rome : sa photographie avec le Grand rabbin a plus fait qu’un long discours.
Son pèlerinage en Terre Sainte, sa visite en Israël, sa prière au Mur occidental ont bouleversé les esprits les plus hostiles, indifférents ou sceptiques.
En même temps, le pape Jean Paul II a développé un enseignement d’une grande portée sur la relation des chrétiens au peuple juif. Le pape demande aux chrétiens de découvrir avec un nouveau regard le peuple juif, non seulement dans la Bible mais aussi dans l’histoire des deux derniers millénaires. De nombreuses interventions données au fil des ans par la plus haute autorité du monde chrétien seront, je l’espère, rassemblées en un volume. Elles appellent philosophes et théologiens, historiens et sociologues, politiques aussi, à un nouveau travail. Car cette réflexion saisit l’histoire humaine à la lumière de la Révélation. Elle nous invite à comprendre la signification pour tous les hommes de l’élection du peuple juif. Méconnaître ou renier cette élection priverait de toute signification l’histoire du salut qui fonde la foi chrétienne, et peut-être aussi toute l’histoire humaine.


Renouer les fils rompus …

Un énorme travail a donc été accompli dans les esprits des chrétiens comme des juifs : clarifier et reconnaître les responsabilités chrétiennes dans le drame de la deuxième guerre mondiale. Renouer les fils rompus d’une commune histoire bi-millénaire, d’une commune culture. Se dire les griefs accumulés, dans leur vérité, même cruelle, de sorte qu’il n’y ait plus de non-dit entre les héritiers de cette histoire.
Rétablir ainsi par-dessus le néant de la Shoa, la continuité de l’histoire européenne, retrouver un dialogue commencé, rompu, repris, depuis deux millénaires. Ainsi, ensemble nous découvrons qu’Auschwitz n’a pas arrêté l’histoire puisque, assumant tout le passé, nous avons la volonté commune de vivre notre avenir commun pour le service de l’humanité.
Qui dira la grandeur spirituelle de tous ceux qui en furent les artisans, la foi et la générosité dont ils ont fait preuve ? Je salue ici en particulier la mémoire du Dr Riegner qui y consacra toutes ses forces. Qui dira l’inspiration divine qui les a guidés ? Qui dira la prière de tant d’hommes et de femmes qui ont ainsi porté devant Dieu ce dessein ? Peu à peu nous entrevoyons que dans ces temps de malheur et de haine, des « justes » ont écrit une histoire faite de bienveillance, de respect, d’humanité et de sainteté, manifestant la puissance de la Parole biblique.


Un vrai dialogue peut à nouveau commencer …

Nous sommes parvenus à un moment historique où un vrai dialogue, interrompu il y a presque deux millénaires, peut à nouveau commencer, dialogue, il est vrai, poursuivi comme à voix basse par d’éminents esprits trop vite oubliés. Il ne supprimera certes pas les oppositions ni les différences entre juifs et chrétiens. L’approfondissement croisé de la Parole de Dieu fera comprendre avec respect ce que l’Esprit donne à chacun de comprendre et de croire. Chrétiens et juifs se découvriront nécessaires les uns aux autres dans une vision plus vive et plus forte de la grandeur du don de Dieu et de la beauté de la destinée de l’homme.
Le dialogue qui s’est poursuivi entre Jean Paul II et Emmanuel Levinas en est l’illustration. La Révélation biblique, telle que la Tradition juive la reçoit, et telle que l’Eglise, par sa foi au Christ, y adhère, représente pour l’avenir de l’humanité un trésor inépuisable. En voici deux exemples :
Pour les chrétiens, quelle richesse ce sera que d’accueillir comme une donnée fondamentale de l’histoire humaine l’élection d’Israël et par conséquent de considérer leur propre vocation à cette lumière ! Bien plus, pour peu qu’une compréhension mutuelle s’établisse, penseurs juifs et chrétiens sauront travailler ensemble à une nouvelle prise en considération de toutes les formes religieuses des civilisations au service de la Paix. Le pape, il y a quelques jours à Assise, a montré le chemin. …
Un autre exemple : la réflexion juive a été très circonspecte depuis deux millénaires sur les chapitres 42 à 54 d’Isaïe, comme s’ils avaient été monopolisés par les chrétiens. Comment, cependant, ne pas discuter à frais nouveaux, les uns avec les autres, sans refus préalables, sur le péché, le mal et la souffrance, sur le repentir, auquel Dieu appelle l’homme pour lui accorder son pardon, l’espérance d’une rédemption. La crainte de nous blesser mutuellement, de vouloir nous conquérir, comme c’était le cas dans les disputationes des siècles passés, ne doit pas enfouir cette parole prophétique au moment où les nations voient sans cesse grandir leur aspiration au bonheur et leur certitude des malheurs, au moment où les peurs et les risques semblent ne jamais avoir été aussi grands du fait des pouvoirs nouveaux conquis par les hommes.
Sur ces deux points, sensibles entre tous, l’élection et la rédemption, seul un dialogue à nouveaux frais entre chrétiens et juifs, permettra d’accueillir dans toute sa nouveauté la lumière divine donnée aux hommes.
Ainsi il me semble qu’un avenir commun entre juifs et catholiques ne se réduit pas à régler des contentieux sans cesse renaissants. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une bonne et pacifique compréhension, ni même d’une solidarité dans le service du bien de l’humanité. Cet avenir commun consistera en un travail sur ce qui nous est commun, comme sur ce qui est propre aux uns et aux autres, travail que ne doivent plus empêcher les différences et les tensions légitimement reconnues. Ces différences et ces tensions sont elles-mêmes un stimulant pour aller, non pas vers de mutuelles concessions comme c’est le cas dans une négociation ou un marchandage, mais vers un approfondissement toujours plus ouvert et rigoureux, vers une plus complète docilité à Dieu, chacun selon son appel. De la sorte, c’est au service de l’humanité entière que cette tension féconde pourra être une source d’inspiration pour la paix et pour le bonheur de tous.



TERRE SAINTE – MESSAGE DES RELIGIEUSES ET DES RELIGIEUX
Jérusalem, 26 avril 2002


Le 26 avril, une célébration religieuse a été organisée par l’Union des religieux(ses) de Terre sainte à Jérusalem dans la basilique Sainte-Anne, en présence de Mgr Sabbah, du nonce apostolique et avec la participation d’environ 300 religieux et laïcs chrétiens (voir plus loin nos Informations). A cette occasion, le message suivant a été envoyé aux responsables politiques d’Israël et de la Palestine.


« Appelez la paix sur Jérusalem » (Ps 122, 6)
Message des religieuses et des religieux aux responsables politiques d’Israël et de la Palestine


C’est notre amour pour cette terre et ses deux peuples qui nous pousse, nous religieuses et religieux de Terre sainte, d’expression arabe et hébraïque ainsi que de provenance internationale, à vous adresser humblement cette lettre.
Nous vivons au sein de la communauté chrétienne locale qui est présente sur cette terre depuis les débuts du christianisme. Avec nos frères et sœurs dans le Christ Jésus, nous voulons suivre la voie de la non-violence qu’il nous a enseignée et nous gardons l’espoir que la lumière triomphera des ténèbres.
Nous aimons le peuple juif, son histoire plurimillénaire et sa foi monothéiste. C’est lui qui nous a donné la Bible et avec elle la ferme conviction de la dignité unique de toute personne humaine, créée à l’image de Dieu. Nous rejetons absolument toute forme d’antisémitisme.
Nous aimons nos frères musulmans, qui adorent le Dieu un, tout puissant et miséricordieux et se réfèrent volontiers à Abraham.
Ensemble, nous essayons d’entrer en dialogue respectueux avec tous les enfants d’Abraham.
Nous essayons de traduire concrètement notre amour pour les deux peuples de cette terre et notre solidarité avec les Eglises locales par nos institutions sociales, médicales, éducatives et charitables et notre but est de constituer un pont entre eux pour promouvoir la justice, la paix et la réconciliation. La prière continuelle pour la paix et le bien-être de tous occupe une place centrale dans notre vocation religieuse.
En raison des liens anciens et forts qui unissent ces deux peuples à la même terre, nous ne voyons pas d’autre solution que le partage et la collaboration.
Par amour d’Israël et de la Palestine nous unissons nos voix à celle du monde entier qui crie : Arrêtez cette guerre. C’est un cri d’amour que nous poussons. La violence n’arrêtera pas la violence. Seule la paix peut donner la sécurité à tous.
Pas de paix sans justice, pas de réconciliation sans pardon mutuel. Le pape Jean Paul II l’a rappelé dans son message pour la journée mondiale de la paix au début de cette année. Les souffrances atroces qu’ont connues cette terre et tous ses habitants nous rappellent l’urgence de bâtir la paix ensemble chaque jour. Nous appuyant sur l’Ecriture nous savons que la souffrance du Serviteur portera la guérison au monde entier (Is 53, 5).
Nous prions pour que la prophétie d’Isaïe se réalise : « Les nations ne lèveront plus l’épée l’une contre l’autre et l’on ne s’exercera plus à l’art de la guerre. Maison de Jacob venez, marchons à la lumière du Seigneur » (Is 2, 5).


Avec l’expression de notre profond respect

Les religieuses et religieux de Terre sainte

Jérusalem, vendredi, 26 avril 2002.



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* Publié dans L’Osservatore Romano, édition française, du 5 février 2002, ainsi que dans la Documentation catholique du 17 mars 2002.

 

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