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L' Oecuménisme et le dialogue
C. A. Rijk
L'importance du dialogue judéo-chrétien pour l'unité des chrétiens.
Sans discuter le fait de savoir si les contacts et les colloques existants entre juifs et chrétiens peuvent être réellement appelés dialogues, je voudrais souligner le sens des relations judéo-chrétiennes en vue de la réalisation de l'unité des chrétiens en indiquant quelques lignes générales et quelques possibilités virtuelles.
Le développement actuel des relations judéo-chrétiennes met souvent des chrétiens d'Eglises de dénominations différentes en contact avec les juifs. L'expérience de ce genre de réunions montre que les chrétiens divisés redécouvrent lentement un nombre croissant de points d'unité entre eux. Ce fait, qui peut être observé dans plusieurs pays, est un signe de l'influence que les juifs pourraient avoir sur le développement de l'unité des chrétiens.
Mais analysons ce phénomène dans un sens plus théologique. Deux mouvements semblent prédominer dans la vie et la pensée des Eglises et des communautés ecclésiales d'aujourd'hui: une adaptation plus existentielle au monde et aux circonstances, et par ailleurs, un retour aux vraies sources de la vie chrétienne, afin de présenter la foi chrétienne de la manière la plus authentique.
Ces deux mouvements poussent les chrétiens à déployer leur meilleur effort pour la recherche de l'unité. Actuellement, le but immédiat de l'esprit et des activités oecuméniques des chrétiens est l'établissement de l'unité visible de l'Eglise. S'il m'était permis de dire cela en d'autres mots, j'exprimerais alors ainsi l'intention profonde de cet effort oecuménique: l'Eglise veut connaître et veut vivre la Révélation divine totale et entière, telle qu'elle lui est parvenue dans l'Ancien et le Nouveau Testament. Il est notoire qu'une certaine tendance à limiter la Révélation divine au Nouveau Testament a survécu dans le christianisme, en dépit de la condamnation de Marcion qui, le premier, défendit cette position en l'an 144. A côté de cette tendance, l'interprétation de l'Ancien Testament (Tanach) reste une question difficile pour les chrétiens. Dans cette ligne, voir les recensions de livres et d'articles sur la valeur de l'Ancien Testament pour les chrétiens dans Sidic 1968, No 1.
Lorsque, conformément à la doctrine de l'Eglise, nous considérons la Bible tout entière comme la source et la base de la foi et de la vie chrétiennes, nous pouvons affirmer que l'Eglise veut vivre la Révélation divine totale et entière. Mais alors, ses rapports avec le judaïsme qui s'enracine profondément dans le Tanach, partie essentielle de la Bible, peuvent être très importants pour une découverte plus pure et plus renouvelée des sources.
De ce retour aux sources et de ces relations avec le judaïsme, plusieurs points de la doctrine chrétienne recevront sans aucun doute une lumière nouvelle. Permettez-moi d'énumérer certains points concrets, en commençant par ceux qui concernent indirectement l'oecuménisme, et en complétant par d'autres qui regardent directement la croissance de l'unité des chrétiens.
1. a) L'explication du mystère de la Sainte Trinité, généralement exprimée en termes de philosophie aristotélicienne et thomiste, donne parfois l'impression d'un- enseignement polythéiste, notamment pour les profanes. Les chrétiens parlent souvent de ce plus profond des mystères d'une façon si superficielle et avec une telle facilité qu'il semble presque polythéiste. La forte insistance mise sur le monothéisme dans l'Ancien Testament et le judaïsme pourrait nous garder d'une erreur dangereuse. « Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu, le Seigneur est un » (Deut. 6,5). Ceci est vrai pour les chrétiens aussi. Tout en acceptant l'Incarnation, ce profond mystère de l'immanence de Dieu parmi les hommes, nous ne devons pas oublier, ni minimiser, l'incompréhensible transcendance de Dieu. Il y aura toujours une extrême tension entre la transcendance de Dieu et son immanence, et la tentation reste toujours vraie de vivre l'une aux dépens de l'autre. La reconsidération actuelle de ces mystères pourrait bénéficier de la pensée juive.
b) En ce qui concerne le Messianisme, le judaïsme force constamment les chrétiens à purifier leur foi en Jésus-Christ en tant que Messie, à la lumière de la Révélation totale. D'une façon générale, nous parlons trop facilement du Messie. Lorsque nous parlons des prophéties messianiques, nous agissons comme si l'Ancien Testament avait une conception claire et bien définie du Messie. En lisant des textes tels qu'Isaïe 52 et 53, et d'autres, nous les appliquons simplement à Jésus, oubliant que ces textes ont un sens bien plus complexe, qu'ils s'adressent beaucoup plus au peuple souffrant en tant que serviteur de Dieu qu'à un seul homme. Ces textes ne sont pas exclusifs mais plutôt inclusifs. En outre, l'Ancien Testament parle bien plus souvent du royaume messianique, ou mieux encore, du royaume final de Dieu, que d'un Messie personnel. Dans la vision eschatologique, les prophètes prévoient un royaume de paix universelle, de justice, d'amour et de vie. Quand nous parlons de la venue de Jésus comme l'accomplissement parfait de l'Ancien Testament, nous oublions que, bien que ce soit vrai dans la personne et la vie de Jésus, de nombreuses prophéties attendent toujours leur accomplissement. Le judaïsme peut aider à ce que cette attente et cette tâche eschatologique de l'Eglise restent vivantes. Il est clair également que l'Ancien Testament ne peut être considéré uniquement comme une préparation et une figure du Nouveau Testament. Voir pour cela, la Constitution dogmatique sur la Révélation divine, Dei Verbum, de Vatican II, paragraphe 15; de même, l'allocution du pape Paul VI à un rassemblement de savants spécialistes de l'Ancien Testament —juifs, protestants, catholiques — le 19 avril 1968, dans laquelle il déclara, entre autres choses: « Les richesses de la Révélation contenues dans les pages de l'Ancien Testament sont telles qu'il semble qu'on ne pourra jamais l'épuiser ».
c) Le contact avec le judaïsme pourrait être également utile dans la question de sécularisation. Une dangereuse séparation entre vie et foi s'est produite. Il est évident qu'un enseignement trop théorique et trop abstrait de la doctrine et de la foi a créé un abîme entre la religion et la vie quotidienne. Plus encore, une spiritualisation excessive a contribué à approfondir cet abîme. Ainsi la religion a-t-elle trop tendu à devenir une superstructure, laquelle est actuellement rejetée par de nombreux chrétiens. Le judaïsme a une conception différente du rapport existant entre foi et vie. Pour le judaïsme la réalité et la vie sont premières, et cette réalité elle-même est sacrée parce que créée par Dieu et parce que l'homme est l'image de Dieu. Cette profonde conviction, cette vie, s'exprime de diverses façons: dans les prières, la liturgie — au foyer ou à la synagogue — et également dans ce que nous appellerions des actions d'ordre profane. Dans un sens, le judaïsme a toujours été très temporel, mais ce côté-là ne fait pas opposition à la foi. Les contacts avec le judaïsme pourraient aider le mouvement oecuménique à surmonter le danger de devenir une question d'ordre théorique, réservée à un groupe d'experts. Cela nous obligerait à être réalistes, à mettre l'activité oecuménique au service réel de l'humanité.
2. Dans les discussions qui s'élèvent entre les différentes Eglises et communautés chrétiennes, il y a plusieurs secteurs à propos desquels le contact avec le judaïsme pourrait être utile pour surmonterdes vues unilatérales et de perpétuelles difficultés.
a) Le rapport entre la foi et les oeuvres a soulevé de sérieuses difficultés entre chrétiens, et continue à le faire. Trop d'insistance sur l'un de ces aspects signifie qu'on néglige l'autre. La tension, vaguement présente, entre l'Epître aux Romains et celle de St Jacques a dégénéré en dispute entre les différentes Eglises et communautés chrétiennes, depuis le 6e siècle notamment. Le retour aux sources vives et au judaïsme pourrait rendre les chrétiens plus conscients de l'unité dont la foi et les oeuvres sont des aspects. Elles s'appartiennent l'une à l'autre et ne devraient pas être séparées.
b) La question de l'Ecriture et de la Tradition reste aussi un problème difficile. Certaines Eglises proclament l'Ecriture — sola Scriptura — seule source de la foi chrétienne; d'autres acceptent l'Ecriture et la Tradition, et, en conséquence, la question des rapports entre l'une et l'autre surgit. Dans le judaïsme cette question est différente à cause d'une conception plus réaliste de la Révélation. Pour lui, l'Ecriture est le reflet et l'expression de la vie, et donc de l'histoire et de la Tradition. Réfléchir sur cette question et en vivre pourrait favoriser la compréhension et l'entente entre chrétiens.
Il y a d'autres points qui pourraient être mentionnés ici, tels que le caractère sacerdotal du peuple. Mais ces quelques exemples suffisent pour éclairer le point suivant: Le christianisme divisé en recherche d'une plus grande unité ne se préoccupe pas seulement d'une unité institutionnelle, mais de la réalisation complète et entière du message biblique intégral. Le désir de Jésus doit toujours être compris en fonction de l'arrière-plan du sens réaliste de la Révélation, dans lequel Jésus vécut, souffrit et accomplit sa mission. Mais alors le contact avec la réalité vivante du judaïsme paraît indispensable aux chrétiens et à l'oecuménisme, non pas parce que le judaïsme devrait posséder la clé de toutes les solutions, mais parce qu'il vit les valeurs du Tanach; il a une manière différente d'aborder de nombreuses questions, et il constitue, en un certain sens, la base sous-jacente de la recherche chrétienne de l'unité. Ainsi nous pouvons comprendre la parole de Karl Barth (1966): « Il y a actuellement de nombreux contacts bienfaisants, entre l'Eglise catholique et plusieurs Eglises protestantes, entre le Secrétariat pour l'Unité des chrétiens et le Conseil mondial des Eglises.... Le mouvement oecuménique est poussé par l'Esprit de Dieu; mais n'oubliez pas, il n'y a qu'une seule importante et profonde question: nos relations avec Israël ».